- La Réserve de faune d’okapis de la République démocratique du Congo protège de vastes étendues de la forêt primaire du bassin du Congo et certaines espèces menacées comme l’emblématique okapi (Okapia johnstoni) et l’éléphant de forêt africain (Loxodonta cyclotis).
- La réserve abrite également les peuples autochtones des Mbuti et Efe qui vivent des ressources de la forêt.
- La déforestation est restée importante dans la réserve en 2023 et a continué d’augmenter cette année d’après les données satellites fournies par la plateforme Global Forest Watch.
- L’exploitation illégale de mines d’or artisanales et semi-industrielles dans la réserve entraîne déforestation, braconnage et destruction de l’environnement.
Selon les images satellites, les mines d’or clandestines au sein de la Réserve de faune d’okapis, dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), continuent à se multiplier, entraînant la destruction de l’environnement. Le taux de déforestation est resté à un niveau record en 2023, et les premières données pour 2024 montrent que le déboisement se poursuit à un rythme soutenu.
La Réserve de faune d’okapis couvre 14 000 kilomètres carrés de la forêt tropicale du bassin du Congo. Elle protège un nombre impressionnant d’animaux sauvages d’une importance capitale : un cinquième de tous les okapis (Okapia johnstoni), la plus grande population d’éléphants de forêt (Loxodonta cyclotis) et de chimpanzés (Pan troglodytes) de RDC, la plus grande diversité d’espèces de primates en Afrique, et bien d’autres. Elle est également d’une importance critique pour les peuples autochtones de la forêt, les Mbuti et les Efe, qui chassent et cueillent les produits de la forêt dans certaines zones.
Avec le changement climatique, la réserve pourrait devenir un sanctuaire encore plus crucial pour la biodiversité. Une étude récente la place dans les 40 % des zones terrestres protégées les plus résistantes à un réchauffement extrême. Les auteurs affirment que la protection de ces refuges est une « action sans regret ».
Cependant, la déforestation, la pollution et l’insécurité, causées principalement par les mines d’or artisanales et semi-industrielles, ne cessent de saper l’intégrité de la réserve.
La déforestation a régulièrement augmenté au cours des dix dernières années, arrivant jusqu’à 1 920 hectares de forêt perdus en 2022, selon la plateforme Global Forest Watch (GFW). 1 890 hectares supplémentaires ont été perdus en 2023, dont environ trois quarts de forêt primaire.
La déforestation est concentréele long de la rivière Ituri et de la Route Nationale 4, dans la partie sud de la réserve. Les images satellites montrent clairement le déboisement dans la forêt et le long de la rivière, qui a été élargie et détournée de son cours naturel. De nouvelles incursions le long de la limite ouest de la réserve ont commencé au milieu de l’année dernière. En 2024, la plateforme GFW a montré quasiment en temps réel les alertes de déforestation progressant depuis les zones de mines existantes vers le nord de la route principale.
Il existe au moins 18 sites d’exploitation minière dans la réserve, selon une note d’information de l’université d’Anvers datant de 2022, avec 15 000 à 25 000 mineurs indépendants, ainsi que des exploitations semi-industrielles où le dragage fonctionne en continu. Parmi les plus actives, figurent celles de Muchacha de la compagnie chinoise Kimia Mining.
« Tous les arbres ont été abattus et, bien entendu, la rivière est très polluée en raison des produits chimiques utilisés par les mineurs. C’est une catastrophe », a déclaré John Lukas, président de l’ONG Okapi Wildlife Project, à Mongabay, en 2023.
Un rapport de 2023 publié par l’International Peace Information Service (IPIS), un institut de recherche indépendant, documente les conséquences de l’exploitation artisanale de l’or sur l’environnement et les populations du territoire de Mambasa, dont 20 % se trouvent dans la Réserve de faune d’okapis. Le rapport fait partie d’une initiative du Partenariat pour le développement de l’Est du Congo (P-DEC), un projet financé par l’USAID pour « rétablir l’équilibre » dans cette région.
En 2022, les enquêteurs ont visité 12 sites d’exploitation minière artisanale le long de la rivière Ituri à l’intérieur de la réserve, ainsi que 29 autres sites à l’ouest de la réserve, y compris certaines concessions détenues par des entreprises.
Ils ont ainsi répertorié de nombreux impacts environnementaux, qui vont au-delà de l’empreinte des sites miniers.
Ils ont constaté que les mineurs coupaient des arbres pour faire du feu, du charbon et pour la construction, causant ainsi la déforestation. Sur plus de la moitié des sites, les restaurants fréquentés par les mineurs vendaient de la viande de brousse issue du braconnage. Sur les sites de l’intérieur de la réserve, la viande de brousse était particulièrement répandue, les restaurants de 10 sites sur 12 servant de la viande de singe fumée, de l’antilope et d’autres espèces.
Selon le rapport, du mercure est utilisé pour traiter l’or dans plus de 90 % des sites miniers, tant à l’intérieur qu’à proximité de la réserve, ce qui représente un taux trois fois plus élevé que dans des provinces telles que le Nord et le Sud-Kivu. Le mercure est une neurotoxine puissante, pour laquelle il n’existe pas de niveau d’exposition sûr. Pourtant, il était fréquemment utilisé tout près des rivières et des habitations, souvent sans équipement de protection et parfois par des enfants, d’après le rapport. Une fois qu’il pénètre dans les sources d’eau ou dans les sols, le mercure s’accumule rapidement dans la chaîne alimentaire, mettant en danger les mineurs, la population en général et la faune.
La majorité des mineurs étaient des hommes venus des provinces voisines, et 8 % étaient des enfants de moins de 15 ans. Le rapport fait part des conditions de travail médiocres sur tous les sites visités. Cependant, la majorité des accidents rapportés ont eu lieu sur des sites contrôlés par Kimia Mining, à l’intérieur de la réserve, la plupart sur le site de Muchacha.
Une insécurité grandissante
L’exploitation minière dans la réserve n’est pas nouvelle, ni les conflits qui en découlent. En 1997, un an seulement après que la Réserve de faune d’okapis ait été déclarée site du patrimoine mondial de l’UNESCO, elle a été placée sur la liste des sites du patrimoine mondial en péril.
Des groupes armés opèrent dans la réserve depuis vingt ans, contrôlant souvent les sites miniers et responsables d’escarmouches meurtrières avec les éco-gardes de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN). Selon une publication d’un compte des réseaux sociaux de la Réserve de faune d’okapis, en septembre, un groupe d’environ 60 individus armés de machettes et de flèches a attaqué les éco-gardes de l’ICCN sur un site minier illégal à l’intérieur de la réserve, blessant deux personnes. Cet incident fait suite à une attaque perpétrée en juin, au cours de laquelle un garde de l’ICCN a été tué. En 2012, des braconniers chasseurs d’éléphants ont tué sept personnes, dont deux gardes, ainsi que 13 okapis en captivité à l’intérieur de la réserve.
En RDC, l’exploitation minière est strictement interdite dans les zones protégées, mais un désaccord persistant sur les limites de la réserve complique cette situation déjà instable sur le plan de la sécurité.
Les limites de la réserve sont clairement établies par le décret ministériel de 1992 et suivent des repères naturels ou topographiques. Mais une carte publiée par le Cadastre Minier congolais (CAMI) montre que certaines limites traversent aléatoirement la forêt, réduisant considérablement la taille de la réserve. Ainsi, des zones clairement situées dans les limites de 1992 sont qualifiées comme concessions minières ou d’exploration sur le portail internet de la CAMI, avec des licences délivrées à Kimia Mining, Ratel Metal Congo SARL et MCC Resources SARL.
Pour résoudre ce désaccord, le Centre du Patrimoine mondial de l’Unesco a organisé une collaboration entre de hauts responsables du gouvernement de la RDC, l’ICCN et la CAMI, entre autres, qui ont formé ensemble un comité. Mais les progrès sont lents, en partie à cause des changements à la tête de l’ICCN, note un rapport de l’Unesco de 2024 sur l’état de conservation de la réserve.
Selon le rapport de l’IPIS, la société chinoise Kimia Mining et d’autres entreprises recrutent des membres « rebelles » de la 31e brigade des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) comme agents de sécurité privés. Ces membres des FARDC auraient ainsi établi des barrages routiers, harcelé et taxé des mineurs indépendants et empêché des inspecteurs gouvernementaux de se rendre sur les sites. Selon le rapport, des organisations de la société civile mentionnent des altercations entre des membres de l’ICCN et des FARDC.
Le rapport conclut que « pour avoir un impact sur la stabilité de la région, des initiatives locales, nationales et provinciales sont nécessaires pour mettre un terme aux activités de Kimia Mining dans la réserve et pour exiger la réhabilitation du site minier aux frais de l’entreprise ». Il recommande aussi d’offrir aux mineurs indépendants des aides financières pour qu’ils s’installent dans des zones désignées à l’extérieur de la réserve.
Kimia Mining ne semble pas avoir de présence en ligne et les coordonnées de l’entreprise sont introuvables.
C’est dans ce contexte de violence et d’exploitation, que vivent les familles qui cultivent les terres dans les villages de la réserve et des environs.
Depuis plus de 30 ans, l’Okapi Wildlife Project, une organisation à but non lucratif, travaille avec ces populations, notamment les peuples autochtones Mbuti et Efe. Les populations de l’intérieur de la réserve respectent généralement les zones qui leur sont allouées pour l’agriculture et apprécient les avantages liés à la protection de la forêt, a déclaré John Lukas, à Mongabay, en 2023. Les programmes d’agroforesterie, d’éducation et de création de revenus de l’Okapi Wildlife Project contribuent à améliorer la qualité de vie des populations et offrent des alternatives à la surexploitation des ressources naturelles de la réserve.
« L’aspect positif est que nous avons gardé une grande partie de la forêt intacte », expliquait John Lukas. « Et certains peuples sont très impliqués dans sa protection . Ils pensent sincèrement que c’est la conduite à tenir ».
Image de bannière : Les images satellites de Planet Labs prises en octobre 2024 montrent la déforestation due aux mines d’or le long de la rivière Ituri qui traverse la partie sud de la Réserve de faune d’okapis.
Citations
IPIS. (2023). Mapping of artisanal mining sites in western Mambasa, Ituri Province, Democratic Republic of the Congo. Retrieved from https://ipisresearch.be//wp-content/uploads/2023/10/20231026_IPIS-Mapping-ASM-in-western-Mambasa_EN.pdf
Price, J., Forstenhäusler, N., Graham, E., Osborn, T., & Warren, R. (2024). Report on the observed climate, projected climate, and projected biodiversity changes for Okapi Wildlife Reserve, Democratic Republic of Congo under differing levels of warming. Zenodo. https://doi.org/10.5281/zenodo.12706114
Verweijen, J., Schouten, P., O’Leary Simpson, F., & Zirimwabagabo Pascal, C. (2022). Conservation, conflict and semi-industrial mining: The case of eastern DRC. (Analysis and Policy Briefs; No. 49). University of Antwerp, Institute of Development Policy
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 26 novembre, 2024.