- Passionné par l’agriculture dès son jeune âge, le jeune togolais Jean-Charles Sossou a fait de la vulgarisation des pratiques agroécologiques son cheval de bataille, afin de répondre aux défis de la dégradation des sols et d’une alimentation saine.
- Il a lancé depuis quelques années une initiative dénommée « Ecole paysanne d’agroécologie (EPA) » au travers de laquelle il a déjà formés des milliers d’agricultures et techniciens agricoles.
- L’application des pratiques agroécologiques qu’ils enseignent permet déjà de restaurer des sols, d’augmenter la production agricole, de lutter contre les effets du changement climatique et de créer des emplois pour les alumni de son Ecole itinérante, qui constituent désormais un pool de formateurs.
- L’impact de ces actions lui a valu plusieurs prix, dont le Trophées Initiatives Climat Afrique Francophone (ICAF), en 2023. Jean-Charles Sossou est aussi à la quette d’un appui financier et technique pour pérenniser son initiative.
Samedi, 31 août 2024 vers 08 heures du matin, alors que le soleil éclairait Kpimé Séva dans la commune de Kloto 2 situé au nord-ouest du Togo, avec ses premiers rayons, le motocycliste qui nous offre son service depuis la ville de Kpalimé foulée la veille, s’immobilise. Nous voici à l’entrée du Centre de formation en agroécologie ‘‘ELIKEM’’ où nous attendait visiblement depuis quelques moment, Jean-Charles Sossou, patron des lieux. « Miawoezon », dit-il avec sourire en langue locale Ewe, pour nous souhaiter la bienvenue dans son centre, qui constitue, pour lui, à la fois une « université » mais aussi une « chapelle », où il « prêche » les pratiques agroécologiques.
« Merci de venir nous visiter dans notre centre, qui nous sert de cadre d’expérimentation des pratiques agroécologiques, de laboratoire d’essai, mais aussi d’incubation de jeunes entrepreneurs agricoles. Vous seriez venu une semaine plus tôt, vous auriez rencontré des jeunes dont certains sont venus des pays étrangers, dans le cadre de la première édition du Camp Agroécologique & Forum Environnemental (CAFE). Ici, aussi, nous prêchons l’agroécologie à tous ceux qui nous visitent », explique-t-il.
Evangéliste de l’agroécologie
Jean-Charles Amégnona Sossou, est un jeune Togolais de la trentaine. Agronome de formation, il est le président de Eco-Impact, une association de développement qu’il a créé, il y a quelques années, avec d’autres jeunes, afin de contribuer à la protection de l’environnement, la conservation de la biodiversité et à la diffusion/promotion de l’agroécologie.
Agroécologiste « engagé et confirmé », il est passionné par l’agriculture dès son jeune âge. « Cet amour a existé depuis mon enfance, mais s’est renforcé au fur à mesure que le temps passe. Ma chance est d’avoir eu des parents passionnés de l’odeur naturel des champs, d’agriculture et d’élevage et des frères et sœurs qui aimaient faire le jardin potager et horticole à la maison. En grandissant, j’ai pu m’orienter dans les écoles d’ingénierie agronomique, notamment à l’Ecole supérieur d’agronomie (ESA) à l’université de Lomé puis aussi renforcer mes connaissances à travers le bénévolat dans des associations et ONG », confie-t-il.
Il doit aussi cette passion, non seulement à ce contact précoce avec la nature, mais aussi à sa proximité avec des défenseurs de cette pratique agricole. « Sur ma route, j’ai été très tôt en contact avec le monde rural, en contact avec la nature (Champs et forêts), avec des livres en agroécologie ; en contact avec des engagés de grands noms en agroécologie au Togo et d’Afrique, de l’Europe et d’Amérique latine, qui m’ont fait découvrir en profondeur l’agroécologie », dit-il.
Pour lui, « l’agroécologie est une agriculture respectueuse de l’environnement, qui ne fait pas recours ou presque pas aux intrants chimiques, et qui prend soin de la santé animale et humaine, et qui valorise au mieux la biodiversité culturelle, la biodiversité alimentaire en faisant appel aux bonnes pratiques culturales, aux technologies et aux biotechnologies inspirées des processus écologiques ».
L’agroécologie, soutient-il, permet d’« améliorer la fertilité des sols et les rendements agricoles, de garantir une nutrition saine permettant d’éviter les intoxications pouvant résulter de l’usage des intrants chimiques».
« Je le clame toujours partout où j’en ai l’occasion, et à la limite, je le prêche quand j’en ai l’opportunité, que ce soit dans des ateliers, cadres de discussions formelles comme informelles, dans les émissions, et autour de moi, bref partout où je vais. A l’époque actuelle, la meilleure solution, mieux le choix optimum en agriculture reste l’agroécologie. C’est le système de production agricole par excellence, qui garantit des produits sains et une saine nutrition. Si nous refusons d’opter pour l’agroécologie, nous allons tout droit vers un chaos en termes d’insécurité alimentaire et de disparition de nos ressources, et surtout de la biodiversité avec l’utilisation excessif des produits chimiques », dit-il.
A l’école paysanne agroécologique
Il a ainsi fait le choix d’être un évangéliste de l’agroécologie. « Charles Sossou, c’est à la limite un évangéliste de l’agroécologie (rire). Depuis quelques années que je le connais et collabore avec lui, il ne manque aucune occasion de parler de l’agroécologie, même hors de nos frontières », témoignent Alexandre Pitassa, Ingénieur agronome et Chef division Agriculture durable et protection de l’Environnement à l’ONG ‘‘Centre d’Action pour le Développement Rural (CADR) basé à Kouma-Konda, une localité située à environ 125 km au nord-ouest de Lomé, la capitale du Togo.
Il n’en fait pas seulement une prédication comme dans une « chapelle », et n’en parle pas que théoriquement. De fait, Sossou a initié, depuis 2021, une école itinérante qu’il a baptisée « Ecole paysanne agroécologique » (EPA) pour la récupération et la restauration des sols, et pour promouvoir une alimentation saine. Son objectif est de contribuer à restaurer les sols, augmenter la production agricole, assurer la sécurité alimentaire et garantir une alimentation saine.
« EPA, c’est un cadre de rencontre de paysans, de jeunes, d’étudiants désireux d’apprendre ou d’approfondir leurs connaissances sur des techniques ou pratiques écologiques en agriculture et en élevage », indique l’évangéliste de l’agroécologie.
L’EPA, précise-t-il, est « une formation collaborative à la carte, un atelier paysan, une école paysanne indépendante de partage de savoirs et de savoir-faire paysans pour un sol sain et une alimentation saine avec des approches basées sur l’Andragogie et l’Edutainment ».
De fait, l’Ecole itinérante créée, offre aux participants/bénéficiaires plusieurs modules de formations. « Le programme de l’EPA aborde des thématiques sur la gestion durable des terres et des forêts, la fertilisation des sols, la gestion efficace des nuisibles, la conservation de la biodiversité, des modules de production et d’utilisation des biointrants, la gestion durable de l’eau (bio-irrigation), l’agroforesterie et la conservation des semences, la gestion post-récolte ( transformation et conservation des produits agricoles), l’élevage amélioré, l’accès des produits sains et agroécologiques à un marché durable, et aussi bien et des biodigesteurs mobiles pour avoir du biogaz et du digestat pour améliorer le sol », dit Sossou.
Pour cette école, Sossou en plus de ces ressources propres, bénéficient d’un appui financier et technique de l’Alliance pour la Souveraineté Alimentaire en Afrique (AFSA).
Faire des disciples agroécologistes
Quand il s’installe avec son école dans une localité, au-delà de divulguer les bonnes pratiques agroécologiques, Sossou se fixe un second objectif, celui de créer in situ « un pool des formateurs endogènes et d’acteurs du domaine agricole et environnemental sur les pratiques innovantes en agroécologie, en agriculture organique régénérative et en permaculture ».
« Une fois formés, ils deviennent à leur tour des leaders agroécologistes de relais de leurs zones et communautés. Nous les outillons de manière à pouvoir organiser et partager des acquis et des connaissances avec ses pairs paysans. Pour nous, il s’agit en quelque sorte de créer des disciples agroécologistes partout. C’est aussi un programme de sensibilisation qui s’inscrit dans une logique de développement des compétences, pour répondre à des besoins exprimés par les paysans, des coopératives agricoles, les agro-entreprises », explique Sossou.
Ainsi, ce jeune togolais a l’ambition de contribuer à l’émergence et à la reconstruction de l’identité paysanne, et à promouvoir des exploitations familiales pour un développement humain durable.
« Les objectifs de cette initiative sont de contribuer à la sécurité et à la souveraineté alimentaire à travers la gestion durable des terres, et de renforcer la résilience des populations face aux changements climatiques. En initiant l’école, l’idée aussi derrière est d’améliorer progressivement la compréhension des paysans sur l’agroécologie, afin de mieux couvrir leurs besoins et de générer des revenus », dit-il.
L’EPA sert aussi de centre de ressources pour recenser, collecter et cartographier les bonnes pratiques auprès des agriculteurs, des éleveurs ; des pratiques dans chaque zone, afin de mieux les expérimenter, les révéler et mieux les valoriser selon chaque zone et les adapter dans d’autres zones ou le besoin y sera et en même temps les outiller sur les bonnes pratiques.
« Lors de chaque formation, nous mettons un point très important sur la santé du sol pour une production à long terme, et nous expliquons comment les intrants organiques tels que les bioprotecteurs et les biofertilisants peuvent, non seulement enrichir le sol, mais aussi réduire la dépendance aux produits chimiques coûteux et parfois dangereux. Chaque formation est aussi une opportunité pour apprendre des participants. Ils partagent leurs expériences, posent des questions pertinentes, et ensemble, nous trouvons des solutions adaptées à leurs réalités locales », confie Satigou Wénépo Mondo, Président et animateur principal des formations sur les pratiques agroécologiques du Club Intrant Organique des étudiants, à l’Institut National de formation Agricole (INFA) de Tové (localité située à 111 Km au nord de Lomé), et collaborateur de Sossou.
Restauration des sols et hausse de production grâce à l’EPA
Démarré en 2021, avec une première session au centre Elikem à Kpimé-Séva dans la commune de Kloto 2, dont Sossou, s’en souvient, avec quelque trentaine de paysans, l’EPA a, jusqu’à ce jour, permis de former un peu plus de 2000 paysans.
« De 2021 à 2023, nous avons enregistré, sur ce programme, environ 1500 paysans et paysannes formés en agroécologie qui ont en moyenne 1/ 4 ha de superficie chacun(e). En cette année 2024, nous avons déjà formé près de 450 paysans », dit-il.
Et l’évangéliste de l’agroécologie n’aurait pas prêché en l’air, d’après une évaluation post formation effectuée par son association Eco-Impact.
« Sur les bonnes pratiques vulgarisées, les paysans ont maitrisé et adopté au moins trois. Sur ces pratiques, on peut noter des pratiques sur la conservation de la biodiversité, notamment la conservation naturelle des arbres, le reboisement, la Régénération Naturelle Assistée (RNA), des cordons pierreux/bandes enherbées, la gestion de l’eau dans les exploitations (Zaï, demi-lune etc.), l’usage de fumier, l’utilisation du compost et l’enfouissement des résidus de récolte et des feuilles d’arbustes, l’agroforesterie, l’association et la rotation de cultures, le paillage, la production et l’utilisation du biochar, des biofertilisants solides et liquides et des bioprotecteurs », confie Tata Matey Mathey, agroécologiste et collaborateur de l’évangéliste.
Sur le terrain, Kodzo Aristide Amevor, gestionnaire de la ferme agricole « Les Rôniers » installé à Agou, à environ 115 km, au nord de Lomé, tout comme d’autres paysans formés à l’EPA, témoigne de l’impact positif de ces formations.
« Ces formations m’ont été très utiles dans la mesure où elles me permettent déjà de produire en apportant à mes cultures des matières organiques que nous avons appris à produire et en organisant des formations adaptées aux critères de l’agroécologie. Aujourd’hui je partage les connaissances avec d’autres producteurs de ma communauté, et nous, tous, observons les changements sur nos sols et la production », témoigne-t-il.
Comme Kodzo, Sakpa Mawumalo, paysan installé à Blifou (Commune Kloto 3), et contrôleur interne au sein de la coopérative Zanzintor, parvient à augmenter ses revenus en tant qu’agriculteur et aussi désormais, formateur endogène après son initiation à l’agroécologie à l’EPA.
« Cette formation me permet de gagner plus d’argent, d’améliorer mes rendements et d’éviter catégoriquement l’utilisation des intrants chimiques. L’Ecole Paysanne Agroécologique pour un sol sain et une alimentation saine, m’a permis d’apprendre à fabriquer et utiliser les engrais organiques et biologiques, solide et liquide, et des insecticides bio, dont je me sers pour le traitement des cultures agricoles dans mon champ et dans les champs des autres paysans de notre milieu et d’autres membres de notre coopérative », dit Sakpa.
Agricultrice installée à Sanda Kagbanda, dans la préfecture de la Kozah au nord du Togo, dame Akiza Gnassingbe exprime son satisfecit concernant des retombées positives de la mise en pratique des formations reçus lors de l’EPA à Kara.
«Par le passé, nous dépensons beaucoup dans notre Coopérative pour acheter de l’engrais chimique alors que nous pouvons produire de l’engrais naturel en nous servant de choses qui sont à la portée de nos mains, à côté de nous. Et cela à l’avantage de nourrir et protéger nos sols au lieu de les détruire. Grâce aux formations, nous avons appris à produire nous-même les engrais naturels et les bioprotecteurs. Quand j’ai essayé les engrais organiques et biologiques, j’ai eu, non seulement un bon rendement, mais aussi des cultures de meilleure qualité. J’ai divisé le champ en deux parties sur les conseils de M. Jean-Charles, et j’ai constaté moi-même la différence entre la partie où l’engrais chimique a été utilisé et celle où les engrais organiques et biologiques ont été utilisés. Elle est nette », dit-elle avec joie.
Sossou a aussi formé les agents des structures publiques en charge de l’accompagnement des agriculteurs. « J’ai eu à travailler avec M. Sossou, c’est à dire que j’ai suivi certaines de ses formations sur les pratiques agroécologiques, et à mon tour, j’ai formé au moins 150 personnes pour 8 coopératives et 15 techniciens agricoles de l’ICAT qui, à leur tour, transfèrent ces techniques aux producteurs », déclare Agba Pidezewè, Conseiller technique en gestion d’exploitation agricole à l’Institut de Conseil et d’Appui Technique (ICAT) de Kara au nord du Togo.
Des reconnaissances
L’impact de l’engagement et des actions de Sossou à promouvoir l’agroécologie, est reconnu par différents acteurs et organismes de développement. En 2022, avec son association Eco-Impact, il a été primé aux 6ème Trophées Initiatives Climat Afrique Francophone (ICAF) pour sa promotion des pratiques agroécologiques au Togo et dans la sous-région ouest africaine à travers son initiative « Ecole Paysanne Agroécologique ».
En début de cette année 2024, grâce à l’EPA, il a été primé pour son engagement remarquable en faveur de l’environnement lors de la sixième édition de Togo Top Impact. Au cours de la même année, Sossou a aussi reçu le prix de Meilleur Projet/Programme National de promotion de l’Agriculture Écologique et Biologique, au Togo. Ce dernier trophée lui a été décerné à la clôture de la 3e édition de la Foire et Conférence du Consommons Bio et Bio Local.
Ces prix viennent ainsi confirmer l’impact des actions de Jean-Charles Sossou, pour l’environnement, et le développement durable. Et ceci le motive malgré les difficultés dont il fait face dans la promotion des pratiques agroécologiques.
Image de bannière : Une session pratique de production de compost à l’Ecole Paysanne Agroécologique animée par Jean-Charles Sossou, à Lavié. Image de l’association Eco Impact avec son aimable autorisation.
Feedback : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.