Nouvelles de l'environnement

Kenya : Les bienfaits de la récolte de beaucoup de poulpes en réduisant la pêche

  • Les habitants de Munje, un village de pêcheurs à côté du port de Mombasa, interdisent par moments la pêche des poulpes afin de garantir une pêche durable.
  • Les prises de poulpes dans les récifs coralliens étaient en déclin depuis la ruée des pêcheurs sur cette espèce rentable.
  • Face aux échecs de régulation de la pêche des poulpes l'unité de gestion des plages du village a bénéficié du soutien d'une ONG pour expérimenter des stratégies ayant fait leurs preuves ailleurs.
  • La bonne communication et le consensus ont permis l'adhésion de la population qui s’attend à une deuxième période de récolte fructueuse en février.

MUNJE, Kenya – Au milieu de l’année 2023, un lieu de pêche particulièrement prisé pour les poulpes, situé juste au large du village de Munje, était étrangement désert. Les membres de l’unité de gestion des plages du village ont veillé scrupuleusement à ce que personne ne pêche dans cette partie du récif. À la fin octobre, la BMU (Beach management unit) de Munje s’est rendue sur le récif pour récolter le fruit de ses efforts.

Munje est un petit village de pêcheurs sur l’océan indien à 60 kilomètres au sud de la ville portuaire de Mombasa. Ses habitants vivent de l’agriculture et de la pêche aussi bien pour leur subsistance que pour leurs revenus. La pêche au poulpe, principalement l’Octopus vulgaris, dans le récif est l’une des activités les plus rentables.

Mais les poulpes ont commencé à manquer en raison de la surpêche et de la dégradation des récifs coralliens où vivent les céphalopodes. « À l’époque de nos pères, beaucoup de poulpes vivaient ici, mais aujourd’hui, quand un pêcheur part en mer, il ne retourne qu’avec un ou deux kilos de poulpes », se désole Hamisi Bakari Chimete, le responsable de la BMU auprès de Mongabay en août dernier. « C’est la raison pour laquelle nous avons eu l’idée de fermer l’un de nos sites de pêche, pour permettre aux poulpes de se reproduire et au récif de se reconstituer ».

Detail of poster at the Munje BMU office illustrating the octopus life cycle. An octopus closure allows the population time to regenerate between harvests. Image by Terna Gyuse for Mongabay.
Détail de l’affiche du bureau de la BMU de Munje illustrant le cycle de reproduction du poulpe. La fermeture de la pêche au poulpe donne à la population le temps de se reconstituer entre deux prises. Crédit photo : Terna Gyuse pour Mongabay.

Pêcher moins pour récolter plus

Tous les villages de pêcheurs au Kenya ont une unité de gestion des plages (BMU), un comité d’habitants responsable de la gestion et de la protection des ressources marines locales. La BMU de Munje a décidé d’interdire la pêche au poulpe pendant une période dans une zone délimitée, et l’ouvre pour quelques jours seulement tous les trois ou quatre mois.

Cette interdiction permet à la population de poulpes de la zone de se renouveler. Pendant la durée de l’interdiction, les œufs fraîchement déposés dans les crevasses du récif vont éclore et les jeunes invertébrés grandissent rapidement jusqu’à leur taille adulte, le temps d’une ouverture pour une courte période de pêche.

Bien gérée, l’interdiction de la pêche a pour résultat une hausse des prises de poulpes et d’autres espèces qui bénéficient de la protection qui en découle, améliorant le niveau de vie des pêcheurs ainsi que le fonctionnement des pêcheries.

Plus facile à dire qu’à faire

Munje avait déjà tenté de prendre des mesures similaires auparavant. Mais selon Hamisi Bakari Chimete, une grande partie des habitants ne comprenait pas pourquoi cette partie du récif leur était interdite. L’interdiction n’était pas respectée et les pêcheurs, surtout les jeunes inexpérimentés attirés par un commerce profitable, continuaient à pêcher le poulpe dans la zone interdite, causant parfois des dommages aux récifs en utilisant des techniques de pêche inadaptées.

Les responsables de la BMU ont trouvé une solution pour une nouvelle tentative lors de l’un des nombreux forums publics organisés par le gouvernement du comté de Kwale. En 2021, ils ont fait la rencontre d’une ONG, Coastal and Marine Resource Development, une organisation kenyane qui travaille avec 15 BMU dans le comté de Kwale et dans le comté voisin de Kilifi. Aussi connue sous le nom de COMRED, cette ONG concentre ses efforts sur les processus participatifs qui associent la science et la gestion par le biais de la formation au leadership, du suivi des pêcheries et de l’établissement et de l’entretien de zones marines gérées localement.

« Notre première interdiction de pêche a échoué car la population n’avait pas été suffisamment sensibilisée à l’importance du projet pour l’adopter », explique Hamisi Bakari Chimete. « De nombreux pêcheurs y étaient opposés car ils pensaient qu’il s’agissait d’un projet du gouvernement pour transformer la zone d’interdiction en aire protégée ». Avec l’aide du COMRED, la BMU a entrepris d’obtenir l’appui de la communauté pour une nouvelle zone d’interdiction de la pêche au poulpe.

Kitsau Chengo Msukulu standing in shallow water, bent over rinsing octopuses he's just speared on the reef further out from shore. Image by Diana Wanyonyi for Mongabay.
Kitsau Chengo Msukulu, pêcheur et membre de l’unité de gestion des plages de Munje, initialement opposé à l’interdiction. Crédit photo : Diana Wanyonyi pour Mongabay.

Maryline Chebet, chef de projet pour la gestion des pêcheries, a déclaré à Mongabay que les pêcheurs craignent souvent qu’une interdiction de pêche au poulpe entraîne une exclusion permanente de la zone, comme c’est le cas lors de la création de parcs marins. Mais la protection du récif au large de Munje est contrôlée par la BMU, qui examine les résultats et décide elle-même pendant combien de temps il convient de maintenir le rythme de fermeture et de pêche périodique.

« Nous avons emmené certains habitants du village pour un échange d’apprentissage entre pairs dans un village de Lamu, où ils ont mis en place avec succès une fermeture de la pêche pour les poulpes », explique-t-elle.

« Après cette visite, les villageois, assistés par le COMRED, ont lancé la sensibilisation des différents groupes composant la BMU, comme par exemple les pêcheurs qui utilisent un autre type de matériel, les habitants, les BMU voisines, et grâce à des réunions publiques pour obtenir un consensus ».

Salim Juma Shee était l’un des porte-parole d’un groupe de 20 pêcheurs qui s’opposaient fortement à l’interdiction.

« Dans mon groupe, j’étais le seul à assister régulièrement aux réunions de la BMU sur l’interdiction de la pêche au poulpe. Je n’en avais manqué aucune, mais je n’étais pas d’accord avec ce qu’ils disaient », ajoute-t-il. « J’ai une famille qui dépend de moi, la pêche est mon travail principal, et on nous disait que nous ne pouvions plus pêcher ? ».

Ses griefs étaient relatifs au manque d’informations sur le fonctionnement de l’interdiction et sur les zones où les gens comme lui pourraient encore pêcher ; la zone proposée pour l’interdiction représentait à peine la taille d’un terrain de football (4 000 mètres carrés) mais elle faisait partie des sites de pêche les plus riches de la côte.

« Un jour la BMU nous a invités, nous, les pêcheurs qui étaient contre l’interdiction. Mais sur les 20, seulement 2 d’entre nous ont répondu présent : mon jeune frère et moi. Ils nous ont expliqué en détail pourquoi il était important de protéger la zone, et c’est là que nous avons changé d’avis et que nous avons commencé à défendre cette cause », raconte Salim Juma Shee.

Le pêcheur a fait ensuite partie d’une équipe de 10 personnes qui surveillaient et protégeaient la zone désignée. Son rôle était de plonger dans le récif et de l’examiner pour détecter tout signe de dégradation ou de mauvais état. Les pêcheurs du village devaient pêcher dans d’autres zones.

Certains affirmaient que l’interdiction les obligeait à d’autres changements. Ils disaient qu’ils avaient dû se tourner vers l’agriculture, pour cultiver des variétés de maïs et de millet à maturation rapide et des légumes traditionnels comme le chou pour nourrir leurs familles et compenser la perte de revenu. Mwanaharusi Ali, la marchande de poisson, a affirmé avoir été obligée d’entreprendre des changements encore plus importants. Elle a déclaré à Mongabay qu’elle vendait principalement du poulpe, mais qu’avec la fermeture de la pêche, elle avait dû aller acheter du poisson dans une ville à 20 km.

« Je devais payer 500 shillings kenyans (3 USD) à l’aller comme au retour pour le transport à cause du prix élevé du carburant. Cela me revenait très cher car le voyage me coûtait plus cher que la somme que j’avais pour acheter le poisson. J’ai dû faire un sacrifice », explique-t-elle. « Et si je reviens avec de la marchandise je suis embêtée car je ne sais pas trancher le poisson pour le vendre et gagner assez pour rembourser le prix du voyage et faire un profit ».

Maryline Chebet explique que les marchands vendent plusieurs espèces de poissons et que, l’interdiction ne s’appliquant qu’à une petite partie de la zone de pêche du village, il devrait y avoir d’autres poissons à vendre, ou même des poulpes pêchés dans d’autres zones.

Three members of the beach management unit carrying a white plastic crate full of octopus across a mudflat to the beach. Image by Diana Wanyonyi for Mongabay.
Les membres de la BMU de Munje sortant de l’eau une partie de leur pêche miraculeuse : 650 kilos de poulpes en trois jours de pêche en octobre. Crédit photo : Diana Wanyonyi pour Mongabay.

Premiers signes de succès

En ce samedi d’octobre, premier jour de pêche au poulpe à Munje, le temps était mitigé, entre soleil et pluie qui tombait sur les toits de tôle, les cocotiers et les manguiers pleins de fruits encore verts. On aurait dit que tous les habitants du village étaient sur la plage.

L’océan était calme, la marée basse. Des concombres de mer, des alevins de poisson et des oursins étaient visibles au bord de l’eau. Les enfants couraient partout et les anciens se joignaient aux invités sous une tente pour regarder les femmes du village exécuter des danses et chants traditionnels. D’autres étaient occupés sur la plage à ramasser des seaux pleins de poulpes auprès des pêcheurs revenant sur le rivage.

Toute la pêche était effectuée par les membres de l’unité de gestion des plages. Quand la prise est vendue, les profits sont répartis entre un fonds social pour la communauté (30 %), les membres de la BMU (30 %), une allocation pour le bureau de la BMU (20 %), et pour les pêcheurs qui ont effectivement ramassé les poulpes (20 %).

Kassim Ali Siwa a ramené sa pirogue chargée de poulpes sur la plage juste après midi. Lui aussi était initialement opposé à l’interdiction, mais il affirme aujourd’hui qu’il est heureux d’avoir changé d’avis.

« J’ai pêché beaucoup de poulpes, je suis parti à 9 heures ce matin et je suis rentré à midi vingt », dit-il. « J’ai pris plus de 30 kilos de poulpes ; avant l’interdiction, j’en pêchais entre 1,5 et 2 kilos ».

En trois jours, les membres de la BMU ont ramassé 650 kilos de poulpes. Les pêcheurs en ont pris une partie pour les manger, mais la plus grande partie a été vendue, pour un montant global de 1 200 dollars, à des acheteurs enthousiastes.

L’interdiction de la pêche au poulpe à Munje a rapidement fait ses preuves. Le village de pêcheurs attend avec impatience une nouvelle période de pêche en février.

Fisheries monitors bent over a table measuring and weighing octopus caught off the village of Munje. Image by Diana Wanyonyi for Mongabay.
Des agents des pêcheries mesurent les poulpes pêchés au large de Munje pendant la période de pêche d’octobre 2023 : l’unité de gestion des plages enregistre les données des prises avec le soutien de l’ONG COMRED. Crédit photo : Diana Wanyonyi pour Mongabay.

 

Image de bannière : Kassim Ali Siwa, pêcheur de poulpe, Munje, Kenya.Crédit photo : Diana Wanyonyi pour Mongabay.

 
Article original publié en anglais: https://news.mongabay.com/2024/01/kenyan-villagers-show-how-to-harvest-more-octopus-by-fishing-less/

Quitter la version mobile