Nouvelles de l'environnement

Un piège photographique met sur le devant de la scène le lesula, singe énigmatique du Congo

  • Uniquement présent dans les forêts pluviales de la République démocratique du Congo, le lesula (Cercopithecus lomamiensis) a été décrit, pour la première fois, par des scientifiques en 2012.
  • Une étude, réalisée par Animals en 2023, révèle, que le lesula est essentiellement terrestre, contrairement aux autres espèces de cercopithèques de la région.
  • L’étude montre également, que le lesula est actif pendant la journée ; il a un cycle de reproduction saisonnier et vit en groupe allant jusqu’à 32 individus, les jeunes mâles se dispersant pour former des groupes séparés.
  • Les chercheurs constatent que l’environnement des rivières Tshuapa, Lomami et Lualaba, où l’étude a eu lieu, possède une incroyable diversité d’espèces de primates.

En 2012, la description d’une nouvelle espèce de singe dans le bassin du Congo, au faciès remarquable de par sa similarité avec l’être humain, a fait les gros titres dans le monde entier. Aujourd’hui, une étude réalisée grâce à des pièges photographiques révèle comment le lesula (Cercopithecus lomamiensis) s’est fait son propre territoire sur le sol de la forêt.

Le lesula est un singe à la silhouette plutôt fine et de taille moyenne, avec une longue queue, qui vit uniquement dans une zone reculée du bassin du Congo entre les rivières Tshuapa, Lomami et Lualaba, ou TL2, en République démocratique du Congo. Bien connue des populations locales depuis longtemps, l’espèce était inconnue des scientifiques jusqu’à ce que des équipes de recherche du Projet TL2 de la Lukuru Foundation photographient un individu pendant une étude sur le terrain.

La taxonomie et une analyse génétique ont démontré que le lesula était un singe de l’espèce cercopithèque (genus Cercopithecus), le groupe de primates africain le plus riche en espèces différentes. On en savait très peu sur le lesula ou sur son comportement lorsqu’il a été décrit pour la première fois, mais certains indices révélateurs montraient déjà qu’il semblait très différent des autres espèces de cercopithèques de la région, principalement arboricoles.

Un lesula adult (Cercopithecus lomamiensis) Image de Florida Atlantic University.

Aujourd’hui, grâce à l’utilisation de pièges photographiques, les chercheurs ont découvert que le lesula passe bien plus de temps sur le sol que les autres singes de même type dans la région. Il est également actif pendant la journée et vit en groupes plus nombreux qu’on ne pensait auparavant, d’après l’étude publiée en 2023, par la revue Animals. L’étude démontre également l’importance du milieu du TL2 pour les primates.

« Nous avons six cercopithèques différents… vivant dans ce milieu et ils s’en sortent bien dans un environnement si divers et riche qu’il peut subvenir aux besoins de toutes ces espèces dans la même zone en même temps, et le lesula en fait partie », déclare Kate Detwiler, auteure de l’étude et Professeure d’anthropologie de la Florida Atlantic University.

Le bassin du Congo abrite la deuxième plus grande forêt tropicale sur Terre et couvre 178 millions d’hectares à travers six pays. C’est l’un des plus grands puits carbone de la planète. Ces forêts contiennent une incroyable biodiversité, avec des mammifères emblématiques tels que l’okapi (Okapia johnstoni), les bonobos (Pan paniscus) et les éléphants de forêt (Loxodonta cyclotis). La forêt pluviale abrite également plus de 1 000 espèces d’oiseaux et 600 essences d’arbres. Elle fournit aussi la subsistance d’innombrables populations locales et peuples autochtones.

Dans toute la région, l’agriculture itinérante et la production de charbon de bois sont les principaux facteurs de déforestation, tandis que le commerce de la viande de brousse frappe durement la faune sauvage. La RDC, qui possède plus de la moitié de la forêt primaire du bassin du Congo, a le taux le plus élevé de déforestation de tous les pays du bassin.

Un lesula adult (Cercopithecus lomamiensis) Image de Florida Atlantic University.

Néanmoins, la région reculée du TL2 en RDC, entourée des méandres de puissantes rivières, reste étonnamment intact et, avec ses 4 millions d’hectares, soit la taille de la Suisse, il est un refuge de biodiversité, y compris pour le lesula. Depuis 2016, le cœur de cette zone est protégé par le Parc national de Lomami, qui s’étend sur près de 900 000 hectares. Ici, le braconnage est le plus grand danger.

Pour comprendre comment le lesula utilise la forêt, les chercheurs ont besoin de l’observer. Mais ils ont rapidement réalisé, que les méthodes classiques d’étude des primates, consistant à les trouver, à les habituer à la présence humaine (processus d’habituation) et à suivre les groupes, n’allaient pas fonctionner.

Pour commencer, les lesulas sont extrêmement difficiles à trouver, même pour des primatologues chevronnés comme Kate Detwiler. Elle a parcouru la zone d’étude pendant trois semaines en 2012 et n’a pu apercevoir un lesula ? que le dernier jour, quand deux individus ont croisé la piste devant elle. « Et ça n’a même pas duré 10 secondes ! », se souvient-elle. « J’ai constaté à quel point ils étaient énigmatiques ».

Les chercheurs ont également pris garde à ne pas habituer les lesulas à leur présence, car ces singes sont menacés par la chasse. L’habituation ferait perdre aux lesulas leur peur naturelle de l’homme et les exposerait à un risque accru d’être tués.

C’est pourquoi les chercheurs ont décidé d’utiliser des pièges photographiques. Cette stratégie s’est avérée complexe et coûteuse, explique Junior Amboko, étudiant en troisième cycle de la Florida Atlantic University et un des auteurs de l’étude. La zone du TL2 est très reculée ; le matériel, tel que carburant, batteries et nourriture, doit être acheminé depuis des villes situées à plus de 160 kilomètres, et les déplacements y sont lents et difficiles.

Malgré tout, les chercheurs ont installé trois réseaux de pièges photographiques entre 2013 et 2016, deux dans la zone protégée et un dans la zone tampon. Partant de l’idée que le lesula semblait se déplacer principalement au sol, les caméras ont été placées le long des pistes en forêt au niveau du sol, et pour étudier leur comportement, elles ont été programmées en mode vidéo.

Équipe de recherche du Projet TL2 en 2016. Image courtoisie de Junior Amboko.

Au total, les caméras ont enregistré 15 000 vidéos, dont près de 600 clips avec le lesula. L’analyse de ces clips était une tâche monumentale, qui a requis le travail de nombreux étudiants chercheurs, raconte Kate Detwiler. Mais finalement, une image de l’écologie comportementale particulière du lesula a émergé.

Comme les autres cercopithèques de la région, le lesula est presque exclusivement actif pendant la journée, avec très peu de vidéos tournées à l’aube ou au crépuscule, et ses habitudes de reproduction sont liées aux pluies, comme pour les autres cercopithèques.

Mais pour d’autres aspects, le lesula a ses propres particularités. Il passe beaucoup plus de temps sur le sol de la forêt que les autres singes. Près de 600 vidéos des lesulas les montrent se déplaçant au sol, contre seulement dix clips des autres espèces de cercopithèques.

Les vidéos ont également montré que les lesulas vivent en groupes plus importants qu’on ne le pensait, jusqu’à 32 individus. Les groupes sont généralement constitués d’un mâle adulte, de nombreuses femelles et de leurs petits, tandis que les jeunes mâles forment d’autres groupes. Cependant, les chercheurs ont remarqué, que la taille moyenne des groupes filmés par les caméras, était plus petite. Cela pourrait être parce que les caméras ne filment que ce qui se trouve juste devant l’objectif, mais plus de recherches sont nécessaires. (Malheureusement, les lesulas n’ont pas pris la pose pour un portrait de famille ).

Ces conclusions ont des applications concrètes en matière de conservation. Une étude précédente, utilisant les mêmes données de pièges photographiques associées à des données sur la fréquence des cris matinaux des lesulas, est arrivée à la conclusion, que le singe n’est pour l’instant, pas trop fortement affecté par la chasse. Cependant, les lesulas se déplacent en plus petits groupes dans la zone tampon, où les chasseurs opèrent, par rapport à l’intérieur du parc national. Vivre en groupes plus petits et plus silencieux pourrait être un moyen d’échapper aux chasseurs, explique Kate Detwiler. Des données de référence sur la taille des groupes pourraient donc aider les chercheurs à détecter les populations en situation de stress.

Deux lesulas au bassin du Congo. Image de Florida Atlantic University.

John Hart, membre du projet TL2, affirme que la zone recèle encore de nombreux mystères et que les nouvelles méthodes comme les pièges photographiques nous permettent d’observer sous la canopée, afin de percer les secrets de la forêt. Certaines vidéos montraient à la fois des lesulas et des céphalophes bleus (Philantomba monticola), ainsi que d’autres espèces. John Hart espère, que des recherches plus poussées montreront si ces associations sont intentionnelles ou si ces espèces ne font que se « rencontrer au même restaurant ».

L’étude soulève également de nouvelles questions sur la manière, dont les lesulas utilisent la canopée. Bien que l’espèce soit principalement terrestre, les observations montrent qu’elle grimpe également aux arbres, et Kate Detwiler voudrait savoir pourquoi. Elle prépare déjà une nouvelle étude pour laquelle l’équipe placera des pièges photographiques à différentes hauteurs dans la canopée.

Les résultats pourraient donner des indices sur notre propre évolution. Kate Detwiler affirme que comprendre le lesula pourrait nous apporter des réponses sur « ce que faisait l’australopithèque lorsqu’il a évolué et qu’il est descendu des arbres ». Comme le lesula, l’australopithèque, une espèce d’Hominidé ayant vécu il y a quelques deux millions d’années, marchait sur le sol, mais grimpait encore dans les arbres. « Si ces espèces vivent aujourd’hui devant nous, nous pouvons donc nous demander ce qu’elles font encore là-haut ».

 
Image de bannière : A lesula female and infant in the TL2 Landscape in the central Congo Basin. Lesula live in family groups of up to 32 individuals, usually composed of one adult male, several females, and young. Image by Florida Atlantic University

 
Citations:

Fournier, C. S., Graefen, M., McPhee, S., Amboko, J., Noonburg, E. G., Ingram, V., … Detwiler, K. M. (2023). Impact of hunting on the lesula monkey (Cercopithecus lomamiensis) in the Lomami River Basin, Democratic Republic of the Congo. International Journal of Primatology, 44(2), 282-306. doi:10.1007/s10764-022-00337-4

Fournier, C. S., McPhee, S., Amboko, J. D., & Detwiler, K. M. (2023). Camera traps uncover the behavioral ecology of an endemic, cryptic monkey species in the Congo Basin. Animals, 13(11), 1819. doi:10.3390/ani13111819

Hart, J. A., Detwiler, K. M., Gilbert, C. C., Burrell, A. S., Fuller, J. L., Emetshu, M., … Tosi, A. J. (2012). Lesula: A new species of Cercopithecus monkey endemic to the Democratic Republic of Congo and implications for conservation of Congo’s Central Basin. PLOS ONE, 7(9), e44271. doi:10.1371/journal.pone.0044271

 
Article original en anglais: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2024/06/camera-trap-study-brings-the-lesula-congos-cryptic-monkey-into-focus/

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