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Les projets de crédits carbone se multiplient en RDC malgré l’absence de réglementation

  • Les chercheurs déclarent que les projets de crédits carbone, impliquant des entreprises privées, des ONG et des sociétés d'exploitation forestière, se sont multipliés en République démocratique du Congo.
  • Ils ont identifié des projets couvrant plus d'un quart des 200 millions d'hectares de forêts de la RDC.
  • Les premiers résultats indiquent que la RDC ne dispose pas de protections gouvernementales suffisantes, pour s'assurer que ces projets contribuent à éviter la déforestation et ne nuisent pas aux communautés.
  • Fin 2021, une société de conseil basée en Inde a signé des accords de projets de crédits carbone avec 25 communautés en RDC, mais elle n'a fourni que peu d'informations sur les projets. La société n'opérerait plus dans le pays.

Parmi les solutions proposées pour financer la protection des forêts, qui capturent le carbone et maintiennent la biodiversité, on trouve les marchés du carbone. Rien qu’en République démocratique du Congo, les projets de crédits carbone couvrent 54 millions d’hectares, selon les recherches en cours de l’ONG britannique Rainforest Foundation UK (RFUK) et de l’APEM, un groupe de défense congolais. Cependant, la réussite de ces projets repose sur leur capacité à protéger les forêts tout en profitant aux communautés, qui en dépendent et qui en sont souvent les gardiennes.

Les forêts représentent 86 % de la superficie de la RDC et les 200 millions d’hectares de forêts tropicales du pays se classent au deuxième rang mondial, après le Brésil. Pour ce qui est du carbone, la préservation de cette forêt pourrait ralentir le changement climatique. Cette possibilité a suscité un intérêt considérable pour l’utilisation des crédits carbone, afin de financer la conservation en Afrique, tout en fournissant un revenu durable aux communautés tributaires de la forêt.

La conférence des Nations unies sur les changements climatiques 2024, COP29, a débuté le 11 novembre à Bakou, en Azerbaïdjan. Le financement de la protection des forêts dans le monde, ainsi que le bouclier contre l’accélération du changement climatique qu’elles représentent, est un sujet clé de cette conférence. Cependant, étant donné que les financements promis depuis longtemps par les pays riches aux pays moins industrialisés tels que la RDC ne se sont pas concrétisés comme on l’a espéré, les dirigeants et les communautés se sont vus obligés de chercher d’autres sources de financement pour la conservation.

En RDC ainsi que dans d’autres pays, les projets de crédits carbone sont considérés comme « une sorte de panacée … pour attirer tous les financements nécessaires », a déclaré à Mongabay Vittoria Moretti, chargée de campagne Forêts de RFUK qui dirige les recherches de l’organisation. « Ils sont considérés comme essentiels pour réduire la transformation des forêts, pour alléger la pression sur elles ».

Selon une étude récente, les projets de crédits carbone couvrent des millions d’hectares de forêt en République démocratique du Congo. Image d’Ollivier Girard/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Moretti a déclaré que ses collègues et elle-même étaient « effrayés » par les rapports faisant état de l’apparition rapide de nouveaux projets. Pourtant, peu d’informations sur ces activités sont rendues publiques, malgré les obligations légales de la RDC en matière de registre des projets carbone, a-t-elle ajouté. De plus, la RDC ne dispose pas de protections gouvernementales suffisantes pour s’assurer que ces projets évitent effectivement la déforestation, afin de comptabiliser le carbone qui est converti en crédits et ne nuisent pas aux communautés souvent étroitement impliquées dans la protection des forêts, comme l’ont montré les recherches de Moretti.

Fin 2021, des observateurs congolais se sont montrés préoccupés, lorsqu’ils ont découvert qu’une société de conseil basée en Inde avait signé des accords pour des projets de crédits carbone avec 25 communautés dans la province de l’Équateur. La société Kanaka Management Services (KMS) n’avait que peu d’expérience dans la commercialisation du carbone et ne semblait pas avoir informé de manière appropriée, ni avoir obtenu le consentement des villages, qui contrôlent les forêts qu’elles convoitent par le biais de leurs concessions forestières locales connues sous le nom de CFCL.

APEM et GASHE, une ONG de défense des droits de l’homme et de l’environnement, basées en RDC, ont averti les communautés et les médias des activités de KMS en 2022. Selon plusieurs sources contactées par Mongabay, la société n’opérerait plus en RDC. En 2021, le projet de la société a également été rejeté par le plus grand organisme certificateur de projets de crédits carbone au monde, la société américaine Verra.

Dans ce cas, les observateurs de la société civile, ainsi que les mécanismes du marché volontaire du carbone, ont contribué à protéger les communautés et l’intégrité des crédits carbone. Cependant, les recherches menées par RFUK et APEM montrent qu’une série d’autres développeurs de projets, d’ONG et de sociétés d’exploitation forestière se sont empressés de combler le vide laissé par l’entreprise. Les responsables gouvernementaux semblent également soutenir l’évolution vers les marchés du carbone en tant que source de financement.

« Entre-temps, de nombreuses autres sociétés inexpérimentées sont arrivées », a déclaré Moretti.

Des responsables gouvernementaux, des ONG et des sociétés d’exploitation forestière ont manifesté leur intérêt pour les projets de crédits carbone en tant que source de financement. Image d’Axel Fassio/CIFOR Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Ses enquêtes dans les provinces de l’Équateur, du Mai-Ndombe et de la Tshopo, lui ont permis de découvrir des fac-similés de l’approche de KMS, dans lesquels des représentants de développeurs de projets contactent des dirigeants et leur fournissent peu d’informations sur les détails du projet, avec seulement de vagues promesses d’avantages financiers. Dans certains cas, on demande aux chefs d’ouvrir des comptes bancaires, souvent dans des villes qui impliquent des jours de voyage pénible depuis leurs villages d’origine, afin de recevoir leur part des paiements provenant de la vente de crédits carbone. Moretti a cependant reçu des informations selon lesquelles ces comptes n’ont jamais été alimentés, même un an après leur ouverture.

« C’est aussi l’un des problèmes », a-t-elle déclaré. « Ces projets n’apportent pas grand-chose en termes d’investissement dans les communautés, de moyens de subsistance ou d’activités de développement ».

De nombreuses communautés, que KMS a sollicitées pour la première fois fin 2021, avaient mis en place des CFCL, une structure décrite dans un décret présidentiel de 2014. L’idée est d’assurer le contrôle des forêts par les communautés et de leur donner la possibilité de gérer les forêts en vue d’une utilisation durable. Et Julien Mathe, coordinateur du GASHE, explique que le processus semble fonctionner dans certaines communautés.

« Les CFCL représentent une approche viable pour la protection de la biodiversité ou l’utilisation durable des forêts, mais également pour le développement des communautés si elles sont organisées dans le respect de la loi », a déclaré Mathe à Mongabay dans un courriel. Par exemple, les CFCL avec lesquelles GASHE travaille surveillent les forêts à la recherche d’exploitations illégales ou d’autres activités. Ils les enregistrent à l’aide d’une application pour smartphone, qui, à son tour, envoie une notification à l’ensemble de la communauté.

Cependant, dans certaines régions de la RDC, les initiatives visant à développer les CFCL n’ont pas dépassé la première étape et n’ont pas abouti à l’élaboration de plans de gestion.

En même temps, la ruée vers les crédits carbone a attiré de nouveaux acteurs.

Selon Moretti, les crédits carbone ont séduit, non seulement des entreprises privées telles que KMS, mais également « de nombreux acteurs du développement, des ONG et même des responsables gouvernementaux », qui ne partagent généralement pas beaucoup d’informations sur le fonctionnement du marché du carbone.

« Bien entendu, la plupart de ces communautés ne savaient même pas de quoi il s’agissait », a-t-elle précisé. « Elles n’ont jamais été vraiment informées ou sensibilisées à ce sujet ». De plus, elles n’ont reçu aucune documentation sur ce pour quoi elles ont signé, a ajouté Moretti.

Des questions ont été émises sur les avantages que les projets de crédits carbone proposés apporteront aux communautés. Image d’Axel Fassio/CIFOR-ICRAF Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Elle a également remarqué une augmentation du nombre de concessions passées de l’exploitation forestière à la « conservation », afin de récolter des crédits carbone. Il semble que les entreprises à l’origine des concessions ont achevé un cycle d’exploitation forestière, le marché du carbone leur offrant une nouvelle opportunité de revenus, a ajouté Moretti. « Elles ont trouvé un moyen de continuer à gagner de l’argent sans nécessairement faire grand-chose sur le terrain ». Mais là encore, il existe peu d’informations sur les régions, les emplacements et les activités proposées dans le cadre de ces projets.

Et selon elle, il est possible que les projets carbone s’étendent sur une région de la RDC bien plus vaste que les dizaines de millions d’hectares, qu’elle a recensés avec ses collègues.

« Je pense qu’on sous-estime leur force ».

 
Image de bannière : Prosper Sabongo, doctorant, mesure la circonférence d’un Funtunia Africana dans la réserve forestière près du village de Masako. Kisangani, République démocratique du Congo. Image d’Ollivier Girard/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Cet article a été publié initialement ici en anglais le 18 novembre, 2024.

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