- Une étude révèle que 3 467 espèces terrestres menacées de disparition, sur 5 963 évaluées, ne bénéficient pas des interventions de conservation appropriées.
- Les scientifiques ayant conduit cette étude, estiment que les efforts de conservation sont plus orientés vers les oiseaux et les mammifères et que l’attention est moins portée sur les amphibiens et les plantes à fleurs.
- Charles Karangwa, Directeur des solutions fondées sur la nature à l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN, sigle en anglais), suggère que les stratégies de conservation de la biodiversité soient intégrées dans les politiques de développement, pour garantir une meilleure protection des espèces menacées d’extinction.
Une étude publiée par la revue scientifique Nature, le 5 juin 2024, révèle que 58 % (3 467 sur 5 963) des espèces terrestres menacées d’extinction dans le monde et classées sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), ne bénéficient pas des mesures d’interventions de conservation appropriées.
Les scientifiques indiquent par ailleurs que 91 % des espèces menacées étudiées, au cours de leurs recherches, ne bénéficient pas d’une protection suffisante de leurs habitats, et que certaines espèces reçoivent plus d’attention que d’autres.
Ils citent, à titre d’exemple, les oiseaux et les mammifères, qui bénéficient de plus d’attention en matière de conservation, que les amphibiens et les plantes à fleurs, dont les interventions de conservation sont insuffisantes ou complètement absentes.
Ceci malgré l’extension du réseau mondial des aires protégées, visant à protéger 30 % de la biodiversité mondiale à l’horizon 2030, conformément aux objectifs 30 x 30 du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, adopté lors de 15e Conférence des parties de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique, en décembre 2022.
Les scientifiques estiment que, même lorsque la représentation au sein des aires protégées est suffisante, les espèces peuvent toujours être menacées par la perte d’habitat, si les aires protégées sont mal gérées ou font l’objet d’un déclassement, d’une réduction de la taille de l’aire protégée ou d’un dégazage.
Dans le cadre de cette étude, ils se sont appuyés sur les espèces figurant sur la liste rouge de l’IUCN, rendue publique le 14 juillet 2020, pour faire leurs analyses. Ils se sont concentrés sur les espèces terrestres ou celles vivant à la fois sur la terre et dans l’eau, et qui sont classées par l’IUCN comme vulnérables, en danger ou en danger critique d’extinction.
Leur échantillon était alors constitué de 2 220 amphibiens, 1 295 oiseaux, 192 cycas, 1 258 mammifères, 198 conifères, 9 crocodiles et alligators, 19 bouleaux, 148 magnolias, 11 hêtres du sud, 88 thés, 415 cactus, 36 crabes d’eau douce et 74 caméléons. Le tout pour un total de 5 963 espèces. Ils ont reclassé les menaces sur ces espèces en six catégories, conformément à celles énumérées par la Convention sur la diversité biologique.
Il s’agit concrètement de la perte d’habitat (y compris la dégradation de l’habitat), de la surexploitation pour le commerce international, de la pollution, des espèces exotiques envahissantes, du changement climatique des menaces inconnues et des menaces liées à des causes naturelles, telles que les éruptions volcaniques.
La biologiste Rebecca Senior, enseignante-chercheuse à l’université de Durham en Angleterre, a dirigé cette étude. « Il y a de plus en plus de preuves – ici et ailleurs – que la conservation peut protéger efficacement, et même rétablir les espèces menacées. Cela apporte toute une série d’avantages, non seulement à l’espèce elle-même, mais aussi aux écosystèmes et à la société humaine », a-t-elle déclaré.
« Cependant, les actions de conservation actuellement enregistrées sont manifestement insuffisantes. Sans un effort concerté pour financer et mettre en œuvre une conservation sérieuse et efficace, il y a peu ou pas de chances que nous puissions inverser ou même arrêter le déclin de la biodiversité ».
En Afrique par exemple, il est établi que les éléphants de forêts, en danger critique d’extinction sur la liste rouge de l’IUCN, jouent un rôle écologique essentiel dans la conservation des écosystèmes forestiers.
Davy Fonteyn, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) de France, affirme que ces animaux contribuent à la pollinisation, à la prédation et à la dispersion de certains fruits et graines. « L’ingestion et le transport des graines par les animaux facilitent leur dispersion sur de grandes distances et stimulent les flux géniques. Le processus de digestion améliore aussi le taux de germination des graines et favorise ainsi la régénération naturelle des forêts », explique-t-il.
D’après le chercheur français, sans ces mammifères, les forêts risquent de perdre en diversité sur le long terme, ce qui peut affecter aussi leur résilience face aux changements climatiques et aux perturbations externes.
Financements à problème de la biodiversité
D’après Senior, une grande partie du fardeau de la conservation incombe aux nations les moins nanties pour financer la conservation, et il est nécessaire que les pays développés, qui ont déjà appauvri la biodiversité à l’intérieur de leurs propres frontières, financent des efforts de conservation ambitieux ailleurs, dans l’intérêt de tous.
La question du financement des politiques de conservation de la biodiversité à l’échelle mondiale est un point d’achoppement sur lequel les parties n’ont pas pu s’accorder lors de la COP16 sur la biodiversité en Colombie, en novembre dernier. Les négociations entre les pays du Nord et ceux du Sud n’ont pas été concluantes .
Les États du Sud global, qui soutenaient l’idée de création d’un nouveau fonds, ont vu leur proposition rejeter par ceux du Nord, considérés comme les plus grands acteurs de la perte de la biodiversité.
L’IUCN a plutôt soutenu la position des États du Nord et indique que la multiplicité des instruments de financements n’est pas la panacée pour combattre la perte de la biodiversité.
Dans une interview à Mongabay, Charles Karangwa, directeur des solutions fondées sur la nature au sein de cette organisation internationale, pense que l’absence de consensus des parties sur la question des financements à la COP16 constitue un « effet néfaste sur l’atteinte des objectifs de la Convention sur la diversité biologique ».
Selon lui, « l’absence d’un cadre de financement est un enjeu qui pourrait ne pas faciliter la coordination dans la mobilisation des ressources. Mais aussi, est-ce qu’on a vraiment besoin d’un nouvel instrument de financement, ou alors on renforce ce qui existe déjà ? Est-ce que morceler les instruments va nous aider à avancer avec la mobilisation des ressources ? Je ne pense pas. J’ai l’impression que, plus nous augmentons des instruments de financements, plus les financements ne seront pas consolidés même au niveau national », a-t-il indiqué.
Pour garantir une meilleure conservation des espèces menacées de disparition comme le préconise l’étude, il suggère que les stratégies de conservation de la biodiversité soient intégrées dans les politiques de développement pour garantir une meilleure protection des espèces menacées d’extinction. « Si nous voyons la protection de la biodiversité comme la fondation du développement durable, cela va changer le narratif. Ce que nous oublions souvent, c’est que la protection de la biodiversité bénéficie au développement en termes de différents services écosystémiques, la production agricole, la sécurité en eau, les moyens d’existence, etc. ».
Image de bannière : Grenouille fantôme de la montagne de la Table (Heleophryne rosei). Image de Oliver Angus via Wikimedia.
Citation :
Senior, R. A., Bagwyn, R., Leng, D. et al. (2024). Global shortfalls in documented actions to conserve biodiversity. Nature, 630, 387–391 https://doi.org/10.1038/s41586-024-07498-7.
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