- Au Gabon, 80 % du territoire est marqué par la présence des éléphants de forêts, dont la population est estimée à plus de 95 000, la taille la plus importante de cette espèce dans le monde.
- La cohabitation entre les humains et ces pachydermes est si difficile et génère régulièrement des conflits aux conséquences désastreuses sur la faune et sur les communautés, avec en moyenne trois à quatre personnes tuées par an.
- En décembre dernier, suite à la mort d’un citoyen gabonais tué par des éléphants, le président de la transition gabonaise, Brice Olingui Nguema, a préalablement instruit l’abattage de ces animaux avant de se rétracter ensuite, redoutant sans doute une flambée du braconnage de ces bêtes, dont plus de 48 000 ont été abattues entre 2011 et 2023.
- Le gouvernement de transition gabonais assure la continuité des actions visant à réduire la prévalence du conflit homme-faune, notamment par la construction des clôtures électriques aux confins des aires protégées. Un ministère entièrement dédié à la gestion du conflit homme-faune a d’ailleurs été créé en début d’année par le président de la transition pour adresser cette problématique.
Au mois de décembre dernier, un enseignant gabonais a perdu la vie suite à un accident entre un troupeau d’éléphants et un véhicule dans lequel il se trouvait à Mouila au Sud du pays.
L’incident est survenu alors que le président de la transition gabonaise, Brice Clotaire Oligui Nguema, était en visite dans la région. Cette nouvelle a alors poussé le général Oligui Nguema, arrivé à la tête du pays par un coup d’État en août, à proclamer sans ciller l’abattage systématique des éléphants pour préserver les vies humaines.
« Les populations victimes de ce conflit Homme-Faune, je vous autorise à abattre ces éléphants (…) Je suis un humaniste. J’ai instruit le ministre de faire libérer sans délai et sans conditions toutes les personnes emprisonnées pour avoir tué les éléphants », avait-il lancé tel un pavé dans la marre.
Cette sortie a suscité une vague d’indignation de la part des défenseurs de la biodiversité, avant que le chef de l’État gabonais ne se rétracte un mois plus tard, redoutant à coup sûr une flambée des battues d’éléphants dans un pays où plus de 48 000 pachydermes ont été abattus entre 2011 et 2023, selon une évaluation de la socio-anthropologue gabonaise Léa-Larissa Moukagni, émanant de ses travaux de recherche sur une quinzaine d’années.
En dépit des chiffres alarmants qui résultent de l’ampleur du braconnage de ces animaux placés en danger critique d’extinction au niveau mondial par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la population des éléphants de forêts (Loxodonta cyclotis) est plus élevée que prévu au cours des quarante dernières années dans le pays. Au lieu d’être estimée à 60 000 dans les années 1980, elle est désormais à 95 000, selon une enquête réalisée par l’organisation non-gouvernementale américaine Wildlife Conservation Society (WCS) et l’Agence nationale des parcs nationaux du Gabon (ANPN) entre 2018 et 2020.
D’après Gaspard Abitsi, le directeur du programme de WCS au Gabon, le pays est le principal habitat des éléphants de forêt, et héberge environ 70 % de la population mondiale de cette espèce. On les retrouve d’ailleurs disséminés sur plus de 80 % du territoire gabonais.
« À partir du moment où on a des éléphants sur l’ensemble du territoire et que le Gabon abrite la population la plus importante, naturellement, ça pose des problèmes de cohabitation », explique-t-il.
Au Gabon, plus de 80 % de la population vit en zone urbaine, et les 20 % restants sont répartis de manière éparse sur l’ensemble du territoire, avec des villages qui abritent très souvent une centaine d’habitants. La population rurale représente à peu près 10 % de la population du Gabon (environ 2 340 000 d’habitants), et il y a environ 35 000 ménages qui vivent en zone rurale.
« Si on a 35 000 ménages en zone rurale et qu’on a 95 000 éléphants, ça fait qu’en moyenne, un ménage en zone rurale cohabite avec trois éléphants. La perception et la réalité du conflit qui rejaillit souvent est une problématique assez importante au Gabon », renchérit Gaspard Abitsi.
Un ministère chargé du conflit homme-faune voit le jour
Les déclarations de Brice Clotaire Oligui Nguema ont trahi ostentatoirement le dilemme auquel il est confronté depuis son arrivée à la tête du pays, entre préserver les vies humaines des attaques des éléphants et protéger la riche biodiversité du pays. Entre 2016 et 2020, le gouvernement gabonais a procédé à un recensement des sinistres liés au conflit homme-faune, et il en ressort que plus de 13 000 personnes avaient été affectées, avec à la clé une douzaine de pertes en vies humaines.
Le gouvernement gabonais a mis en œuvre depuis 2010 une stratégie nationale de gestion des conflits homme-faune, et en 2022, il a signé un accord d’une durée de cinq ans avec l’ONG internationale de conservation Space For Giants, qui vise à développer un plan d’action conjoint dans la mise en œuvre des différents plans de protection des éléphants de forêt, ainsi que la maîtrise des effets induits sur les populations locales. Ledit plan est assuré par le pouvoir de transition.
L’ONG s’emploie depuis lors à l’installation des clôtures électriques mobiles, et a formé des agents du ministère gabonais des Eaux et forêts et de l’Agence nationale des parcs nationaux dans cette opération. Ils procèdent aussi par la sensibilisation des communautés.
À la fin de janvier 2024, Space For Giants avait déjà déployé un total de 574 clôtures dans 311 villages au profit de 6 356 personnes, pour un taux d’efficacité de 95,4 % selon l’organisation.
« Le déploiement de ce dispositif de répulsion des éléphants a eu un impact considérable sur la reprise des activités agricoles de plusieurs villages. L’outil a également contribué à l’amélioration des récoltes et à la diversification des produits agricoles », soutient Eric Chehoski, directeur de Space for Giants Gabon.
Par contre, il peut arriver que certains éléphants apprennent à briser les clôtures électriques. L’ONG précise qu’elle ne s’occupe pas de l’entretien des clôtures, mais que ce volet incombe plutôt aux communautés locales.
Depuis le régime du président déchu Ali Bongo Ondimba, le Gabon est lancé dans une quête permanente de solutions aux conflits homme-faune avec des résultats toujours mitigés.
Le président de la transition gabonaise aurait déjà pris la mesure de cette question d’urgence nationale. Il a décidé en mi-janvier de créer un ministère de l’Environnement, du climat, et du conflit homme-faune, suite à l’éclatement du ministère des Eaux et Forêts en deux ministères distincts.
Ce nouveau département ministériel est géré par Arcadie Svetlana Minguengui Ndomba, une juriste de formation et diplômée de l’Ecole nationale d’administration (ENA) en administration scolaire et universitaire. À l’observation, elle est dotée d’un profil de formation et des compétences antérieures qui sont en déphasage avec la fonction qu’elle occupe désormais. À l’image du novice Brice Clotaire Oligui Nguema aux affaires de l’État gabonais, et du ministre des Eaux et forêts, elle hérite d’un maroquin complexe avec peu d’expérience dans le domaine pour relever le défi.
Dans ce pays d’Afrique centrale, les dirigeants sont très souvent confrontés à l’indignation des populations villageoises dont les récoltes et les habitations sont détruites par les éléphants. Et en guise de solutions, ils ont opté pour des compensations financières en faveur des victimes. En 2023, le Gabon a dépensé 4 milliards de FCFA ($ 6,541 millions) au titre de compensations financières payées aux victimes des conflits homme-faune.
L’on ignore cependant si le nouveau régime de Libreville continuera de régler des compensations aux victimes de ce conflit, car Mongabay n’a pas pu obtenir de réponses des officiels du gouvernement gabonais suite à ses sollicitations. Le Directeur de la Communication du nouveau ministère de l’Environnement, du climat et du conflit homme-faune a dit que les choses se mettaient encore en place et qu’il était « trop tôt » de solliciter des informations de leur part.
Les analystes politiques et journalistes gabonais ont refusé de parler avec Mongabay en raison de la situation politique délicate dans le pays.
Au Gabon, le taux de pauvreté en milieu rural est de 45 %, et plus de deux fois supérieur au taux enregistré en milieu urbain (20 %), d’après les statistiques du Fonds international de développement agricole (FIDA). Le sort des populations dans cette zone est aggravé par un accès limité aux services publics et sociaux de base, notamment les soins de santé, l’eau potable et l’électricité. Par conséquent, l’agriculture s’en trouve être l’activité phare des paysans pris dans l’étau des éléphants dévastateurs de leurs récoltes.
La coexistence entre les humains et ces pachydermes demeure une gageure pour les pouvoirs publics gabonais, tant il est vrai que les éléphants jouent un rôle primordial dans l’écosystème forestier, selon une analyse du docteur Steeve Ngama, responsable du Programme faune sauvage et développement durable à l’IRAF-CENAREST (Institut de Recherche agronomiques et forestières – Centre national de recherche scientifique et technologique) du Gabon.
« La vitalité des forêts est tributaire de la présence des éléphants », commente ce spécialiste. « L’éléphant est le jardinier de la forêt, et il est scientifiquement démontré que si l’éléphant disparait, les forêts finiront par disparaitre ».
Ils accélèrent la dynamique forestière par le fait qu’en passant ils créent des pistes, et sur ces pistes-là, ils peuvent favoriser l’ouverture de la forêt à certains endroits, et ces ouvertures favorisent l’émergence d’autres espèces. L’éléphant, puisqu’il contribue à la régénération des forêts, contribue à la dispersion des graines, qui produisent les arbres, et ce sont ces arbres qui stockent le carbone. Donc, l’éléphant est aussi considéré comme étant à la base du stockage du carbone, et à la base de la réduction des gaz à effet de serre sur la planète.
« Sans la présence de l’éléphant, l’action de l’homme devait être décuplée, pour avoir une incidence directe sur l’équilibre climatique », explique Ngama.
Image de bannière : Un éléphant de forêt. Image de Nik Borrow via via Flickr (CC BY-NC 2.0).