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Exploitation des blocs gaziers dans le lac Kivu : les peuples autochtones menacés de faim

  • Le projet d’exploitation de 3 blocs gaziers sur le lac Kivu pourrait perturber le système alimentaire des Twa, un peuple autochtone de la RDC, selon des membres de la société civile.
  • L’extraction du gaz naturel impliquera l’exclusion des pêcheurs des zones d’exploitation, ce qui les privera des ressources comme les poissons qui contribuent à leur alimentation.
  • L’État congolais a assuré que les études d’impact environnemental ont été menées, mais les défenseurs de l’environnement restent méfiants, en raison de l’expérience des industries minière et pétrolière impliquées dans de nombreuses pollutions dans ce pays.
  • Selon une source de la société Symbion Power, le niveau de risque n'est pas aussi élevé qu'on le pense et la société et ses sous-traitants opèreront, selon les normes de sécurité les plus strictes.

L’exploitation du gaz méthane dans le lac Kivu pourrait menacer le système alimentaire du peuple autochtone Twa, qui vivent à proximité, selon des membres de la société civile. Sur le lac Kivu, situé à la frontière entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, plus à l’Est du pays, trois blocs de gaz méthane sont concernés. Il s’agit des blocs Makelele, Idjwi et Lwandjofu, selon la décision du 13 janvier 2023, du ministre des hydrocarbures, Didier Budimbu. Ils sont attribués respectivement aux sociétés Symbion Power RED et Winds Exploration and Production LLC, qui ont leurs sièges aux États-Unis, et à Alfajiri Energy Corporation, dont le siège se trouve au Canada.

« Pour les Twa du territoire d’Idjwi et des groupements [riverains] de Mbinga sud, Mbinga nord et Buzi du territoire de Kalehe dans le Sud-Kivu, le lac Kivu est une source alimentaire et économique très importante. 80 % de la communauté vivent et mangent les produits du lac », explique Gentil Amuli, secrétaire exécutif de l’ONG CEDH (Centre d’Espoir pour les Droits Humains) en RDC.

Le lac Kivu possède des niveaux élevés de méthane et de dioxyde de carbone, ce qui pose un risque d’explosion désastreuse, qui inquiète, mais offrant aussi une source importante d’énergie. D’après des chercheurs, le méthane du lac Kivu pourrait générer jusqu’à 42 milliards USD sur une période de 50 ans. Jusqu’à présent, le lac est stable, mais les ingénieurs ne sont pas tous  d’accord avec la meilleure stratégie d’extraction de son gaz. Certains redoutent aussi une éruption volcanique du Nyirangongo, ce qui pourrait entraîner une explosion dans le lac.

Le porte-parole de la société Symbion Power reconnaît l’existence des risques dans l’extraction de ce gaz. Mais, il dit que « le niveau de risques n’est pas aussi élevé qu’on le pense », et que la société et ses sous-traitants possèdent le savoir-faire et l’expérience nécessaire pour un tel projet.

Le lac comprend des îles habitées notamment par des Twa, un peuple autochtone réparti dans plusieurs zones de la RDC et dans d’autres pays de l’Afrique centrale. Les Twa vivent de la pêche, de la chasse et du ramassage des espèces végétales et animales des forêts et de la savane. Important réservoir d’eau pour la région, le lac Kivu abrite aussi une importante biodiversité sur ses îles : plus ou moins 142 espèces végétales, 80 espèces d’oiseaux, 52 invertébrés, 6 mammifères, 6 reptiles, 5 espèces d’amphibiens et 29 espèces de poissons.

Une vue aérienne du lac Kivu. Image de MONUSCO / Abel Kavanagh via Wikimédia Commons (CC BY-SA 2.0).
Une vue aérienne du lac Kivu. Image de MONUSCO / Abel Kavanagh via Wikimédia Commons (CC BY-SA 2.0).

Les îles abritent des espèces menacées, comme la mangouste des marais (Atilax paludinosus), selon le site Biodiversité Rwandaise, et certains oiseaux aquatiques et serpents comme la vipère rhinocéros (Bitis nasicornis) et le cobra des forêts (Naja melanoleuca). Elles abritent aussi 15 espèces de poissons endémiques et trois espèces migratrices, le milan noir (Milvus migrans), le héron garde-bœufs (Ardea ibis) et le cossyphe à calotte rousse (Cossypha natalensis).

Les Twa riverains du lac Kivu mangent au moins deux fois par semaine les produits du lac : des tilapias, clarias et le célèbre sambaza, une espèce de fretins très prisée à Goma, capitale de la province congolaise du Nord-Kivu.

Selon Amuli, qui assiste notamment les Twa dans un dossier foncier, toutes ces espèces pourraient « être menacées dans leur habitat naturel, voire exterminées dans les périmètres des stations à gaz. Ce qui va aussi diminuer la quantité déjà insuffisante de poissons produits par le lac Kivu et obliger les pêcheurs de se contenter d’un petit espace de pêche ». Il ajoute que leur système alimentaire est déjà fragilisé par des pollutions plastiques et la pêche illicite, avec des filets prohibés.

Selon Amuli, c’est à cause des risques associés à l’exploitation que des alternatives doivent être proposées aux Twa, afin de ne pas les exposer à une insécurité alimentaire.

Un gaz asphyxiant

Les autorités congolaises ont entamé une première action de réduction des risques d’explosion du gaz du lac. L’idée est de décompresser le lac et essayer de protéger les populations, afin d’éviter l’explosion du gaz. En attendant l’exploitation du gaz en vue de produire de l’électricité, la société française Limnogical Engineering a livré en 2023, une première station de dégazage par libération du CO2 dans la nature dans le Golf de Kabuno, à Goma.

« On a commencé à faire le dégazage sur le lac Kivu dans la baie de Kabuno, où se trouvent 5 villages : Nzulo, Sake, Buzi, Bulenga et Kintembo. Ce sont là les zones qui sont concernées », explique Darcin Bisirwa, défenseur de l’environnement vivant à Goma, et qui assure que d’autres villages sont aussi concernés indirectement par l’exploitation du gaz. Le projet de dégazage est assez tard pour un projet lancé en 2016, selon la société civile.

Goma, Nord Kivu, une maman cultive du manioc sur les hauteurs du cratère du lac vert. Image MONUSCO / Abel Kavanagh via Wikimédia Commons (CC BY-SA 2.0).
Goma, Nord Kivu, une maman cultive du manioc sur les hauteurs du cratère du lac vert. Image MONUSCO / Abel Kavanagh via Wikimédia Commons (CC BY-SA 2.0).

En juin 2024, le ministre des hydrocarbures, Aimé Sakombi, qui a succédé à Budimbu, a instruit le gouvernement de financer l’installation de 2 autres stations de dégazage, pour éviter toute émanation dangereuse du gaz. Seulement, « en faisant le dégazage au sein de ces communautés, les populations sont exposées aux effets négatifs de ce gaz. Puisque, c’est un gaz qui est en train d’être relâché dans l’atmosphère ambiante », dit Bisirwa. Contacté par Mongabay sur les mesures de protection de la biodiversité lacustre, le ministre des hydrocarbures n’a pas donné de suite.

L’exploitation du méthane, un gaz asphyxiant, exige de ce fait plus de sécurité durant tout le processus. Autrement, l’équilibre alimentaire des habitants des îles du lac Kivu et des riverains, s’en trouverait menacé, disent à Mongabay les activistes de la société civile contactés.

Selon le porte-parole de la société Symbion Power, l’entreprise attend plus de stabilité dans la région et des formalités administratives pour démarrer ses activités sur le lac suite au conflit avec le M23. Puisque le lac est profond, à 485 m, et que la saturation en gaz commence loin de la surface à partir de 270 m, selon la même source, « les explosions naturelles présentent un risque très faible, tout comme l’évacuation naturelle des gaz dans l’atmosphère ».

Il ajoute : « Le projet lui-même, où du gaz pourrait s’échapper pendant la construction et l’exploitation, représente le risque le plus élevé. Il est donc impératif de faire appel à des entreprises expérimentées pour y travailler. À cet égard, il n’est pas différent d’une plateforme gazière offshore avec ses pipelines et autres infrastructures associées. Symbion et ses sous-traitants possèdent le savoir-faire et l’expérience nécessaires, et nous opérons, selon les normes de sécurité les plus strictes ».

Deux femmes autochtones en République démocratique du Congo. Image de Élie Nzuzi via Wikimédia Commons (CC BY-SA 4.0).
Deux femmes autochtones en République démocratique du Congo. Image de Élie Nzuzi via Wikimédia Commons (CC BY-SA 4.0).

De l’électricité dans la partie orientale du Congo

Les membres de la société civile disent que cette réponse n’aborde pas clairement les mesures prises pour éviter la destruction de la biodiversité aquatique en considérant le risque, même moindre, de fuite de gaz. Les habitants relatent souvent voir danser des flammes sur le lac. Ils prennent cela pour un signe annonciateur de malheur. Bien plus, des habitants de la région disent connaître des zones dangereuses, où les émanations toxiques sont asphyxiantes et dangereuses.

D’une superficie de 2 700 kilomètres carrés, le lac Kivu est entouré par une chaîne volcanique de 1 400 mètres d’altitude. Dans une étude de 2012, des chercheurs ont estimé à environ 60 kilomètres cubes de méthane (CH4) et 300 kilomètres cubes de dioxyde de carbone (CO2) le potentiel énergétique du lac. Cela représente 100 milliards de kilowatt-heures, selon la même étude, soit 700 MW d’électricité sur une période de 55 ans.

Coincé dans une zone volcanique encore active, celle du Nyirangongo, ce gaz pourrait exploser et faire d’importants dégâts, indiquent quelques chercheurs, mais aussi le gouvernement de la RDC qui en rappelle souvent le risque.

« Il y a toujours des conséquences néfastes à l’exploitation [en s’inspirant de l’exploitation, Ndlr] du pétrole ou des minerais », explique Bisirwa.

Bisirwa se réfère particulièrement à Moanda, dans le sud-ouest de la RDC où la société Perenco exploite le pétrole. « Cette exploitation ne bénéficie pas à la population locale toujours pauvre. La population de Moanda reste avec la pollution de l’eau, la pollution de l’air, la pollution des terres qui les rend infertiles », indique-t-il.

Bien plus, selon l’observation de Gentil Amuli, « l’installation des stations de captage de gaz sur le lac Kivu nécessitera une restriction d’accès, dans un périmètre donné pour les communautés de pêcheurs », ce qui va priver les Twa de l’accès à des zones de pêche.

C’est pour éviter de nouveau des risques plus importants lors de l’exploitation du gaz du lac Kivu, que le Rwanda et la RDC ont signé, le 3 mai 2020, un accord visant à encadrer l’extraction de cette ressource naturelle, que les scientifiques s’accordent à considérer comme dangereuse. Par exemple, du côté du Rwanda, la société KivuWatt produit déjà de l’électricité avec le même gaz et défend son approche comme sécuritaire, mais d’autres pensent qu’il pourrait y avoir des conséquences à long terme.

Image de bannière : Une vue aérienne du lac Kivu. Image de MONUSCO / Abel Kavanagh via Wikimédia Commons (CC BY-SA 2.0).

RDC : Le projet d’exploitation du gaz dans le lac Kivu divise

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