Nouvelles de l'environnement

Bénin : Têgon face au défi de la préservation de la biodiversité

A l'arrêt des voitures, les vendeurs se bousculent pour vendre la viande sauvage aux voyageurs. Image de Didier Hubert Madafimè pour Mongabay.

A l'arrêt des voitures, les vendeurs se bousculent pour vendre la viande sauvage aux voyageurs. Image de Didier Hubert Madafimè pour Mongabay.

  • Têgon et ses trois mille habitants font partie des régions les plus pauvres du Bénin, dont la seule activité connue de tous et exercée de père en fils, est la vente des produits de chasse boucanés, fumés, vendus, parfois tout entiers ou vivants.
  • Ce hameau, situé au centre du Bénin, plus précisément dans la Commune de Zogbodomè, est une terre entourée d’une biodiversité riche et variée. La vente à la sauvette, aux abords de l’axe routier Cotonou-Niamey, est le mode de transaction.
  • Le prélèvement des espèces, dans ces conditions, est illégal et incompatible avec la pérennité des espèces capturées. Les pauvres sont très dépendants des ressources naturelles, et lutter contre leur détérioration contribue à endiguer la pauvreté.

Avec une incroyable facilité et aisance, des jeunes comme des adultes voire des femmes livrent, vendent, commercialisent allègrement, au vu et au su de tout le monde, la viande sauvage, plus subtilement appelée la viande de brousse. Pour ce faire, ils débarrassent les animaux de leur fourrure, peau, écailles et plumes, afin qu’ils soient prêts à la consommation. Parfois, il arrive que l’animal soit vendu sans être nettoyé, c’est-à-dire, tout entier et vivant. A chaque client, son choix. Nous sommes, ici, à Têgon, à une centaine de kilomètres de Cotonou, la capitale économique du Bénin, plus précisément dans la Commune de Zogbodomè, hameau qui partage ses frontières avec la forêt classée de la Lama, celle classée d’Agrimey, les deux reliées à la forêt marécageuse de Lokoli, et connues, depuis des lustres, comme giboyeuse. Et ce n’est point un hasard. Ce village de la Commune de Zogbodomè, dont les habitations sont, pour la plupart, en terre de barre, dispose de deux atouts : un écosystème abondant en gibier, et traversé par l’axe routier Cotonou-Niamey, au bord duquel les produits de chasse sont vendus quotidiennement. Les prix de vente ne sont pas standardisés. Dans la transaction, il est souvent pris en compte le poids et la taille de l’animal soumis à la vente. L’un des tout petits animaux, l’écureuil, est vendu à 1500 francs CFA (soit environ $2,52) l’unité, pendant que l’antilope est cédée à 25000 francs CFA (soit environ $42,07). « Il n’y a aucun problème, si les chasseurs se contentent uniquement du noyau central de 5000 hectares laissé à la disposition des populations pour leur besoin en viande sauvage. Ils exercent constamment, par contre, des pressions régulières sur les zones protégées. Cela constitue tout naturellement une entorse à l’équilibre de l’écosystème. La biodiversité, de ce fait, est perturbée, ainsi que les abris et les niches écologiques des animaux », dit Djabarou Ibrahim, Conservateur Adjoint de deuxième classe de la Direction des Eaux, Forêts et Chasse, interrogé par Mongabay.

Axe Cotonou-Niamey: déterminant dans le commerce des animaux sauvages à Têgon. Image de Didier Hubert Madafimè pour Mongabay.
Axe Cotonou-Niamey: déterminant dans le commerce des animaux sauvages à Têgon. Image de Didier Hubert Madafimè pour Mongabay.

C’est le même souci évoqué par Dr Georges Nobimè, Enseignant-Chercheur, à l’université d’Abomey-Calavi (UAC) au Bénin, interrogé dans son laboratoire. « Lorsqu’il n’y a pas de statistique autour de ce qui est prélevé, reconnait le spécialiste de la faune, cela affecte forcément la biodiversité ». Or, l’article 30 de la loi n° 2002-16 du 18 octobre 2004 portant régime de la faune en République du Bénin, stipule : « Tous les animaux sauvages se trouvant sur le territoire national, y compris les espèces migratrices, bénéficient des mesures de protection conférées à la faune par la présente loi et par les conventions internationales auxquelles le Bénin est partie. Aucune souffrance ou destruction ne doit être infligée aux animaux sauvages sans nécessité ». Le roi de Têgon fait cependant une mise au point. « A part quelques pièges dont les vendeurs usent pour capturer quelques animaux, ces derniers ne sont pas des chasseurs. Les chasseurs viennent des villages environnants », souligne Dah Akadjahouin, interrogé par Mongabay dans sa cour à Têgon. Cela ne les dédouane pas pour autant, parce qu’ils sont responsables au même titre que les chasseurs. Sans produits de chasse, pas de vendeurs.

Têgon, une sérieuse menace pour la biodiversité ?

Ceux qui pratiquent cette activité n’ont aucune idée des conséquences induites. Ezékiel Houékin est un jeune d’une vingtaine d’années ; ce jour-là, il avait un récipient rempli d’écureuils déjà fumés qu’il proposait à la vente. « J’ai fini un apprentissage. Ce que je fais, me permet de réunir l’argent pour obtenir mon diplôme ». « La vente de la viande sauvage, c’est seulement pour m’aider un peu à survivre », dit Ernest Adjahounpa, un autre vendeur. Vivre un peu, le mot est lâché. Les habitants de Têgon n’ont pas l’impression d’appartenir à la République. Mis à part une école, qui n’offre aucune perspective pour ses écoliers, leur hameau manque de tout parmi lesquels, entre autres, l’indisponibilité de l’eau courante. Quant à l’électricité, c’est maintenant que quelque chose est en cours, indique Marc Ayihounkodé, un habitant de Têgon, vendeur lui-aussi de la viande sauvage.

A l'arrêt des voitures, les vendeurs se bousculent pour vendre la viande sauvage aux voyageurs. Image de Didier Hubert Madafimè pour Mongabay.
A l’arrêt des voitures, les vendeurs se bousculent pour proposer la viande sauvage aux voyageurs. Image de Didier Hubert Madafimè pour Mongabay.

Qu’allons-nous manger ?

Cet argument régulièrement avancé par les vendeurs, irrite beaucoup le Président de l’ONG Nature Tropicale Joséa Dossou Bodjrènou, qui assure en même temps la Présidence du Comité national de l’IUCN (Union Internationale pour la conservation de la nature). « Ce que Dieu a créé, c’est gratuit. L’homme préfère ce qui est facile que ce qu’il peut faire pour gagner sa vie », se désole-t-il au téléphone avec Mongabay. « Est-ce que c’est quand ils vont finir de consommer le dernier animal qu’ils auront la solution aux maux dont ils souffrent ? », s’interroge-t-il.

Biodiversité : un filet de protection social ?

Têgon n’est pas un cas isolé, encore moins unique. La plupart des pays sous-développés, surtout en Afrique, sont confrontés à la gestion des ressources fauniques, cette difficile équation à résoudre. Pendant longtemps, la faune est traditionnellement considérée par les populations comme une propriété commune librement accessible. Elle fait l’objet de consommation domestique et d’une exploitation économique.

Pour les mordus de la viande sauvage, l'offre est variée: écureuils, agoutis, antilopes. Image de Didier Hubert Madafimè pour Mongabay.
Pour les mordus de la viande sauvage, l’offre est variée: écureuils, agoutis, antilopes. Image de Didier Hubert Madafimè pour Mongabay.

Une explication que réfute le Président de l’ONG Nature Tropicale. « Penser ainsi, c’est méconnaitre le rôle de chaque espèce dans la nature », s’exclame Joséa Dossou Bodjènou. Il fonde son argument sur un simple raisonnement. « Il y a des gens qui me demandent si les moustiques sont utiles. Sans les larves de moustiques dans les cours d’eau, les petits poissons ne peuvent survivre. Les petits poissons consomment les larves. Si vous faites disparaitre les moustiques, vous coupez une chaîne, l’humain ne pourra plus avoir de poissons ». « C’est vrai, la crainte du paludisme est là, mais c’est ainsi la nature », dit-il. II va plus loin : « Demandez à un chasseur de Têgon s’il est capable de déterminer, à plusieurs centaines de mètres de distance, une antilope femelle en gestation ? Ce n’est pas évident. Il va la tuer. Ça crée des déséquilibres quand vous en tuer trop », ajoute-t-il. Pour cela, rappelle Bodjrènou, « la Convention sur la biodiversité adoptée à Rio de Janeiro en 1992 a fixé trois objectifs, à savoir : « Conserver ce que Dieu a créé. Cela fait appel à la protection et à la conservation de ce qui est dans l’écosystème. Utiliser durablement la biodiversité. Il faut donc l’utiliser en pensant à demain et en ayant à l’esprit que ça peut finir si elle est mal utilisée. Le partage juste et équitable des bénéfices issus de la diversité ». « Est-ce que le partage est équitable », s’interroge Bodjrènou ? « Non. Dès que quelqu’un en a la possibilité, il veut tout prendre pour lui tout seul », dit-il. En plus, sur la liste rouge de l’UICN, il y a, au moins, le nom de deux espèces qui s’y trouvent, et qui sont régulièrement chassées à Têgon notamment, le pangolin et le singe à ventre rouge, de plus en plus menacés d’extinction. II y a aujourd’hui des maladies non transmissibles pour lesquelles la médecine reste muette. Peut-être que le gène de l’une de ces espèces pourrait sauver le monde un jour. C’est une catastrophe si ces espèces disparaissent totalement.

Sans un contrôle sur le prélèvement et la consommation, les espèces animales risquent de disparaitre. Image de Didier Hubert Madafimè pour Mongabay.
Sans un contrôle sur le prélèvement et la consommation, les espèces animales risquent de disparaitre. Image de Didier Hubert Madafimè pour Mongabay.

Faire des vendeurs de Têgon des ambassadeurs de la biodiversité

Face à l’appauvrissement de la biodiversité, les grandes antilopes, à savoir le sitatunga et le pangolin sont devenus de plus en rares dans la zone de Têgon, selon les spécialistes, et à la menace d’une sixième extinction de masse, des tas de solutions existent, et ce n’est pas faute d’avoir essayé, par exemple, jure l’administration forestière béninoise, la saisie des produits de chasse sans parvenir à mettre un terme à ce marché. Conséquence, la faune va mal, les habitats des animaux disparaissent et se rétrécissent. C’est pour cela d’ailleurs, que le Point Focal National de la Convention sur la Diversité Biologique, Dr Augustin Orou Matilo, imagine une stratégie, qui prend également en compte les zones non protégées, inclut le contrôle des armes utilisées pour la chasse, ainsi qu’une période pour l’ouverture et la fermeture de la chasse comme dans les zones protégées. Chez les Chinois, souligne Bodjrènou, « il n’y a pas de mauvaises herbes. C’est quand on n’a pas compris à quoi ça peut servir qu’on les traite de mauvaises ». « II y a eu dans la zone, par le passé, un projet de la GIZ, qui consistait à fabriquer des objets d’art à partir des chutes de bois. Si on convertissait les vendeurs dans l’artisanat, l’Etat pourrait leur apporter un appui substantiel par l’acquisition desdites œuvres. Les vendeurs de la viande de brousse auront l’opportunité de faire autre chose que ce qu’ils font aujourd’hui. On peut faire aussi de chacun d’eux l’ambassadeur d’une espèce. Il suffit de leur faire comprendre l’enjeu », dit le Président de l’ONG Nature Tropicale. II insiste sur l’éducation environnementale qui doit commencer par les enfants. Ce volet, selon le spécialiste de la faune, Dr Nobimè, devrait être pris en compte par le Projet d’Appui à la Gestion des Forêts Communale (PAGEFCOM), qui peine à décoller. Comme solution, le chercheur propose le « Game Rushng », un espace dégagé, où les animaux sauvages seront élevés et proposés par la suite à la chasse. Pour l’instant, la vente des animaux sauvages va continuer de nourrir et de procurer de l’argent aux vendeurs, mais jusqu’à quand ?

Image de bannière: A l’arrêt des voitures, les vendeurs se bousculent pour proposer la viande sauvage aux voyageurs. Image de Didier Hubert Madafimè pour Mongabay.

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