- L’Est de la République démocratique du Congo est le lieu de conflits armés depuis des décennies, et récemment une attaque du M23, un groupe de rebelles soutenus par le Rwanda, a déplacé des milliers de personnes.
- Les conflits dans l’Est de la RDC découlent des tensions ethniques liées au génocide rwandais de 1994, de la corruption politique et dans les entreprises, et des effets persistants du colonialisme occidental, exacerbés par l’extraction des ressources naturelles.
- Les experts disent que les minéraux représentent un facteur important dans la violence, mais n’en sont pas la seule cause, même si des groupes armés comme le M23 se servent de leur commerce pour financer leurs opérations.
- D’après les experts, l’instabilité actuelle dans l’Est de la RDC demande une approche complète qui ne se contente pas de s’attaquer aux minerais des conflits, mais qui approfondit les racines historiques du conflit.
Les trois dernières années ont été agitées dans l’Est de la République démocratique du Congo, une région qui connaît un conflit persistant depuis de nombreuses années. Les récents progrès du M23, un groupe de rebelles soutenus par le Rwanda, ont déplacé des milliers de personnes. La milice a pris des sites importants, notamment Goma, la plus grande ville de la région, et, le 14 février, l’aéroport de Bukavu, une ville du sud.
Les causes sous-jacentes du conflit trouvent leur source dans des interactions entre des tensions ethniques liées au génocide rwandais de 1994, la corruption politique et dans les entreprises, les effets persistants du colonialisme occidental, exacerbés par l’extraction des ressources naturelles. Tout au long de cette crise, la recherche des profits de l’exploitation des ressources naturelles a aggravé la violence et la pauvreté, en net contraste avec les progrès technologiques que les minerais ont permis ailleurs dans le monde.
L’écart entre la richesse de la RDC en coltan, cobalt, or, diamants et autres minerais précieux et la pauvreté extrême qui accable de nombreux Congolais, est frappant. Selon la Banque mondiale, près des trois quarts des 102,3 millions d’habitants du pays vivent avec moins de 2,15 dollars par jour. Le PIB par personne, inférieur à 630 dollars, se classe parmi les plus bas au monde, alors même que les entreprises qui dépendent des minerais congolais engrangent des milliards de dollars chaque année.

La RDC compte également des plaines verdoyantes et des forêts tropicales montagneuses, de vastes savanes et des zones humides marécageuses, toutes permettant la survie de communautés humaines et d’une faune unique. L’okapi (Okapia johnstoni), le gorille de Grauer (Gorilla beringei graueri) et le bonobo (Pan paniscus) font partie des animaux en danger ou en danger critique sur la liste rouge de l’UICN, qui ne se trouvent nulle part ailleurs. La RDC détient également une vaste étendue de forêt tropicale riche en carbone qui arrive au deuxième rang mondial après l’Amazonie brésilienne en surface. Le conflit menace cette richesse, et la situation est la pire dans l’Est de la RDC, qui a été à maintes reprises un point chaud de nouvelles violences. Les experts indiquent que les minerais jouent un rôle significatif dans la poursuite de la violence. Mais ils disent également qu’il n’est pas complètement exact de les pointer du doigt comme étant la cause première du conflit, même si des groupes armés, y compris le M23, se servent de leur commerce pour financer leurs opérations.
« Les minerais sont devenus, à divers degrés, un facteur moteur dans les conflits en cours dans l’Est de la RDC », dit Alex Kopp, un responsable de campagnes pour le groupe de surveillance Global Witness basé à Londres. Mais il ajoute : « Les conflits n’ont généralement pas commencé à cause de minerais ».


Le « discours » axé sur les minerais du conflit
Oluwole Ojewale, le coordinateur régional pour l’Afrique centrale de l’Institut d’études de sécurité à Dakar (Sénégal), dit qu’attribuer la responsabilité aux seules activités d’exploitation des ressources naturelles dans l’Est de la RDC ne suffit pas à saisir la complexité des facteurs qui ont mené à la situation dramatique, que nous connaissons aujourd’hui.
« Il ne s’agit que de nouvelles couches qui se sont ajoutées aux moteurs et aux catalyseurs du conflit », dit Ojewale à Mongabay. Dans la région africaine des Grands Lacs, les problèmes d’identité et d’appartenance ethnique ont significativement influencé la lutte pour les terres et la question de savoir à qui elles appartiennent. « Il s’agit d’un facteur majeur que vous ne pouvez pas faire disparaître comme ça », dit Ojewale.
Au début des années 2000, « un discours » axé sur les minerais, en particulier ceux utilisés dans les appareils électroniques modernes comme le coltan, s’est installé, explique Sara Geenen, qui est professeure associée en développement international à l’université d’Antvers en Belgique et dont les recherches se concentrent sur l’exploitation minière artisanale et à petite échelle dans l’Est de la RDC. Cette partie du pays est un fournisseur majeur de coltan sur le marché mondial. Pourtant, depuis le début du siècle, alors qu’elle a permis l’essor des smartphones, la chaîne d’approvisionnements du coltan a été marquée par de nombreux problèmes, notamment le travail des enfants, la violence, les conditions dangereuses et les salaires de misère des mineurs. Le commerce du coltan et d’autres minerais a également aidé à financer de nombreux groupes armés, allant des milices rebelles, comme le M23, à des acteurs étatiques comme l’armée congolaise.

Mais, se concentrer uniquement sur les minerais et le financement du conflit ne permet pas de comprendre la situation dans son ensemble, dit Geenen, également co-directrice du Centre d’expertise en gestion minière (CEGEMI) à l’université Catholique de Bukavu en RDC. Des problèmes existent d’un bout à l’autre du système, et le commerce d’autres ressources naturelles, comme le bois et le charbon de bois, contribue également au conflit.
« Le fait que le discours est tellement centré sur ce type d’activité, sur un type de ressource, a détourné notre attention pendant très longtemps », dit-elle à Mongabay.
Greenen indique que bien moins d’efforts ont été investis pour régler « les conflits politiques et les conflits de territoire [et] les tensions ethniques », qui ont contribué à la violence.

Un bref récapitulatif historique
Le génocide rwandais qui s’est déroulé d’avril à juillet 1994 a causé la mort de 800 000 à 1 million de Tutsis et Hutus modérés aux mains de Hutus extrémistes en seulement 100 jours. Après que le Front patriotique rwandais, une armée rebelle menée par Paul Kagame, futur président du Rwanda et Tutsi, a pris le contrôle du Rwanda et mis fin au génocide, environ deux millions de Hutus ont traversé la frontière pour fuir en RDC, alors appelée Zaïre. L’arrivée massive de réfugiés a provoqué des tensions et a jeté les bases de deux guerres importantes commençant en 1996 entre non seulement la RDC et le Rwanda, mais aussi l’Ouganda et le Burundi dans la région des Grands Lacs, ainsi que plusieurs autres pays africains.
Des chercheurs estiment que la violence a coûté la vie à 6 millions de personnes dans les décennies qui ont suivi. Elle a également entraîné le coup d’État de 1997 qui a poussé le dictateur de longue date, Mobutu Sese Seko, à quitter le pouvoir et à s’exiler. Son successeur, Laurent Kabila, a été assassiné en 2001 après avoir défié les forces rwandaises qui l’avaient aidé à renverser Mobutu.
Joseph Kabila, le fils de Laurent Kabila, a pris le contrôle du gouvernement peu après l’assassinat de son père. Il a occupé la présidence jusqu’en 2019, quand des élections controversées ont vu gagner Félix Tshisekedi, généralement considéré comme le successeur choisi de Joseph.
Au Rwanda, Paul Kagame devenu président en avril 2000 occupe toujours le poste près de 25 ans plus tard. Rapidement, Kagame a entrepris de réparer les blessures infligées par le génocide et de développer économiquement le Rwanda avec un succès notable. Même si le pays reste densément peuplé, et que près de la moitié de ses habitants vivent avec 2,15 dollars par jour, selon la Banque mondiale, le Rwanda a réalisé des avancées considérables dans la réduction du taux de pauvreté et l’amélioration de l’accès aux soins de santé et à l’éducation.
Tandis que ces enchevêtrements sanglants accablaient la RDC et ses voisins, une grande partie du monde industrialisé a connu des avancées technologiques. Les ordinateurs individuels sont devenus monnaie courante dans les foyers et les bureaux des pays du Nord, et les smartphones ont commencé à changer les interactions des gens à l’échelle globale. Puis, dans les années 2010, le besoin reconnu pour des sources d’énergie plus propres a mené à des avancées en matière de batteries destinées à stocker de l’énergie, en particulier pour les véhicules électriques qui seraient un jour, dans la réflexion collective, alimentés entièrement par une énergie neutre en carbone provenant des sources d’énergie solaire, éolienne et géothermique.
La satisfaction de ces besoins a nécessité des minerais présents en RDC : le cobalt pour les batteries, le tantale dérivé du coltan pour les condensateurs, l’étain pour les circuits imprimés et le tungstène servant à produire les semiconducteurs et l’essentiel pour des produits comme les panneaux solaires. Comme cela s’est souvent produit dans le passé de la RDC, les habitants et les terres du pays ont payé le plus lourd tribut pour l’extraction de ces minerais. Le travail dans le secteur minier reste dangereux, peu de mesures de protection étant en place pour empêcher des accidents catastrophiques ou l’exposition à des produits chimiques toxiques et à l’air contaminé. Les salaires ne sont généralement pas suffisants pour soutenir un niveau de vie décent, et les enfants en âge d’être scolarisés travaillent souvent pour aider leur famille à joindre les deux bouts.
Le fait de s’approvisionner en ressources naturelles de la RDC n’est pas nouveau, et les blessures que ces pratiques infligent au Pays ne le sont pas non plus. Le caoutchouc, l’ivoire, l’or et les diamants ont tous causé des ravages au Congo depuis le 19e siècle. Depuis que la RDC est devenue indépendante de la Belgique en 1960, la plupart des groupes armés estmés à plus d’une centaine et qui opèrent en RDC, ont utilisé l’exploitation minière pour financer leurs opérations.

La chute de Rubaya et Goma
Fin avril 2024, le M23 a pris le contrôle d’une mine près de la ville de Rubaya dans la province du Nord-Kivu. Jusque-là, la milice avait taxé le trafic de minerais vers le Rwanda pour gagner de l’argent. Toutefois, après la prise de Rubaya, le groupe a commencé à exploiter lui-même des minerais, selon un article du 6 février sur le site d’actualités TThe Africa Report. Cette exploitation rapporte 800 000 dollars par mois à la milice, d’après un rapport des Nations unies.
L’ONU et d’autres groupes accusent, depuis longtemps, le Rwanda de profiter du commerce de minerais en provenance de la RDC. Il semble que, parfois, le Rwanda les fait passer pour des minerais issus de mines rwandaises, comme en témoignent les écarts entre les quantités de minerais exportés par rapport à celles que les mines du pays peuvent vraisemblablement produire.
Le 28 janvier, le M23 a pris Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu qui se trouve à la frontière avec le Rwanda. Cette prise est une étape dans la campagne qui a commencé avec les avancées de la milice en RDC en 2021. Depuis le 1er janvier 2025, l’ONU estime que plus de 500 000 Congolais ont été chassés de chez eux, principalement par les combats, et se sont réfugiés dans d’autres parties de la RDC. Au moins 3 000 personnes ont été tuées et près de 2 900 autres ont été blessées depuis que Goma est tombée aux mains du M23. Les provinces de Nord-Kivu et Sud-Kivu, à elles seules, abritent 4,6 millions de personnes déplacées, un bilan tragique de décennies de conflits.

L’instabilité dans l’Est de la RDC facilite le flux de minerais illégalement extraits quittant le pays et arrivant sur les marchés internationaux, selon Ojewale. C’est dans une certaine mesure parce que le gouvernement ne peut maintenir un niveau de présence suffisant pour surveiller efficacement les activités d’extraction dans la région.
« Le besoin urgent d’obtenir ces minéraux pourrait faire dire à quelqu’un… attendant à l’autre bout de la chaîne d’approvisionnement, “Donnez-nous juste les minerais” », dit-il. « Il y a des gens, des intermédiaires, des mineurs artisanaux, des entreprises minières industrielles, qui participent volontiers, sciemment ».
« Si nous n’avons pas une présence suffisante de l’État, il est… très difficile de réaliser une traçabilité », ajoute-t-il, « et je n’ai pas une très haute opinion des techniques et des approches de traçabilité qui sont mises en œuvre dans ces lieux ».

Se concentrer sur les chaînes d’approvisionnement
Pour tenter d’aborder les aspects liés aux minerais, la RDC a engagé des poursuites en Belgique et en France contre l’entreprise Apple basée aux États-Unis pour l’achat de minerais du conflit qu’elle utilise dans la fabrication de ses produits. Sur la scène internationale, les États-Unis et l’Europe ont essayé d’appliquer des lois, comme le Dodd-Frank Act de 2010, qui exige des entreprises qu’elles révèlent si elles utilisent des « minerais de conflit ».
Dans le meilleur des cas, ces mesures visant les chaînes d’approvisionnement « ont leurs limites », dit Sara Greenen. « Dans le pire des cas, elles peuvent en fait avoir des impacts indésirables sur le terrain ».
Par exemple, le Dodd-Frank Act a provoqué une interdiction de l’exploitation minière en RDC en 2010 et 2011, qui, selon une étude publiée en 2018, dans la revue PLOS One, a augmenté les pillages et la violence, principalement en raison des perturbations dans la manière qu’utilisaient les milices pour taxer l’exploitation minière avant l’interdiction.
Des observateurs disent que l’entrée de ressources extraites illégalement dans les flux de minerais légaux complique la capacité à distinguer la provenance de ces stocks et à déterminer s’ils ont été extraits selon les principes convenus. Des groupes comme l’International Tin Supply Chain Initiative (ITSCI) ont mis en place des programmes visant à assurer que des minerais ne sont pas associés au travail des enfants ou au soutien de groupes armés en RDC. Les objectifs de l’initiative comprennent le fait d’assurer que les minerais sont issus d’un approvisionnement responsable et n’ont pas été transportés illégalement au Rwanda.

Toutefois, un rapport publié en 2022 par Global Witness sur les efforts de l’ITSCI a observé que de grandes quantités de minerais illégaux quittaient la RDC et arrivaient au Rwanda. Déjà en 2001, l’ONU avait retracé le déplacement de minerais à travers le Rwanda, une pratique visant à imposer une taxe sur les minerais congolais, afin de financer l’armée rwandaise qui se battait alors dans la deuxième guerre du Congo en 1998. Après que Laurent Kabila ait pris le pouvoir en 1997, il a rapidement ordonné le retrait des troupes rwandaises et ougandaises qui l’avaient aidé à écraser Mobutu. Les deux côtés ont attisé les tensions ethniques, le Rwanda a envahi la RDC, et la « guerre mondiale de l’Afrique » s’ensuivit, impliquant à terme sept autres pays africains et tuant trois millions de personnes dans les combats et la catastrophe humanitaire les entourant. De nombreux experts pensent que le Rwanda continue de profiter en déplaçant des minerais congolais dans les chaînes d’approvisionnement internationales.
L’attention a surtout porté sur le nettoyage des chaînes d’approvisionnement pour les purger de minerais de conflit, ce qui aide les consommateurs à se sentir plus à l’aise vis-à-vis des produits qu’ils achètent. Toutefois, le travail de Greenen sur les mineurs artisanaux et à petite échelle, dans l’Est de la RDC, a renforcé son point de vue que ces initiatives n’ont pas systématiquement atteint leurs objectifs.
Une approche plus efficace que les méthodes visant les chaînes d’approvisionnement serait de commencer à la base et de remonter pour traiter les inégalités structurelles et économiques qui condamnent les mineurs à une vie de pauvreté et qui les forcent à dépendre d’un système qui continue à financer le conflit, explique Greenen.

Aujourd’hui en RDC
Actuellement, la présence du M23, et, selon l’ONU, de 3 000 à 4 000 soldats rwandais complique les efforts de ce type. Kagame a dit qu’il ne savait pas si des soldats de son pays se trouvaient en RDC. Il a défendu à plusieurs reprises le M23 et d’autres forces soutenues par le Rwanda et dit que leur présence était nécessaire en RDC pour protéger les Tutsis congolais. Des observateurs réfutent cette justification. Mais d’autres font remarquer que les personnes parlant Kinyarwanda, la langue nationale du Rwanda, sont souvent regardées avec méfiance en RDC.
Les dirigeants africains continuent à préconiser des négociations entre la RDC et le Rwanda pour aider à résoudre la crise actuelle en commençant par la mise en place d’un cessez-le-feu durable. Le 8 février, une déclaration de la Communauté d’Afrique de l’Est et de la Communauté de développement d’Afrique australe a appelé à un retrait des soldats rwandais.

Ojewale dit qu’un cessez-le-feu est primordial à l’heure actuelle. Mais, il dit également qu’il ne s’agirait que d’un point de départ et que, au-delà de traiter les problèmes autour des « minerais de conflit », résoudre l’instabilité perpétuelle, dans l’Est de la RDC, demandera des discussions difficiles pour traiter les fondements historiques du conflit, une histoire qui commence bien avant le génocide rwandais de 1994.
Il voit la création de « frontières artificielles » par les puissances coloniales comme des problèmes sous-jacents autour de l’identité et de l’appartenance ethnique qui gangrène aujourd’hui la région des Grands Lacs.
« On pourrait voir la fin des minerais », dit Ojewale. « Dans 10 ou 20 ans, le monde pourrait passer à autre chose… Mais, ce que l’on ne peut pas faire disparaître, c’est le rôle des politiques identitaires ».
Résoudre la crise plus générale demandera que les « dirigeants africains de première ligne » se réunissent pour trouver une nouvelle voie, ajoute-t-il.
Image de bannière : Des troupes congolaises dans l’Est de la RDC, pendant les combats contre le M23 en 2013. Image © MONUSCO/Clara Padovan via Flickr(CC BY-SA 2.0).
Citations:
Geenen, S., Stoop, N., & Verpoorten, M. (2021). How much do artisanal miners earn? An inquiry among Congolese gold miners. Resources Policy, 70, 101893. doi:10.1016/j.resourpol.2020.101893
Ojewale, O. (2022). Mining and illicit trading of coltan in the Democratic Republic of Congo.
Stoop, N., Verpoorten, M., & Van der Windt, P. (2018). More legislation, more violence? The impact of Dodd-Frank in the DRC. PLOS One, 13(8), e0201783. doi:10.1371/journal.pone.0201783
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 14 février, 2025.