Nouvelles de l'environnement

Madagascar : Un projet d’exploitation minier à intérêt américain controversé

  • Une firme américaine, qui lorgne sur un riche gisement de sables minéralisés sur le littoral sud-ouest malgache, entend débuter son extraction en 2027.
  • Le projet minier le plus important à Madagascar, depuis plus de 10 ans, suscite de vives tensions entre ses partisans et ses contestataires.
  • La nocivité de l’activité extractive, en raison de la radioactivité et ses effets sur les communautés et l’environnement alimente des controverses à n’en plus finir.
  • Pour le gouvernement qui défend le projet, sa mise en œuvre est un coup de pouce au développement régional et à l’économie nationale.

ANTANANARIVO, Madagascar — L’atmosphère reste tendue autour du mégaprojet minier de Base Toliara, une filiale de la firme américaine Energy Fuels Resources Inc., qui désire exploiter un riche gisement d’ilménite de Ranobe, localisé à 50 kilomètres au nord de la ville de Toliara, sur le littoral sud-ouest de Madagascar. Le projet est le plus important investissement minier au pays, depuis plus de 10 ans.

Prévue pour démarrer sa production vers fin 2027, la mine fournira, sur 38 ans, une moyenne annuelle de 800 000 tonnes d’ilménite, de 54 000 tonnes de rutile et un peu moins de cette quantité pour le zircon et la monazite séparés. « La production atteindra la vitesse de croisière au bout de 3 à 5 ans après son démarrage, dépendant des humeurs du marché international », a dit Jean Bruno Ramahefarivo, le directeur général de la société.

Le projet, depuis sa conception qui date des décennies, a suscité des inquiétudes qui n’ont pas cessé de s’amplifier au fil des ans. La controverse autour de son exécution a culminé, en des circonstances périlleuses, cette année.

Depuis janvier, de violents affrontements, des provocations frisant la guerre civile en raison de la division en deux factions rivales de la population (une pour et une autre contre), des intimidations de part et d’autre, des arrestations suivies de condamnations par la justice, de sévères mises en garde, des rappels à l’ordre à l’endroit des députés contestataires, des appels au calme et des déclarations intempestives ponctuent le quotidien de la ville de Toliara, la capitale d’Atsimo Andrefana ou Sud-Ouest, la région d’implantation du projet.

La déliquescence de la situation sur le terrain est telle que le gouvernement a dû retrousser ses manches. Vendredi 11 avril, le Premier ministre, Louis Christian Ntsay, a débarqué à Toliara. Onze ministres et de hauts responsables étatiques, surtout ceux chargés de la défense et de la sécurité, l’ont accompagné à cette occasion. « Le président Andry Rajoelina lui-même s’est investi à fond pour que ce projet ait des retombées tangibles sur le développement de la région Atsimo Andrefana et dans les districts de Toliara I et de Toliara II », a dit le chef du gouvernement. Il a aussi insisté qu’apporter de l’assistance à la réalisation d’un projet d’envergure fait partie des attributions de l’Etat.

Le passage des autorités gouvernementales a été naturellement suivi du déploiement d’une mesure sécuritaire massive. Mais les opposants au projet semblent ne pas reculer face à la violence légale, dont font usage systématiquement les pouvoirs publics. Seuls, les affrontements directs sur le terrain ont connu une accalmie pour l’heure.

Affrontement lors de la manifestation anti-projet Base Toliara qui a eu lieu, le 23 mars 2025. Image du Vice-président de l'Assemblée nationale Thierry Randrianasoloniaiko fournie par Rivonala Razafison.
Affrontement lors de la manifestation anti-projet Base Toliara qui a eu lieu, le 23 mars 2025. Image du Vice-président de l’Assemblée nationale Thierry Randrianasoloniaiko fournie par Rivonala Razafison.

Dénonciation d’absence des consultations des parties prenantes

Les diatribes contre le projet minier enflent avec un argumentaire de poids qui fait intervenir des défenseurs des droits humains et de la nature, des scientifiques et des politiciens. Ceux-ci dénoncent énergiquement l’absence flagrante des consultations publiques stipulées par la loi. Pour eux, le projet de Base Toliara est la boîte de Pandore. Sa mise en œuvre présente des risques potentiels pour les communautés et l’environnement.

Les contestataires font des pieds et des mains pour se faire entendre. Mais ils se sentent snobés et non écoutés. « Ils sont une fois allés frapper aux portes de la présidence de la République pour faire part de leurs doléances. Mais ils y ont été repoussés », a affirmé Volahery Andriamanantenasoa, directrice des programmes auprès du Centre de recherches et d’appui pour les alternatives de développement – océan Indien (CRAAD-OI), à Mongabay.

Elle précise que la liberté d’opinion des opposants au projet a toujours été bafouée. « Toute demande d’autorisation de manifester a été systématiquement rejetée. La porte de la prison leur est agitée dès le moindre signe de protestation. Même les média privés, par peur de représailles, ont refusé de diffuser des annonces payantes en faveur des contestataires. Seule, la voix des parties pour le projet a été entendue. Le contexte est donc propice à la descente dans la rue pour les mécontents », a ajouté la défenseuse des droits humains.

Un journaliste local a failli aller en prison, pour avoir retransmis en direct la manifestation contre le projet, le 23 mars. De violentes répressions des forces de l’ordre ont eu lieu ce jour-là.

Dans une lettre adressée au président Rajoelina, le 30 septembre 2024, diverses organisations, dont le CRAAD-OI, soulignent les désagréments du projet : « Nous vous adressons cette lettre ouverte pour exprimer nos préoccupations urgentes concernant la mise en œuvre du projet intégré Base Toliara, dont la toxicité menace les moyens de subsistance et les droits humains fondamentaux des communautés affectées et des générations futures dans les districts de Toliara II, à Madagascar, et risque d’aggraver les impacts de la crise climatique dans le pays ».

Les signataires de la lettre ont rappelé qu’en avril 2024, la société australienne Base Resources et le producteur américain d’uranium et de minéraux critiques, Energy Fuels Resources Inc., ont conclu un accord contraignant permettant à ce dernier d’acquérir 100 % des actions émises par Base Resources par le biais d’un plan d’arrangement.

« Cette transaction permettra de créer un leader mondial dans le secteur des minerais critiques, axé sur la production d’éléments de terres rares (ETR), d’uranium et de sables minéraux lourds (SML: ilménite, rutile et zircon), ainsi qu’une plateforme pour le financement et le développement du projet intégré Base Toliara, dont la production future de concentré de monazite sera traitée à l’usine de White Mesa d’Energy Fuels, située dans l’Utah aux États-Unis d’Amérique (USA) », cite la lettre au passage.

La source insiste que le projet est basé sur la production combinée de SML et de concentré de monazite, et que ceci aura très probablement de graves impacts sur les droits humains fondamentaux, étant donnée la grande vulnérabilité de la population locale à tout impact négatif du projet sur son accès à l’eau, à la terre et aux ressources forestières, dont les communautés dépendent de manière critique pour leur survie, et à toute forme de pollution de leur environnement naturel.

En particulier, les risques liés à la radioactivité émanant du site d’extraction d’ilménite, de zircon et de rutile, situé à Ranobe, figurent parmi les principales raisons invoquées par les communautés locales, qui s’opposent depuis de nombreuses années au projet d’exploitation de SML Base Toliara.

Des contestations violentes éclaboussent la ville de Toliara, la capitale d’Atsimo Andrefana ou Sud-Ouest, la région d’implantation du projet Base Toliara comme ici, le 23 mars 2025. Image du Vice-président de l'Assemblée nationale Thierry Randrianasoloniaiko, fournie par Rivonala Razafison.
Des contestations violentes éclaboussent la ville de Toliara, la capitale d’Atsimo Andrefana ou Sud-Ouest, la région d’implantation du projet Base Toliara comme ici, le 23 mars 2025. Image du Vice-président de l’Assemblée nationale Thierry Randrianasoloniaiko, fournie par Rivonala Razafison.

Danger de la radioactivité pour la population locale et l’environnement

Depuis 2014, des études scientifiques ont démontré le danger de la radioactivité pour la population locale et l’environnement causé par l’exploitation de SML à Ranobe.

Une étude réalisée en 2014 a indiqué, que les niveaux d’émission d’uranium et de thorium à Ranobe sont si élevés, que des mesures sérieuses de radioprotection devront être prises, pour éviter que les travailleurs en contact direct avec les minerais, comme les mineurs et la population environnante, ne courent le risque de cancer ou de pathologies congénitales.

Selon les résultats des recherches, ce danger est dû au fait que l’ilménite de Ranobe contient du thorium 232, dont l’activité radioactive (10 600-10 700 Becquerel/kg), une fois à l’air libre, est supérieure à la norme de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) de 10 000 Becquerel/kg tolérée par le corps humain.

Le professeur Stephan Narison, directeur de recherche émérite au Centre national de recherche scientifique (CNRS), à Montpelier, en France, détaille toutes ces informations dans une vidéo diffusée en boucle sur la toile. Ce scientifique malgache reconnu comme un expert mondial de la haute énergie soutient les groupes contestataires du projet minier de Base Toliara.

Selon lui, il est certain que cette radioactivité affectera la population, les espèces endémiques et l’environnement naturel de Ranobe et de ses environs. L’étude de préfaisabilité publiée, le 21 mars 2019, par la société Base Resources elle-même, affirme que le zircon contenu dans le gisement de SML de Ranobe contient de l’uranium et du thorium, dont la radioactivité empêchera l’exportation de ses produits vers les Etats-Unis et le Japon.

La toxicité et la dangerosité du projet intégré Base Toliara ont été confirmées par l’étude de préfaisabilité de l’exploitation de la monazite publiée par Base Resources, en décembre 2023, qui souligne que l’extraction et la concentration de la monazite augmenteraient de façon exponentielle les risques déjà élevés pour la santé et la vie des travailleurs et des résidents locaux.

La lettre ouverte du 30 septembre souligne que les risques de radioactivité pour les travailleurs et la communauté devraient être correctement gérés. D’après la lettre, la monazite du projet de Toliara sera classée comme marchandise dangereuse de classe 7, en raison des niveaux de matières radioactives qu’elle contient, et nécessitera une manutention et une distribution spécialisées, ainsi qu’un navire dédié (le partage avec d’autres cargaisons à bord d’un navire n’est pas autorisé).

« L’aire protégée de Ranobe (avec une forte concentration de forêt de baobabs, Ndlr), à 20 km du site d’extraction, sera détruite par la radioactivité. Il est opportun de se rappeler que la radioactivité partie de Tchernobyl, en Russie, a atteint toute l’Europe et a abîmé la Forêt-Noire en Allemagne, entre autres », a affirmé Pr Narison.

« Le site [touristique de] Mangily, les villages touristiques, les zones habitées aux alentours et la peuplade des Mikea le seront également. Le groupe humain appelé Mikea, dans le Sud-Ouest malgache, représente un patrimoine mondial important semblable aux Aborigènes en Australie et aux Peaux Rouges en Amérique », a-t-il ajouté.

Les autorités de Madagascar et des Etats-Unis ont été priées de ne pas accorder de permis d’exploitation au projet intégré d’exploitation de SML et de monazite. Ceci, non seulement en raison des risques inacceptables liés aux impacts sanitaires et environnementaux attendus, mais aussi en raison des preuves significatives que, par le passé, de tels projets miniers soutenus par des fonds publics américains ont porté atteinte aux droits humains fondamentaux, détruit des habitats uniques et fortement pollué l’environnement local.

Selon les défenseurs des droits humains, Energy Fuels Resources Inc. fait face à de vives protestations de la part de la tribu Ute Mountain Ute, qui vit dans la bande de White Mesa, à côté de son usine d’uranium de White Mesa dans l’Utah, aux Etats-Unis, contre les effets délétères de ses activités.

En même temps, l’entreprise est prête à faire des ravages dans les communautés touchées par son projet minier dans le district de Toliara II à Madagascar, et qui ont la malchance de vivre sur des terres renfermant des ressources minières précieuses.

Dans le monde, la Chine à elle seule détient 70 % des gisements des minéraux critiques. Les autres pays, dont Madagascar, se partagent les 30 % restants. « L’extraction d’ilménite en Chine et en Amérique a été arrêtée à cause de ses effets sur la santé des employés et la communauté et sur l’environnement », a rappelé Pr Narison.

Partant, les constructeurs automobiles nord-américains et européens diversifient leurs sources d’approvisionnement en produits à base d’ETR, afin de soutenir la croissance de leurs objectifs de production de véhicules électriques et hybrides. « Voilà pourquoi les sociétés extractives se tournent vers les pays africains qui disposent d’importantes réserves, car elles savent qu’ils ont tant besoin d’argent », a-t-il dit.

D’après sa remarque, les sociétés extractives ne respectent pas souvent les clauses des cahiers des charges, qu’il considère comme une promesse vaine. « Il est difficile pour elles de se débarrasser des eaux contaminées issues du procédé d’extraction et, plus souvent aussi, la sécurité des produits radioactifs n’est pas maîtrisée. Certes, des contrôles sont menés. Mais les rapports sont, parfois, biaisés et non transparents, pour cause de corruption », a-t-il indiqué.

Les polémiques sur l’extraction d’ilménite, dans le Sud malgache, par la compagnie minière QIT Madagascar Minerals Sa (QMM) – détenue à 80 % par le groupe minier multinational anglo-australien Rio Tinto et à 20 % par le gouvernement de Madagascar – sont aussi loin de se taire. L’activité minière est suspectée de causer des maux aux villageois « qui intentent une action en justice contre le géant minier Rio Tinto, au motif que la pollution provenant d’une mine voisine leur aurait fait ingérer des niveaux dangereux d’uranium et de plomb ». Les opposants au projet Base Toliara craignent ainsi la reproduction de l’expérience de la QMM.

Spécimens de baobabs présents sur le litigieux littoral sud-ouest malgache, coeur du projet minier Base Toliara. Image de Zanadriake Andaboy Toliara, fournie par Rivonala Razafison.
Spécimens de baobabs présents sur le litigieux littoral sud-ouest malgache, coeur du projet minier Base Toliara. Image de Zanadriake Andaboy Toliara, fournie par Rivonala Razafison.

Vision d’industrialisation contre protection de l’environnement

Le désir d’exploiter le gisement de sables minéralisés, dans le sud-ouest malgache, date de plusieurs années. La première société créée à cette fin s’appelle Toliara Sands, alors une émanation de la firme australienne Base Resources. Le permis environnemental 55-15/MEEMF/ONE/DG/PE qui lui a été délivré, le 23 juin 2015, l’a réconfortée dans sa position.

En mai 2024, Toliara Sands a changé de main en devenant Base Toliara, avec un intérêt à 100 % américain et dont l’ambition est de « développer un projet de sables minéralisés de classe mondiale à Madagascar », sur le gisement de Ranobe. Mais la société a rencontré une opposition farouche de la part des communautés affectées.

En 2019, des contestations aux rivages de la rébellion populaire ont poussé l’Etat à suspendre le projet par une décision prise en conseil des ministres, le 6 novembre de la même année. Le 27 novembre 2025, les autorités sont revenues sur leur décision en levant la suspension. L’Etat a recommandé à Base Toliara de réviser son étude d’impact environnemental. La société minière a quatorze mois pour ce faire avant le démarrage effectif de l’exploitation.

Entre-temps, Madagascar a mis à jour son Code minier et la loi sur les grands investissements miniers (LGIM), promulguée en 2002, sous l’impulsion des bailleurs dont la Banque mondiale. Ces initiatives ont un rapport avec le projet Base Toliara, selon un numéro du journal parisien Africa Intelligence, publié en mars.

Pour ses partisans, le projet ouvre la vanne à un flot d’opportunités pour sa région d’implantation et le pays. Ses promoteurs ambitionnent d’en faire un modèle mondial de développement minier durable et responsable. Alors que les mines amplifient la déforestation en Afrique subsaharienne, le numéro un du projet controversé à Madagascar couvre son bébé. « Ce sont plutôt les petites mines qui détruisent le plus l’environnement chez nous », a-t-il dit.

Celui-ci, selon eux, présente les attributs de la vision d’industrialisation du gouvernement malgache tout en plaçant stratégiquement le pays au cœur de la chaine de valeur mondiale des minéraux critiques. « Base Toliara, c’est un partenariat gagnant-gagnant entre Madagascar et le groupe Energy Fuels », clament-ils dans une insertion publicitaire.

Un argumentaire truffé de données chiffrées alléchantes dans le contexte de morosité économique est exposé pour justifier l’opportunité du projet minier. Celui-ci rapporterait, jusqu’à la fin de sa vie, près de 5 milliards de dollars, avec 180 millions de dollars par an, en pleine phase d’expansion.

Dans un communiqué du 28 mars, Volamiranty Donna Mara, ministre de la Communication et de la Culture et porte-parole du gouvernement, a fait savoir l’attribution de 80 millions de dollars à des projets nationaux et régionaux, dont la moitié ira à la région Atsimo Andrefana, avec une augmentation annuelle de 2 %.

Les communes rurales directement affectées par l’activité extractive à savoir Tsianisiha, Ankilimalinike, Belalanda et Maromiandra plus la commune urbaine de Toliara, bénéficieront également de 4 millions de dollars par an en faveur des investissements sociaux. Plusieurs initiatives au profit de la communauté seront exécutées outre la construction de nouvelles infrastructures nécessaires à la bonne marche du projet (jetée en mer, route, hangars de stockage, etc.).

Selon Ramahefarivo, le projet minier de Base Toliara est une aubaine pour la région Atsimo Andrefana, l’une des plus pauvres à Madagascar, où le taux de chômage atteint 83 %. Pour donner un coup de pouce à l’économie locale, la compagnie se vante de créer 4 600 emplois, dont 2 200 directs. « Pour moi, garder la richesse du sous-sol sans rien faire, alors que la population est aux prises avec la grande pauvreté est un génocide. Nous dormons sur une richesse », a-t-il dit.

La venue d’expatriés insufflera aussi une dynamique nouvelle au profit des sous-traitants et de la paysannerie locale. La chaîne de valeurs ainsi stimulée ferait circuler 63 millions USD dans la ville de Toliara. « Nous, les cadres de la société, avons tous mené des carrières internationales. Il est temps maintenant pour nous de créer des opportunités pour notre terre d’origine », a dit le natif de Toliara.

D’après lui, les technologies de pointe sont maîtrisées pour optimiser la rentabilité du projet et réduire les éventuels dégâts et déséquilibres subséquents. Des mesures particulières seront prises pour prévenir les risques écologiques et surtout sanitaires, qui donnent la chair de poule aux défenseurs de la nature et des droits humains, en raison du rayonnement radioactif.

« La radioactivité des éléments présents sur le gisement ne présente aucun danger pour les humains, selon les données fournies par l’Institut national des sciences et techniques nucléaires ou INSTN (rattaché à l’université d’Antananarivo et représentant de l’AIEA à Madagascar, Ndlr). De plus, les sites d’extraction se trouvent loin des villages », a affirmé Dr Olivier Rakotomalala, ministre des Mines et des Ressources stratégiques, dans un communiqué du 6 avril.

Pr Narison, pour sa part, conteste la validité scientifique des données de l’INSTN, auxquelles se réfère le ministre. D’après lui, l’étude réalisée par l’institut a brûlé des étapes exigées par la recherche scientifique, et le gouvernement ne devrait pas se servir du résultat ainsi obtenu, pour défendre le projet Base Toliara.

La conclusion de Bruno Chayeron, chercheur à la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (CRIIRAD), qui a vu le jour en France à la suite du problème de Tchernobyl, en 1986, va dans le même sens que celle du chercheur malgache.

Dans une courte vidéo fournie à Mongabay [mise en ligne depuis quelques jours], il conclut que cette extraction va induire des problématiques de pollution radiologique de l’air, de l’eau, des sols et de la végétation aux alentours des sites d’extraction.

« On nous a demandé un avis sur les risques que représente l’extraction de sables riches en minéraux lourds à Madagascar pour, en particulier, avoir accès à des terres rares. Là, il faut savoir que les sables de Toliara contiennent beaucoup d’uranium et de thorium, qui sont radioactifs naturellement », a-t-il dit. « Le taux de radiation des sables de Toliara est pratiquement 20 à 30 fois supérieur à la normale (2 000 coups par seconde). L’extraction des terres rares pose des problèmes radiologiques importants, parce que certains minéraux riches en terres rares comme la monazite, sont très radioactifs », a-t-il ajouté.

D’après le chercheur, l’extraction des terres rares contenues dans ces minéraux riches en monazite va exposer les travailleurs, bien sûr, et les populations riveraines à de la radioactivité. Un rayonnement direct mais aussi bien sûr l’inhalation de poussière radioactive, de gaz radioactif, le thoron, qui est émis par le thorium ou le radio, qui est émis par l’uranium contenu dans cette monazite. L’expertise de la CRIIRAD date du début de ce mois par le truchement des organisations italiennes en partenariat avec le CRAAD-OI, d’après sa directrice des programmes, Andriamanantenasoa.

Selon le patron de Base Toliara, des mesures particulières sont prescrites pour que l’activité extractive ne perturbe pas trop les activités vivrières comme la pêche traditionnelle et les habitudes de la population riveraine du projet. Aucune délocalisation ou expropriation n’est en vue. « Le permis octroyé par l’État porte sur des périmètres couvrant 7 500 hectares. Mais nous n’en toucherons que 4 000 hectares. L’extraction avancera au rythme de 1 à 2 hectares par an », a affirmé le patron de la société.

Un parc solaire d’une capacité de 15 mégawatts produira l’électricité nécessaire. Des camions électriques remplaceront vers 2040 ceux en circulation en vertu de l’économie décarbonisée stipulée par l’Accord de Paris et de la gestion des pollutions de l’air et de la nuisance sonore des moteurs.

Descente à Toliara d’une délégation gouvernementale conduite par le Premier ministre Louis Christian Ntsay, le 12 avril 2015, en pleine tension autour du projet Base Toliara. Image de la Primature, fournie par Rivonala Razafison.
Descente à Toliara d’une délégation gouvernementale conduite par le Premier ministre Louis Christian Ntsay, le 11 avril 2025, en pleine tension autour du projet Base Toliara. Image de la Primature, fournie par Rivonala Razafison.

Dilapidation de la richesse nationale

Les opposants au projet ne se privent d’aucune occasion pour en rejeter le bienfondé. « Le leader américain Donald Trump n’a pas appliqué la nouvelle règle de tarifs douaniers aux produits miniers. Il sait qu’il en va de l’intérêt des Etats-Unis. Cela devrait faire réfléchir nos dirigeants et les partisans de ce projet à risque », a dit Pr Narison.

Le scientifique est affirmatif en disant qu’il y aura plus de dommages que de bénéfices et que les gens ne s’opposent pas à ce projet pour rien. « La santé des générations futures et les richesses naturelles sur le site, comme les baobabs, des arbres millénaires, ne peuvent pas être achetées. Si les dirigeants aiment vraiment leur patrie, ils feraient mieux de trouver d’autres options que de s’en tenir à ce projet à risque d’ilménite, qui exposera le pays au danger », a-t-il ajouté.

Le secteur minier devrait contribuer à 14 % du produit intérieur brut de Madagascar. Mais il n’est pas bénéfique à la population et à la nation, selon des analystes. « Le projet Base Toliara illustre les contradictions d’un modèle de développement encore largement fondé sur l’extractivisme, où l’exploitation des ressources naturelles au profit du Nord prime sur la transformation et la valorisation locale dans le Sud », ont écrit Marc Boulnois et Tahina Rakotoarison, chercheurs à l’université d’Antananarivo.

Des alternatives ont été en effet avancées après la suspension du projet minier en 2019. Un grand colloque, auquel ont participé un large éventail d’acteurs, a eu lieu en 2020. Des idées pragmatiques en ont découlé. Les participants ont alors exigé l’amélioration de la pêche en exigeant à l’Etat la révision de l’Accord de pêche avec l’Union européenne, au profit de l’économie malgache.

Ils ont aussi demandé l’augmentation de l’accès à l’eau et des productions agricoles dans toute l’île, surtout dans le Sud à la merci des sécheresses récurrentes et de l’insécurité alimentaire. « C’est ce qui est prioritaire pour les Malgaches et non l’ilménite », a dit à Mongabay Elia Rabevahiny, un natif d’Ankilimalinike, l’une des communes affectées par le projet Base Toliara. Il est aussi président du parti nationaliste Otrikafo.

Ce dernier et les autres opposants au projet, à l’instar du vice-président de l’Assemblée nationale, Siteny Randrianasoloniaiko, député de Madagascar élu à Toliara I, n’entendent jamais baisser pavillon. Pour eux, la mise en œuvre de ce projet sera une dilapidation de la richesse nationale, au profit d’un petit nombre de personnes, et au grand dam de millions d’autres.

« Il n’y aura qu’un petit nombre d’employés qui feront tourner l’activité de cette société. Les milliers d’emplois qu’ils arborent existeront seulement durant la phase d’installation », a affirmé Rabevahiny.

Ce dernier rappelle aussi que les zones d’implantation de grands projets miniers à Madagascar, connaissent toutes une inflation galopante au détriment de la majorité des populations locales. « Seuls les salariés ont le pouvoir d’achat adéquat », a-t-il dit.

Base Toliara multiplie les œuvres de bienfaisance sociale pour s’attirer de la sympathie générale et surtout pour obtenir le consentement des populations riveraines du projet. Les uns acceptent, tandis que les autres y opposent un refus catégorique. « Pour eux, ces gestes perçus comme des tentatives d’achat du consentement ne sauraient compenser les menaces pesant sur leur mode de vie », disent Boulnois et Rakotoarison.

Andriamanantenasoa, quant à elle, voit derrière la promesse de construction des infrastructures de base comme les écoles, les hôpitaux, les pistes rurales, etc. comme un chantage. « Leur construction relève des attributions de l’État et non d’un projet minier. L’accès à ces infrastructures fait partie intégrante des droits fondamentaux des citoyens, qu’ils admettent ou non la mise en œuvre d’un projet », a-t-elle dit à Mongabay.

Dans une interview, le député élu à Sainte-Marie et ancien secrétaire général du ministère des Mines et des Ressources stratégiques, Herilaza Imbiki, a affirmé que Base Toliara n’est plus au stade de recherche, mais à l’exploitation, selon le permis en sa possession. « Nous ne pouvons pas nous passer des investissements étrangers pour l’essor de notre économie. Le projet Base Toliara sera avantageux à plusieurs égards. Sa région d’implantation en tirera profit », estime le parlementaire.

L’exécution du projet améliorera des conditions socioéconomiques au pays, à son avis. « J’exhorte toutes les parties prenantes au dialogue. Nous avons besoin de nous écouter les uns les autres. Se camper sur sa position n’est jamais une solution. Nous sommes tous des Malgaches, même si nos idées divergent », a-t-il dit à Mongabay.

Image de bannière : Des contestations violentes éclaboussent la ville de Toliara, la capitale d’Atsimo Andrefana ou Sud-Ouest, la région d’implantation du projet Base Toliara comme ici, le 23 mars 2025. Image du Vice-président de l’Assemblée nationale Thierry Randrianasoloniaiko, fournie par Rivonala Razafison.

Citation :

Base Resources (2013). Toliara Monazite Project Pre-Feasability Study. https://mb.cision.com/Public/22548/3893356/89a168c3d231921e.pdf

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