- Selon une étude menée sur trois ans, l'aide à l'agriculture apportée aux communautés vivant à proximité d'une réserve naturelle au Cameroun a permis de réduire les taux de chasse.
- Sur les 64 chasseurs ayant participé à l'étude près de la Réserve de faune du Dja, 35 ont pu augmenter leurs revenus grâce à la pêche ou à la culture du cacao, les deux principales activités économiques de la région, en plus de la chasse.
- Les participants ont passé plus de temps à travailler dans leurs fermes qu'à chasser dans la forêt avec des fusils, la preuve qu'ils ne ciblaient pas « les animaux importants pour la conservation et les primates en particulier ».
- Bien que les résultats de l'expérience soient prometteurs, les experts affirment qu'il ne s'agit pas d'une solution miracle et qu'il convient de l'associer à d'autres solutions, notamment l'éducation, la gouvernance et la gestion durable des ressources naturelles.
Un projet soutenant les moyens de subsistance alternatifs mené sur trois ans a réussi à modifier le comportement des chasseurs vivant à la limite nord de la Réserve de faune du Dja, au Cameroun. Les participants ont signé des accords environnementaux réciproques qui leur ont permis de bénéficier d’une expertise technique pour accroître la productivité de leurs exploitations de cacao, développer de nouvelles exploitations ou pratiquer la pêche, en échange d’une réduction de la chasse.
Selon Jacques Keumo Kuenbou, doctorant à l’université de Gand (Belgique) et principal auteur de l’article, les signataires des accords ont tiré davantage de revenus de la culture du cacao et ont modifié leur comportement en matière de chasse. Les résultats ont été publiés récemment dans la revue Animal Conservation.
L’étude, qui entre dans le cadre du Projet de la Vallée des grands singes) du zoo d’Anvers, s’est déroulée entre 2018 et 2021. Elle visait à déterminer si les accords environnementaux réciproques constituaient une solution pour lutter contre la chasse commerciale à la viande de brousse, qui représente une menace importante pour la conservation de la faune dans la région, y compris des espèces menacées telles que les chimpanzés (Pan troglodytes) et les gorilles des plaines de l’Ouest (Gorilla gorilla gorilla).
Selon Jacob Willie, coordinateur de recherche au zoo d’Anvers et co-auteur de l’article, les résultats montrent que ces accords peuvent être des outils de conservation efficaces. « Les accords environnementaux réciproques permettent aux individus de s’impliquer personnellement dans la conservation et d’en bénéficier directement, montrant ainsi ses avantages », a-t-il expliqué à Mongabay dans un email. « Ils peuvent donc plus facilement convertir l’individu en défenseur de l’environnement ».
Un changement de comportement
Les chercheurs interrogeaient les chasseurs tandis que les assistants communautaires locaux enregistraient les données sur la viande de brousse abattue sur une période de trois ans. Les chasseurs ont fourni eux-mêmes certaines informations telles que le temps passé à chasser dans la forêt ainsi que leur situation financière. Au début du projet, les 64 chasseurs participant à l’étude avaient tous capturé des quantités de viande de brousse similaires.
Les 35 hommes qui ont signé les accords ont pu augmenter leurs revenus grâce à la pêche ou à la culture du cacao, les deux principales activités économiques de la région, en plus de la chasse, a déclaré Kuenbou. Le projet leur a fourni un soutien technique, du matériel et un accès aux marchés du cacao.
Pendant la durée de l’étude, les participants auraient gagné environ 30 % de revenus supplémentaires grâce à la culture du cacao et ils auraient passé plus de temps à travailler dans leurs fermes qu’à chasser dans la forêt avec des fusils. Cependant, le nombre de pièges posés dans la forêt par les hommes ayant participé à l’étude n’a pas diminué. Selon Kuenbou, les deux groupes continuent de pratiquer cette méthode de chasse qui demande moins de temps. Mais les signataires des accords ont confié aux chercheurs qu’ils consommaient une plus grande quantité de leur butin et qu’ils en vendaient moins.
La baisse enregistrée de la chasse au fusil est importante, a déclaré Julia Fa, professeure à l’université métropolitaine de Manchester au Royaume-Uni, qui étudie la disparition de la faune dans les forêts tropicales et son impact sur les personnes qui en dépendent. « Dans une zone de conservation, l’objectif est de réduire le nombre de personnes qui chassent avec des fusils car elles risquent de toucher des animaux importants pour la conservation, en particulier les primates ».
En 2018, première année du projet, les assistants de recherche communautaires ont comptabilisé le nombre de chimpanzés et de gorilles abattus, mais ils ne l’ont pas fait au cours des deux années suivantes. Kuenbou a déclaré que cela pouvait être dû à un changement de perception de certains membres de la communauté. « Je pense que le projet a également contribué à faire cesser la chasse de ces animaux, non pas parce que les chasseurs ont compris qu’ils n’avaient pas à les tuer, mais parce qu’ils craignent désormais que d’autres personnes du village ne soient pas d’accord avec eux », a-t-il déclaré.
Fa, qui n’a pas participé à l’étude, a déclaré que les résultats démontrent comment des moyens de subsistance alternatifs peuvent permettre de s’éloigner de la dépendance à l’égard de la chasse commerciale. « L’article est intéressant car les [accords environnementaux réciproques] semblent avoir un effet positif sur une partie de la population », a-t-elle déclaré.
Étant donné qu’ils ne touchent que certains individus et familles, ils sont limités par rapport à d’autres approches qui peuvent concerner des communautés entières, a ajouté Willie, notamment la mise en place de zones forestières appartenant à la communauté.
De plus, les signataires étaient généralement des hommes plus âgés, issus de familles nombreuses. Kuenbou explique que pour plusieurs raisons, il a été difficile de convaincre les plus jeunes de s’engager et de moins chasser. L’un des principaux facteurs est le fait que le passage à la culture du cacao n’offre pas d’avantages financiers immédiats.
« Certaines personnes plus âgées possédaient déjà des exploitations de cacao autrefois, mais le rendement n’était pas très bon, a-t-il déclaré, ce qui signifie qu’elles bénéficiaient davantage des aides proposées. « En discutant avec les plus jeunes, ils nous ont dit que s’ils plantaient du cacao, ils devraient attendre trois ans pour en bénéficier ».
« Il faut trouver d’autres moyens de convaincre les jeunes de signer les accords », a déclaré Kuenbou, ajoutant qu’une des prochaines étapes du projet est d’identifier et d’offrir des alternatives aux jeunes, telles que les engager en tant que guides forestiers, tout en offrant un soutien à la création de fermes de cacao.
Si les conclusions de l’étude montrent qu’offrir des aides aux chasseurs peut réduire la pression sur la biodiversité, la recherche de solutions en collaboration avec les chasseurs serait bénéfique, selon Nakedi Maputla, scientifique et gestionnaire de projets de conservation à l’African Wildlife Foundation, qui n’a pas participé à l’étude. « Je doute que la culture du cacao fournisse un tel bénéfice à long terme. Il doit y avoir d’autres alternatives au cacao et à la pêche », a-t-il déclaré.
« L’étude présente des arguments solides en faveur de l’adoption de solutions fondées sur des aides. Je ne pense pas que ces solutions puissent fonctionner de manière isolée, il convient de les associer à d’autres solutions, notamment l’éducation, la gouvernance [et] la gestion durable des ressources naturelles », a-t-il déclaré dans un email
Références :
Kuenbou, J. K., Tagg, N., Khan, D. M., Speelman, S., & Willie, J. (2023). Socioeconomic changes influence hunter behavior in the northern periphery of Dja Faunal Reserve, Cameroon. Animal Conservation. doi:10.1111/acv.12916
Image de bannière : Un Camerounais dans la forêt. Image d’Ollivier Girard/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)