Nouvelles de l'environnement

« Nous n’allons pas perdre espoir », déclare Olivier Ndoole Bahemuke, lauréat congolais du prix Front Line Defenders

  • Olivier Ndoole Bahemuke, lauréat africain du prix Front Line Defenders 2023, est avocat expert des questions environnementales et défenseur des droits communautaires.
  • Depuis 15 ans, il défend les communautés installées dans et autour du parc national des Virunga, en République démocratique du Congo.
  • Sa vie a été menacée à de nombreuses reprises en raison de ses activités militantes dans une région dominée par les conflits armés et l'exploitation illicite des ressources naturelles, telles que l'or et le coltan. C’est pourquoi il vit aujourd’hui en exil.
  • La défense de l'environnement est un terrain de plus en plus dangereux : près de la moitié des 194 défenseurs des droits humains tués en 2022 étaient des défenseurs de l'environnement.

Parmi les 3 500 détenus de la prison surpeuplée de Munzenze à Goma, en République démocratique du Congo (RDC), cinq sont des agriculteurs originaires de la ville de Kitshanga. En novembre 2022, ils ont chacun été condamnés à 20 ans de prison pour association de malfaiteurs, incendie criminel et occupation illégale de terres situées en bordure du parc national des Virunga. Derrière leur emprisonnement plane la question complexe des intérêts politiques et du droit foncier dans l’est de la RDC. Parce que cette terre qu’ils sont accusés d’avoir occupé illégalement leur reviendrait officiellement de droit selon un arrêt de justice datant de 2013.

Leur avocat, Olivier Ndoole Bahemuke, expert des questions environnementales et défenseur des droits communautaires, travaille actuellement sur une procédure d’appel. « Nous n’allons pas perdre espoir et nous allons nous battre pour que les droits et la justice soient rétablis. »

Olivier Ndoole Bahemuke est l’un des cinq lauréats du prix Front Line Defenders 2023 pour les défenseurs des droits humains en danger. Il est reconnu pour son travail et son soutien auprès des communautés locales vivant à l’intérieur et aux abords du parc national des Virunga. Créé en 1925, le parc abrite des espèces menacées, y compris des éléphants de savane africains, des okapis, des gorilles de montagne et une population de lions connus pour leur habitude de grimper aux arbres.

Le parcours de cet avocat de 35 ans a commencé en 2008 lorsqu’il a commencé à faire de la médiation auprès des populations locales concernant le statut particulier du parc en tant qu’aire protégée et la nécessité de ne pas le dégrader. Il était alors âgé de 20 ans. « En même temps, je les aide à comprendre leurs droits. Ce sont des personnes vulnérables, et il n’est pas rare que l’on tente de les expulser pour exploiter leurs terres. Dans ces moments-là, je les aide alors à défendre leurs droits. Je travaille également contre le commerce illégal d’espèces sauvages. Les principaux bénéficiaires de cette économie sombre sont les groupes armés du Nord-Kivu, et non les Congolais ».

En 2010, Bahemuke a cofondé l’organisation non gouvernementale, Alerte Congolaise pour l’Environnement et les Droits de l’Homme. L’organisation fournit une assistance juridique et un soutien aux communautés prises au piège entre les filets du commerce, des conflits armés et de la protection de l’environnement dans ce coin du pays situé à la frontière avec le Rwanda et l’Ouganda.

Environmental lawyer and community activist Olivier Ndoole Bahemuke (center) with other lawyers.
L’avocat expert des questions environnementales et défenseur des droits communautaires, Olivier Ndoole Bahemuke (au centre) aujourd’hui âgé de 35 ans, défend les droits des communautés du Nord-Kivu depuis l’âge de 20 ans. Image d’Olivier Ndoole Bahemuke pour Mongabay.

Des terres violemment contestées

En 2012, Olivier Ndoole Bahemuke s’est retrouvé impliqué dans l’affaire qui a conduit les cinq agriculteurs à la prison de Goma, à savoir un conflit foncier entre d’anciens employés de la plantation de thé de l’entreprise SICIA, qui a cessé ses opérations depuis longtemps, et le mouvement rebelle RCD-Goma.

À l’époque coloniale, la société belge SICIA exploitait des plantations de thé au Congo. Après l’indépendance du pays en 1960, les propriétaires ont quitté la plantation, tandis que les employés sont restés sur les terres de la société qu’ils ont cultivées essentiellement pour leur propre consommation.

En 2002, après la fin de la deuxième guerre du Congo, les anciennes plantations ont été attribuées au RCD-Goma, un groupe armé pro-rwandais dont les dirigeants ont ensuite rejoint le gouvernement de la RDC. En vertu des termes de l’accord de Pretoria qui a mis fin à la guerre, les agriculteurs et leurs familles, soit plus de 36 000 personnes, devaient être expulsés.

Les protestations contre leur expulsion se sont, dans une large mesure, soldées par un échec : certains ont été menacés, agressés et arrêtés. Ces événements se sont déroulés sous le mandat du président de l’époque, Joseph Kabila.

L’avocat et d’autres militants ont décidé de porter l’affaire devant les tribunaux. « Nous voulions faire en sorte que l’accord soit respecté et soutenir les dirigeants communautaires qui étaient harcelés par le camp adverse. Mais la plupart des anciens propriétaires, les anciens rebelles, étaient des proches du régime corrompu de Kabila. Ils sont venus chez moi et m’ont tabassé. En toute impunité. Je saignais. J’ai ensuite été hospitalisé pendant 12 jours. »

Suite à cet épisode, il a compris que sa vie était menacée et s’est vu contraint de fuir son pays.

Un groupe de manifestants dont des pêcheurs et leur famille. Image d’Olivier Ndoole Bahemuke pour Mongabay.

En 2019, après l’élection d’un nouveau président, Félix Tshisekedi, Bahemuke est retourné en RDC et a repris son travail de soutien aux communautés vivant aux abords du parc national des Virunga : « Les Congolais ont toujours été là, et si nous avons encore des forêts, c’est grâce à eux. Ils protègent la biodiversité et contribuent au développement économique du pays. Nous devons les protéger. Les multinationales, elles, ne feront rien pour nous. »

En février 2021, l’organisation de Bahemuke, Alerte Congolaise pour l’Environnement et les Droits de l’Homme (ACEDH), a rejoint 13 autres ONG pour condamner l’octroi des permis de pêche sur la rive occidentale du lac Édouard. Les ONG ont soutenu que les permis violaient l’intégrité du parc des Virunga et ont réussi à les faire annuler.

En octobre de la même année, l’ACDEH et 233 autres ONG ont signé une lettre ouverte avant le sommet des Nations Unies sur le climat, COP26, en Écosse. Elles ont appelé le gouvernement congolais à sévir contre les activités illégales dans les zones protégées. Elles ont mis l’accent sur les projets controversés de construction d’une université au sein des Virunga et d’un barrage hydroélectrique dans le parc national d’Upemba, dans le sud du pays. Le projet de construction de l’université a depuis été abandonné, mais celui du barrage à Upemba est, quant à lui, toujours d’actualité.

S’il n’hésite pas à défier les autorités locales, Olivier Ndoole Bahemuke exhorte également les gouvernements ainsi que les citoyens des pays riches à assumer leurs responsabilités.

« Nous condamnons les paysans qui font du charbon [un moteur de la déforestation], mais nous ne voulons pas condamner les multinationales françaises ou canadiennes », déclare-t-il en évoquant les sociétés minières étrangères présentes sur le territoire de Walikale, riche en étain. « À Walikale, vous avez des Canadiens qui sont là, qui détruisent la nature. Ils font ce qu’ils veulent, ils violent les droits des communautés, le tout avec la complicité de nos autorités. Mais pourquoi les Canadiens eux n’élèvent-ils pas la voix ? Pourquoi la communauté internationale n’élève-t-elle pas la voix ? Les pays occidentaux qui se disent puissants doivent assumer la responsabilité de leurs entreprises », poursuit-il.

Menaces croissantes contre les défenseurs des droits humains

Depuis que l’ancien groupe rebelle M23 a repris ses quartiers au sein du parc national des Virunga et de ses environs à la fin de l’année 2021, la vie des défenseurs de l’environnement et des droits humains de l’est de la RDC est de plus en plus menacée. M23 empêche également les gardes forestiers et les vétérinaires du parc d’accéder aux espèces qu’ils protègent habituellement. Un autre groupe rebelle, les Maï Maï, continue d’attaquer régulièrement les écogardes du parc : neuf gardes forestiers ont été tués depuis le début de l’année 2023.

Olivier Ndoole Bahemuke soutient aussi l’Agence nationale responsable de la gestion des zones protégées, l’ICCN lorsqu’elle s’oppose à la vente de terres à Nzulo dans le parc des Virunga. Si la contestation a porté ses fruits, l’avocat rapporte que des magistrats et des officiers militaires impliqués dans le projet concernant 1 100°hectares (2 700 acres) du parc, le menacent. Craignant à nouveau pour sa vie, en novembre 2022, il doit fuir. « Des militaires se préparaient à me tuer. Ils voulaient faire passer ma mort pour une attaque du M23. Heureusement, l’un d’eux m’a prévenu et j’ai pu m’enfuir. »

À ce jour, Bahemuke est toujours en exil.

L’assassinat d’Obedi Karafulu, un dirigeant des anciens employés de la concession de SICIA, a mis en exergue la gravité de la menace qui pèse sur Olivier Ndoole Bahemuke et d’autres défenseurs de droits de l’Homme et de l’environnement dans cette région. « C’est vraiment révoltant, je suis très, très touché… Il a été assassiné, d’autres sont en fuite », déplore Bahemuke qui le connaît depuis des années. « C’est une stratégie mise en place pour nous faire taire, par tous les moyens, mais nous n’abandonnerons pas la population. »

Front Line Defenders, qui a primé le travail de Bahemuke cette année, souligne dans son rapport de 2022 que 48 % des défenseurs des droits humains tués cette année-là étaient des militants environnementaux. « Les défenseurs des droits fonciers, des droits des peuples autochtones et des droits environnementaux ont représenté le secteur le plus ciblé en 2022, les arrestations, les détentions et les actions en justice constituant les formes de violations les plus importantes, suivies par les agressions physiques et les menaces de mort », indique le rapport.

Olivier Ndoole Bahemuke déplore que ces décès n’aient pas entraîné davantage de condamnations. « Il y a des défenseurs des droits de l’environnement et de la propriété foncière qui meurent, qui sont arrêtés, mais ça ne suscite pas plus d’attention que ça. Lorsqu’un membre de l’opposition est arrêté pour avoir manifesté, l’opinion nationale et internationale réagit. Quand quelqu’un est tué dans le parc, il n’y a pas de condamnation. J’espère qu’avec ce prix nous aurons plus de visibilité et que la situation pour nous changera. »

Image de bannière : Image d’Olivier Ndoole Bahemuke pour Mongabay.

Article original: https://news.mongabay.com/2023/11/we-wont-give-up-drcs-front-line-defenders-award-winner-olivier-ndoole-bahemuke/

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