- Certaines forêts tropicales connaissent des sécheresses saisonnières plus dures, avec des risques de détériorations majeures en cas de prolongement des périodes sans pluie.
- Durant ces périodes de stress hydriques (entre autres stress) pour les arbres, la séquestration de carbone ne fonctionne parfois pas.
- En apportant du potassium et du phosphore aux arbres comme supplément alimentaire, une équipe de scientifiques a montré que les arbres améliorent leur productivité.
- Si tout le défi consiste à appliquer les apports en nutriments sur de vastes superficies, cette apporte les stratégies visant à réduire le carbone par les forêts tropicales. Il s’agit notamment de considérer que certaines forêts tropicales ne sont pas toutes résilientes à la sécheresse.
Les forêts qui disposent de plus de nutriments s’avèrent plus résilientes à la sécheresse saisonnière. Celles qui n’en ont pas assez traversent péniblement une telle période, plus encore lorsque la sécheresse se prolonge. C’est ce qui ressort de l’étude publiée en 2024, dans la revue Nature Geoscience.
Bien avant cette étude, d’autres recherches menées notamment en Amérique tropicale et en Asie, ont montré que la disponibilité des nutriments, peut affecter la croissance des arbres et la séquestration du carbone.
Cependant, « c’est la première fois que ce phénomène a été testé à cette échelle pour l’azote, le phosphore et le potassium en Afrique », explique à Mongabay, professeur Edzo Veldkamp de l’université de Göttingen, l’un des auteurs de l’étude.
Ce dernier indique que la recherche montre que certaines forêts tournent au ralenti dans leur production de photosynthèse durant les sécheresses saisonnières. Les arbres viennent même à mourir si les sécheresses se prolongent. C’est alors que commence un sérieux problème climatique, les forêts étant connues pour leur rôle dans la régulation du climat : fraicheur, pluies, séquestration du carbone dont elles sont de grands puits, etc.

Du phosphore et du potassium pour nourrir les arbres
Les forêts tropicales représentent près de la moitié du puits de carbone forestier mondial. Si elles ne parviennent plus à éliminer le dioxyde de carbone de l’atmosphère, les effets du changement climatique pourraient devenir encore plus graves.
Pour étudier le manque de nutriments des forêts durant les sécheresses, les chercheurs ont mis en place la première expérience d’ajout d’azote, de phosphore et de potassium dans la forêt de Budongo en Ouganda. Cette forêt, indique Veldkamp, « nous a paru très intéressante, car elle se situe dans la zone de transition vers les savanes et connaît une forte saison sèche. Aucune des études précédentes n’a été menée sur des sols et des conditions comparables ».
A l’issue de l’expérimentation, les chercheurs concluent qu’en ajoutant du phosphore et du potassium aux arbres, ces derniers maintiennent leur productivité dans des conditions de sécheresse intense.
Toutefois, de par la nature des sols évalués, il s’avère que « l’effet de la fertilisation avec le potassium sera sans doute encore plus grand dans les sols acides très bien drainés et subissant des sécheresses récurrentes », indique professeur Nicolas Belanger, titulaire de la Chaire de recherche en solutions climatiques naturelles de l’université du Québec (Canada).
Belanger constate que les sols étudiés ne sont pas les oxisols [c’est-à-dire ne sont pas des latérites connues pour leur faible concentration en matière organique, Ndlr] typiques des forêts tropicales. La région se situe, en effet, entre la zone de forêts tropicales et celle des savanes, dans le nord-ouest de l’Ouganda, près du lac Albert.

Comment se nourrissent les arbres ?
Les chercheurs ont étudié la manière dont les nutriments contrôlent la production de litière de feuilles sur le sol forestier. Les feuilles des plantes éliminent de l’atmosphère le dioxyde de carbone produit par l’homme. Les arbres le transforment en leur propre nourriture à travers la photosynthèse. De cette manière les arbres accumulent le carbone dans le bois de la plante ou dans les feuilles elles-mêmes.
Il est connu, en outre, que la décomposition de la litière et du bois mort joue un rôle essentiel dans le recyclage des nutriments tels que le potassium et le phosphore. Il importe alors que la matière organique se décompose naturellement pour améliorer la disponibilité de ces éléments pour les arbres. Ce que ne garantissent pas les conditions de sécheresse.
Mais qu’est-ce qui arrive lorsque la sécheresse s’installe ou dure plus longtemps ? L’étude indique que plusieurs arbres perdent simplement leurs feuilles, ce qui réduit le taux d’élimination du carbone de l’atmosphère si la pluie ne peut revenir tôt. La plante entière peut même en mourir alors, ce qui la tue étant donné la carence en potassium. La disponibilité de ce nutriment retarde par contre de quatre semaines le moment où la plupart des feuilles sont perdues, ce qui correspond à la période de sécheresse dans certaines régions proches de l’équateur, d’après la même étude.
« Avec suffisamment de potassium disponible, les arbres peuvent conserver leurs feuilles plus longtemps. Cela signifie que dans des conditions de disponibilité accrue en potassium, les arbres doivent investir moins de carbone dans la production de nouvelles feuilles à la fin de la saison sèche, et ce carbone pourrait être détourné, par exemple, pour favoriser la croissance des tiges (et donc la séquestration du carbone). En d’autres termes, notre expérience montre qu’en raison de la faible disponibilité naturelle en potassium, cette forêt ne séquestre pas autant de carbone qu’il aurait été possible avec une meilleure disponibilité en potassium », explique professeur Veldkamp.

Des implications écologiques et de gestion
Cette étude permet aussi de comprendre la réduction de la biomasse, la mortalité accrue des arbres et la diminution de la capacité de ces forêts à stocker du carbone. « Il n’existe pas à ce jour une solution réaliste, augmenter l’apport en nutriments de phosphores ou de potassium » aux forêts en difficulté, dit Veldkamp. « Mais ce n’était pas le but de notre étude », insiste-t-il.
Mongabay a demandé au professeur Nicolas Belanger dans quelle mesure les apports en nutriments peuvent être envisagés dans de grands massifs forestiers.
Selon ce dernier, fertiliser les forêts n’est pas facile sur le plan logistique. Puisqu’il faut gérer de larges surfaces et des défis de traitement de la biomasse. Cela « coûte très très cher, surtout si on utilise des fertilisants synthétiques. Les sites ne sont pas non plus toujours facilement accessibles. Le transport de la machinerie comme les épandeuses, si accessible, et des fertilisants exigeant et associés à une empreinte en CO2 considérable, compte tenu des nombreux allers-retours », explique Belanger.
Belanger souligne aussi que la fertilisation en forêt est surtout réalisable dans un contexte de production accrue de bois pour des fins commerciales, dans les plantations d’arbres à croissance rapide à proximité des usines, par exemple, ou lorsqu’on veut protéger des ilots forestiers de grande valeur qui sont sous différents stress.
Toutefois, le coût est réduit lorsque « les fertilisants sont issus de matières résiduelles, de la boue de chaux ou de la lie », précise Belanger.
Quant à l’amélioration de la protection des forêts, Veldkamp souligne que les résultats de leur étude « ne conduisent pas directement à leur meilleure protection ».
Il reste cependant que les résultats impliquent que les actions en faveurs du climat, axées sur la séquestration du carbone par les forêts équatoriales, tiennent compte de cette trouvaille. Puisque, d’après Veldokamp, les modèles utilisés actuellement pour évaluer le changement climatique futur, ne tiennent pas compte des forêts, qui connaissent des stress de sécheresse élevée, ainsi que le décrit cette recherche.
Or, « ces modèles supposent que l’apport en potassium est suffisant et n’affecte pas la chute des feuilles. Cela signifie que pour la forêt dans laquelle nous avons mené l’étude, ces modèles surestiment la capacité à séquestrer le carbone. Il est possible qu’il existe un certain nombre de forêts tropicales où le potassium est insuffisant, et que dans ces forêts, les modèles de changement climatique surestiment la capacité à séquestrer du carbone supplémentaire », fait remarquer Veldkamp.
Image de bannière : En Éthiopie, les habitants mènent leurs animaux vers des territoires inexplorés, à la recherche de sources d’eau et de pâturages. Image de Union européenne/ECHO/Anouk Delafortrie via Flickr (CC BY-ND 2.0).
Citation:
Raphael Manu et al., 2024, « Réponse de la productivité des forêts tropicales à la sécheresse saisonnière médiée par la disponibilité du potassium et du phosphore ». Nature Geoscienc. URL : https://www.nature.com/articles/s41561-024-01448-8
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