- Une récente étude portant sur les techniques d’utilisation de bâtons par les chimpanzés sauvages a examiné comment le primate tient et manie ses outils à des âges différents pour recueillir de la nourriture dans des endroits difficiles d'accès.
- L'étude révèle, qu’en vieillissant, les chimpanzés deviennent plus aptes à ajuster le maniement de l’outil en fonction de la tâche à réaliser et souligne que les chimpanzés, comme les humains, continuent d’affiner leurs compétences jusqu'à l'âge adulte.
- Selon les chercheurs, ce développement continu des compétences est essentiel à la survie des chimpanzés dans un environnement en proie aux changements climatiques et met en évidence l'importance des initiatives de conservation pour préserver les cultures et les traditions des chimpanzés.
À l’instar des humains, les chimpanzés peuvent et savent utiliser un éventail d’outils pour accomplir certaines tâches, comme aller recueillir de la nourriture dans des endroits difficiles d’accès, par exemple.
Une récente étude publiée dans PLOS Biology révèle que les chimpanzés, tout comme les humains, continuent de perfectionner ces techniques jusqu’à l’âge adulte.
Cet apprentissage tout au long de la vie et le développement continu des compétences sont des éléments fondamentaux pour la survie des chimpanzés sauvages, explique Mathieu Malherbe, auteur principal de l’étude du laboratoire Ape Social Mind de l’Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod en France et responsable du projet de recherche et de conservation du parc national Taï en Côte d’Ivoire, le Taï Chimpanzee Project.
« La capacité des chimpanzés à extraire de la nourriture [qui serait autrement inaccessible] à l’aide de bâtons peut s’avérer essentielle lorsque les ressources alimentaires se font rares – phénomène de plus en plus fréquent en raison des changements climatiques », a indiqué le chercheur dans un courriel adressé à Mongabay.
« Le chimpanzé est l’espèce qui possède et manie l’une des panoplies d’outils les plus diversifiées, après l’homme. Les projets de conservation devraient donc axer leurs efforts sur la préservation de ces traits comportementaux, car la préservation de l’espèce nous aidera à comprendre l’histoire évolutive de la lignée humaine », a-t-il ajouté.
Mathieu Malherbe a également fait observer que pour les chercheurs travaillant sur l’évolution de l’espèce humaine, l’utilisation des outils est considérée comme une force motrice du développement cognitif et de la dépendance à long terme des jeunes chez les primates. De même, il a été reconnu que c’est grâce à cet apprentissage tout au long de la vie que les humains peuvent aisément manier un large éventail d’outils.
Les chercheurs soulignent que si de nombreuses études ont examiné comment les chimpanzés acquièrent les compétences nécessaires à l’utilisation d’outils, très peu d’entre elles se sont intéressées à la manière dont ils les développent tout au long de leur vie, en particulier à l’état sauvage. Par conséquent, les sources d’informations sur les compétences qui sont innées et celles qui résultent de l’apprentissage, ainsi que sur les modalités de ce dernier, restent limitées. Mais grâce à cette étude, les chercheurs entendent combler cette lacune.
Pendant sept ans et demi, les chercheurs ont suivi trois communautés de 70 chimpanzés d’Afrique de l’Ouest (Pan troglodytes verus), âgés de 1 à 54 ans dans le parc national de Taï. Les animaux, bien que sauvages, sont identifiés comme « habitués », c’est-à-dire qu’ils sont habitués à la présence des humains.
Les chercheurs ont observé la précision, la puissance et la dextérité avec lesquelles les chimpanzés maniaient leurs outils en fonction de la taille des cavités et du type de nourriture, qu’il s’agisse de miel, d’insectes, de moelle osseuse, de cerneaux de noix ou de graines à l’intérieur de gousses.
Ils ont noté que les chimpanzés plus âgés étaient plus aptes à ajuster la manière de tenir leur bâton pour recueillir plus efficacement la nourriture. « Les adultes, et non les jeunes chimpanzés, ajustent le maniement de l’outil pour une meilleure prise en main en fonction de l’action à réaliser », indique l’étude.
Lorsqu’ils ont besoin de broyer leur nourriture, les chimpanzés adultes préfèrent une prise à pleine main, autrement dit une prise ferme de l’outil, et lorsque la précision est de mise pour insérer un outil dans des cavités, par exemple, ils le tiennent et le dirigent avec leurs doigts.
L’étude révèle que les différentes techniques observées par les chercheurs soulignent la nécessité d’un apprentissage à long terme pour aboutir à une utilisation efficace des outils.
Selon les chercheurs, la capacité des chimpanzés adultes à choisir la bonne prise pour la bonne action – capacité qui n’est pas systématiquement observée chez les jeunes chimpanzés – suggère que la phase de compréhension des exigences d’une tâche spécifique intervient plus tard dans le processus de développement des chimpanzés.
Mathieu Malherbe estime que des projets de conservation tels que celui-ci contribuent déjà à la conservation de l’espèce.
Les chimpanzés sont des animaux sociaux et, à l’instar des humains, ils transmettent leurs compétences et leurs comportements de génération en génération grâce à l’apprentissage. Ainsi, la destruction de leurs communautés par les activités humaines telles que l’exploitation forestière ou la chasse illégale entraîne non seulement leur disparition, mais aussi celle de générations de traditions culturelles uniques.
« C’est pourquoi l’UICN [Union internationale pour la conservation de la nature] lutte pour préserver non seulement les chimpanzés, mais aussi leurs cultures », a déclaré l’auteur principal de l’étude.
Erin Wessling, coresponsable du groupe de travail sur les cultures des chimpanzés auprès de l’UICN, l’autorité mondiale en matière de conservation de la faune et de la flore, a déclaré que les résultats de l’étude « mettent bien en évidence la complexité des comportements associés à l’utilisation d’outils observés à l’état sauvage ».
« Si les comportements liés à l’utilisation d’outils leur permettent d’accéder à des aliments importants pour leur régime alimentaire, nous devons alors considérer l’utilisation d’outils, qu’elle soit complexe ou simple, comme un élément essentiel à la survie des chimpanzés et, par conséquent, à leur conservation », a déclaré Erin Wessling, qui n’a pas participé à l’étude.
Elle a ajouté que les activités humaines pouvaient influer sur ces traits comportementaux, soulignant ainsi la nécessité pour les scientifiques et les défenseurs de l’environnement de réfléchir aux approches de conservation à mettre en place pour les préserver. Ces approches devront aller au-delà de la simple garantie de survie des populations de chimpanzés.
« Nous devrions nous servir de ces beaux exemples de comportements complexes pour modeler notre réflexion sur les mesures à instaurer afin de garantir la transmission de ces comportements aux autres générations », a-t-elle déclaré. « S’il leur faut autant de temps pour les maîtriser, nous devons alors veiller à leur donner suffisamment de temps pour y parvenir ».
Citation:
Malherbe, M., Samuni, L., Ebel, S. J., Kopp, K. S., Crockford, C., & Wittig, R. M. (2024). Protracted development of stick tool use skills extends into adulthood in wild western chimpanzees. PLOS Biology, 22(5), e3002609–e3002609. doi:10.1371/journal.pbio.3002609
Cet article a été publié pour la première fois en anglais ici.