Nouvelles de l'environnement

Le déclin des insectes tropicaux annonce un avenir funeste pour les écosystèmes

  • Alors que leur identification taxonomique et leur recensement constituent jusqu’à ce jour des défis majeurs, les insectes tropicaux subissent un grave déclin.
  • Le changement climatique et les perturbations des cycles El Niño et La Niña pourraient aggraver leur déclin, car ils sont plus vulnérables aux changements environnementaux.
  • Les nouvelles technologies, telles que l’intelligence artificielle, peuvent aider à surmonter les différents défis, « mais nous permettront seulement de compter les livres pendant que la bibliothèque brûle ».

Un groupe d’écologistes révèle que les populations d’insectes dans les forêts tropicales sont en grave déclin, en raison des pressions humaines, des espèces envahissantes et du changement climatique. Cela pourrait, à son tour, avoir des conséquences désastreuses sur les écosystèmes et les systèmes alimentaires du monde entier ; les forêts tropicales occupant une place importante dans le maintien de la santé de la planète.

Les insectes figurent parmi les groupes d’animaux les plus diversifiés et les plus influents de la planète. Ils dominent en nombre dans presque tous les écosystèmes. Cependant, cette abondance écrasante implique que leur caractérisation enregistre beaucoup de retard en comparaison à d’autres espèces. En particulier, 85 à 95 % des insectes des forêts tropicales n’ont pas encore été décrits, selon une étude publiée en 2023.

« On estime qu’il existe 8 millions d’espèces d’insectes sur Terre, mais seulement 1 million a été décrit par les scientifiques », explique dans un courriel, à Mongabay Roel Van Klink, chercheur post-doctoral au Centre allemand de recherche intégrative sur la biodiversité, de l’université Martin-Luther de Halle-Wittemberg. « La plupart des 7 millions d’espèces restantes vivent dans les forêts tropicales. Ainsi, même si nous parvenons à effectuer une surveillance efficace des insectes dans ces forêts, ce qui est difficile en raison de leur faible accessibilité, nous ne savons pas réellement ce que nous surveillons », indique-t-il.

Des chercheurs de l’université de Hong Kong et de l’Université Griffith en Australie, viennent pourtant de relever le défi en fournissant l’un des aperçus les plus complets à ce jour de l’état actuel des populations d’insectes tropicaux, ainsi que des facteurs et des impacts de leur déclin. « Les insectes sont souvent négligés par les gens, en raison de leur petite taille, mais ils sont si abondants et diversifiés qu’ils sont essentiels au fonctionnement des forêts tropicales », explique à Mongabay, Michael J.W. Boyle, chercheur post-doctoral à l’École des sciences biologiques de l’université de Hong Kong et auteur principal de l’étude.

Publiée le 4 avril dernier, dans Nature Reviews Biodiversity, les investigations de cette étude ont été menées au cours des trois dernières années, dans les régions tropicales d’Australie et d’Asie. Les chercheurs ont revisité les forêts où des études entomologiques ont précédemment déjà été effectuées.

Des travaux en cours dans le Parc national de Lamington et des observations de la canopée à l’aide d’une grue dans la forêt de Daintree (tous deux en Australie), ont permis de collecter des fourmis, des papillons de nuit et diurnes et des coléoptères. Capturés à l’aide de pièges spécialisés, les insectes ont permis d’évaluer la manière dont le changement climatique a affecté leurs populations au cours des deux dernières décennies.

Abeille charpentière tropicale (Xylocopa latipes) sur des fleurs d'asclépiade géante (Calotropis gigantea). Image de Bernard DUPONT via Wikimédia Commons (CC BY-SA 2.0).
Abeille charpentière tropicale (Xylocopa latipes) sur des fleurs d’asclépiade géante (Calotropis gigantea). Image de Bernard DUPONT via Wikimédia Commons (CC BY-SA 2.0).

En comparant les données avec les relevés climatiques des dernières décennies, l’équipe a constaté que les insectes tropicaux sont particulièrement vulnérables à l’augmentation des températures.

Le changement climatique peut affecter les insectes de diverses manières. « L’un des effets les plus évidents est la survenue des vagues de chaleur dépassant les températures tolérées par les espèces, provoquant l’extinction locale de populations », indique à Mongabay, John J. Wiens, professeur au Département d’écologie et de biologie évolutive à l’université de l’Arizona, aux États-Unis. « Si ces extinctions locales se produisent à un rythme trop élevé, des espèces entières pourraient disparaître », ajoute-t-il.

Cela concorde avec l’affirmation de Van Klink indiquant qu’il existe une théorie selon laquelle les insectes tropicaux ont une tolérance environnementale très limitée, ce qui les rend particulièrement vulnérables à la hausse des températures. « Le changement climatique fait grimper la température à un niveau jamais observé depuis des milliers d’années », explique-t-il. « On peut donc s’attendre à ce que les insectes et d’autres animaux des forêts ne puissent plus supporter ces températures et soient contraints de migrer, de s’adapter ou de disparaître ». Van Klink et Wiens n’ont pas participé à l’étude de Boyle.

Un déclin pouvant être aggravé par la perturbation d’El Niño et La Niña

Le changement climatique augmente également la fréquence et l’intensité de phénomènes météorologiques extrêmes provoquant des catastrophes, telles que les inondations et les incendies de forêt. Cela est, non seulement néfaste pour les insectes, mais également pour les écosystèmes en général.

Étant donné que le changement climatique perturbe aussi des cycles météorologiques cruciaux comme El Niño et La Niña, la menace pesant sur les insectes tropicaux risque de devenir encore plus importante. Si l’effet El Niño se produit plus fréquemment et s’intensifie, cela sera très probablement néfaste pour les insectes et le reste de la chaîne alimentaire. Cela peut, par exemple, provoquer de très fortes sécheresses en Asie du Sud-Est et de très fortes précipitations en Amérique du Sud.

« Bien que nous ne sachions pas quels seront les effets exacts de ce phénomène sur les insectes des forêts tropicales, El Niño et La Niña jouant un rôle très important dans les processus écologiques des tropiques, nous supposons que toute perturbation majeure de ces phénomènes aura probablement des ramifications très importantes pour les insectes tropicaux et d’autres organismes », indique Boyle.

Araignées, insectes et fleurs de la forêt de Moulière (Les Chirons Noirs). Image de Lancellin via Wikimédia Commons (Domaine public).
Araignées, insectes et fleurs de la forêt de Moulière (Les Chirons Noirs). Image de Lancellin via Wikimédia Commons (Domaine public).

Des impacts plus importants des changements d’utilisation des terres

En croisant les données avec les relevés satellitaires montrant les changements d’utilisation des terres, l’équipe de Boyle a également constaté un impact considérable de l’expansion agricole. Selon les chercheurs, les changements d’utilisation des terres dans les régions tropicales peuvent avoir des impacts négatifs encore plus importants sur les insectes tropicaux que ceux des régions tempérées.

« Ce processus a directement supprimé l’habitat naturel de nombreuses espèces, mais a également eu d’autres répercussions, comme la facilitation de la propagation d’espèces envahissantes, l’apparition d’incendies dans les habitats naturels adjacents, la pollution de l’environnement par des pesticides et la modification du microclimat local, qui devient plus chaud et plus sec », explique Boyle.

Selon l’étude, les insectes des îles tropicales sont particulièrement vulnérables aux espèces envahissantes, de nombreuses espèces endémiques étant déjà éteintes. L’urbanisation et la fragmentation des habitats sont également mentionnées comme causes principales du déclin des insectes dans les tropiques.

De lourdes conséquences sur les réseaux de nutrition des forêts

Étant donné que nous commençons tout juste à comprendre l’évolution des populations d’insectes tropicaux, les impacts de leur déclin sur les écosystèmes sont pour le moment incertains. Néanmoins, les scientifiques avancent des théories sur la base de données expérimentales et d’observation. En outre, comme ils se situent au cœur même des réseaux de nutrition des forêts, il est évident que leur déclin aura de lourdes conséquences.

Par exemple, la perte des insectes peut diminuer le taux de décomposition de la matière organique dans le sol et donc influer négativement sur la croissance des plantes et les cycles carbonés et azotés. « Le déclin des insectes herbivores pourrait réduire les mécanismes de contrôle, que les insectes exercent sur les communautés végétales tropicales, ce qui se traduira par des forêts moins diversifiées et moins homogènes », ajoute Boyle.

En effet, non seulement les insectes sont responsables de la pollinisation de nombreuses plantes, mais régulent également leur croissance en consommant leurs feuilles et leurs graines. C’est la raison pour laquelle la diversité végétale est aussi élevée dans les forêts tropicales. Les insectes servent aussi de nourriture à de nombreuses espèces telles que les lézards, les amphibiens, les poissons, les chauves-souris, les oiseaux, etc. Leur perte entraînerait à son tour le déclin de ces populations. « Si nous perdons les insectes, nous perdons la plupart des autres espèces de plantes et d’animaux », affirme Wiens.

Par ailleurs, selon Boyle, le déclin des insectes dans les forêts tropicales peut aussi affecter les populations vivant à proximité. Les recherches effectuées dans les régions tempérées indiquent que les insectes nuisibles sont plus résistants aux changements environnementaux que ceux utiles, indique l’expert. Cela peut avoir des conséquences sur l’agriculture et la santé humaine car les nuisibles (comme les criquets) et les propagateurs de maladies (comme les moustiques et les tiques) deviennent plus nombreux, faute de prédateurs naturels qui contrôlaient leurs populations.

L’urbanisation et la fragmentation des habitats sont également mentionnées comme causes principales du déclin des insectes dans les tropiques. Image de Lancellin via Wikimédia Commons (Domaine public).
L’urbanisation et la fragmentation des habitats sont également mentionnées comme causes principales du déclin des insectes dans les tropiques. Image de Lancellin via Wikimédia Commons (Domaine public).

« Compter les livres pendant que la bibliothèque brûle » …

Les nouvelles technologies pourraient aider à surmonter les défis liés à l’identification et à la conservation des insectes tropicaux. Les techniques d’identification génétique moléculaire peuvent, par exemple, aider à la classification des espèces cryptiques. Selon Wiens, il est généralement difficile pour les entomologistes d’identifier les insectes jusqu’au nom de l’espèce, à moins d’être un expert d’une famille ou d’un genre spécifique pouvant comprendre des centaines, voire des milliers d’espèces. Les données moléculaires permettent d’obtenir une identification plus précise même sans être expert dans un groupe particulier.

« Les outils, tels que l’intelligence artificielle, évoluent rapidement et peuvent aussi contribuer à accélérer l’identification et la description des insectes, grâce à des outils tels que la reconnaissance d’images », indique Boyle. Dans l’ensemble, ces technologies permettent de mieux surveiller l’état des insectes et leurs réactions face aux changements environnementaux.

Cependant, il est important de noter que ces outils ne sont pour le moment utilisés que par des chercheurs en Europe ou en Amérique du Nord. Cela risque d’exacerber davantage le biais historique déjà existant et aggraver les lacunes d’études pour les habitats tropicaux. D’autre part, « cela n’aidera pas les insectes, mais nous permettra seulement de compter les livres pendant que la bibliothèque brûle », estime Van Klink. « Si nous voulons réellement aider les insectes, nous devons stopper et inverser le changement climatique. Et nous devons éliminer toutes les autres menaces qui pèsent sur la nature », conclut l’expert.

Image de bannière : L’urbanisation et la fragmentation des habitats sont également mentionnées comme causes principales du déclin des insectes dans les tropiques. Image de Lancellin via Wikimédia Commons (Domaine public).

Citations :

Boyle, M.J.W., Bonebrake, T.C., Dias da Silva, K. et al. (2025). Causes and consequences of insect decline in tropical forests. Nat. Rev. Biodivers. https://doi.org/10.1038/s44358-025-00038-9

Xin Li, John J Wiens, J. J. (2023). Estimating Global Biodiversity: The Role of Cryptic Insect Species, Systematic Biology, Volume 72, Issue 2, 391–403, https://doi.org/10.1093/sysbio/syac069

Nigel E. Stork. (2018). How Many Species of Insects and Other Terrestrial Arthropods Are There on Earth? ANNUAL REVIEW OF ENTOMOLOGY, Volume 63. https://doi.org/10.1146/annurev-ento-020117-043348

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