- L’Anthropologue britannique Simon Hoyte a exploré dans un récent article publié dans le journal People and Nature, la philosophie de ce peuple minoritaire du bassin du Congo et ses liens historiques avec la forêt, un espace qui lui est indissociable en raison de son abondante richesse.
- Les peuples forestiers ont été contraints à la sédentarisation depuis l’époque coloniale, et interdits d’accès dans les forêts, pour des besoins de création des aires protégées ou pour l’exploitation forestière.
- Les Baka du Cameroun soutiennent que la solution pour préserver la forêt est de donner aux communautés plus d'accès à celle-ci.
- Le gouvernement autorise progressivement leur accès dans les aires protégées à travers la signature d’accords réciproques, grâce au plaidoyer de la société civile.
Les Baka, une ethnie de chasseurs-cueilleurs que l’on retrouve au sud-est du Cameroun, au nord du Gabon et au Congo-Brazzaville, sédentarisées et vivant majoritairement dans des campements de fortunes, sont indissociables de la forêt. L’Anthropologue britannique Simon Hoyte, chercheur au département d’anthropologie et au sein du groupe de recherche Extreme Citizen Science de l’University College of London (Angleterre), soutient que chez les Baka du Cameroun, l’idéologie de partage et non de réciprocité, assure l’abondance dans les forêts camerounaises.
Répondant au courriel de Mongabay, il explique que : « Plutôt que de ‘’remercier’’ ou de faire une offrande en retour de toutes ces choses que la forêt donne (ce que l’on appelle la réciprocité), les Baka se concentrent sur la célébration de cette abondance en partageant ce que la forêt fournit entre eux, ainsi qu’avec tous les autres habitants de la zone forestière, y compris les animaux, les esprits (à la fois les esprits de la forêt et les esprits des ancêtres), et les générations futures de Baka ».
Hoyte, auteur d’une récente étude publiée dans la revue People and Nature, a séjourné pendant 8 mois, entre 2019 et 2021, au sein d’une communauté Baka du village Bemba II, situé dans la partie sud du pays. Dans cette localité de 70 âmes, qui s’étend sur environ 300 mètres le long d’une piste menant dans une concession forestière, Hoyte a étudié leur philosophie de vie et leurs liens historiques avec la forêt. Il a eu recours aux données ethnographiques qualitatives et s’est appuyée sur les connaissances approfondies de Félix Mangombe, un guérisseur indigène Baka du village Bemba II et co-auteur de l’étude. Mangombe a travaillé sur plusieurs initiatives de conservation et de culture Baka dans les régions du sud et de l’est du Cameroun. Hoyte a principalement consacré son temps à accompagner les membres de la communauté dans leurs différentes activités quotidiennes, afin de mieux comprendre leur rapport avec la forêt.
Les chercheurs déduisent que la philosophie des Baka est centrée sur l’idée que leur bien-être traduit une forêt joyeuse et abondante car, « leur joie est aussi celle de la forêt et si la forêt est joyeuse, elle est abondante ». Les Baka limitent les pratiques qui menacent l’avenir de la forêt et généralement exécutées par des étrangers, en l’occurrence les communautés locales Bantou, comme l’exploitation intensive du bois ou la chasse excessive.
Cette thèse est soutenue par Joseph Bibi, président de l’Association Sanguia Baka Buma’a Kpode (ASBABUK), une structure qui regroupe tous les Baka du Cameroun. « La forêt est pour les peuples autochtones Baka comme leur corps. C’est pourquoi nous avons l’obligation de la protéger. La forêt, c’est notre super marché, c’est notre pharmacie, c’est notre milieu de subsistance. Nous prélevons les ressources de la forêt de manière traditionnelle et durable », a-t-il dit au téléphone à Mongabay.
Les Baka, estimés à environ 40 000 personnes dans le bassin du Congo, sont repartis entre le Cameroun, la République du Congo et le Gabon, d’après l’étude, et sont une grande population de chasseurs-cueilleurs. Jadis établis dans les tréfonds de la forêt, ils ont été contraints à la sédentarisation dans les années 1950 par l’administration coloniale française du Cameroun, désireuse d’exploiter économiquement la forêt et de créer des zones de conservation et de chasse. Ils y ont été expulsés et ont trouvé refuge le long des routes forestières, induisant ainsi des changements radicaux sur leur mode de vie et leurs moyens de subsistance, avec pour conséquences l’insécurité alimentaire, la pauvreté, la mauvaise santé, l’exploitation par le travail, l’inégalité entre les sexes et la dégradation culturelle, etc.
Les Baka, gardiens et protecteurs de la forêt
L’éviction des Baka de la forêt à des fins économiques ou de conservation les met dans un mal-être permanent, les privent de l’accès aux ressources forestières, les coupent de leurs savoirs et de ce milieu qu’ils ont en partage. L’Anthropologue et Ethno-écologue Romain Duda, rattaché au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de France, qui n’a pas participé à l’étude, établit clairement un lien entre le bien-être de ces peuples et la bonne santé des forêts tropicales. Il a dit dans un courriel à Mongabay que « le bien-être des populations locales et la préservation de la biodiversité sont les deux faces d’une même pièce, l’un ne va pas sans l’autre ».
Ce spécialiste des peuples autochtones du bassin du Congo explique : « Les Baka (tout comme les Bayaka du Congo et de RCA) ont un modèle économique de chasseurs-cueilleurs, qui même s’il a changé ces dernières décennies, continue donc de dépendre fortement de la forêt. Mais si les Baka dépendent du monde de la forêt, ce n’est pas seulement pour leur l’accès à des ressources alimentaires, médicinales et des matériaux, mais aussi pour ce que la forêt représente dans leur imaginaire collectif ». « Premièrement, elle (la forêt) est un refuge face aux discriminations endurées dans les villages en bordure de routes. Ensuite, lors de déplacements quotidiens ou de séjours plus longs dans des campements temporaires, on y va pour y trouver une atmosphère, un confort, car c’est un espace que l’on sait ‘‘lire’’, où l’on maîtrise les chemins, le nom des lieux, le nom des plantes et des oiseaux », ajoute-t-il. « C’est un lieu où l’abondance de ressources permet le partage –de viande, de miel ou de chenilles, de chants et de danses– et donc la joie d’être ensemble. C’est dans ce sens que la préservation des forêts est source de bien-être. Quand la forêt est dégradée, c’est le bien-être individuel et collectif qui en est affecté. Cela montre cette interdépendance entre les humains et la forêt pour les Baka », précise-t-il.
D’après Duda, les populations locales sont encore perçues comme des obstacles à la conservation d’une nature à exclure. Ceci émane d’une vision dite coloniale et occidentale de la conservation, qui tend à séparer la nature de la culture, et encore solidement ancrée dans les pratiques du fait d’intérêts financiers et idéologiques. Au demeurant, les politiques de conservation mis en œuvre au Cameroun commencent à intégrer les peuples autochtones pour une meilleure protection des forêts et des aires protégées.
Ceci résulte de la lutte menée au cours des dernières années par la société civile, en l’occurrence le Réseau actions concertées pygmées (RACOPY), une plateforme d’organisations de défense des intérêts des peuples autochtones. Cette entité a coordonné un plaidoyer ayant abouti à la signature en février 2019, d’un mémorandum entre le ministère des Forêts et de la faune et ASBABUK, autorisant l’accès des communautés Baka dans les parcs nationaux de la Lobeke, de Nki et de Bouba-Bek, pour y mener leurs activités de chasse et de cueillette.
Elisabeth Fouda, coordonnatrice du RACOPY, a dit au téléphone à Mongabay que « cet accord leur permet d’avoir accès à ces zones réservées et d’user de leurs droits pour la collecte des produits forestiers non ligneux (mangues sauvages, M’balaka [Pentaclethra macrophylla], Djansang [Ricinodendron heudelotii]…), si possible faire la chasse, mais avec les outils traditionnels; de mener leurs activités traditionnelles pour être en contact avec leur milieu ». Ledit accord a d’ailleurs été renouvelé en septembre 2023, avec l’ajout à la liste d’une quatrième aire protégée, la Réserve de faune de Ngoyla, pour permettre aux 88 communautés Baka du Cameroun d’exercer leurs droits d’utilisation de ces espaces pour leurs besoins alimentaires en protéines animales.
Image de bannière : Un village Baka dans la réserve naturelle Dja au Cameroun. Image de Earwig via Wikimedia.
Citation:
Hoyte, S., & Mangombe, F. (2024). No thanks: How an ideology of sharing, not reciprocating,ensures abundance in the forests of south-eastern Cameroon. People and Nature, 00, 1–15. https://doi.org/10.1002/pan3.10734.
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