- Les défenseurs de l’environnement s’alarment de l’état du Nyong, deuxième plus long fleuve du Cameroun. Les actions conjuguées des changements climatiques et de l’homme mettent en péril l’existence de ce cours d’eau.
- Les menaces entraînent une dégradation importante du fleuve, son rétrécissement et une perte de sa biodiversité, au détriment des populations riveraines, dont les activités de subsistance proviennent de ses ressources.
- Les 28 communes traversées par le fleuve se sont constituées en réseau, afin de trouver des solutions à sa dégradation.
En cette matinée du 31 août 2024, il n’y a pas beaucoup d’activités aux alentours du pont sur le fleuve Nyong, dans la localité d’Ayos, dans la région du Centre du Cameroun. Ici, le fleuve marque une sorte de limite naturelle entre cette région et celle de l’Est, où il prend sa source, dans la Commune d’Abong-Mbang.
D’un côté, sur une barque, un pêcheur lance un filet pour tenter de recueillir du poisson. De part et d’autre du pont, sur l’eau, on peut observer une étendue de verdure. Il s’agit des plantes envahissantes, qui occupent une grande partie du cours d’eau. Ce dernier n’est visible que de façon parcellaire.
Ces prairies flottantes constituent un des aspects typiques des paysages du Nyong, aujourd’hui. « A une époque, le Nyong était navigable. Aujourd’hui, il n’est plus navigable. Il l’était pourtant du Haut-Nyong jusqu’à Mbalmayo (…). A certains endroits dans la zone d’Ayos-Akonolinga, le Nyong occupait de très grandes superficies. Mais aujourd’hui, lorsqu’on va dans la région de l’Est, le Nyong devient une rivière en saison sèche. Il y a même des endroits à Akonolinga qu’on peut traverser à pieds. Ce qui était quasi impossible dans les années antérieures, que ce soit en saison sèche ou en saison des pluies », déclare, à Mongabay, Dieudonné Ateba, Directeur exécutif de l’ONG Volontariat Pour l’Environnement (VPE), dans une interview à Yaoundé.
Ce défenseur de la cause du fleuve tire la sonnette d’alarme pour « sauver le fleuve Nyong ». D’où l’organisation au mois de juillet 2024 à Mbalmayo, l’une des 28 communes traversées par le fleuve, dans la région du Centre du Cameroun, de la « Conférence sur le fleuve Nyong ». Occasion de poser le diagnostic des maux, qui minent le deuxième plus grand fleuve du pays. Entre autres problèmes énumérés par l’ONG VPE, la surexploitation des espèces halieutiques par la pêche intensive, l’envahissement du lit du cours d’eau par des plantes envahissantes comme la jacinthe d’eau et les roseaux, l’exploitation des carrières de sable et de gravier dans le lit du cours d’eau, la pratique de l’agriculture extensive et intensive entraînant la déforestation rapide des berges et l’appauvrissement des sols, l’érosion hydrique et le phénomène de l’ensablement du fleuve. Autant de menaces, qui entraînent une dégradation importante du fleuve, son rétrécissement et une perte de sa biodiversité au détriment des populations riveraines, dont les activités de subsistance proviennent de ses ressources. « Au fur et à mesure que le lit du fleuve rétrécit, c’est une grande biodiversité qui part.
Aujourd’hui, il est difficile d’avoir le « Kanga » (appellation locale du poisson tilapia (Oreochromis aureus), l’un des poissons emblématiques du fleuve, prisé par les populations riveraines pour sa chair). Chaque jour, le Nyong part sous nos yeux et rien n’est fait. Nous avons pris sur nous d’organiser la Conférence pour réunir toutes les parties prenantes », dit Ateba.
Le Nyong, deuxième fleuve du pays
Professeur Sigha Nkamdjou, Directeur de recherche en hydrologie et hydrochimie à l’Institut de Recherches Géologiques et Minières (IRGM), a mené des études sur les principaux bassins fluviaux du Cameroun. « De nombreuses menaces pèsent sur le fleuve Nyong. La principale est sa disparition à long terme comme c’est déjà le cas en amont d’Abong-Mbang, puis progressivement à Ayos, voire à Akonolinga, avec à certains endroits des zones de capture par des cours d’eau voisins. Les faibles pentes et le sol dénudé concourent à d’importants dépôts de sédiments entraînant l’envasement du fleuve pouvant conduire à terme à sa « mort », ainsi qu’à la mort de la biodiversité aquatique », affirme-t-il.
Pourtant, l’importance du Nyong, deuxième fleuve coulant entièrement à l’intérieur du pays, après la Sanaga, dans la carte hydrologique du Cameroun, n’est plus à démontrer. « Il draine un Bassin Versant (BV) d’une superficie de 27 800 km2 à l’embouchure. Jusqu’en 1951, le Nyong était utilisé comme voie de navigation, entre Abong-Mbang et Mbalmayo, voire Olama, pour transporter de l’ivoire, du caoutchouc à l’aide des pirogues, pour embarquement au port de Kribi et exportation par l’océan Atlantique vers l’Europe. Le Nyong était alors régulièrement désherbé. Ce mode de transport a été progressivement abandonné au bénéfice du chemin de fer et des routes. Dans sa partie aval, il est parsemé de nombreuses chutes comme celles de Mpoume, Makaï, Milly, Moge, Mouïla et Njock, qui offrent d’énormes potentialités hydroélectriques. Sur le plan des ressources en eau, en année moyenne, les apports sont estimés à environ 48 milliards m3 d’eau sur l’ensemble du bassin, du côté du versant du Nyong. Ils génèrent à sa sortie de Dehane un volume d’eau de surface mobilisable de l’ordre de 14 milliards de m3. Globalement, ces apports en eaux superficielles sur le BV du Nyong représentent dans l’ordre, 6 et 5,28 % de l’ensemble de la ressource à l’échelle du territoire national », précise Professeur Nkamdjou, spécialiste des zones humides.
Dr Jean Folack, Consultant international a participé à la rédaction d’ouvrages dans ce domaine. Dans un entretien au téléphone, selon lui, le fleuve Nyong est une zone humide, dont la disparition serait une catastrophe pour la biodiversité et les populations riveraines. Les effets des phénomènes météorologiques seraient accentués (sécheresse, inondations, incendies, etc.), la pollution de l’eau serait augmentée, l’érosion des sols et des rives s’accélèrerait…Les conséquences écologiques et économiques auraient de sérieuses répercussions sur le bien-être des populations riveraines, des animaux sauvages et d’élevage. « C’est un réservoir naturel pour stocker de l’eau. C’est un atout et un réservoir pour la biodiversité. Il atténue les effets de changement climatique: pendant les fortes chaleurs. Le fleuve Nyong constitue un îlot de fraîcheur. C’est un atout pour le développement économique et social local », dit Folack.
La cause des périls qui menacent le cours d’eau est imputable aussi bien au changement climatique qu’à l’action de l’homme. « Outre le phénomène du changement climatique observé en Afrique Subsaharienne depuis la décennie 1970 et perceptible sur le BV du Nyong à travers des hausses de températures de l’ordre de 0,4°C en moyenne, et au niveau de la baisse des précipitations de l’ordre de 10 % également en moyenne, le cours supérieur du Nyong est marqué par de très faibles pentes, créant ainsi de vastes zones marécageuses observables à Abong-Mbang, à Ayos et à Akonolinga qui, entre autres, piègent les matériaux issus de l’érosion des versants au couvert végétal de plus en plus réduit. La hausse des températures susmentionnée accentue l’évaporation sur les vastes étendues d’eau des zones d’inondations enregistrées sur le lit majeur du Nyong. Par ailleurs, le lit du Nyong est envahi par une prairie aquatique, constituée de graminées représentées essentiellement par Echinochloa stagina », dit Professeur Nkamdjou. A ces phénomènes naturels, viennent s’ajouter les activités anthropiques conjuguées à l’explosion démographique, notamment la déforestation et l’agriculture…
Peu d’initiatives d’adaptation existent
Les actions sur le terrain sont peu perceptibles pour restaurer le fleuve. « Avant d’aller aux actions, il faudrait faire des études. Nous sommes en train de chercher des partenaires pour nous accompagner dans la réalisation de ces études. Les données ont besoin d’être réactualisées en termes d’inventaire des espaces fauniques et aquatiques, d’évaluation de l’action anthropique, de développement socioéconomique du bassin, etc.
L’une des résolutions prises lors de la Conférence, est que l’on développe des alternatives pour que la population ne s’investisse plus avec autant de rage sur les ressources naturelles du fleuve, afin de susciter une gestion rationnelle de ces ressources », dit Ateba.
Conscients de l’importance du fleuve et de son niveau de dégradation, les collectivités territoriales décentralisées arrosées par le cours d’eau veulent œuvrer ensemble pour sauver le Nyong. « La Commune d’Atok est entourée d’eau. Elle est comme une île entourée par le fleuve Nyong. D’où l’importance de ce cours d’eau dans la vie quotidienne des populations de la commune qui, à travers la pêche et d’autres activités, s’y alimentent. Ainsi, le fleuve Nyong regorge de nombreuses espèces halieutiques. Il est très important pour notre commune », déclare au téléphone Jean-Yves Bak, Maire de la Commune d’Atok, dans la région de l’Est. « Lorsque nous prenions service, nous avons eu la chance d’entrer en contact avec d’autres maires, dont les communes sont également traversées par ce fleuve. Nous sommes en train de mettre en place une organisation, qui va œuvrer à le réhabiliter. En effet, nous avons créé le Réseau des Communes du Bassin du Nyong (RECOBAN), en collaboration avec l’ONG VPE Cameroun. (…) Nous sommes en train de voir, dans le cadre d’un projet éco touristique, comment le réhabiliter pour le garder sain et navigable. Les difficultés sont celles liées à la modicité des moyens. Il faut d’énormes moyens pour débarrasser le fleuve des plantes envahissantes, entre autres. Avec la sécheresse, son niveau en eau baisse considérablement », ajoute Bak.
Pour Dieudonné Ateba, c’est par une synergie d’actions des différents acteurs, que la problématique du Nyong pourrait être résolue. « Nous sommes dans la mobilisation des acteurs, afin de trouver des moyens pour commencer à poser les premières bases. Par exemple, la recherche, les projets dans le cadre des alternatives évoquées précédemment, le reboisement des berges, l’assainissement du Nyong…Certaines communes ont voulu le faire dans leur zone. Mais il faudrait le faire en synergie pour plus d’efficacité. Parmi nos premières actions, nous avons amené les maires des 28 communes du bassin du Nyong à se mettre ensemble. Ainsi, ils ont créé le RECOBAN. La problématique du Nyong doit se résoudre dans l’intercommunalité », dit-il.
Protéger et restaurer le fleuve Nyong
Néanmoins, les idées pour redonner au Nyong sa splendeur d’antan ne manquent pas. « Envisager des pistes de solutions, pour la réhabilitation et la sauvegarde du fleuve Nyong devrait être précédé d’une analyse de l’intérêt économique, qu’il offre encore, surtout dans son cours supérieur (…) On pourrait procéder par faucardage et par dragage, même si ces solutions sont très onéreuses. J’ai également mentionné l’existence des zones de capture par des cours d’eau voisins : sans doute qu’on pourrait aussi envisager la restauration du cours du Nyong à ces endroits aux fins de sa réalimentation à partir desdits cours d’eau. On devrait aussi réduire le rejet des nutriments (il me revient en image l’existence d’un abattoir quasiment sur le lit du Nyong à Abong-Mbang) et les fertilisants de toute nature sur les versants, propices au développement de la prairie aquatique, qui a largement modifié le régime hydrologique du Nyong et son comportement environnemental. L’implantation des centrales hydro-électriques sur les chutes mentionnées plus haut sur le cours inférieur du Nyong et leur exploitation rationnelle pourraient générer des revenus pouvant être réinvestis dans les travaux de canalisation de son cours supérieur, dans l’optique de lui restaurer ses débits et améliorer ses écoulements », suggère Professeur Nkamdjou.
Dr Valentin Ateba, Environnementaliste, connait bien le fleuve Nyong, sur lequel il a produit deux ouvrages. Pour sa part, il recommande, entre autres, de développer une politique environnementale pertinente basée sur une vision stratégique de préservation des ressources.
Au plan national, pour protéger le fleuve, Dr Jean Folack suggère l’élaboration de certains outils de planification et de gestion. A l’instar d’un plan de gestion, du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux de ce fleuve, qui est un document de planification fixant des objectifs d’utilisation, de mise en valeur et de protection de la ressource en eau et des milieux aquatiques. De même, il faudrait, selon lui, adopter des politiques intersectorielles touchant l’agriculture, l’élevage et l’eau et adopter des aménagements préservant l’environnement, afin de réduire les impacts.
Banner image: Le Nyong a un potentiel hydrologique important. En tant que zone humide, sa disparition serait préjudiciable à la biodiversité. Image de Sidoine Mbogni via Wikimedia.
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