- Une étude réalisée au sud du Bénin, dans la basse vallée de l’Ouémé indique que les populations ont une perception négative vis-à-vis des crocodiles.
- Plusieurs actions humaines dans la région vouent ces reptiles à un lendemain incertain.
- La conservation de ces animaux requiert l’adhésion de différents acteurs, pour que les crocodiles ne disparaissent pas des zones humides de la vallée de l’Ouémé et d’autres régions du Bénin.
Une étude expose les menaces qui pèsent sur les crocodiles dans les zones humides, notamment dans la basse vallée de l’Ouémé au sud du Bénin. Obakèmi Jean-Pierre Olofindji, Chargé des programmes et du développement communautaire à Together for Environment and Community Wellness (TECW-NGO) et auteur de l’étude, a expliqué que cette vallée, réputée riche en biodiversité, abrite trois espèces de crocodiles, que sont le crocodile nain (Osteolaemus tetraspis), le crocodile d’Afrique de l’Ouest (Crocodylus suchus) et le crocodile à bec fin d’Afrique (Mecistops cataphractus). Il dit à Mongabay avoir compris, à l’issue de l’étude publiée en août 2024, dans la revue Global Ecology and Conservation, que les communautés ont une perception négative de ces reptiles. « Pour elles, ce sont des animaux négatifs, qui détruisent les pirogues et autres. Les crocodiles n’ont aucun rôle à jouer dans l’environnement et doivent disparaitre ».
Les recherches lui ont permis de comprendre, que ces populations n’ont pas d’informations sur les rôles des crocodiles dans l’environnement. Selon lui, 90 % des personnes interrogées ont une perception négative des crocodiles, les considérant comme nuisibles. Par contre, 10 % de personnes appartenant principalement au groupe ethnique Xwla, perçoivent les crocodiles comme inoffensifs et bénéfiques. Pour Olofindji, cette perception positive découle du fait que « les Xwla soutiennent qu’entre temps, il y a un crocodile qui les avait aidés à traverser un cours d’eau ». Ils considèrent les crocodiles comme un sauveur, et les perçoivent comme des gardiens spirituels.
Outre les Xwla, les adeptes de Vodoun ne voient pas le crocodile comme un animal dangereux. « Fuyant des ennemis pendant une guerre, les Xwla se sont retrouvés en face d’une rivière qu’ils doivent impérativement traverser. Ils se lamentaient quand, soudain, un géant crocodile survint à la surface de l’eau et leur offre son dos qui leur a servi de pont pour traverser la rivière et avoir la vie sauve.
Depuis ce jour, les Xwla se sont promis de ne pas faire du mal à ce reptile qui leur a permis de traverser cette rivière pour échapper à l’ennemi. Le crocodile est depuis lors le totem des Xwla. Un Xwla ne tue pas un crocodile, il le vénère », témoigne Coovi Marcelin Tonèhessi, pêcheur Xwla rencontré à Godomey, un arrondissent de Abomey-Calavi, une commune à la périphérie nord de la ville de Cotonou. Ce respect voué aux crocodiles, ils le doivent au guide de la troupe qui, après avoir traversé la rivière, lança des paroles sacrées : « mes descendants n’ont pas le droit de faire du mal à un crocodile. Depuis lors, c’est devenu une divinité de la communauté Xwla », ajoute Zangan Monsi Déhoudé Klounon, à l’état civil Vivien Kouwatonou, chef des gardiens de nuit, appelé “Zangbéto“, de la communauté Xwla de Godomey.
Hormis les Xwla et les adeptes de Vodoun, la règlementation en vigueur au Bénin protège les crocodiles. Selon Dr Nathalie Gnanki Kpéra, Maître de Recherche en écologie appliquée à l’université d’Abomey-Calavi et Vice-présidente pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre des spécialistes en études sur les crocodiles de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le crocodile de l’Afrique de l’Ouest, observé dans les rivières, mares et retenues d’hydrauliques pastorales au nord du Bénin en majorité, et également au sud ; et le crocodile nain observé surtout au sud, avec quelques rares individus conservés dans les forêts galeries, ne peuvent pas être chassés.
Ces espèces sont protégées par la loi n°2002-16 du 18 octobre 2004 portant régime de la faune en République du Bénin et la loi n°2021-04 du 08 juillet 2021 portant protection et règles relatives au commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction.
Rôle du crocodile dans l’écosystème
Chaque être vivant joue un rôle crucial dans l’environnement. Olofindji explique que « les crocodiles, dans un écosystème, sont la preuve que cet écosystème est en bonne santé et qu’il n’est pas pollué. Les crocodiles mangent les poissons, mais épargnent aussi les populations des prédateurs des poissons. Lorsqu’ils sortent des cours d’eau pour se reposer, ils créent des petits trous qui deviennent des habitats pour les poissons, les amphibiens et pour d’autres micro-organismes ». En dehors de ces rôles, poursuit-il, « les crocodiles nettoient les fonds des cours d’eaux. Si un animal meurt et se retrouvent au fond de l’eau, le crocodile peut consommer la dépouille de cet animal ».
Parlant du rôle vital du crocodile dans le maintien des écosystèmes aquatiques, Dr Kpéra souligne que ces reptiles « sont essentiels au maintien de la diversité et de la productivité des zones humides. Ils maintiennent une population aquatique saine en se nourrissant des poissons malades, ce qui permet aux poissons sains de se régénérer et de croître sans concurrence ni risque de maladies contradictoires ». Les crocodiles, a-t-elle dit, empêchent la domination d’une seule espèce de poissons. Aussi, les excréments des crocodiles servent d’aliments nutritifs aux poissons.
Par ailleurs, « pendant la saison sèche, les crocodiles ont la capacité de creuser les points d’eau jusqu’à atteindre la nappe phréatique et de faire jaillir l’eau. C’est pour cette raison que les populations du nord Bénin affirment “qu’une mare à crocodiles ne tarit jamais” », précise-t-elle.
Le déclin des populations de crocodiles
Nombreuses sont les actions humaines, qui nuisent à la survie des crocodiles. Pour Olofindji, le déclin des populations de crocodiles dans la région est principalement attribué à l’agriculture. Car, dit-il, l’augmentation des populations fait que beaucoup d’habitats de ces animaux sont menacés. Dans la plupart des cas, les populations détruisent les habitats pour l’agriculture. Et les pratiques agricoles réduisent les sites de ponte des crocodiles et augmentent la pollution. A cela, il faut ajouter le braconnage et l’extraction de sable.
Aussi, Olofindji a confié que les crocodiles sont utilisés pour la consommation et la médecine traditionnelle. Certaines parties du crocodile sont censées posséder des propriétés médicinales, mystiques et pourraient remédier à divers maux. Olofindji a clarifié que les utilisations traditionnelles des crocodiles ne se limitent pas au Bénin. Les crocodiles sont également utilisés à Madagascar pour fabriquer des produits de guérison ou des potions magiques, en République du Congo et dans de nombreux autres pays.
Stratégies de conservation
Les avis sont partagés s’agissant des stratégies de conservation des crocodiles dans le contexte de menace permanente de leur habitat. Olofindji pense que « la solution, c’est la création des aires protégées pour espérer sauver cette biodiversité, qui est en train d’être détruite ».
Maximin Djondo, Directeur de Bénin Environment and Education Society (BEES ONG), basé à Porto-Novo, la capitale du Bénin, spécialisé dans la conservation des espèces de faune et de flore des zones humides, fait des actions dans la vallée de l’Ouémé, faisant partie du site Ramsar 1018. Il pense que le premier problème à résoudre, c’est d’arriver à freiner la forte dégradation des habitats des crocodiles. Pour lui, « les élus locaux doivent comprendre que la loi leur donne autorité sur la gestion des ressources naturelles, qui sont sur leur territoire ». « Plusieurs fois, nous avons eu des alertes de crocodiles dans un bas-fond, dans la commune de Sèmè-Podji, une ville voisine à Porto-Novo. Malheureusement, ce bas-fond appartient à un privé. Avant de se rendre sur ce site, il faut lui demander la permission. L’autre drame est que les reliques, où se trouvent des crocodiles, appartiennent à des individus », déplore-t-il.
Olofindji pense qu’il faut des sensibilisations. Ce qui, selon lui, pourra changer la mentalité des populations et les amener à avoir une autre perception des crocodiles. De même, il faut accroitre la connaissance des communautés locales sur la faune, la biodiversité et leur montrer qu’il est important de les protéger. « Nous avons eu des cas où des crocodiles ont été piégés. Après des alertes, nous nous sommes rendus sur les lieux pour les libérer, suite aux sensibilisations », a dit Djondo à Mongabay.
A travers les actions de l’ONG, poursuit ce dernier, certains ont compris que la chasse à ces crocodiles est une activité prohibée. D’autres personnes font cette chasse par ignorance. La prise de conscience, pour la protection des crocodiles, commence par gagner les esprits. Optant aussi pour la sensibilisation, et ciblant la jeunesse sur l’importance du rôle des crocodiles dans les écosystèmes et dans la préservation de la biodiversité, Dr Kpéra pense que des sanctions sévères devront suivre si les lois protégeant ces animaux ne sont pas respectées, pour décourager les braconniers.
Pour des actions pérennes de préservation des crocodiles, Tonèhessi plaide pour le reboisement et la protection des zones humides. Ainsi, la faune qui y séjourne va se sentir en sécurité. A l’endroit de ceux qui tuent les crocodiles, Djondo, pense qu’il faut les convertir en guide touristique et développer avec leurs femmes et enfants des activités génératrices de revenus autour de l’animal pour qu’ils sachent qu’il profite à leur famille.
Image de bannière : Une petite espèce de crocodile. Image de Yinan Chen via Wikimedia.
Citation : Olofindji, 0. J-P. (2024). Crocodiles of the Ouémé lower valley in Southern Benin: Local perceptions, uses and conservation challenges, Global Ecology and Conservation, Volume 54, e03172. https://doi.org/10.1016/j.gecco.2024.e03172.
FEEDBACK : Utilisez ce formulairepour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.