- Le géant pétrolier, Perenco, a répondu à l’appel d’offres du gouvernement de la République démocratique du Congo dans le but d’acquérir deux nouveaux blocs.
- Perenco est le seul opérateur pétrolier des infrastructures du pays situées à Muanda, près de l’embouchure du fleuve Congo.
- Les détracteurs locaux et internationaux accusent la compagnie de polluer l’environnement, affectant la pêche et l’agriculture, ainsi que la santé des résidents ; la compagnie le nie.
Il y a 20 ans, la multinationale franco-britannique, Perenco, a établi ses opérations à Muanda, à l’embouchure du fleuve Congo. Depuis, les communautés locales souffrent de la perte des ressources naturelles dont elles dépendent pour vivre. Une situation qui ne risque pas de s’arranger. En 2022, la République démocratique du Congo a mis aux enchères les droits d’exploitations de 3 blocs gaziers et 27 blocs pétroliers. Perenco a émis une manifestation d’intérêt pour deux blocs pétroliers, Nganzi et Yema II, toujours dans la région du Kongo-Central où se trouve Muanda. Très vite, les critiques se sont fait entendre. ONG locales et internationales affirment qu’en raison de son bilan environnemental, la compagnie pétrolière ne devrait pas étendre ses activités en RDC.
« Comme la plupart des gens ici, je vis de ce que je cultive. Je vis près de la zone où opère Perenco. Mais pour cultiver, je dois parcourir de grandes distances pour aller là où il n’y a pas de forages, parce qu’ici la terre n’est plus fertile », explique Nicole Bila, agricultrice et coordinatrice de l’ONG locale, Ressources naturelles et développement (RENAD).
Tout comme la plupart des habitants de la région de Muanda, Nicole Bila cultive du manioc, du maïs, du niébé et de l’huile de palme pour nourrir sa famille et pour les vendre au marché. De nombreux habitants chassent également les antilopes, les potamochères et les aulacodes dans les forêts de la région tandis que d’autres pêchent dans ses rivières.
Coûts sociaux et environnementaux
En avril 2022, RENAD a publié un rapport qui documente la mort des arbres, la pourriture du manioc dans les champs et la disparition d’espèces terrestres et aquatiques. RENAD en rejette la faute sur Pérenco, seul opérateur à pratiquer une activité pétrolière au Congo. L’ONG affirme que les déversements de pétrole brut et de boue contaminées, l’enfouissement des déchets toxiques dans des fosses non aménagées ainsi que le torchage du gaz naturel entraînent des conséquences désastreuses sur l’environnement et la santé des habitants.
« Il y a du gaz parfois qui s’échappe dans le village. Les gens le respirent et ça les rend malades. La production de nourriture a vraiment chuté et la population s’est appauvrie. Aujourd’hui, nous avons juste de quoi nourrir notre petite famille, mais nous ne produisons pas assez pour vendre. Alors, comment payer l’école pour les enfants ? Comment pouvons-nous nous occuper de nous-mêmes ? » dit Nicole Bila.
Perenco est en activité à Muanda depuis 2011, non loin du Parc marin des Mangroves, la seule aire marine protégée du pays. Le parc abrite des espèces menacées telles que le Lamantin d’Afrique (Trichechus senegalensis) ou encore la tortue olivâtre (Lepidochelys olivacea), et bénéficie d’une reconnaissance internationale dans le cadre de la Convention relative aux zones humides de Ramsar.
Le rapport de RENAD a vu le jour presque 10 ans après la visite d’une commission d’enquête en 2013 organisée par le Sénat de la RDC à Muanda. Celle-ci avait constaté une forte pollution des sols et que les cas rapportés de maladies respiratoires dans les centres médicaux locaux avaient doublés depuis l’arrivée de Perenco en 2001. Face à ces conclusions, la commission sénatoriale recommandait au gouvernement congolais de faire appliquer la loi et exigeait que Perenco effectue une nouvelle étude d’impact social et environnemental.
Le rapport soulignait également le manque de coopération de Perenco et recommandait à la compagnie de faire en sorte que sa gestion des déchets toxiques et du torchage se fasse dans le respect des normes nationales et internationales, ainsi que de réaliser des consultations publiques afin de minimiser les conflits avec la population locale.
Dix ans plus tard, l’ONG Environmental Investigative Forum se rend à Muanda et constate que ces pratiques sont toujours d’actualité. Les conclusions de leur enquête publiée chez Disclose, Investigate Europe et EnviroNews pousseront deux ONG françaises, Sherpa et Les Amis de la Terre ont entamé une action en justice à Paris contre la multinationale, l’accusant de « préjudices écologiques » en Novembre 2022.
Perenco, de son côté, réfute vigoureusement les accusations de dommages causés à l’environnement. « C’est faux et diffamatoire. Des incidents peuvent se produire, souvent en raison de sabotage. Ils sont limités à moins d’un baril chacun et sont toujours nettoyés in situ », s’est défendue la compagnie dans un communiqué envoyé par e-mail à Mongabay.
Le communiqué affirme en outre que l’entreprise a eu un impact positif sur la région en faisant référence aux emplois bien rémunérés qu’elle fournit.
« Par ailleurs, écrit la société, Perenco est la seule compagnie à approvisionner directement la cité de Muanda en électricité (2 mégawatts) et indirectement en fabriquant de l’énergie à base de gaz (3 mégawatts). Nous avons proposé au gouvernement d’élargir la production à 10 mégawatts destinés à la population si le nouveau projet Gas to Power est approuvé. Ceci permettrait de relier Muanda à Boma ».
Des relations trop étroites avec le gouvernement ?
Malgré les irrégularité relevées, Pérenco semble avoir de bonnes relations avec le gouvernement actuel.
En mai 2023, le ministre des Hydrocarbures, Didier Budimbu, était l’invité d’honneur à l’inauguration d’une nouvelle plateforme pétrolière offshore de Perenco qui selon la compagnie, réduira le torchage. « Nous avons tenu à les accompagner [Perenco] dans ce sens-là et pouvoir palper ça de nos propres yeux, vu que nous sommes en plein appel d’offres », a indiqué monsieur Budimbu dans une vidéo publiée sur son compte 𝕏 officiel. La compagnie a également fait don de quatre véhicules Toyota Land Cruiser au ministère afin, selon eux, d’équiper la brigade de lutte contre la contrebande.
Cette donation a fait lever plus d’un sourcil. Dans un communiqué, Patient Muamba, responsable de la campagne forêt de Greenpeace Afrique, exprime sa crainte que ce don de la compagnie pétrolière au ministère des Hydrocarbures éclipse les intérêts des habitants de Muanda.
« Nous demandons au président de l’Assemblée nationale et aux députés nationaux de jouer pleinement leur rôle de contrôle de l’exécutif. Ils doivent inviter le ministre Budimbu à expliquer son comportement. Le Procureur général de la République doit ouvrir une enquête sur ces tendances néo-coloniales qui continuent à pousser nos autorités à faire passer certains intérêts bien avant ceux de leur peuple et de leurs communautés, afin de découvrir toute la vérité sur cette affaire. »
Cette connivence entre Perenco et les responsables politiques congolais semble ne pas être nouvelle. En juillet 2023, la coopérative de journalistes indépendants Investigate Europe a mis en lumière quatorze virements suspects d’un total de 1,3 million de dollars effectués par des filiales de Pérenco en RDC à des compagnies proches de l’ancien président Joseph Kabila entre 2014 et 2015.
Alors que ces révélations font l’objet d’une enquête policière en France, en Belgique et au Congo, Perenco affirme que ces paiements n’ont rien de suspect : « Nous avions une relation avec Afritec, une entreprise bien établie bénéficiant d’une bonne réputation. Tous les contrats avec Afritec étaient signés au cours du marché pour le service. Il n’y a rien d’inconvenant dans notre relation avec cette entreprise. Elle a entrepris les travaux de reconstruction de la piste d’atterrissage de Muanda dans le cadre d’un accord entre RVS-Perenco et l’État de la RDC. Cet accord a été discuté et audité à de maintes reprises. »
Toutefois, les plaintes relatives à l’impact environnemental de Perenco à Muanda ainsi que le manque de réaction du gouvernement congolais pour y remédier inquiètent alors que les droits d’exploitation de 27 blocs pétroliers font l’objet d’enchères.
Certains de ces blocs se trouvent au coeur de parcs nationaux, de forêts communautaires et de tourbières, des zones riches en biodiversité qui stockent énormément de carbone.
Nicole Bila avec RENAD craint le pire pour sa communauté si l’offre de Perenco pour l’acquisition de ces deux nouveaux blocs pétroliers était acceptée. « Ce serait catastrophique. Les blocs qu’ils veulent exploiter sont là où nous avons déplacé nos champs. Ces terres sont encore fertiles. S’ils viennent exploiter le pétrole là-bas, comment allons-nous nous nourrir ? »
Prospection pétrolière : quel avenir pour les tourbières du bassin du Congo ?
Image de bannière : les habitants discutent des impacts passés et futurs de l’industrie pétrolière de la RDC à Muanda lors d’une visite de Greenpeace en avril 2023. Image ©️ Greenpeace.
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