- Les résidents de deux communautés villageoises au nord-ouest du Cameroun s’attèlent à la restauration des sources d’eau et à la reforestation de leurs forêts communautaires, pour remédier aux difficultés liées aux changements climatiques.
- Ces communautés d’agriculteurs et de pastoralistes Mbororo sont chaperonnées par deux organisations à but non lucratif, dans le cadre d’une série de projets financés par le Forum mondial sur les paysages (Global Landscapes Forum en anglais).
- Les différents projets ont déjà permis de restaurer une quinzaine de sources d’eau, environ 50 hectares de terres dégradées, et de planter plus de 7 000 espèces d’arbres dans la région.
- Ces organisations offrent également aux communautés des solutions alternatives de protection de l’environnement, à travers des formations en agriculture durable, en apiculture, en fabrication de foyers améliorés et dans la création des plantations forestières.
Dans le village Bamukumbit, situé au nord-ouest du Cameroun, les populations se sont longtemps approvisionnées dans des sources d’eau naturelles, dégradées et polluées au fil du temps à cause d’intenses activités humaines telles que l’agriculture, la déforestation, le pastoralisme et la garde du bétail. Grâce à un projet implémenté par l’organisation à but non lucratif Support Humanity Cameroon (Suhucam), ces sources d’eau ont été restaurées.
Cette localité au climat tempéré chaud n’est pas connectée au réseau national d’adduction d’eau potable. Geofrey Sunday, coordonnateur de Suhucam, a confié à Mongabay dans une conversation téléphonique : « les populations cultivent jusque dans les sources d’eau, et coupent les arbres tout autour. Par conséquent, pendant la saison sèche, ces sources d’eau tarissent ». En sus, le bétail appartenant aux éleveurs Mbororo, établis dans la localité, fait souvent intrusion dans ces sources d’eau et contribuent à leur pollution par des défécations, exposant ainsi les communautés à des risques de maladies hydriques.
Le zone du projet a souvent été confrontée à des situations d’insécurité alimentaire, due à une conjugaison de facteurs climatiques, mais aussi aux pressions humaines exercées sur les ressources disponibles. L’on y enregistre généralement des pertes de cultures dues à la sécheresse, mais aussi la destruction des récoltes villageoises par les bêtes, entrainant ainsi des conflits agro-pastoraux entre agriculteurs locaux et pasteurs Mbororo.
L’ONG Suhucam a donc proposé la restauration de ces sources d’eau naturelles menacées de disparition, en créant autour une végétation composée d’espèces d’arbres adaptés au milieu à l’instar du raphia palm, de l’acacia, ou du gmelina. Sunday explique : « on a entrepris de construire des sortes de réservoir dans les sources d’eau aménagées à base de matériaux locaux (pierres), avec des dispositifs de captage intégrés qui permettent à plus de 3000 personnes dans les communautés d’accéder désormais à une eau potable et en quantité suffisante ».
Un projet identique est conduit par l’ONG Youth Development Organisation (Yodo – Cameroon) dans la localité de Nkambe, également située au nord-ouest du Cameroun. Celle-ci a déjà restauré onze sources, en l’occurrence dans les villages Bih et Ndu, avec le soutien des collectivités territoriales décentralisées. « On dit que l’eau, c’est la vie. Si les sources d’eau ne sont pas protégées, ça veut dire qu’on n’est pas en train de protéger la vie. S’il n’y a pas d’eau, l’agriculture ne peut pas exister », soutient Faï Caissan, le coordonnateur de Yodo-Cameroon dans un entretien téléphonique avec Mongabay.
Restauration des terres et reforestation des forêts communautaires
Les deux ONG locales sont parmi les bénéficiaires en Afrique des projets du Forum mondial sur les paysages (GLF, ou Global Landscapes Forum en anglais).
Elles sont notamment engagées dans la restauration des paysages dégradés, et ont impliqué les communautés dans une approche inclusive, dans la restauration des forêts sacrées dans leur territoire respectif. Elles revendiquent, à elles deux, une quinzaine de sources d’eau restaurées, environ 50 hectares de terres restaurées, et plus de 7 000 espèces d’arbres plantées dans la région.
Au mois d’août dernier, Yodo-Cameroon a planté plus de 800 espèces de Prunus africana pour restaurer un cours d’eau sacré du village Bih, et a planté 1 350 arbres pour restaurer un bassin versant dans la localité. Ceci dans le cadre d’un projet de deux ans, qui vise à restaurer la nature et les sites patrimoniaux de la région, et à stimuler la participation des jeunes aux activités de restauration, ainsi que la collaboration des institutions traditionnelles pour protéger les petites parcelles de biodiversité dans les communautés.
Pour garantir le succès de la restauration des paysages dégradés le cas échéant, Baudelaire Kemajou, Directeur du Centre technique de la forêt communale (CTFC), un outil de l’Association des Communes forestières du Cameroun (AFCAM), une organisation de la société civile au service du développement des collectivités camerounaises, préconise des solutions adaptées à chaque contexte en fonction des spécificités qu’offre la zone. Pour le choix des plants par exemple, il dit, dans un entretien avec Mongabay, qu’« il y a une étude pédologique préalable qu’il faut faire pour savoir sur quel type de sol on veut planter, et le type de plante qui convient. C’est cette étude qui donne les caractéristiques du sol, et renseigne sur le type d’espèces ».
L’édition 2024 de Global Landscapes Forum se tiendra le 17 septembre prochain à Nairobi au Kenya, sur le thème : « verdir l’horizon ». Le forum a pour objectifs entre autres, de réunir et engager des groupes de parties prenantes diversifiés et orientés vers l’action des solutions et des partenariats pour une restauration juste et durable des paysages en Afrique, de fournir une plateforme dynamique pour la collaboration, présenter des solutions transformatrices menées au niveau local pour relever les défis de l’agroalimentaire, du climat, de la biodiversité, de la restauration et des moyens de subsistance en Afrique.
Suhucam et Yodo-Cameroon s’inscrivent depuis des années déjà dans la réalisation de ces objectifs, soutenu financièrement par GLF, et de nombreux bailleurs de fonds parmi lesquels la Japan Water Forum (JWF), la Fondation Mellon, l’Organisation de gestion du patrimoine (HerMap), Robert Bosch Stiftung, New England Biolabs Foundation, African Climate Reality Project.
À Nkambe et à Bamukumbit, les ONG ont choisi les espèces telles que le Prunus africana, le raphia palm, l’acacia, ou le gmelina qui conviennent aux zones humides pour restaurer les sources d’eau ; tandis que le mahogany, l’erithrina, le wenge, la caliandra, la lucena, l’eucalyptus et des arbres fruitiers (avocatiers, orangers) ont été utilisés pour la restauration des terres, la reforestation et l’agroforesterie dans les zones plus ou moins arides.
La sélection des plants adaptés au milieu précède ce que Kemajou appelle l’itinéraire sylvicole, qui renvoie aux aspects techniques qui permettent d’entretenir le plant.
Il évoque en outre la prise en compte d’un facteur clé dans la mise en œuvre d’un projet de restauration des paysages : l’accès inaliénable des communautés à leurs terres. « Il y a, en outre, les droits des communautés qui sont dans les zones de plantation qu’il faut respecter, notamment l’accès permanent à leurs terres. Si on veut planter sur leurs terres, il faudrait que ce soit des arbres qui fertilisent le sol, et qui vont leur permettre de faire ce qu’on appelle l’agroforesterie, afin qu’elles y trouvent un intérêt écologique, social ou économique ».
Les défis de la conservation communautaire et de la sécurité
À Bamukumbit, pour faciliter une meilleure gestion des ressources naturelles au sein des deux communautés, Suhucam a créé un cadre pour faciliter la cohabitation entre les différentes ethnies en les plaçant au centre des solutions découlant des problèmes propres à leur environnement.
Il y a par exemple la formation des femmes Mbororo à la pratique de l’agriculture durable, avec le recours aux pratiques agroécologiques telles que l’utilisation des matières organiques (fèces de vache) pour restaurer les terres dégradées, en vue de la production des cultures vivrières (carottes, oignons, choux, etc.), à la fois pour la subsistance et pour la rente.
« Les Mbororo ne se considéraient pas comme des villageois, et leur seule activité, c’était le pastoralisme. Les villageois se consacraient seulement à l’agriculture. Nous avons amené les communautés Mbororo à faire l’agriculture et ils ont compris que l’agriculture est importante, et qu’ils doivent protéger les cultures contre les animaux. Quant aux villageois, ils peuvent déjà collecter les fèces de vache chez les Mbororo pour fertiliser leurs champs », explique Sunday.
Les communautés ont aussi été formées à l’apiculture, et l’agroforesterie qui se pratiquent dans des forêts communautaires reboisées. Pour Sunday, celles-ci pourraient être éligibles à l’avenir à la finance climatique, payée par les grands pollueurs occidentaux aux pays en développement. « À long terme, ces projets de restauration des forêts et des terres, que nous menons, vont contribuer à la séquestration du Carbone pour combattre le changement climatique, et par conséquent créer un marché potentiel de crédit Carbone, et les populations pourront profiter des retombées financières liées à ces solutions basées sur la nature ».
Les localités de Nkambe et de Bamukumbit sont situées dans une zone de conflit. Mais en dépit du contexte de crise, les projets menés dans le cadre du GLFx Chapter sont prometteurs, car les deux localités ne sont pas ciblées par les combattants séparatistes en conflit avec les forces de défense camerounaises, a dit Faï Cassian Ndi à Mongabay : « au nord-ouest, il y a les zones rouges, et il y a les zones vertes. Nkambe fait heureusement partie des zones vertes. Nous ne menons nos activités que dans cette localité, pas en dehors ».
Image de bannière : Une femme agricultrice Mbororo tient fièrement le fruit de son activité agricole. Image courtoisie Suhucam.
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