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Cameroun : L’arachide menacée de disparition

Lavage des arachides (Tayap, Cameroun). Image de Eric Freyssinge via Wikimédia Commons (CC BY-SA 4.0).

Lavage des arachides (Tayap, Cameroun). Image de Eric Freyssinge via Wikimédia Commons (CC BY-SA 4.0).

  • À cause des températures très élevées dues à la variation du climat dans cette zone du centre, cette légumineuse subit des attaques des charançons qui déciment les récoltes stockées par les agriculteurs.
  • Des producteurs, obligés de se réapprovisionner en semences parce qu’ayant perdu celles qu’ils ont sécurisées.
  • La rareté de l’arachide a fait grimper les prix sur le marché, amenant les cultivateurs à se contenter des variétés venant d’autres régions au détriment de leur spéculation identitaire, avec une incidence sur la santé et la sécurité alimentaire.
  • En dehors des pertes post-récolte, des experts en service dans cette région, considérée comme un des greniers agricoles du Cameroun, prédisent de mauvais jours à l’arachide à partir de la tige, du fait du climat rude.

Sous un soleil de plomb, le 15 mai dernier, Jeannette Sita, cultivatrice dans l’arrondissement de Bokito, à 145 kilomètres de Yaoundé, au Cameroun, sème, à l’aide des pieds ou d’une petite houe, de l’arachide.

Malgré le retard de plus d’un mois, la sexagénaire ne veut pas laisser vide le champ, qu’elle a fait labourer par une équipe de femmes moyennant un paiement de 30.000 francs CFA (soit 54 USD).

Elle pense que la providence jouera en sa faveur, afin qu’elle obtienne quelques gousses pour ses nombreux petits-enfants, qu’elle accueille souvent pendant les vacances scolaires, entre juillet et août.

Le retard accusé est indépendant de la volonté de cette agricultrice. « Je n’avais pas d’argent pour me procurer la semence à temps. Vous pouvez constater que le champ a été labouré depuis et les mottes de terre ont même durci. Je me disais que le prix de l’arachide, qui avait quintuplé, allait baisser pour me permettre d’en acheter. Malheureusement, il a continué d’augmenter », confie Sita.

En effet, comme elle, nombre de paysans du département du Mbam et Inoubou, dans la région du Centre du Cameroun, ont rencontré des difficultés pour semer l’arachide, plante qui se cultive une fois par an, entre la mi-mars et la fin du mois d’avril, dans cette zone. Ce n’est pas faute d’avoir conservé la semence, comme il est de coutume là-bas, après les récoltes qui interviennent au mois d’août ; mais, c’est que depuis plus de 10 ans, cette graine est attaquée par des charançons, communément appelés en pidjin, un argo camerounais qui mêle quelques mots en anglais, en français et en plusieurs langues locales, « Came no go » et qui signifie « difficile à chasser ».

Et Sita l’aura appris à ses dépens. « J’ai aspergé un fongicide avant de garder l’arachide dans un sac, dans mon grenier sous lequel j’allume en permanence du feu. Mais, quelques mois plus tard, je me suis rendu compte que les graines étaient déjà attaquées. J’ai aspergé une deuxième fois. Jusque-là, j’ai perdu plus de 90 % du sac de 50 kilogrammes de gousses que j’avais gardé », raconte Sita, ébranlée.

Un sac de 50 kg qui se vend depuis février à 60000 francs CFA (100 USD) au lieu de la moitié du prix en décembre 2024. Elle précise néanmoins que le fongicide qu’elle utilisait avant, est introuvable et que le nouveau est moins efficace. Avec l’aide des proches, elle a pu acheter juste cinq kg d’une variété d’arachide d’une autre région. « Je vais me contenter de l’arachide en provenance de l’Ouest du pays, dans le département du Noun, particulièrement, pour occuper, ne serait-ce que le quart du champ qui a été labouré avant de voir si je peux, dès le début des récoltes, m’approvisionner pour reconstituer le stock de notre arachide », a-t-elle dit à Mongabay. Ce que plusieurs autres cultivateurs ont été contraints de faire.

Un champ d'arachide cultivé en contre saison dans la région de l'Extrême-nord Cameroun. Image de HAMIDOU KAOU 6767 via Wikimédia Commons (Domaine public).
Un champ d’arachide cultivé en contre saison dans la région de l’Extrême-nord Cameroun. Image de HAMIDOU KAOU 6767 via Wikimédia Commons (Domaine public).

En fait, au Cameroun, en dehors des semences proposées par l’Institut de recherche pour le développement (Irad), chaque zone a ses variétés de cultures ancestrales auxquelles sont attachés ses ressortissants. Et l’arachide Bafia, avec ses graines plus fines et sa texture moins grasse, c’est tout un label pour les populations du Mbam et du pays. Raison pour laquelle, elle se vend un peu plus cher que les autres.

« Dans l’ensemble, l’arachide contribue à l’alimentation des populations du Cameroun en général. Elle est consommée en graines grillées, crues ou écrasées dans les sauces accompagnées des tubercules ou des céréales. Elles contribuent grandement à la sécurité alimentaire des ménages et constitue la matière première des entreprises agricoles de transformation de cette graine. En effet, dans le département du Mbam et Inoubou, la production de l’arachide occupe la quasi-totalité des ménages pour la consommation familiale et une autre part est vendue pour les besoins quotidiens », a dit Maurine Kenne Yeffou Ngoula, ingénieur agronome, spécialiste en protection des végétaux, en service à l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (ACDIC). « Mais le stockage de cette graine dans les ménages producteurs est de plus en plus compromis par les attaques des insectes qui causent des pertes importantes en termes de qualité et de quantité ».

Les conditions climatiques favorisent le passage de la larve au charançon

Le sujet sur les charançons des arachides n’est presque pas traité aussi bien par les médias que les chercheurs scientifiques. Néanmoins, selon Kenne, « la déforestation des espaces au profit de l’agriculture est l’une des causes de la prolifération des insectes, notamment le charançon qui cause des pertes qualitatives et quantitatives observées sur les graines d’arachide en stockage. Ces insectes vivent dans les champs d’arachide, se nourrissent des arachides et laissent leurs larves dans les graines pendant qu’elles sont en champs. Pendant la récolte, le producteur ramène chez lui les graines d’arachide contenant déjà des larves d’insectes, mais en état de dormance ».

Kenne explique qu’« une fois à la maison, ces larves restent en état de dormance dans ces graines jusqu’à ce que les conditions de vie, notamment la température et l’humidité élevées, deviennent favorables pour leur développement ; c’est ainsi que la larve devient le charançon toujours dans la graine où elle se trouve depuis le champ ». « Le charançon ainsi formé, pour assurer ses besoins de croissance et de multiplication, se met à consommer la graine dans laquelle elle vit, se multiplie rapidement et attaque les autres graines. C’est ainsi qu’un stock d’arachide non visité sera détruit par les charançons jusqu’au jour où le ménage s’en rendra compte. Les charançons les plus connus sont le Caryedom serratus et le Tribolium castaneum », précise-t-il

« Les principales conséquences de l’évolution de la larve en charançon sont les pertes importantes en termes de quantité et de qualité d’arachide en stock ; l’exposition à l’insécurité alimentaire et à la pauvreté », dit Kenne. « Pendant leurs destructions, les charançons contaminent les graines par leurs excréments et leurs cadavres. Ainsi, les arachides attaquées sont souvent contaminées par des toxines et des allergènes ce qui, en fonction du niveau d’attaque, peut rendre la consommation dangereuse pour la santé humaine », précise Kenne.

Jeannette Sita, cultivatrice à Bokito, en train de semer avec un mois de retard des arachides venues d'ailleurs, après avoir perdu sa semence détruite par des charançons. Image d’Adrienne Engonno pour Mongabay.
Jeannette Sita, cultivatrice à Bokito, en train de semer avec un mois de retard des arachides venues d’ailleurs, après avoir perdu sa semence détruite par des charançons. Image d’Adrienne Engonno pour Mongabay.

Conseils aux agriculteurs

Selon les responsables locaux du ministère de l’Agriculture et du développement rural (Minauder), à cause du climat, des températures très élevées dans la région, les menaces sur l’arachide, se feront aussi ressentir à partir du champ. « La chaleur observée ces derniers temps dans l’arrondissement de Boito aura un impact significatif sur la production de l’arachide. Les températures sont très élevées et la probabilité de voir une réduction de la germination est forte. Ce qui va affecter la formation des follicules. Ces effets combinés peuvent agir négativement sur le rendement et la productivité », a affirmé le délégué en charge de l’agriculture de l’arrondissement de Bokito, Ghislain Messina Eteme, dans un entretien au téléphone, après une rencontre physique dans ses bureaux.

Messina Eteme présente les autres menaces que subit cette légumineuse. « La culture de l’arachide fait face aux maladies fongiques et bactériennes. Nous pouvons citer la maladie de la rosette, les tâches foliaires précoces ou tardives, la rouille sans oublier celle de la post-récolte qui cause d’énormes problèmes à l’heure actuelle ». « Pour pallier à ces problèmes, les encadreurs de base, que sont les chefs de poste, et moi-même, travaillons d’arrache-pied pour apporter le conseil aux producteurs ; celui de mettre en pratique les techniques de lutte culturale comme par exemple, éliminer et brûler les plants malades, faire la rotation des cultures qui vise à réduire la propagation des maladies dans le sol », dit Messina Eteme.

« Et aussi d’utiliser les fongicides pour la lutte chimique, sans oublier la pratique des activités post-récolte qui est cruciale pour améliorer la qualité de l’arachide en faisant sécher à l’air libre, afin de réduire le taux d’humidité qui favorise le développement de l’humidité. En stockant dans les conditions adéquates pour limiter les attaques des nuisibles et même des rongeurs. Tout ceci pour avoir une semence de qualité et améliorer la rentabilité », indique-t-il.

Arachides attaquées par les charançons à Bokito, région du Centre au Cameroun. Image d’Adrienne Engonno pour Mongabay.
Arachides attaquées par les charançons à Bokito, région du Centre au Cameroun. Image d’Adrienne Engonno pour Mongabay.

Combiner les luttes préventives et curatives

Selon les spécialistes, la lutte contre ces charançons passe par des méthodes préventives et curatives. S’agissant de la prévention, les producteurs doivent stocker leurs récoltes dans des endroits secs et bien ventilés comme des greniers dans la cuisine ou des magasins de stockage.

Pour ce qui est de la lutte curative, l’utilisation des insecticides chimiques par l’enrobage des gousses est la principale technique utilisée par les producteurs.

Cependant, bien que cette technique permette de détruire le charançon, elle est très dangereuse pour la santé des consommateurs, car les résidus de ces produits chimiques sont responsables de la dégradation de l’état de santé du consommateur.

Il est conseillé d’utiliser les bio-insectifuges fabriqués à partir des extraits de plantes pour le contrôle des charançons de l’arachide. L’avantage de ces bio-insectifuges est qu’ils ne laissent pas de résidus dans la graine et, de ce fait, protège la santé du consommateur.

« En ce moment où le changement climatique favorise l’augmentation des températures à échelle mondiale. Il est urgent d’adopter les méthodes de lutte efficaces pour réduire les pertes des graines ; pour cela, les producteurs et les consommateurs doivent être sensibilisés à l’importance de la qualité et de la sécurité des arachides. Les États doivent mettre en place des programmes de lutte contre les charançons pour protéger les intérêts économiques, nutritionnels et sanitaires des populations », a dit Kenne.

Image de bannière : Lavage des arachides (Tayap, Cameroun). Image de Eric Freyssinge via Wikimédia Commons (CC BY-SA 4.0).

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