Nouvelles de l'environnement

Des experts africains en conservation faunique s’opposent à la chasse à la baleine de subsistance prônée par la Guinée

  • Plus de 100 défenseurs de la biodiversité marine en Afrique ont signé, le 16 septembre 2024, une pétition pour protester contre la chasse à la baleine, soutenue par la République de Guinée et une poignée de pays de l’Afrique Centrale et de l’Ouest.
  • Ces pays espèrent obtenir l’avis favorable des 88 membres de la Commission baleinière internationale (CBI), à l’occasion de la 69e session de cette instance, qui se déroule du 23 au 27 septembre 2024 à Lima au Pérou.
  • Florent Malanda, Responsable de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES) au Congo-Brazzaville, souligne l'importance écologique des baleines et appelle les États africains à une cohérence entre les politiques nationales et les positions internationales.
  • En Afrique, le Bénin est cependant un modèle de développement de l’écotourisme baleinier, grâce à un projet dénommé « Whale Watching » (Observation des baleines en anglais), mené par Nature Tropicale ONG.

Les travaux de la 69e session de la Commission baleinière internationale (CBI) ont démarré, le lundi 23 septembre 2024, à Lima, la capitale du Pérou. L’un des points importants inscrits à l’ordre du jour de cette réunion, qui va s’achever le 27 septembre prochain, est la chasse à la baleine de subsistance pratiquée par certaines communautés autochtones. L’inscription de ce point aux travaux fait suite à un projet de résolution soumis le 25 juillet 2024 par la République de Guinée dans l’agenda de ces travaux, avec le co-parrainage des gouvernements du Cambodge, de la Côte d’Ivoire, de la Gambie, du Ghana, de la Guinée-Bissau, du Congo-Brazzaville, du Sénégal et des Îles Saint-Kitts-et-Nevis dans les Caraïbes, à l’effet de garantir la sécurité alimentaire et la nutrition desdites communautés.

L’initiative portée par la Guinée ne fait pas l’unanimité et est vertement tancée sur le continent. Dans une lettre ouverte datée du 16 septembre 2024, plus de 110 experts en conservation faunique africains, qui sont pour la plupart des membres de la société civile d’Afrique de l’Ouest et Centrale, s’opposent à ce projet de résolution, et lancent un appel à l’endroit des 88 pays de la CBI à ne pas voter cette résolution. D’après Guy-Aimé Florent Malanda, un des responsables de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), au Congo-Brazzaville et signataire de cette lettre, « les baleines ont plus de valeur, vivantes, que mortes », dit-il à Mongabay, au téléphone. « Elles n’ont jamais été un aliment de base de notre régime alimentaire, mais elles sont essentielles à la santé de nos océans et à notre avenir », ajoute Malanda.

L’atout écologique de la baleine dans la lutte contre les changements climatiques

Les défenseurs de la mégafaune aquatique soutiennent que les baleines jouent un rôle écologique crucial dans l’équilibre de l’écosystème marin, et à défaut d’entrer en concurrence avec les pêcheries, elles améliorent la productivité de l’écosystème, ce qui profite aux populations de poissons. Le biologiste camerounais Géraud Tassé Taboué, chercheur affilié à l’Institut de recherche agricole pour le développement (IRAD), une structure du ministère camerounais de la Recherche scientifique, explique que « la baleine a une empreinte écologique, fait partie d’un ensemble (écosystème) et sa chasse perturbe de manière significative cet écosystème ». « La baleine occupe une place importante dans la chaîne alimentaire. Elle consomme du Krill, un crustacé marin dont la prolifération entraine la baisse en oxygène des eaux due à une augmentation de leur activité, augmentant la compétition pour la nourriture parmi d’autres espèces marines », dit-il.

En plus, elles contribuent à la lutte contre le changement climatique, soutient Eddy Ramaromanantsoa de l’ONG Cétamada, une association à but non lucratif, qui œuvre pour la conservation des mammifères marins et de leur habitat à Madagascar. « Les excréments de baleine, riches en nutriments, fertilisent les eaux océaniques et favorisent la croissance du phytoplancton. En plus d’être à la base de la chaîne alimentaire océanique, ces organismes végétaux minuscules absorbent du CO2 en faisant de la photosynthèse. On estime qu’ils seraient aussi performants que quatre forêts amazoniennes. Dans un second temps, la baleine à bosse fait de la séquestration carbone. Au cours de leur longue vie, elles accumulent d’importantes quantités de carbone dans leur corps. Lorsque ces géants des mers meurent, leur corps coule au fond des océans, emprisonnant ainsi le carbone pendant des siècles », dit Ramaromanantsoa.

Une baleine à bosse, Îles de Los au large de Conakry. Image de Leo Klemm via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Une baleine à bosse, Îles de Los au large de Conakry. Image de Leo Klemm via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Les baleines font partie des mammifères marins menacés de disparition. La baleine bleue (Balaenoptera musculus), le rorqual commun (Balaenoptera physalus) et le rorqual boréal (Balaenoptera borealis), figurent d’ailleurs sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Elles sont ciblées par des activités de chasse, pourtant interdites par la CBI depuis 1986. Selon l’ONG américaine Greenpeace, la chasse à la baleine continue d’être pratiquée par trois principaux pays, en l’occurrence le Japon, l’Islande et la Norvège. Le Japon aurait capturé plus de 10 000 baleines au cours des deux dernières décennies, principalement des petits rorquals chassés dans l’océan Austral. Les cétacés (baleines et dauphins) sont aussi confrontés à de nombreuses autres menaces liées aux activités humaines, parmi lesquelles les collisions avec les navires, la contamination des cours d’eau, l’exploitation des hydrocarbures en milieu marin, les prises accidentelles, etc.

Les scientifiques révèlent aussi la viande de la baleine est impropre à la consommation. « Comme source de protéine animal, il a été démontré que la viande de baleine est impropre à la consommation à cause de la présence des bactéries (salmonellosis et botulisme), des parasites (trichinellosis et toxoplasmosis), ainsi que d’autres polluants inorganiques (métaux lourds) et organiques (les PCB et les pesticides) », explique le biologiste gabonais Judicaël Regis Kema Kema, dans une interview à Mongabay. Il dit, en outre, que « le soutien à la chasse à la baleine contredit les objectifs de conservation des pays d’Afrique Centrale et de l’Ouest ».

Blamah Sando Goll, Directeur technique de l’Autorité de développement forestier du Libéria et chef de l’Autorité de gestion de la CITES au Libéria, signataire de la déclaration, a confié à Mongabay que le risque reste énorme en raison des dommages potentiels posés par la chasse commerciale des baleines.

« La principale source de préoccupation reste le taux particulièrement élevé de mercure dans la chair de baleines », a fait remarquer l’expert, qui prévoit, pour les États africains, des pertes énormes de revenus générées habituellement par les industries du tourisme et de la pêche.

Des dauphins au-dessus de vagues au cours d’une expédition pélagique en Afrique de l'Ouest (par Inezia Tours, NL). Image de Jan Willem Broekema via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Des dauphins au-dessus de vagues au cours d’une expédition pélagique en Afrique de l’Ouest (par Inezia Tours, NL). Image de Jan Willem Broekema via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

En effet, la majorité de ces pays africains ont ratifié des conventions internationales pro-conservationnistes, qui encouragent la conservation des cétacés (Baleines et dauphins) à l’exemple de la CITES, de la Convention sur la conservation des espèces migratrices (CMS), de la Convention sur la diversité biologique (CBD), de la Convention pour la coopération en matière de protection et de mise en valeur de l’environnement marin et côtier de la région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (Convention d’Abidjan) et du Cadre mondial Kunming-Montréal pour la biodiversité.

Pour Malanda, « les politiques des différentes instances doivent dialoguer avec la CBI conformément à nos lois nationales et aux accords internationaux signés pour la protection de la biodiversité ». Il ajoute que « nous devons nous désolidariser de ce non-respect des accords et mettre en minorité ceux qui les violent », d’autant plus qu’un bon nombre de pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale, garantissent une protection stricte des cétacés dans leurs législations, à l’exemple du Gabon, de la Côte d’Ivoire, de la Gambie, du Ghana, de la Guinée Bissau, de la Mauritanie, de la République du Congo, de la République de Guinée ou du Sénégal.

Selon les experts, les États africains ont besoin de soutenir les programmes de conservation des baleines, qui s’alignent sur les priorités de recherche et d’éducation pour promouvoir une approche basée sur des solutions aux problèmes critiques.
Selon Sando Goll, il y a une urgence pour les États africains à adopter des mesures appropriées pour la protection des baleines contre la chasse, la capture, le commerce et la surexploitation à des fins alimentaires, médicales traditionnelles ou conventionnelles, pour la chasse aux trophées.

Le devoir des États africains, d’après le chercheur libérien, serait de respecter les lois en vigueur concernant la protection et la conservation de la faune sauvage et d’adopter des sanctions plus sévères en vue de décourager le commerce illégal ou non réglementé de ces espèces marines. Alors que les normes et les lois de conservation des baleines sont en train d’être influencées par le Japon, Sando Goll déplore, que les positions anti-conservation portées par des pays d’Afrique Centrale et de l’Ouest à la CBI, contredisent les positions en faveur de la conservation. « Nous avons besoin de promouvoir des programmes de tourisme durable qui préservent les baleines et non, ceux qui mettent en danger leur coexistence avec la nature », dit-il.

Potentiel écotouristique indéniable

Au Bénin, la présence des baleines sur sa côte Atlantique et surtout dans l’Aire marine protégée de Donaten à Cotonou, favorise le développement de l’écotourisme baleinier, grâce à un projet dénommé « Whale Watching » (Observation des baleines en anglais), mené par Nature Tropicale ONG, avec le soutien de la Marine nationale béninoise. Cette initiative offre, chaque année, un festival des baleines à de nombreux visiteurs, des étrangers pour la plupart, et renforce la position du pays, parmi les pionniers de l’écotourisme baleinier sur le continent. Le pays est d’ailleurs favorable à la création d’un sanctuaire baleinier dans l’Atlantique sud dans le cadre de la CBI, soutenu par le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay. Le président béninois, Patrice Talon, a d’ailleurs officialisé la position de son pays lors d’une visite au Brésil en mai 2024.

Filets de pêche, Ghana. Image de Cambria Finegold via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Filets de pêche, Ghana. Image de Cambria Finegold via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Le biologiste sénégalais, Mamadou Diallo, séduit par le modèle béninois, invite les autres pays à lui emboiter le pas et de considérer l’écotourisme baleinier comme un indicateur de leur croissance économique respective. « La majorité de nos communautés ne voient les baleines que lorsqu’elles sont mortes ou quand elles échouent sur les plages. La seule façon d’en tirer profit, ce sont lorsqu’elles sont vivantes. Les baleines vivantes ont plus de valeur que les baleines mortes. C’est ce qu’il faut développer, et ça ne nécessite pas beaucoup de moyens. Il suffit de mettre à disposition quelques bateaux avec un peu de sécurité, pour que les gens puissent aller les observer. C’est tout à fait faisable », a-t-il dit dans un échange téléphonique avec Mongabay.

« Il existe pourtant d’autres espèces marines et terrestres comme les poissons dont peuvent se nourrir les communautés dans la lutte contre l’insécurité alimentaire en Afrique », a dit, à Mongabay, Soleil Wamuini, Expert en poissons et ressources halieutiques et Professeur des Sciences biologiques à l’Institut Supérieur Pédagogique de Mbanza-Ngungu en la République démocratique du Congo (RDC).

L’industrie de l’écotourisme baleinier serait d’ailleurs très florissante. D’après les scientifiques signataires de la lettre, elle génère plus de $2 milliards chaque année et profite à plus de 13 millions de personnes dans 119 pays dans le monde, avec à la clé 13 000 emplois créés.

Image de bannière: Une baleine à bosse, Îles de Los au large de Conakry. Image de Leo Klemm via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

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