- Une étude révèle que les régions nord du Ghana et du Nigeria présentent les risques les plus élevés de migration climatique, mais les migrants eux-mêmes expliquent rarement leurs déplacements par des facteurs environnementaux.
- La recherche combine pour la première fois le cadre d'évaluation des risques du GIEC avec des entretiens directs de migrants, exposant un paradoxe majeur entre risques objectifs et motivations déclarées.
- Les experts restent divisés sur l'approche méthodologique, certains saluant son innovation, tandis que d'autres dénoncent sa vision réductrice des dynamiques migratoires complexes de la région.
- Les projections pour 2050 indiquent une intensification des risques dans les régions septentrionales, appelant à des stratégies d'adaptation localisées et une approche plus nuancée des politiques migratoires.
La carte des risques climatiques en Afrique de l’Ouest ne raconte qu’une partie de l’histoire. Une étude publiée le 26 février 2025, dans la revue Frontiers in Climate, dévoile une réalité complexe : les régions les plus exposées aux aléas climatiques, ne sont pas nécessairement celles dont les habitants citent l’environnement comme première raison de leur migration.
Cette recherche, menée dans deux pays anglophones de la sous-région – le Ghana et le Nigeria – jette une lumière nouvelle sur la façon dont les populations perçoivent et réagissent aux changements climatiques.
Dirigée par Alina Schürmann de l’université Martin Luther de Halle-Wittenberg en Allemagne, l’équipe internationale de chercheurs a adopté une approche inédite en adaptant le cadre d’évaluation des risques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), spécifiquement pour identifier les zones de migration potentielle.
Les auteurs indiquent que leur objectif était d’« évaluer l’applicabilité du cadre d’évaluation du GIEC, pour cartographier et prédire les schémas migratoires au Ghana et au Nigeria, en mettant l’accent sur l’identification des zones de migration potentielle ».
Entre cartographie spatiale et témoignages de migrants
L’approche de ce travail est double : d’un côté, une analyse spatiale poussée intégrant les données climatiques, socio-économiques et démographiques ; de l’autre, des entretiens directs avec plus de 1 700 migrants (1 265 au Ghana et 472 au Nigeria). Cette combinaison permet de comparer les évaluations théoriques des risques avec les motivations réelles exprimées par les personnes concernées.
Pour Dr Alexander de Sherbinin, Directeur et Chercheur principal au Center for Integrated Earth System Information (CIESIN) de la Columbia Climate School à New-York, aux Etats-Unis, cette approche représente une avancée notable. « J’ai trouvé la combinaison d’entretiens avec les migrants et l’évaluation spatiale de la vulnérabilité comme étant innovante », affirme-t-il, dans un courriel à Mongabay.
L’étude s’appuie sur trois composantes principales : les aléas climatiques (sécheresses, températures extrêmes, variabilité des précipitations), la vulnérabilité socio-économique (dépendance à l’agriculture, insécurité alimentaire, conflits), et l’exposition des populations (zones arides, côtières, rurales). Les projections futures utilisent des modèles climatiques permettant d’anticiper une hausse des températures de 2,7°C d’ici à la fin du siècle.

Des zones critiques de migration concentrées au nord
Les résultats dessinent une géographie claire des risques climatiques. Au Ghana, les régions du Nord-Est, de l’Est-Supérieur et de l’Ouest-Supérieur affichent les scores de risque les plus élevés. Au Nigeria, les États de Sokoto, Kebbi, Borno et Zamfara présentent des vulnérabilités similaires. « Dans le nord du Ghana et du Nigeria, des scores élevés d’aléas, de vulnérabilité et d’exposition suggèrent une probabilité plus élevée de migration en raison du risque global auquel est confrontée la population », indiquent les chercheurs.
Ces tendances devraient, non seulement persister, mais s’aggraver d’ici à 2050. L’étude prévoit une intensification particulière dans certaines régions : au Ghana, les zones de l’Ouest-Supérieur et de la Savane connaîtraient une augmentation significative des risques, tandis qu’au Nigeria, les États de Yobe et Kebbi verraient leur situation se détériorer davantage.
Cependant, les experts soulignent les limites de cette approche cartographique. « Il existe de nombreuses études montrant que les perceptions sont souvent de plus grands motivateurs que les risques climatiques objectivement mesurés », dit de Sherbinin.
Il ajoute que « certains de ces écarts peuvent être liés à l’échelle à laquelle les risques climatiques sont mesurés, qui peut être trop grossière pour capturer avec précision les expériences localisées liées à la sécheresse, aux inondations et à la chaleur extrême ».
Un paradoxe révélateur : entre objectif et subjectif
Le constat le plus troublant de l’étude réside dans le fossé entre les évaluations objectives des risques et les perceptions subjectives des migrants. Au Ghana, seulement 14,5 % des migrants au maximum citent des facteurs environnementaux comme motivation principale de leur déplacement. Au Nigeria, ce chiffre n’atteint que 33,3 % dans le meilleur des cas.
En revanche, les facteurs socio-économiques dominent largement les motivations déclarées, atteignant jusqu’à 74,5 % au Ghana et 100 % au Nigeria dans certains États. Les chercheurs interprètent ce phénomène ainsi : « Cela indique que les facteurs liés à l’environnement peuvent ne pas être perçus comme des menaces directes par la population, mais plutôt comme des contributeurs à la détérioration des conditions économiques, qui poussent ensuite à la migration ».
Pour le Professeur Richard Black, recteur adjoint à l’université de Liverpool, cette déconnexion s’explique par un défaut conceptuel plus profond. « En appliquant un cadre ‘risque’ pour comprendre ce qui mène à la migration, l’étude met de côté à la fois la longue histoire des migrations dans cette région, ainsi que les fortes forces économiques qui attirent les migrants vers les villes », souligne-t-il, joint par courriel par Mongabay.
Selon lui, cela expliquerait pourquoi les migrants ne citent pas spontanément la variabilité climatique comme raison de déplacement : « Les gens ont toujours été en mouvement et la variabilité climatique fait partie de leur vie », dit-il.

Des implications politiques controversées
Les divergences d’interprétation entre experts révèlent des enjeux méthodologiques et politiques importants. Alors que les auteurs de l’étude recommandent des « stratégies d’adaptation localisées qui répondent aux besoins spécifiques des zones vulnérables », leurs conclusions sont contestées par certains spécialistes des migrations.
Le Professeur Black critique fondamentalement l’approche de l’équipe de Schürmann basée sur les causes : « Identifier les ’causes’ d’une migration me semble une poursuite académique quelque peu vaine. Il me semble qu’il n’y a que deux vraies raisons d’essayer de comprendre les ’causes’ spécifiques de la migration. L’une est de permettre aux migrants de chercher une ‘protection’ dans un cadre légal défaillant. L’autre est de permettre aux gouvernements d’isoler des ’causes racines’, pour pouvoir les traiter et ainsi freiner ou arrêter la migration ».
Il dénonce également une vision biaisée de la mobilité humaine : « Cela met en lumière un défi inhérent aux études portant sur les ’causes’ de la migration, qui finissent par traiter implicitement la migration comme une activité déviante ou indésirable, plutôt que comme une des nombreuses choses que font les gens ».
Des populations piégées et des adaptations inégales
Au-delà des débats méthodologiques, l’étude souligne une préoccupation concrète : celle des populations « piégées », qui n’ont pas les ressources nécessaires, pour migrer face aux risques climatiques croissants.
De Sherbinin reconnaît la complexité de ce phénomène : « Distinguer ceux qui sont piégés de ceux qui veulent rester ou sentent qu’ils ont peu d’alternatives autre que de rester, n’est pas facile ».
L’étude identifie plusieurs facteurs aggravants pour ces populations vulnérables : l’insécurité alimentaire croissante, l’accès limité au crédit (particulièrement important au Ghana), et dans le cas du Nigeria, l’instabilité liée aux conflits.
Elle note que « les conflits au Nigeria ne provoquent pas seulement des migrations rurales-urbaines, mais exacerbent aussi l’insécurité alimentaire, qui est également identifiée par les experts comme ayant une influence majeure sur les décisions de migration dans le futur ».

Vers des approches plus nuancées
Malgré les critiques, les chercheurs reconnaissent les limites de leur cadre d’analyse. Ils soulignent que « les valeurs numériques des seuils ne sont pas des reflets absolus de la réalité. Les décisions de migration peuvent survenir dans des régions indépendamment des données comptées ou des seuils numériques, tandis que certains individus peuvent choisir de rester dans des zones, même si ces zones sont scientifiquement classées comme zones à haut risque ».
Pour de Sherbinin, la méthodologie reste applicable ailleurs : « Tant que les données sont disponibles, les mêmes méthodes devraient fonctionner » pour d’autres régions vulnérables comme l’Asie du Sud ou les petits États insulaires.
L’étude appelle finalement à une approche plus globale qui tient compte de la complexité des dynamiques migratoires. Les auteurs concluent notamment que la combinaison de la science, des politiques publiques et de l’action communautaire permettra de développer des stratégies d’adaptation efficaces, adaptées aux réalités locales et résilientes face aux incertitudes du changement climatique.
Les migrations climatiques en Afrique de l’Ouest ne suivent pas un schéma simple de cause à effet. Elles s’inscrivent dans des dynamiques historiques, économiques et sociales complexes, où le climat joue un rôle souvent indirect, mais néanmoins significatif. Alors que les projections pour 2050 indiquent une intensification des risques, la question reste de savoir comment les politiques publiques pourront s’adapter à cette réalité multidimensionnelle.
Image de bannière : Haruna, 36 ans, debout sur les ruines de sa maison. Lorsque l’inondation a détruit leur maison, son mari lui a demandé, ainsi qu’à sa coépouse, de retourner chez leurs parents, dans une autre communauté. Mais elle n’a pas voulu quitter sa maison. Elle ne voulait pas le regretter. Elle est restée, tout comme sa coépouse, et la nuit, elles dormaient devant leurs chambres en ruine avec d’autres femmes. Image de Sadiq Mustapha via Wikimédia Commons (CC BY-SA 4.0).
Citation :
Schürmann, A., Teucher, M., Kleemann, J., Inkoom, J.N., Nyarko, B.K., Okhimamhe, A.A. and Conrad, C. (2025). Spatial assessment of current and future migration in response to climate risks in Ghana and Nigeria. Frontiers in Climate. doi: 10.3389/fclim.2025.1516045
Podcast Planète Mongabay #4 Effets du changement climatique, quelles stratégies d’adaptation ?
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