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Côte d’Ivoire : Adjahui, un village en péril face à l’insalubrité et à la pollution de sa lagune

Bordures lagunaires et habitations à Adjahui submergés par les déchets qui représentent une bombe pour les communautés presque sans solutions face à cette pollution. Image de Gaël Zozozo pour Mongabay.

Bordures lagunaires et habitations à Adjahui submergés par les déchets qui représentent une bombe pour les communautés presque sans solutions face à cette pollution. Image de Gaël Zozozo pour Mongabay.

  • Adjahui est confronté à une grave pollution de sa lagune, avec des bords envahis par des déchets divers et une gestion des déchets largement insuffisante.
  • La pollution a un impact direct sur la vie des habitants, notamment les pêcheurs dont les rendements ont chuté.
  • Malgré des séances de nettoyage communautaire régulières et l'utilisation limitée de ressources locales, les habitants d’Adjahui lancent un appel urgent pour obtenir des équipements de gestion des déchets et améliorer leurs conditions de vie.

Adjahui est un village situé à Abidjan, dans la commune de Port-Bouet, en bordure de la lagune Ebrié. Autrefois convoitée pour ses bords lagunaires où il faisait bon vivre, cette contrée est aujourd’hui confrontée à une crise environnementale sans précédent qui impacte fortement les populations locales. Une incursion sur cette petite île, le samedi 7 septembre 2024, a permis de mettre en lumière des graves problèmes d’insalubrité et les efforts des habitants pour améliorer leur situation, malgré un manque crucial de ressources.

Un village submergé par les déchets

L’accès au village d’Adjahui en Côte d’Ivoire se fait uniquement par des pinasses. À bord de ces embarcations locales, les signes de détérioration environnementale frappent aux yeux. Les bords de lagune sont envahis par des déchets. Des bouteilles en plastique, des sacs et divers types de détritus flottent sur l’eau, illustrant un manque de gestion des déchets.

Une fois dans le village, nous avons été dirigés, après renseignements, au foyer des jeunes, vers Jean Adomo, un leader communautaire et ancien président des jeunes du village. Visiblement heureux de notre présence dans son village, ce jeune homme d’une trentaine d’années nous a guidés chez le pasteur Kouadio Koffi, un notable en charge de la salubrité du village.

Le pasteur Koffi a évoqué l’augmentation rapide de la population, passée à plus de 120 000 habitants. Une croissance démographique, qui, selon ses propos, a aggravé les problèmes de gestion des déchets, rendant les efforts locaux presque inefficaces. « Le village était petit, maintenant le village a grandi. Nous sommes tellement nombreux que nous n’arrivons pas à maîtriser les ordures. Nous essayons avec nos petits moyens de limiter les dégâts, mais nous n’arrivons pas à couvrir tout le village. Nous avons besoin de l’aide  », a-t-il dit.

Poursuivant, le notable a expliqué que les femmes du village, avec le soutien de la chefferie, organisent des séances de nettoyage hebdomadaires chaque mardi et parfois les samedis. Cependant, cette approche est insuffisante pour faire face au volume croissant de déchets. « Nous balayons d’abord les grandes rues, nous ne sommes pas nombreux pour le moment, puisque nous n’avons pas les moyens pour engager beaucoup de personnes pour nettoyer les petites ruelles », déplore-t-il.

Les bordures lagunaires à Adjahui sont devenues un véritable dépotoir. Image de Gaël Zozozo pour Mongabay.
Les bordures lagunaires à Adjahui sont devenues un véritable dépotoir. Image de Gaël Zozozo pour Mongabay.

Les défis de la collecte des déchets

La collecte des déchets est un véritable problème à Adjahui. D’après le notable, la communauté dispose d’un tricycle et de quelques équipements offerts par la mairie de Port-Bouet, mais cela reste largement insuffisant pour couvrir les besoins du village. En outre, les sociétés de ramassage n’interviennent qu’une à deux fois par mois. À cela, s’ajoute un manque crucial de bacs à ordures. « Lorsque nous finissons de balayer, il nous manque des bacs pour stocker les déchets. Les sociétés de ramassage ne viennent pas assez souvent. Nous avons besoin de bacs à ordures et de tracteurs pour nous aider », précise-t-il.

Pour lui, le manque de bacs à ordures est la principale raison, qui pousse les habitants à se rabattre vers les bords lagunaires  pour y déverser les déchets. Déplorant ainsi l’impraticabilité de ces bords,  Adomo a expliqué pourquoi il n’y a pas d’actions concrètes pour leur entretien. « Si nous essayons de balayer les bords lagunaires, c’est énorme ce qui va sortir de là-bas, mais nous ne savons pas où stocker ces saletés. C’est pour cela que nous laissons les bords lagunaires sales. Sinon, si c’est pour mobiliser les populations, nous pouvons le faire », affirme-t-il.

Constat alarmant sur les bords lagunaires

Adomo nous a ensuite guidés pour une visite sur les bords de la lagune. Et le constat est alarmant. Des maisons en bordure de lagune majoritairement habitées par les pêcheurs sont voisines à des ordures de tout genre. Nous avons pu apercevoir des tuyaux reliant des toilettes à la lagune, et le tout est couronné par une odeur nauséabonde. Et c’est à cet endroit-là que les pêcheurs vivent avec leur famille et font leurs transactions avec les vendeuses de poissons. « Lorsque ces pêcheurs reviennent de la pêche, ils garent les pirogues aux bords, et les femmes marchent dans les saletés pour aller chercher ces poissons. Nous vivons dans la saleté », a indiqué Adomo, conscient que la pollution des bords de la lagune a un impact direct sur la santé des habitants.

Selon un médecin spécialisé en santé publique joint par Mongabay, qui a préféré garder l’anonymat, la pollution de la lagune et l’insalubrité ambiante augmentent considérablement la vulnérabilité des habitants à diverses maladies, notamment les infections cutanées, les maladies gastro-intestinales et les problèmes respiratoires. Il a ajouté que « la stagnation des eaux polluées peut favoriser la prolifération de moustiques et d’autres vecteurs de maladies comme le paludisme ou la dengue ». Ce médecin a mis en lumière l’urgence d’une intervention pour améliorer les conditions sanitaires dans le village. En revanche, un membre du personnel médical du centre de santé d’Adjahui a exprimé ses craintes de se prononcer dans les médias.

Un lieu d’échanges entre les pêcheurs et les vendeuses de poissons ; Image de Gaël Zozozo pour Mongabay.
Un lieu d’échanges entre les pêcheurs et les vendeuses de poissons. Image de Gaël Zozozo pour Mongabay.

Les populations interdites de déverser les ordures sur les bords lagunaires, mais…

Afin de limiter les effets de la pollution de la lagune, une interdiction de jeter les ordures y a été émise. C’est en tout cas ce qu’a confié Angui Anoé, l’un des responsables de la gare lagunaire, cet endroit où stationne les pinasses que l’on emprunte pour quitter ou accéder au village d’Adjahui. Cependant, cette interdiction est ignorée par les habitants, qui viennent nuitamment pour se débarrasser de leurs ordures. « Un personnel dédié à l’entretien des bords lagunaires est indispensable », dit-il.

C’est pratiquement avec un sentiment d’impuissance que les pêcheurs affichent leur situation. « L’eau est polluée. Nos enfants jouent dans ces ordures, c’est compliqué », a indiqué Lucien Enoh pêcheur.

Quant à Josué Kouamé, un autre pêcheur, il estime que seule l’installation de bacs à ordures peut permettre de résoudre ce problème. « Nous traversons des périodes très difficiles concernant la salubrité, la voie qui mène aux habitations n’est pas praticable par les camions de ramassage d’ordures, ce qui a fait que tout le bord de la lagune est devenu un dépotoir. Nous lançons un appel aux autorités pour nous aider dans ce sens. Nous voulons avoir des bacs à poubelle, afin de pouvoir éradiquer la poubelle aux bords de la lagune pour la rendre vraiment propre », a-t-il dit.

La pêche fortement victime de la pollution de la lagune

Ces conditions environnementales ont également un impact direct sur la pêche, une activité vitale pour le village. La pollution de la lagune a diminué considérablement les rendements de pêche. « Quand il y a de la saleté, les poissons ne peuvent pas survivre », dit Enoh, un pêcheur local. Mais pour Kouamé, plusieurs facteurs expliquent cette baisse de productivité au niveau de la pêche. Il a indiqué qu’en plus des ordures déversées sur les bords lagunaires du village d’Adjahui, il y a quatre grands caniveaux provenant de certains quartiers d’Abidjan qui débouchent dans la lagune. « Dans cette petite portion de la lagune, il y a près de quatre grands caniveaux qui se jettent dans la lagune. Quand il y a une grande pluie, toute la lagune est polluée. En plus de cela, il y a les poubelles que les gens jettent dans les caniveaux qui se déversent dans la lagune. Tout cela fait que le rendement a diminué ».

Le jeune pêcheur a également fait état des remblayages, affirmant que presque les trois quarts de la lagune ont été remblayés ces dernières années du fait des activités de dragage de sable et des travaux de constructions d’infrastructures utilisant des cailloux et des graviers. « L’espace que la lagune occupait il y a de cela 10 ans est aujourd’hui remblayé. Du coup, il y a une pression, la lagune est obligée de déborder là où la terre n’est pas trop montée. Donc, tout ça a une répercussion sur Adjahui », ajoute-t-il  en citant également des actions menées par des entreprises chinoises sur la lagune. « Les Chinois se promènent avec leurs dragues pour creuser partout », a-t-il dit.

Ces informations mises à nu par le jeune pécheur pourraient être citées parmi les principales raisons de la tendance baissière de la production de poissons en Côte d’ Ivoire, qui avait été évoquée par le ministre des Ressources animales et Halieutiques, Sidi Tiémoko Touré, lors d’une conférence de presse, le 26 juin 2024, à Abidjan. Une situation, qui selon le ministre ivoirien, entraine la dépendance vis-à-vis des importations de poissons qui représentent 82 % des besoins de consommation annuelle. « La production nationale de poissons est passée de 104 233 tonnes en 2016 contre 68 711 en 2020 soit une baisse globale de 34,1 % », a-t-il dit, tout en annonçant des mesures qui permettront de passer de 55 522 tonnes en 2022 à 84 000 tonnes, à fin 2025 pour atteindre 127 000 tonnes dès la fin 2027.

L’une de ces mesures a été le repos biologique des pêches marines, au titre de l’année 2024 sur la période allant du 1er juillet au 31 août 2024.

Jean Adomo exprimant ses craintes face aux ordures entassées autour de l'École Primaire d'Adjahui. Image de Gaël Zozozo pour Mongabay.
Jean Adomo exprimant ses craintes face aux ordures entassées autour de l’École Primaire d’Adjahui. Image de Gaël Zozozo pour Mongabay.

L’environnement éducatif visé : une école menacée

L’impact de l’insalubrité touche également les infrastructures éducatives du village. L’école primaire d’Adjahui, située en bordure de lagune, est menacée par l’accumulation de déchets à proximité. La clôture en grillage, fournie par le 43e BIMA (armée française en Côte d’Ivoire), avait été installée pour empêcher les élèves d’accéder aux bords de la lagune, mais elle est maintenant en train de se détériorer. Cette situation expose les enfants fréquentant l’école à des risques sanitaires accrus. Lors de notre visite, nous avons observé des enfants jouant à proximité de ces ordures, qui dégagent de fortes odeurs. « Le 43e BIMA est venu nous aider en installant une clôture pour empêcher les enfants d’accéder aux bords lagunaires. Cependant, les enfants ont endommagé la clôture, et il faut reconnaître qu’il n’y a pas eu un suivi adéquat. Nous sommes à quelques jours de la rentrée scolaire. Regardez vous-même ces ordures : les gens viennent y déféquer, et les enfants sont exposés », a indiqué Adomo. Celui-ci, a aussi expliqué à Mongabay, que des séances de nettoyage sont souvent organisées par les parents d’élèves, mais le manque de matériel, et l’absence de bacs à ordures constituent les principaux problèmes.

Les efforts locaux et les appels à l’aide

Malgré les efforts déployés par la communauté, la situation reste désespérante. Les habitants affirment avoir tenté d’organiser des nettoyages communautaires et d’explorer des solutions en collaboration avec d’autres communautés, mais sans succès notable. Les limitations financières et logistiques empêchent une gestion efficace des déchets. Le pasteur Koffi et Adomo, ainsi que les pêcheurs, ont lancé des appels urgents pour obtenir une aide extérieure. Ils souhaitent ardemment des bacs à ordures, des tracteurs pour le ramassage des déchets et une amélioration de la communication pour sensibiliser la population à la gestion des déchets. « Nous avons besoin de machines pour ramasser les ordures et d’un lieu de stockage pour ces déchets », dit Koffi.

Le besoin d’intervention urgente

La situation à Adjahui est un exemple frappant des défis auxquels sont confrontées les communautés côtières en matière de gestion des déchets et de protection de l’environnement. Les appels à l’aide lancés par les habitants soulignent la nécessité d’une intervention immédiate et coordonnée de la part des autorités locales, des organisations internationales et des partenaires au développement.

Pour répondre à cette crise, il est crucial d’apporter un soutien substantiel, notamment par la fourniture d’équipements de gestion des déchets, le financement de projets d’assainissement et la sensibilisation des habitants. La restauration de la propreté du village, la protection de la lagune et l’amélioration des conditions de vie des résidents nécessitent une action concertée et un engagement ferme de tous les acteurs concernés.

Défis écologiques et solutions durables

La pollution des bords lagunaires en Côte d’Ivoire, en particulier à Abidjan, pose un également défi majeur sur les plans écologique et social. Nahounou Daleba, géo-économiste et expert en justice climatique, souligne que les conséquences écologiques sont alarmantes : « L’eau joue un rôle important dans la préservation de la biodiversité, elle nous procure aussi des ressources halieutiques. Sa pollution entraîne la rareté de ces ressources et de la biodiversité, et elle participe également à la dégradation de l’atmosphère. En dehors de cela, cela peut entraîner des maladies cutanées », explique-t-il.

Pour remédier à cette situation, il est crucial de mettre en œuvre des solutions durables. À en croire Daleba, cela inclut la sensibilisation et l’éducation des populations aux enjeux environnementaux, une meilleure gestion des déchets ménagers, ainsi que le renforcement du respect du code environnemental dans les espaces lagunaires.

Par ailleurs, l’expert environnementaliste estime que développer un tourisme lagunaire permettrait aux populations riveraines de valoriser ces espaces tout en préservant leur intégrité écologique. Un engagement collectif est ainsi nécessaire pour restaurer la santé des écosystèmes et garantir un avenir durable pour les communautés d’Adjahui et au-delà.

Image de bannière : Bordures lagunaires et habitations à Adjahui submergés par les déchets qui représentent une bombe pour les communautés presque sans solutions face à cette pollution.  Image de Gaël Zozozo pour Mongabay.

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