Nouvelles de l'environnement

Un vaste réseau de trafiquants de tortues démantelé à Madagascar

  • Dix-neuf personnes, dont un Tanzanien et deux Chinois, impliquées dans un vaste trafic de tortues endémiques de Madagascar, ont été arrêtées et jetées en prison ce mois.
  • Les trafiquants travaillent en régie bien rodée depuis la collecte des animaux dans leur habitat jusqu’à leur exportation.
  • Les tortues malgaches, en danger critique d’extinction, sont vendues chères sur le marché d’Asie du Sud-Est, la principale destination des animaux sauvages clandestinement sortis de la Grande île.
  • Le gouvernement américain aide le pays à lutter contre la corruption et le trafic d’espèces sauvages, qui figurent aussi aujourd’hui parmi les victimes potentielles du changement climatique.

ANTANANARIVO, Madagascar — Le gouvernement malgache décuple les efforts pour enrayer le trafic d’espèces sauvages sévissant à Madagascar. Après une filature durant plusieurs semaines, les autorités ont réussi à démanteler un vaste réseau de trafiquants de tortues endémiques du Sud de l’île, avec, à la clé, l’arrestation suivie de l’emprisonnement de 19 individus dans le courant de la semaine du 20 janvier.

Treize hommes, dont un Tanzanien appelé Joseph Yonas Linonoka, sont internés à la maison de force de Tsiafahy, dans la banlieue sud d’Antananarivo, et six femmes, toutes malgaches, à la maison centrale d’Antanimora, à l’Est du centre urbain, selon l’annonce faite par le ministère de l’Environnement et du Développement Durable (MEDD), sur sa page Facebook, le 25 janvier. Trois ressortissants comoriens font partie aussi des suspects envoyés en prison. « Quatre Chinois complices en contrebande ont aussi été arrêtés en Tanzanie, grâce à une coopération internationale », a indiqué la même source.

Astrochelys radiata, l’autre espèce cible des trafiquants et contrebandiers des ressources naturelles dans la cour du Lavavolo Tortoise Center (LTC), à Itampolo, à Madagascar. Image de Brett Bartek, TSA Madagascar avec leur aimable autorisation.

Deux semaines plus tôt, le gouvernement, lors d’un conseil des ministres avait réitéré la nécessité de rendre effective la politique de la tolérance zéro envers les trafiquants de ressources naturelles du pays. La récente grosse prise a commencé par l’interpellation du ressortissant tanzanien à Mahajanga, ville littorale du Nord-Ouest, le 27 décembre 2024.

Ce dernier été pris en flagrant délit de transport clandestin de 800 tortues à destination de l’étranger. Cette arrestation a occasionné le déclenchement d’une vaste enquête dans les régions Atsimo Andrefana (Sud-Ouest), Androy (extrême Sud), Menabe (centre-Ouest) et Boeny (Nord-Ouest), de même que dans la capitale, Antananarivo.

Les trafiquants travaillent en régie bien rodée, selon l’information fournie par le ministère. Les braconniers à la base se chargent de la collecte des animaux dans leur habitat. D’autres s’occupent du stockage temporaire jusqu’à l’atteinte des quantités désirées et du transport local. La démarche auprès de ceux qui prennent en main l’opération d’export, au bout de la chaîne au niveau national, revient aux intermédiaires. En effet, le trafic déjoué à temps a visé plus de 2 700 spécimens de tortues terrestres de la Grande île.

A Madagascar, les contrebandiers semblent agir en toute quiétude. Le 14 janvier dernier, trois Chinois à destination de Shanghai, via Addis-Abeba, en Ethiopie, ont été interpelés à l’aéroport international d’Ivato Antananarivo, avec 105 bébés de tortues radiées (Astrochelys radiata) dans leurs valises. Ce jour-là, les Asiatiques mis en cause, devaient rejoindre la capitale éthiopienne par un vol de la compagnie nationale Ethiopian Airlines.

A la rescousse des tortues étoilées de Madagascar

Le même jour, le ministère a saisi 134 tortues à Ivato. L’affaire a impliqué trois autres étrangers ayant tenté de faire passer des paquets douteux. Trois jours plus tôt, un convoi qui a éveillé des soupçons et la méfiance des agents, a été intercepté à Betioky, un district du Sud. Des tortues, avec des quantités de cannabis, ont été trouvées à bord, lors de la fouille. Le 22 janvier, la police a arrêté dans la banlieue est d’Antananarivo une agente pénitentiaire, un infirmier et deux intermédiaires en possession de 250 tortues.

Des hommes politiques  ont les mains trempées dans la filière a priori juteuse. Le 24 décembre, Roméo Christophe Ramanatanana, député de Madagascar, élu à Soavinandriana Itasy, sur les hautes terres centrales, a été arrêté en flagrant délit de transport illégal de 112 tortues à Ambohibao, une banlieue ouest d’Antananarivo. Le parlementaire et ses compères séjournent en prison en ce moment. Les trafiquants encourent 6 mois à 2 ans d’emprisonnement plus une amende pouvant aller jusqu’à   de 21 520 USD.

Deux tortues araignées (Pyxis arachnoides), l’une des espèces prisées par les trafiquants. Image de Brett Bartek, TSA Madagascar avec leur aimable autorisation.

Appétence pour des espèces endémiques

En réalité, les trafiquants ont une appétence prononcée pour deux espèces de tortues endémiques des régions du Sud malgache. Outre l’A. radiata, les tortues araignées (Pyxis arachnoides) constituent aussi une cible privilégiée. Plus de 2 400 spécimens de ces deux espèces en danger critique, selon la Liste Rouge de l’Union internationale de la conservation de la nature (UICN), ont été saisis durant l’année écoulée. Les tortues saisies en Thaïlande en juin, et rapatriées en décembre, comptent parmi eux.

Dans un rapport rendu public en 2023, l’ONG Transparency International-Initiative Madagascar (TI-MG), sur la base de renseignements partagés par TRAFFIC International, dit que 121 saisies mondiales, ayant impliqué Madagascar, ont été enregistrées entre 2000 et 2021. Elles ont concerné « environ 30 875 tortues rayonnées et des quantités réduites de caméléons ». Il s’avère ainsi impérieux d’assurer la conservation de ces animaux qui pourraient disparaître à l’horizon de 2025, prévient le même document.

La raison première imputée à l’ampleur du trafic des tortues de Madagascar est financière. Un journal basé à Antananarivo a rapporté qu’une tortue radiée se négocierait autour de 2 500 euros (ou 2 600 dollars) sur le marché d’Asie du Sud-Est. Le prix pourrait être dix fois plus élevé à Hong Kong. Le trafic met donc en péril la biodiversité malgache, un patrimoine unique au monde, et inflige une perte économique immense au pays, dont les habitants sont à la merci de la paupérisation sans cesse grandissante.

Les organisations comme l’Alliance Voahary Gasy (AVG), ont chaleureusement salué la volonté du gouvernement d’éradiquer les actes de pillage environnemental sur le territoire. Elles exhortent les responsables étatiques à sévir davantage contre les trafiquants et les citoyens à dénoncer les cas de corruption et de saccage écologique.

Tortue rayonnée (Astrochelys radiata), Arboretum d’Antsokay, Toliara, Madagascar. Image de via Flickr (CC BY-SA 2.0).

Le 22 janvier, en conférence de presse, l’entité a appelé à l’intensification de la lutte contre la corruption, l’amélioration de la gouvernance environnementale et l’application stricte de la loi. A ses yeux, la corruption en particulier constitue une circonstance aggravante du trafic d’espèces sauvages contre lequel le gouvernement américain appuie les Malgaches.

Financé à hauteur de 10 millions de dollars par l’Agence américaine pour le développement international (USAID), un projet américain de lutte contre la corruption et le trafic d’espèces sauvages (CCWT), est mis en œuvre, depuis 2022, par un consortium d’acteurs composé de TI-MG, de TRAFFIC International et d’AVG sous la coordination du World Wildlife Fund Madagascar.

Des systèmes d’alerte créés dans ce cadre permettent à toute personne de bonne foi de signaler des infractions avérées. « Les tortues radiées font partie des espèces priorisées par le projet, car elles font l’objet de trafics massifs au niveau national et international, mais sont aussi victimes de braconnage », lit-on au passage dans le rapport cité plus haut.

Mais ces mêmes tortues figurent aujourd’hui parmi les victimes potentielles du changement climatique. En janvier, de fortes crues causées par un passage cyclonique ont sérieusement affecté les régions du Sud, sujettes à des sécheresses chroniques. La catastrophe naturelle a dévasté l’habitat de ces reptiles, y compris le centre de soin des tortues de Turtle Survival Alliance à Itampolo, où plusieurs centaines de tortues sont mortes asphyxiées sous les eaux.

Image de bannière : Tortue rayonnée (Astrochelys radiata), Arboretum d’Antsokay, Toliara, Madagascar. Image de via Flickr (CC BY-SA 2.0).

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