Nouvelles de l'environnement

Eric Cantona Ndonmou: «Les systèmes agroforestiers à base de caféiers et de cacaoyers recolonisent les espaces et renforcent les capacités des savanes humides de l’Ouest du Cameroun »

Eric Cantona Ndonmou, Agroforestier, environnementaliste à l’université de Dschang (Cameroun).

  • Une agroforêt, aussi appelée système agroforestier, est une forêt dont la composition faunistique et floristique est gérée par la population humaine locale.
  • Les cacaoyers et les caféiers sont deux espèces originaires des sous-bois, et l'ombrage des autres espèces associées leur est donc naturellement favorable, tout comme la matière organique qu'elles leur apportent.
  • Les savanes humides d'altitude de l'Ouest du Cameroun offrent une grande diversité de reliefs. Leur végétation, modifiée par l'homme, est une mosaïque de cultures et de petits îlots forestiers (forêts sacrées, forêts galeries, etc.).
  • L'ouest du Cameroun est dominé par les Hauts-Plateaux, et comprend le massif le plus haut de toute l'Afrique de l'Ouest : le mont Cameroun, qui culmine à 4 070 mètres, c'est le neuvième sommet du continent africain.

La biodiversité est un enjeu crucial pour la conservation des écosystèmes au Cameroun. La contribution des systèmes agroforestiers, notamment ceux intégrant des cacaoyers et des caféiers à la préservation de la biodiversité végétale, est un sujet d’une importance capitale dans le contexte actuel de dégradation des écosystèmes.

Les cacaoyers et les caféiers sont deux espèces originaires des sous-bois, et l’ombrage des autres espèces associées leur est donc naturellement favorable, tout comme la matière organique qu’elles leur apportent.

Ces agroforêts permettent, non seulement de maintenir une richesse floristique, mais aussi de soutenir les interactions écologiques essentielles entre les différentes espèces, contribuant ainsi à la résilience des écosystèmes à l’ouest du Cameroun.

Pour l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA), il apparaît que l’importance des agroforêts dans la conservation de la biodiversité végétale ne se limite pas seulement à leur impact environnemental. Elles offrent également des avantages socio-économiques aux communautés locales, en leur fournissant des ressources durables et en favorisant la sécurité alimentaire.

Dans ce sens, cet institut a réalisé une étude dans 7 villages (Bamengui, Ngwatta, Machoutpou, Medima, Maheutchou, Bandounga et Fomopea), des savanes humides d’altitude de l’Ouest du Cameroun qui, démontre que des pratiques agroécologiques offrent une grande diversité de reliefs. Leur végétation, modifiée par l’homme, est une mosaïque de cultures, de tapis graminéens et de petits îlots forestiers (forêts sacrées, forêts galeries, etc.). Dans cet entretien, l’agroforestier et environnementaliste, Eric Cantona Ndonmou de l’université de Dschang, revient sur les résultats de  cette étude et les enjeux des systèmes agroforestiers.

Mongabay : Quels sont les indicateurs qui vous ont poussé à mener cette enquête ?

Ndonmou : Nous avons constaté que les savanes sont des écosystèmes, où à l’état naturel, la végétation, en plus d’être moins dense, n’est pas très diversifiée, et avec la pression démographique, certaines activités anthropiques dépendant elles-mêmes des besoins des populations, influencent souvent négativement sur la végétation en termes de nombre d’espèces et en termes de densité (nombre d’individus par espèce sur une superficie donnée)

Mongabay : De quoi doivent tenir compte les stratégies de conservation de la biodiversité végétale dans les savanes humides ?

Ndonmou : De façon très simple, la définition des stratégies de conservation de la biodiversité végétale dans les savanes humides doit tenir compte des besoins des populations locales au préalable.

Mongabay : Comment s’explique cette influence négative ?

Ndonmou : Cette influence négative pouvant s’expliquer par le fait que les populations soient obligées de prélever, dans le «milieu naturel», les produits à l’exemple des écorces, des troncs et branches d’arbres, des lianes, des fruits, qu’elles utilisent comme bois d’œuvre dans la construction des bâtiments et des ponts, comme bois de chauffe pour cuire les aliments, comme outils de travail dans l’artisanat ou dans la pharmacopée traditionnelle. Cette pression vient ainsi s’ajouter à l’urbanisation et aux pratiques agricoles telles que le Brûlis, le maraîchage et la monoculture qui réduisent significativement le niveau de diversité végétale dans ces milieux.

Mongabay : Êtes-vous en train d’affirmer que l’Agroforesterie se positionne comme un outil indispensable et incontournable dans la gestion et la conservation de la biodiversité, surtout en zones de savanes ? 

Ndonmou : En effet, il s’agit d’une pratique agricole associant soit les arbres aux cultures, soit les arbres aux animaux, soit toutes ces trois composantes à la fois dans la même parcelle. Ce qui permet d’exploiter même efficacement l’espace dans les zones, où les conflits liés au foncier sont très récurrents.  Or, ces types de systèmes agricoles sont le plus souvent très complexes dans la mesure où les producteurs y associent généralement plusieurs espèces souvent issues des régions différentes pour subvenir à leurs besoins. Les espèces qu’ils y associent, pendant la mise en place du système, viennent ainsi compléter celles qui se trouvaient déjà dans le milieu naturel et augmentent le nombre d’espèces dans l’espace, ainsi que les densités par espèce. En plus, le fait qu’ils maintiennent dans leurs systèmes, des espèces comme les Albizia qui assurent à la fois l’ombrage aux autres grâce à leur houppier (ensemble des branches et des feuilles) et contribuent à la restauration de la fertilité du sol, cela crée un microclimat qui évite l’assèchement des jeunes plantes et bénéficie à certaines espèces (Iroko, Ayous, etc) qui poussent de façon spontanée sous la canopée, augmentant une fois de plus le nombre d’espèces et le nombre d’individus.

Mongabay : Qu’elle en est la résultante ?

Ndonmou : La présence de toutes ces espèces dans les parcelles permet aux producteurs de prélever ce dont ils ont besoin dans leurs propres parcelles, ils les remplacent d’ailleurs dans le temps pour rajeunir leurs systèmes, ce qui contribue à préserver les espèces du milieu naturel, diminuant ainsi la pression qui pèse sur elles. C’est le cas dans les savanes humides de la région de l’Ouest où les producteurs développent de plus en plus les agroforêts à base de cacaoyers et à base de cacao-café, qui sont des systèmes très complexes, intégrant de nombreuses espèces aux multiples rôles et qui permettent au paysage de ces savanes d’évoluer vers les paysages propres aux zones forestières. Ils y prélèvent les fruits, le bois de chauffe, le bois d’œuvre, les écorces, les amandes, les gousses, qui répondent directement à leurs besoins. Ce que la monoculture, par exemple, ne peut pas permettre.

Mongabay : Quelles sont les grandes conclusions de votre étude ?

Ndonmou : Les travaux que nous avons menés dans ces régions démontrent que grâce aux systèmes agroforestiers qui y sont développés, certaines espèces inscrites sur la liste rouge de l’IUCN comme le Vitelleria Paradoxa (très prisée par les populations et subissant des pressions énormes du fait de ses amandes qui produisent une huile aux vertus importantes), y sont conservées et leur domestication dans les parcelles pourrait, avec l’appui des organismes qui œuvrent en faveur de la biodiversité végétale, permettre une plus grande multiplication de ces espèces menacées d’extinction. C’est dire en somme que la promotion et la valorisation de l’agroforesterie auprès des populations, à travers la mise en œuvre dans ces zones, de plusieurs mécanismes, comme ceux spécialisés dans le paiement des services écosystémiques (la REDD++), demeurent les stratégies les plus efficaces qui peuvent contribuer considérablement à la conservation de la biodiversité dans les savanes humides.

Mongabay : Pour conclure, que conseillez-vous aux Etats pour une meilleure conservation ?

Ndonmou : Les gouvernements doivent définir de meilleures stratégies de promotion de l’agroforesterie ou d’incitation à l’intégration des arbres dans les habitudes et les suivre. L’Etat du Cameroun avait développé une stratégie qui consistait à distribuer les plants de cacaoyers et de caféiers gratuitement aux producteurs pour les encourager à renouer avec ces cultures dans le cadre de la relance des cultures pérennes au Cameroun. Cette stratégie avait créé beaucoup d’engouement auprès des agriculteurs des savanes humides particulièrement. Mais, malheureusement, il n’y a pas eu de suivi, beaucoup se sont découragés et les résultats escomptés n’ont pas été atteints. Ils doivent promouvoir la transformation et la consommation locales des produits issus des systèmes de production, ce qui valorise un peu plus les efforts des producteurs à travers les prix d’achat de leurs différents produits qui flambent, et cela renforcera chez les populations la compréhension de l’utilité de la biodiversité et, par conséquent, l’intérêt qu’elles auront en les conservant et en les multipliant.

Image de bannière : Eric Cantona Ndonmou, Agroforestier, environnementaliste à l’université de Dschang (Cameroun). Image de Géraud Wilfried Obangome pour Mongabay.

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