- Prévue en 2023, en République démocratique du Congo (RDC), l’exploitation du lithium se fait toujours attendre.
- L’État congolais et l’entreprise AVZ se disputent les droits sur une concession du minerai attribuée à la société chinoise Zinjin.
- Les attentes se prolongent pour les habitants en quête d’emplois ; en même temps, ces derniers n’ont pas encore été sensibilisés sur l’impact de l’exploitation du lithium sur leur milieu de vie.
Lubumbashi, le 28 avril 2024 – A Manono, dans la province du Tanganyika, au nord de la région du Katanga en République Démocratique du Congo (RDC), l’exploitation du lithium tarde à démarrer, plus de deux ans après l’annonce d’un important gisement. Ce métal très recherché depuis une décennie environ dans le monde pour les batteries, qui offrent de meilleurs stockages d’électricité connus à ce jour, suscite l’espoir de développement des infrastructures comme les routes, et des emplois surtout pour les habitants.
Jusqu’à ce jour, à Manono et dans les environs, l’activité qui rémunère demeure l’agriculture. Mais des jeunes s’en détournent dans leur quête de l’argent rapide. Ils descendent dans les galeries souterraines, manuellement creusées, à la recherche de la cassitérite, autre minerai prisé dans l’industrie électronique recherché par des acheteurs indiens et chinois, qui ont établi des comptoirs sur place.
Or, l’entreprise DATHCOM Mining SA, créée pour l’exploitation de ce produit, n’a toujours pas démarré et voit ses chances d’y parvenir s’éloigner. Puisque, l’Etat congolais s’est intéressé à un autre partenaire, le géant chinois minier Zijin déjà présent dans les mines de cuivre et de cobalt dans le Katanga. En accordant le permis de recherche 15775 à Manono lithium, coentreprise d’exploitation de Zijin et la société publique Cominière (Congolaise d’exploitation minière), Kinshasa semble se détourner de son partenaire australien AVZ Minerals qu’il accuse notamment, d’après plusieurs médias locaux, d’avoir caché certaines données sur les explorations effectuées, ce que dément AVZ. Depuis, cette dernière a saisi la chambre internationale de commerce pour arbitrage en octobre 2023.
Au niveau de la communauté, explique Dieumerci Kabila qui vit à Manono, journaliste dans une radio locale et activiste de la société civile, « ce conflit nous affecte. On attend l’exploitation [du lithium] pour nous développer ».
La société publique ZAÏRETAIN exploitait, jusqu’en 1982, l’étain à Manono avant de dégringoler jusqu’au coup de grâce que lui assena la seconde guerre du Congo, dirigée par des rébellions armées venues du Rwanda et de l’Ouganda, contre Laurent-Désiré Kabila (1939-2001), le tombeur de Mobutu (1930-1997). Quelques sociétés privées, en outre, ont acquis des carrés miniers sur les gisements de cette société recréée, appelée aujourd’hui Cominière.
Le projet de lithium, dont les réserves sont estimées à 400 millions de tonnes, d’après la société australienne AVZ Minerals, inspire le renouveau économique de Manono qui a sombré avec la chute de ZAÏRETAIN.
Des espoirs de développement en passe de déchanter
Mais cette bataille désormais juridique et les accusations de corruption risquent de faire déchanter les espoirs à Manono. Déjà, l’ONG britannique Global Witness dit redouter la corruption, dans son rapport examinant 3 projets de lithium en Afrique dont la RDC, qui risque de faire perdre aux pays l’influence sur ce minerai stratégique. Or, en 2021, l’IGF (Inspection générale des finances), une institution publique rattachée à la présidence de la République, a déploré « des actes de bradage » des actifs (15 %) de la Cominière dans DATHCOM lors d’une cession à Zijin. Les pertes sur cette transaction s’élèvent à 120 760 000 USD, d’après le rapport de l’IGF.
Sur ce même sujet, Africa Intelligence (AI) révèle des pots-de-vin dans le rapprochement entre Zijin et Cominière par l’intermédiaire d’une ancienne fonctionnaire du cabinet du conseiller à la sécurité du président Félix Tshisekedi, Lisette Kabanga Tsibwabwa, qui préside actuellement le conseil d’administration de la Cominière. Aussi, ce même média révèle que Zijin a récemment débloqué 70 millions de dollars à titre humanitaire au profit des victimes des violences dans l’est de la RDC, à partir de Manono lithium. Mais seulement 40 millions sont parvenus à l’ONG Le Bouclier, destinataire des fonds, le reste s’étant volatilisé, selon AI, à partir d’un compte transitoire non identifié. Or, depuis septembre 2023, le président de cette ONG, Jean-David E’ngazi, siège au conseil d’administration de la Cominière, co-responsable de Manono lithium, indique la même source.
Les questions d’impact environnemental ne se discutent pas encore
D’après Dieumerci Kabila et Cyprien Kitanga, Administrateur du territoire de Manono contactés par Mongabay à Manono, la question de l’impact environnemental de l’exploitation du minerai n’a pas encore été évoquée alors que DATHCOM n’attend que l’autorisation d’exploitation du lithium. Pareil pour Manono lithium dont les recherches sont annoncées comme très avancées. D’après Dieumerci Kabila, qui suit l’évolution du « projet lithium », l’élaboration des cahiers des charges n’a pas encore non plus commencé. « Les gens [activistes de la société civile, Ndlr] ont besoin de formation », en vue de mieux cerner les enjeux environnementaux liés à l’exploitation à venir, explique Dieumerci Kabila.
Cyprien Kitanga, n’a pas non plus connaissance du démarrage de l’étude d’impact environnemental, qui est pourtant un préalable à toute exploitation. « Il n’y a pas de bonne foi de l’entreprise », regrette Cyprien Kitanga. Il indique, en plus, que pour la population, l’attente s’allonge et que même les actions censées permettre de « gagner la confiance de la population », de [Ndlr] la rassurer sur les activités minières, n’ont pas lieu.
Toutefois, au téléphone de Mongabay, le Directeur général par intérim de la Cominière, Célestin Kibeya, assure que cette étude existe et devrait être publiée sur le site web de l’entreprise étatique d’ici à un mois environ. Quant au démarrage de l’exploitation, il explique qu’« il faut d’abord la validation de l’étude de faisabilité » des autorités du ministère des mines.
D’après le professeur Jean-Paul Katond de l’université de Lubumbashi en RDC, spécialisé en énergies électriques, l’industrie du lithium peut s’avérer très pollueuse. A travers la saumure, explique-t-il, il faut s’attendre à davantage de consommation d’électricité et d’eau, ce qui rend le lithium peu respectueux de l’environnement, selon le média français « L’infodurable ». « Cela peut changer : mais les méthodes actuelles utilisent énormément d’eau à haute pression. Et cette eau-là vient soit des cours d’eau, soit de la nappe. On va creuser des puits pour cela. Il s’avère que les solutions actuelles pour y remédier ou l’atténuer ne sont pas encore très efficaces », explique Katond.
« Généralement, on va considérer que ce sont des zones mortes. Il faudra trouver des solutions pour pouvoir les exploiter plus tard », explique Katond. Pour lui, cette solution consiste à affecter les bénéfices tirés de l’exploitation du lithium au renforcement des écosystèmes à un autre endroit dans le but de maintenir l’équilibre écosystémique.
Image de bannière: Plus de 50 % de la production du cobalt mondial provient de la RDC. Image par Fairphone sur Flickr (CC BY-SA 2.0)