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Déforester le parc des Virunga en RDC : une question de survie pour les déplacés

  • Ces 4 derniers mois, le parc des Virunga aurait perdu 964 hectares de forêts d’après les alertes reçues par l’outil de surveillance du Global Forest Watch. 20 % de ces pertes se trouverait au niveau de camps informels de réfugiés, près du volcan Nyiragongo.
  • Ces déplacés coupent des arbres pour préparer de la nourriture, pour stériliser l’eau avant de la boire, et pour faire du charbon, selon Goma actif, une ONG qui leur vient en aide.
  • Depuis la résurgence du M23, près d’un million d’habitants ont fui leur foyer en raison des combats, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Depuis juin, le parc national des Virunga, la plus ancienne aire protégée de la RDC, aurait perdu 964 hectares de forêts d’après les alertes reçues par l’outil de surveillance du Global Forest Watch.

« D’abord il y a eu l’éruption du volcan Nyiragongo en mai, puis à la fin de l’année une guerre a éclaté entre le M23 et le gouvernement congolais. À cause de ça, plein de personnes ont fui vers le parc », confie à Mongabay Depaul Bakulu, bénévole auprès de Goma actif, lors d’un entretien téléphonique. Avec cette association, il va depuis 2021 à la rencontre des déplacés pour leur distribuer de la nourriture et des vêtements.

Depuis 2021, les rebelles du M23 (Mouvement du 23 mars), un mouvement armé rebelle créé en 2012 dans le Nord-Kivu, ont conquis de larges portions d’un territoire du nord de Goma, la capitale provinciale. Face aux combats, de nombreux civils prennent la fuite, aggravant une crise humanitaire quasi-permanente dans l’est de la RDC depuis près de trente ans.

Près d’un million d’habitants ont fui leur foyer. Rien qu’au cours des premières semaines d’octobre, plus de 90 000 personnes ont dû fuir dans les territoires de Rutshuru et de Masisi d’après le HCR.

Si certains déplacés vivent dans des camps aménagés par des ONG, les places sont rares et la plupart s’amassent dans des sites informels où ils survivent par leurs propres moyens. D’après Bakulu, les déplacés n’ont pas d’abris pérenne. En plus de la forte concentration humaine, ils vivent sous des bâches ou des sacs soutenus par des bouts de bois. Une précarité aggravée par la saison des pluies.

« Ce sont des gens qui ont besoin de tout, qui manquent de tout. Alors ils coupent du bois. Quand ils coupent du bois, c’est pour préparer de la nourriture, pour stériliser l’eau avant de la boire, pour faire du charbon qu’ils vont revendre ensuite pour pouvoir acheter de quoi manger », dit Bakulu. « En plus, c’est au péril de leur vie. Beaucoup de femmes se font violer, beaucoup d’hommes se font kidnapper, se font tuer en allant couper du bois. Et les déplacés, souvent, doivent reverser une partie de leurs gains aux groupes armés ».

Si les humanitaires proposent de la nourriture, des hébergements, des soins médicaux et un accès à l’eau, rares sont ceux qui proposent une assistance en énergie.

« Les ONG, elles font ce qu’elles peuvent. Elles agissent en fonction de leurs mandats et de leurs bailleurs. Avec la rhétorique sur la protection de l’environnement qu’il y a en ce moment, je comprends que c’est compliqué aussi pour elles de s’impliquer dans la question du charbon de bois” », explique Bakulu. « J’ai vu des ONG venir sensibiliser les déplacés à ne pas couper les arbres. Mais c’est en fait fou, c’est des gens qui ont juste besoin de manger ».

Familles déplacées à cause des combats au Nord-Kivu. Image de Julien Harneis via Flickr (CC BY-SA 2.0).

Au pied du volcan Nyiragongo, où il va distribuer des vivres, les conséquences de ces coupes sont bien visibles. Rien que dans cette zone, le Global Forest Watch enregistre 209 hectares de forêts défrichées depuis juin, soit un quart des pertes du parc à la même période. Or depuis 2018, il est officiellement interdit d’y couper des arbres. Mais pour le directeur du parc, témoin depuis sa prise de poste en 2008 de nombreux conflits armés, empêcher les déplacés de couper des arbres n’est pas la priorité.

« Ce n’est pas un abandon de responsabilités. C’est un choix actif qu’on a pris de sacrifier une petite partie du parc qui est nécessaire pour la survie d’environ 800 000 personnes. C’est des forêts secondaires qui sont de toute façon régulièrement brûlées par les coulées de lave. On ne peut pas se battre partout et certainement pas avec des familles déplacées. On verra après la crise comment reboiser, comment rétablir ces écosystèmes le plus vite possible », déclare Emmanuel de Merode, directeur du parc national des Virunga.

Pour lui, la vraie menace pour la biodiversité du parc reste la présence des groupes armés. Il s’agit notamment du secteur Nyamuragira, où se trouvent les réfugiés du Nyiragongo, contrôlé par les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), et du secteur Mikeno qui est contrôlé par les rebelles du M23. « [Mikeno,] C’est une zone qui est très riche, c’est des vieilles forêts, c’est là où il y a les gorilles des montagnes [Gorilla beringei beringei] », détaille De Merode.

Un recensement publié en 2019 a dénombré environ 600 gorilles dans le massif des Virunga, d’une superficie de 450 km2, qui s’étend sur 450 km2 à travers la frontière entre l’Ouganda et le Rwanda. Environ 350 de ces primates vivent dans le secteur sud-est de Mikeno du parc national des Virunga, selon son site web.

Gorille des montagnes avec bébé, photographié au Rwanda. Image de Ludovic Hirlimann via Flickr (CC BY 2.0).

L’équipe chargée du recensement a signalé de nombreux signes d’activités illégales, notamment des arbres fraîchement abattus, des camps de chasseurs et des pièges, en particulier dans la partie congolaise du massif. Les gorilles ne sont pas ciblés par les braconniers, mais peuvent être blessés par des pièges posés pour d’autres animaux.

Malgré la présence continue de groupes armés dans les Virunga, la population de gorilles connaît une croissance encourageante grâce à une surveillance et à des patrouilles intenses dans les zones protégées des trois pays.

« Or à cause de la présence du M23, ça fait 1 an qu’on ne peut pas y patrouiller sans risque. Comme la zone n’est plus protégée, les pièges pour les antilopes, à la rigueur les buffles, sont plus présents mais les gorilles se font prendre dans les pièges, en particulier les bébés gorilles, et comme on n’est pas là pour les monitorer et patrouiller, on ne peut pas les secourir », poursuit De Merode

« Dans le Nord-Kivu, les combats continuent. Un groupe armé pro-gouvernement appelé Wazalendo fait maintenant face au M23 et au FDLR. Alors que les déplacés continuent d’affluer jours après jours vers la capitale provinciale, Goma, personne ne sait comment ils vont pouvoir à leur tour se loger et se nourrir. Face au manque d’aide humanitaire, tout porte à croire qu’ils vont eux aussi se tourner vers le parc pour leur survie. ».

Image de bannière : La vue depuis le volcan Nyiragongo. Image de Baron Reznik via Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).

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