Nouvelles de l'environnement

Les inondations au Tchad requièrent des solutions innovantes et durables

  • Après les inondations dévastatrices de 2022, le Tchad fait face à une nouvelle catastrophe en 2024.
  • Malgré les mesures spontanées des populations, les inondations ont causé 576 décès et affecté près de 2 millions de personnes dans 119 des 125 départements du pays.
  • Ces inondations résultent principalement de l’urbanisation anarchique, de la mauvaise gestion des déchets, des infrastructures de drainage inadéquates, ainsi que de la situation géographique particulière de N'Djamena, située dans une cuvette.
  • Face à cette crise récurrente, une approche innovante et durable s’impose pour éviter que les mêmes drames ne se répètent chaque année.

En un instant, les efforts de toute une vie s’effondrent. Submergées par les eaux, les trois chambres de la maison d’Abakoura Mahamat à Kabé, dans le 9e arrondissement de N’Djamena, au Tchad, s’écroulent, le forçant, lui, sa femme et ses deux enfants à se réfugier sur un site amenagé pour sinistrés. Cette scène reflète la dure réalité des inondations récurrentes au Tchad. Chaque année, les pluies transforment la vie de milliers de Tchadiens en un enfer.

Selon un rapport du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’Organisation des Nations unies (ONU), les inondations de 2024, survenues entre juillet et octobre, ont causé 576 décès et affecté 1 941 869 de personnes dans 119 des 125 départements du pays. Les dégâts matériels incluent la destruction de 432 203 hectares de champs agricoles et la perte de plus de 72 000 têtes de bétail. Ces chiffres rappellent ceux de 2022, où les crues avaient touché 18 provinces et affecté plus d’un million de personnes, détruisant près d’un demi-million d’hectares agricoles, selon les chiffres officiels, touchant 18 provinces et ayant affecté 166 000 ménages, soit plus d’un million de personnes.

À N’Djamena, la capitale, des quartiers comme Walia, Ngueli et Kabé ont été submergés, malgré la construction de digues après les inondations de 2022. Ces ouvrages, bien qu’utiles, se sont avérés insuffisants pour contenir les eaux. Partout, les habitants ont été contraints de fuir, abandonnant leurs biens pour rejoindre des camps de sinistrés. « Toute ma concession est dans l’eau et me voilà obligé de ramener toute ma famille sur ce site de sinistrés », témoigne visiblement dépité Akouna  Abakar, père de 5 enfants. « Même si ces sites nous offrent un abri temporaire, nous vivons dans l’incertitude. Avec la fraîcheur qui s’approche, les tentes ne nous protégeront pas du froid », s’inquiète Denemadji Reoutarem, une ménagère installée dans le camp de la Basilique, au 7ᵉ arrondissement.

Un quartier entier sous l’eau suite aux inondations. Image de Rimteta Ngarndinon pour Mongabay.

Un problème régional aux multiples impacts

Le Tchad n’est pas seul à souffrir. Les inondations ont également ravagé plusieurs pays d’Afrique centrale et occidentale. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), plus de quatre millions de personnes sont touchées dans 14 pays en Afrique subsaharienne. Margot Van der Velden, directrice des urgences au PAM, souligne que ces inondations compromettent les moyens de subsistance de millions de personnes.

Charles Bernimolin, du Bureau des affaires humanitaires des Nations unies invite à des actions urgentes: « Si nous ne réduisons pas les effets des inondations et de la dégradation des sols, les conséquences seront bien plus coûteuses pour les populations vulnérables. Les solutions existent, mais elles nécessitent des actions immédiates et un financement suffisant ».

Malgré les efforts de construction de digues et  de barrages, les habitations n’ont pas résisté aux eaux. Image de Rimteta Ngarndinon pour Mongabay.

Mobilisation locale et limites de la réponse actuelle

Face à l’ampleur de la crise, les populations n’ont pas attendu l’intervention du gouvernement. À Ngonba, un quartier du 9e arrondissement de N’Djamena, les habitants se sont organisés pour surélever les berges du fleuve Chari en cotisant de l’argent pour louer une niveleuse. Dans d’autres zones, des jeunes ont colmaté les brèches des digues avec des sacs de sable et utilisé des motopompes pour évacuer les eaux stagnantes. « La pluie de cette année a été extraordinaire. Et tous les quartiers étaient pratiquement dans l’eau. Ici à Ngonba, heureusement on s’est mis au travail sans attendre le gouvernement. Quand l’eau a commencé par déborder du côté de Walia, j’ai sensibilisé les habitants et on est passé de maison en maison et chaque ménage a cotisé en fonction de ses moyens et nous avons loué une niveleuse qui a travaillé pour élever les berges. C’est ce qui a empêché que notre quartier se retrouve dans l’eau », relate Mbairo Keimian, un priopriétaire de Ngonba.

Cependant, ces efforts locaux ne suffisent pas toujours. La digue construite après 2022 a montré ses limites. « Bien qu’elle ait coûté 22 milliards de francs CFA (environ 37 millions de dollars), elle reste vulnérable en raison de matériaux inadaptés et de l’absence de vannes suffisantes pour drainer les eaux », critique Ezéchiel Minnamou Djobsou Ezéchiel, coordinateur d’une association de protection des infrastructures qui apporte son appui dans cette lutte.

Distribution de vivres sur un site pour les sinistrés des inondations dans le 9e arrondissement de N’Djamena, capitale du Tchad. Image de Rimteta Ngarndinon pour Mongabay.

Des solutions existent, mais nécessitent une volonté politique

Selon Ouang-Yang Laouna, doctorant en Dynamiques de l’environnement et risques à l’université de Yaoundé, l’implantation d’infrastructures efficaces pour le drainage des eaux pourra limiter les inondations dans la ville de N’Djamena et dans d’autres provinces. Il fait savoir que la ville de N’Djamena est dans une cuvette et les pluies sont parfois violentes.

« Il existe une panoplie de facteurs favorisant les inondations dans la ville de N’Djamena. Parmi eux, on peut citer l’urbanisation non planifiée et non contrôlée de la ville avec son corollaire qui est l’occupation anarchique des sols surtout des zones à risques d’inondation. À cela, s’ajoute la mauvaise gestion des déchets ménagers qui obstruent les canaux et les infrastructures de drainage inadéquats », dit Laouna.

Pour remédier aux problèmes d’inondation, Laouna propose au gouvernement d’investir dans les infrastructures de drainage efficaces, d’augmenter la profondeur des canaux de drainage, de curer les caniveaux avant les premières pluies, et d’améliorer la gestion des eaux pluviales. Il est important, selon ce dernier, de promouvoir la préservation des réservoirs naturels d’absorption de l’eau.

« Limiter l’installation de la population dans les zones à risque d’inondation ; disposer des moyens financiers et matériels aux communes en charge de la gestion urbaine et renforcer le personnel d’appui pour les curages des caniveaux avant les premières pluies ; établir des plans communs d’alerte et de secours dans les communes les plus exposées ; creuser les bassins de rétention et entretenir la bordure des fleuves Logone et Chari; promouvoir la gestion efficace des déchets ménagers et municipaux et développer un plan d’urbanisation rationnelle. Les compétences techniques y sont, mais il faudrait qu’il y ait une volonté politique pour faire asseoir ces techniques. Nous pouvons faire de ces eaux une manne pour pallier aux problèmes d’insécurité alimentaire dans notre pays, il suffit d’avoir une bonne gestion intégrée de ces eaux », recommande Laouna.

Une bonne gestion des infrastructures et des barrières naturelles pourraient limiter les risques de montées des eaux en période de pluie. Image de Rimteta Ngarndinon pour Mongabay.

Un appel à l’action proactive

Ces inondations montrent la nécessité de trouver des solutions durables. « La prévention coûte moins cher que les interventions post-crise. Pour le 9e arrondissement, la digue joue un rôle important et il faut l’aménager pour la rendre durable et surtout l’étendre à tous les quartiers de l’arrondissement », a dit Minamou.

Il est temps, plaide Abakoura, d’adopter une approche proactive pour éviter que les mêmes erreurs ne se répètent chaque année et que les populations soient contraintes de repartir de zéro après avoir tout perdu.

Sollicités par Mongabay, les responsables du ministère de l’Aménagement du territoire, en première ligne dans la lutte contre les inondations, n’ont pas répondu à la demande d’interview.

Image de bannière : Un quartier entier sous l’eau suite aux inondations. Image de Rimteta Ngarndinon pour Mongabay.

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