Nouvelles de l'environnement

Des bénévoles engagés pour la conservation des tortues marines au Bénin

Des écogardes portant une tortue mère pour sa libération en mer sur la plage de Tokplégbé à Cotonou. Image de Nature Tropicale ONG avec son aimable autorisation.

  • Les tortues marines, espèces migratrices, viennent se reproduire sur la côte béninoise.
  • Elles sont massacrées en mer et sur les plages. Des actes, qui contribuent à l’extinction de ces espèces protégées par des règlementations nationales et internationales.
  • Pour ne pas assister impuissamment à leur disparition dans l’écosystème marin, des bénévoles, soutenus par des organisations non gouvernementales, œuvrent pour leur conservation.

La tortue luth (Dermochelys coriacea), la tortue olivâtre (Lepidochelys olivacea), la tortue verte (Chelonia mydas) et la tortue imbriquée (Eretmochelys imbricata), fréquentent les plages du Bénin, de juillet à décembre, de chaque année pour leurs reproductions. Ces reptiles enclins à la survie sont massacrés par des usagers de la côte. Etant des espèces intégralement protégées par la loi n° 2002-16 du 18 octobre 2004, portant régime de la faune en République du Bénin, des structures non étatiques se sont engagées dans leur conservation avec des volontaires bénévoles sensibles à leur préservation. Ces bénévoles sont des écogardes enrôlés par des organisations non gouvernementales, le long des 125 kilomètres de la côte béninoise (Sèmè-Kraké à Hillacondji, villes frontalières du côté du Nigéria et du Togo). « Des écogardes sont des bénévoles, qui se sont donnés comme mission d’accompagner la préservation des ressources en se basant sur la règlementation du Bénin. Ils font le suivi après leur formation en écologie, biologie et  en conservation des tortues. Par la suite, ils s’engagent activement sur le terrain pour surveiller l’arrivée des tortues marines pendant la période de ponte, le contrôle de leurs nids, la collecte de leurs œufs et l’incubation. Ils sont formés pour la mensuration des tortues et leur libération en mer », a expliqué Joséa Dossou-Bodjrènou, Président de Nature Tropicale ONG, interviewé par Mongabay, à Cotonou. Selon lui, « les écogardes sont choisis lors des séances de sensibilisation sur le terrain, au moment où nous réunissons les pêcheurs, les riverains de la côte pour leur parler des menaces qui pèsent sur ces espèces migratrices et les solutions proposées par l’Etat avec l’application de la loi ».

Rencontré à Cotonou sur la plage de Tokplégbé, Dossou Etienne Bienvenu, un homme de la cinquantaine, marié et père de six enfants, assis sous un hangar, près du site des tortues marines de la zone, témoigne. « Il y a 17 ans, j’ai commencé mon bénévolat par le nettoyage de cette plage. Quand les tortues venaient pondre, elles sont tuées et consommées. Avec le soutien de Nature Tropicale ONG et de la Brigade de protection du littoral et de la lutte contre la pollution, je me suis engagé davantage dans la préservation de ces espèces. Je passe la nuit à la plage, je fais des patrouilles avec une équipe de quatre personnes à la recherche des tortues venues pondre. Ma première motivation, c’est la passion. Je n’ai pas de salaire à la fin du mois. Mais je fais ce travail avec fierté ». Sur une plage de Ouidah, une commune côtière du Bénin, située à l’ouest de Cotonou, Nicolas Alomasso, habitant du village Kouvènanfidé, Conseiller local, pêcheur et écogarde, lâche : « je suis un activiste de la protection des tortues marines. Je n’ai pas encore des avantages en militant pour la conservation des tortues depuis 2012. Mais je ne me décourage pas. Dans ma lignée, nous protégeons les tortues. Car, une tortue géante a sauvé un de mes ancêtres qui se noyait en haute mer, en le portant sur sa carapace jusqu’à la côte ». Nicolas, se confiant à Mongabay est assis à même le sol. Ce jour-là, la mer relativement calme laissait ses vagues bercées la plage de Kouvènanfidé. Quelques personnes, sous des cocotiers, s’offraient l’air marin. Un autre témoignage de sauvetage de tortue marine est rapporté par Houssou Amidou, pêcheur au port de pêche de Cotonou. « En 2009, à Sémè, un pêcheur lors de la pêche artisanale de sardinelles, a vu couler sa barque sous le poids des produits de pêche. Il était avec un de ses petits-enfants. Plus tard, d’autres pêcheurs, voyant une tortue qui flottait à la surface de la mer, ont réalisé proche du reptile que c’est un enfant qu’il y avait sur la carapace de la tortue. Nous avons pu le sauver. J’ai compris depuis ce jour qu’une tortue peut sauver un pêcheur, qui se noie en mer. C’est l’une des motivations pour lesquelles je milite pour la protection des tortues marines », a-t-il dit avec enthousiasme.

Des écogardes portant une tortue mère pour sa libération en mer sur la plage de Tokplégbé à Cotonou. Image de Nature Tropicale ONG avec son aimable autorisation.

Alomasso poursuit : « en période de ponte, nous nous organisons pour faire deux patrouilles pédestre chaque nuit. Une première équipe de trois ou quatre personnes parcourt la plage de 20 heures à 23 heures. Une deuxième patrouille commence de 3 heures du matin à 6 heures. Ces mouvements nous permettent de vérifier s’il y a de traces montrant le passage des tortues venues pondre ». A l’en croire, chaque équipe de patrouille est munie de sceaux en plastique, de pince, de bague, de torche, de gangs. Ils sont formés pour renseigner des fiches sur chaque espèce, faire la mensuration, poser de bague, et libérer la tortue mère en mer. A la découverte de nids de ponte, les œufs sont minutieusement collectés dans des sceaux et l’incubation est faite sur un site aménagé à l’abri des prédateurs dans les encablures sur la plage. « Quand nous collectons les œufs, nous surveillons les sites d’incubation. Après 45 ou 60 jours selon l’espèce, les bébés naissent. Nous devons être présents, collecter les bébés et les sécuriser avant de les libérer en mer sept jours plus tard », dit Auguste. Les écogardes sensibilisent aussi les riverains sur la préservation des tortues marines. Ils font des investigations et dénoncent les suspects aux agents assermentés.

Des écogardes prenant une tortue marine pour libération en mer sur la plage de Tokplégbé à Cotonou. Image de Nature Tropicale ONG avec son aimable autorisation.

A Grand-Popo, le mode de patrouille est le même. « Nous sommes sur la plage de 21 heures à 6 heures en deux équipes de trois personnes qui se relaient. Nous n’espérons pas un salaire en faisant ce travail. C’est difficile pour nous, mais notre passion pour l’environnement et le goût de la conservation des tortues marines nous ragaillardissent au quotidien. Nous avons le soutien de Nature Tropicale ONG en matériels de travail surtout », a dit Auguste Agbotrou, pêcheur et écogarde croisé sur la plage de Gbècon à Grand-Popo. Il était encore en tenue de patrouille dans la matinée du vendredi 28 juin 2024, sous une fine pluie. Un vent frais balaie le dessus de la mer très agitée. Sous des hangars, quelques pêcheurs arrangent leurs filets.  Cet écogarde milite pour la protection des tortues marines depuis 2002. A une dizaine de kilomètres de là, Noutchogo Akou, est mareyeuse à Zogbédji, un village côtier de Grand-Popo, une commune frontalière avec le Togo. Elle est en couple avec un écogarde. Elle  dit savoir que son mari ne gagne rien en faisant ce travail, mais qu’elle garde espoir qu’il va en tirer profit les années à venir.

Un écogarde incubant des œufs de tortues à Zogbédji, Grand-Popo. Image de Nature Tropicale ONG avec son aimable autorisation.

Cependant, les écogardes se plaignent de l’insuffisance de matériels de travail. « Nous avons besoin de matériels performants pouvant nous aider à marquer avec plus de précisions les lieux de ponte des tortues marines. Nous souffrons de moyens roulant pour le transport des tortues sur les sites aménagés avant de procéder plus tard à leur libération en mer », a dit Dossou Etienne Bienvenu. Que ce soit à Ouidah et à Grand-Popo, les difficultés exprimées se rejoignent. Conscients de travail bénévole qu’ils font, les écogardes sont restés unanimes sur le fait qu’ils attendent que le gouvernement leur accorde des primes mensuelles.

La plupart des écogardes sont des pêcheurs ou des riverains menant d’autres activités. A ce sujet, le Président de Nature Tropicale ONG informe que « les bénévoles ont leur activités indépendantes, qui leur procurent des ressources. Nous, nous les encourageons à rester dans le milieu pour développer leurs activités sans être en contradiction avec la préservation et, en retour, nous les accompagnons en renforçant leurs capacités pour la protection des tortues marines ».

Site d’incubation des œufs des tortues marines à Djèfa. Image de Nature Tropicale ONG avec son aimable autorisation.

La motivation des écogardes bénévoles

Selon Dossou-Bodjrènou, « les écogardes font des patrouilles, obtiennent les œufs des tortues. Il y a des touristes, qui veulent faire des patrouilles avec eux. Les écogardes collectent des œufs, font des incubations et obtiennent des bébés. Il y a des gens qui veulent venir voir ces bébés, les libérer avec eux et payer ». Sur la plage de Tokplégbé à Cotonou,  Dossou Etienne Bienvenu confirme : « quand les bébés tortues éclosent, les visiteurs, après observation, me font de petits gestes. Avec ceux qui viennent à la plage se détendre, je procède parfois à la libération des bébés tortues. Ils sont contents et m’encouragent. C’est ce que je trouve dans cette activité de préservation des tortues marines ». Le témoignage est le même à Grand-Popo sur la plage de Gbècon. « A des moments donnés, nous recevons des appuis financiers symboliques des touristes, qui visitent les plages lors de la libération des bébés tortues ou des tortues mères », ajoute Auguste Agbotrou. Etant pêcheur, il dit avoir pris conscience de l’importance de son rôle de conservateur, au moment où il a su ce que font les tortues marines en mer. Ces espèces se nourrissent des méduses qui consomment les œufs des poissons. « On a compris que la disparition des tortues marines, peut contribuer à réduire les poissons en mer. Notre rôle de protecteurs de tortues, même étant bénévoles, favorise davantage la prolifération des activités de la pêche artisanale », a-t-il dit avec fierté. Non seulement les œufs, les méduses se raffolent des fretins, renchérit Agbéli Victor, pêcheur et écogarde à Zogbédji. La protection des tortues contribue à l’augmentation des poissons en milieu marin, a-t-il ajouté.

La durabilité du bénévolat

Pour Joséa Dossou-Bodrjènou, « ce principe a duré et va continuer au fur et à mesure que nous apportons des touches pour l’améliorer. On ne peut pas faire de bénévolat pour toujours. Si la personne n’a pas le minimum pour survivre, elle va se désolidariser à un moment donné. La durabilité est vraiment réfléchie à notre niveau. Nous-mêmes, nous sommes des bénévoles. C’est en faisant ce bénévolat, que nous avons de petits appuis pour continuer. Nous travaillons pour la responsabilisation des communautés à la base. Sur le terrain, nous discutons avec ces communautés pour leur dire, dès qu’elles sont engagées, de ne pas s’attendre à un salaire. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de salaire, que ce n’est pas durable ». Il poursuit : « nous les amenons à faire des activités alternatives et nous, nous sommes chargés de mobiliser les ressources pour appuyer ces activités alternatives génératrices de bénéfices et, non seulement, de revenus ».

En service à la Direction générale des eaux forêts et chasse, du ministère du cadre de vie et du développement durable, le Commandant Ulysse Korogoné Sinagabé, Chef de la brigade de protection des écosystèmes marins et côtiers, pense « qu’il faut que nous changeons la conception de durabilité de ces espèces au niveau de la couche infantile pour pérenniser les actions. Dans les écoles, il faut commencer à sensibiliser les enfants ». Ce faisant, il dit mettre le doigt sur un travail formidable, que fait Nature Tropicale ONG à l’endroit des enfants, pour leur expliquer la nécessité de protéger les tortues marines.

Des bébés tortues obtenus après incubation des œufs. Image de Nature Tropicale ONG avec son aimable autorisation.

La question de sécurité des écogardes  

« Si nous prenons le cas des tortues marines, c’est surtout la nuit qu’elles arrivent sur la côte pour pondre. Et c’est aussi pendant la nuit qu’il y a le braconnage. Les écogardes, qui parcourent nuitamment les plages pour assurer la surveillance des tortues, pourraient être exposés à des risques d’insécurité », indique Josias Madogotcha, Environnementaliste, Chargé de suivi évaluation et de la conservation des espèces menacées à l’ONG Action Plus, basée à Ouidah. Tout en faisant remarquer que le moyen d’accompagnement ne peut être que pécuniaire, le Commandant Korogoné pense qu’il faut renforcer la sécurité des écogardes. « C’est l’un des objectifs que la brigade s’est assignée. Toute la période de ponte, nous allons essayer de mettre en place des équipes pour les accompagner dans leur mission. Car, parfois, ces écogardes sont agressés quand ils se retrouvent en face des personnes malintentionnées, qui veulent partir avec la tortue, qui est venue pondre, emporter ses œufs pour se faire des omelettes et manger la tortue elle-même ». « Nous allons dès cette année 2024, mettre en place une planification pour s’assurer que, de façon régulière, la sécurité est sur les plages pour leur permettre de bien faire leur travail », a dit le Chef de la brigade.

Des écogardes en formation sur le site de Nature Tropicale ONG à Grand-Popo. Image de Nature Tropicale ONG avec son aimable autorisation.

L’appel à des actions concertées  

« Il y a moins de tortues, qui viennent pour la ponte. C’est évident que la population de cette espèce démunie ».Constate Nicolas Alomasso. Face à cette situation, il invite les riverains des plages et les Organisations non gouvernementales d’autres pays, qui partagent la frontière avec l’océan à faire comme le Bénin, en œuvrant pour la conservation des tortues marines. Pour le Chef de la brigade de protection des écosystèmes marins et côtiers, les actions menées pour la conservation des espèces migratrices en général, les tortues marines en particulier, doivent être sous-régionales, régionales, continentales et mondiales. Il faut donc mettre l’accent sur la coordination. Agbéli et Agbotrou exhortent les écogardes des pays voisins à participer activement à la protection des espèces migratrices en voie de disparition, quand elles se retrouvent dans les eaux marines des pays limitrophes du Bénin. Ces appels rejoignent la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage, conclue à Bonn le 23 juin 1979 et qui appelle à une conservation et une gestion efficace de ces espèces. Ils requirent une action concertée de tous les Etats à l’intérieur des limites de juridiction nationale dans lesquelles ces espèces séjournent à un moment quelconque de leur cycle biologique.

 

 

Image de bannière : Des écogardes portant une tortue mère pour sa libération en mer sur la plage de Tokplégbé à Cotonou. Image de Nature Tropicale ONG avec son aimable autorisation.

 

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