- L’augmentation des espaces de terres cultivées comme stratégie d’adaptation au changement climatique offre un soulagement économique à court terme, mais conduit à une dégradation environnementale, notamment à la déforestation, d’après une nouvelle étude.
- L'étude montre que la dégradation des forêts prive les ménages ruraux de produits forestiers non ligneux essentiels et compromet les services écosystémiques indispensables comme la fertilité des sols, la rétention d'eau et la biodiversité qui soutiennent la productivité agricole, rendant ainsi leur perte particulièrement préjudiciable à la sécurité alimentaire et à une nutrition saine.
- Les chercheurs et experts recommandent l’adoption de l’agroécologie, l’utilisation d’intrants biologiques et l’accompagnement des petits producteurs agricoles par les gouvernants, afin de réduire la déforestation liée à l’expansion des terres agricoles dans un contexte de changement climatique.
Une nouvelle étude révèle que l’expansion des terres cultivées, souvent adoptée comme stratégie d’adaptation au changement climatique par les petits exploitants agricoles, entraîne la disparition des forêts sans toutefois garantir une bonne nutrition et une sécurité alimentaire.
Réalisée par une équipe de chercheurs américains et nigérians, et publiée dans la revue Science Advances, en janvier 2025, cette étude examine les relations entre les anomalies climatiques, la perte de forêts due à l’expansion des terres cultivées et les résultats alimentaires au Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique.
« Notre étude révèle que la variabilité climatique joue un rôle significatif dans l’expansion des terres cultivées, ce qui constitue une cause majeure de déforestation au Nigeria. Entre 1998 et 2021, nous avons observé une perte de 42 % de la couverture forestière dans le sud du Nigeria, et nos modèles indiquent que 25 à 31 % de cette déforestation est liée à des anomalies climatiques telles que les pénuries de pluie et les fluctuations de température », indique Bhoktear Mahbub Khan, chercheur au département de géographie et sciences spatiales, à l’université de Delaware aux USA et auteur principal de l’étude.
Le travail de l’équipe de Khan met en lumière que « la déforestation au profit de l’agriculture peut offrir un soulagement économique à court terme sans nécessairement améliorer la nutrition dans les ménages des producteurs et ce, au prix d’une dégradation environnementale à long terme ».
La nutrition saine et équilibrée n’est pas toujours garantie
Selon l’étude, l’une des raisons principales pour lesquelles les petits producteurs décident d’étendre leurs champs est de se garantir une sécurité alimentaire.
Pourtant, les résultats montrent que le défrichage des forêts à des fins d’exploitation agricole ne garantit pas une bonne alimentation, notamment chez les enfants. « Notre constat le plus marquant est que la conversion des forêts en terres agricoles n’entraîne pas d’améliorations significatives de la diversité alimentaire chez les enfants. Malgré l’hypothèse selon laquelle l’extension des terres cultivées renforcerait la sécurité alimentaire, nos résultats indiquent plutôt que les forêts elles-mêmes contribuent à la qualité de l’alimentation en fournissant des aliments sauvages, des services écosystémiques et des opportunités de revenus pour les ménages ruraux », explique Khan, par courriel à Mongabay.
Ainsi, l’expansion des terres cultivées n’entraîne pas nécessairement de meilleurs résultats nutritionnels pour plusieurs raisons. « Tout d’abord, la plupart des terres nouvellement défrichées sont utilisées pour des cultures de base telles que le manioc, le maïs et l’igname, qui fournissent des calories essentielles, mais manquent de micronutriments diversifiés indispensables à une alimentation équilibrée. À l’inverse, les forêts offrent une variété d’aliments sauvages (fruits, noix, protéines animales) qui contribuent de manière significative à la diversité alimentaire », indique ce dernier.

Selon l’étude, si les forêts se dégradent, elles ne pourront plus fournir, par exemple, les produits forestiers non ligneux (PFNL) essentiels, dont de nombreux ménages ruraux dépendent, tant pour leur subsistance que pour leurs revenus, rendant ainsi leur perte particulièrement préjudiciable à la sécurité alimentaire.
De plus, la déforestation entraîne la perte de services écosystémiques cruciaux, notamment la fertilité des sols, la rétention d’eau et la préservation de biodiversité, qui soutiennent la productivité agricole à long terme. « L’expansion des terres ne garantit pas une sécurité nutritionnelle et non plus une productivité accrue, mais elle est utilisée juste par compensation. Si l’on fait 1 hectare pour récolter 1 tonne, on espère théoriquement qu’en emblavant 2 hectares, on pourra avoir 2 tonnes, c’est pourquoi on continue d’étendre la survie avec espoir. Alors que la solution n’est pas dans l’expansion, mais serait plutôt dans l’augmentation ou l’amélioration de la productivité de ces terres-là », dit, dans un courriel à Mongabay, Moubaraak Djobo, Expert en charge de la sauvegarde environnementale et des moyens de substances du Projet de gestion durable des terres et écosystèmes des zones semi-arides du Nord du Togo.
Une stratégie pourtant adoptée par des milliers de producteurs
Si l’expansion des terres ou espaces de cultures en réponse au changement climatique se révèle comme une stratégie d’adaptation inefficace ou dégradant l’environnement selon les résultats de l’étude dirigé par Bhoktear Khan, elle reste paradoxalement une approche adoptée par les petits exploitants de différents pays en Afrique.
Au Nigéria, par exemple, les petits exploitants, qui occupent plus de 90 % des terres cultivées, compensent souvent la baisse des rendements en étendant leurs superficies cultivées, ce qui implique fréquemment le déboisement.
Selon Khan que le déficit de précipitations, les températures extrêmes, les mécanismes et les contraintes économiques expliquent cette situation.
« Lorsque les précipitations sont insuffisantes, les agriculteurs agrandissent leurs surfaces cultivées pour compenser la baisse des rendements par hectare, tandis que les températures plus élevées peuvent réduire l’humidité du sol et la viabilité des cultures, poussant les agriculteurs à défricher davantage de terrain pour la production », explique-t-il. « S’agissant des contraintes économiques, beaucoup d’agriculteurs n’ont pas accès à des infrastructures d’irrigation, à des semences améliorées ou à des engrais, rendant l’expansion des terres cultivées, leur stratégie la plus viable pour maintenir leur production. En raison de ces facteurs, la variabilité climatique accélère indirectement la déforestation, les agriculteurs recourant à des stratégies d’adaptation à court terme pour maintenir leur production agricole », ajoute-t-il.
De même, une étude menée par Dr Adama Sissoko à l’université DELTA-C (UPD-C) de Bamako (Mali) sur les changements climatiques et culture du sorgho révèle que « l’extension des surfaces cultivées pour garantir la sécurité alimentaire, nutritionnelle, voire monétaire, constitue l’une des stratégies actuellement adoptées par les paysans ».

L’extension des champs en réponse aux caprices météorologiques restent une pratique à laquelle font recours de nombreux producteurs agricoles togolais, malgré les efforts de vulgarisation des pratiques agroécologiques par les ONG de développement comme ECO Impact et Jeunes Volontaires pour l’Environnement (JVE).
« La baisse des rendements avec la variabilité climatique contraint les petits producteurs à rechercher de nouvelles parcelles de cultures et à abandonner la jachère dans l’espoir de satisfaire les besoins alimentaires des ménages. Les paysans étendent leur champ vers les quelques forêts qui subsistent encore. A la recherche de la fertilité, parfois, les paysans détruisent les forêts galeries pour installer leurs champs », souligne Levi Marc Adama, Président de la branche locale de l’ONG JVE à Lomé.
D’après l’expert Moubaraak Djobo qui est aussi chercheur au sein du Laboratoire de recherches biogéographiques et d’études environnementales (LaRBE) de l’université de Lomé, un principe clé motive le choix des agriculteurs. « Les paysans partent du principe qu’il faut plus emblaver pour plus récolter. Si le rendement à l’hectare a diminué, il faut cultiver plusieurs hectares pour avoir plus de production pour nourrir sa famille, et avoir des excédents à revendre, afin de subvenir à ses besoins non alimentaires », explique-t-il.
Le changement climatique n’est pas toutefois la seule cause, selon Messan Padaba, agriculteur à Danyi Medevunui, une localité située à 200 km au nord-ouest de Lomé, la capitale du Togo. Ce dernier, la cinquantaine révolue, indique que la dégradation du sol et la baisse de la fertilité sont aussi des déterminants qui ne laissent pas d’autres choix aux producteurs que d’envahir les forêts ou d’élargir leur espace de culture.
« Aujourd’hui, les terres ne sont plus fertiles comme il y a 20-30 ans, où sur un petit espace tu peux faire de bonnes récoltes avec de gros épis de maïs ou des tubercules d’igname et de manioc. Face à cette situation, on n’a pas le choix que d’essayer de faire plus de champs en augmentant nos superficies, pour espérer avoir une quantité suffisante de nourriture pour sa famille. Aussi, il faut que la pluviométrie soit bonne, sinon, l’augmentation des espaces, certaines années, ne garantit pas la hausse de la production », dit-il à Mongabay lors d’un entretien téléphonique.
Intégrer la dimension « nutrition et préservation des forêts »
Pour faire face au changement climatique et assurer une alimentation saine, l’extension des espaces cultivés n’est pas la solution première à préconiser. Les auteurs de l’étude soulignent que les stratégies d’adaptation climatique ne doivent pas se concentrer uniquement sur l’augmentation de la production alimentaire, mais aussi sur l’amélioration de la qualité nutritionnelle et de la santé des écosystèmes.
« Pour parvenir à un équilibre entre sécurité alimentaire, nutrition et conservation des forêts, les politiques publiques devraient privilégier l’intensification durable plutôt que l’extension des terres cultivées », recommande Khan.
Il propose de même le renforcement des infrastructures d’irrigation, car, estime-t-il, « bien que le Nigeria dispose de ressources en eau abondantes, de nombreux agriculteurs n’y ont pas accès et une expansion de l’irrigation pourrait réduire la dépendance à l’agriculture pluviale et limiter la pression sur les forêts ».

La promotion de l’agroforesterie et des systèmes agricoles mixtes, en encourageant l’intégration d’arbres fruitiers dans les exploitations, pourrait améliorer la production alimentaire tout en garantissant une durabilité environnementale, selon Djobo. « Pour atteindre une agriculture plus productive et viable, il est important de faire recours aux intrants biologiques, qui sont souvent plus sains et durables que les produits chimiques qui sont nocifs et finissent aussi par amplifier la dégradation des sols », dit Djobo.
En plus de ces approches de solutions, Dr Sissoko indique qu’il est nécessaire d’identifier, de renforcer et de divulguer des modèles de stratégies endogènes, qui permettent d’avoir de bonnes productions sans procéder à la déforestation. « L’accès aux informations agro-météorologiques à travers la radio, la télé et même les réseaux sociaux et la mise en application de ces informations par les agriculteurs, reste une approche à intégrer dans les actions », dit Sissoko.
Il estime aussi nécessaire de « soutenir les paysans dans la production du compost et dans la maitrise de l’eau à travers la réalisation des retenues d’eau ».
Un appel à l’action des gouvernants
S’appuyant sur les résultats de leur étude, les auteurs invitent les acteurs gouvernementaux à l’action. « Le message clé est que la sécurité alimentaire ne doit pas se faire au détriment de l’environnement. Les politiques doivent garantir que le développement agricole s’aligne à la fois sur la résilience climatique et sur une approche nutritionnelle », indiquent-ils.
Aussi comme solution, il recommande le développement de programmes gouvernementaux facilitant l’accès aux engrais et aux semences améliorées qui permettraient aux petits exploitants de bénéficier de variétés de cultures à haut rendement et résilientes au climat, réduisant ainsi la nécessité d’une expansion des terres.
« Au cours de cette recherche, j’ai constaté que les agriculteurs cherchent souvent des solutions immédiates aux pénuries alimentaires, les amenant à exploiter toutes les ressources disponibles, y compris la déforestation pour subvenir à leurs besoins. Le problème ne commence pas par la déforestation en elle-même, mais par les circonstances qui poussent les agriculteurs à abattre les arbres. Leurs actions sont souvent une réponse à l’insécurité alimentaire, aux difficultés économiques et à l’absence d’alternatives viables. Par conséquent, l’ensemble des parties prenantes (agences gouvernementales, décideurs et organisations de développement) doivent œuvrer pour améliorer la qualité de vie des agriculteurs en veillant à ce qu’ils disposent suffisamment de nourriture ou d’incitations économiques réduisant la pression sur les forêts », conclut Bhoktear Khan.
Image de bannière : Un champ de maïs installé à la lisière du cours d’eau Aou dans l’aire protégée de Fazao-Malfakassa au Togo. Image de Charles Kolou pour Mongabay.
Citations :
Khan, B., Mehta, P., Wei, D., Ali, A. H. & al. (2025). Cropland expansion links climate extremes and diets in Nigeria. Sci. Adv. Vol. 11, No. 2, eado5541. https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.ado5541
Sissoko, A. (2024). Changements climatiques et culture du sorgho dans le cercle de Bafoulabé, au Mali, entre 1987 et 2023. Thèse de Doctorat en Géographie, Université DELTA-C (UPD-C), Bamako. : https://jvm-mali.com/2024/12/19/937/
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