Nouvelles de l'environnement

Craintes pour le lac Albert alors que le gouvernement négocie l’accès au pipeline EACOP

Pêcheurs au lac Albert.

Pêcheurs au lac Albert. Image de Nicola Swann via Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).

  • Les habitants vivant près du lac Albert craignent le lac et leurs moyens de subsistance en souffriront si l'exploration pétrolière se poursuit du côté congolais.
  • Le lac Albert abrite entre 40 et 55 espèces de poissons dont l’endémique Albert lates (Lates macrophthalmus). Cette biodiversité se trouve aujourd’hui menacée par l’exploitation pétrolière.
  • En 2022, la RDC a mis aux enchères les droits d’exploitation de 3 blocs gaziers et 27 blocs pétroliers, dont quatres dans le Graben Albertine. Riverains, militants et scientifiques s’opposent à leur exploitation, craignant des dommages humains et environnementaux.
  • Le ministre congolais des hydrocarbures négocie l'accès à un pipeline controversé reliant la rive ougandaise du lac à l'océan Indien en Tanzanie, ce qui pourrait permettre l'exportation du pétrole congolais de la zone.

Sur les bords du lac Albert, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC) l’inquiétude se fait sentir. La population, qui vit en grande partie de la pêche, craint que des multinationales viennent exploiter les gisements pétroliers du lac.

En juillet 2022, le gouvernement a mis aux enchères les droits d’exploitation de 3 blocs gaziers et 27 blocs pétroliers, dont quatre sont situés dans le Graben Albertine. Le Graben Albertine comprend le lac Albert, à cheval entre la RDC et l’Ouganda mais aussi le lac Edouard. Le lac Albert abrite entre 40 et 55 espèces de poissons dont l’endémique Albert lates (Lates macrophthalmus). Il est bordé par de plaines marécageuses et par les Monts Bleus, une chaîne de montagne située dans son extrémité nord.

Les terres environnantes sont luxuriantes. On y trouve des lions, des éléphants, une importante population de crocodiles du Nile et plus de 400 espèces d’oiseaux. L’Ouganda en a d’ailleurs fait une aire protégée, le parc national de Murchison Falls.
En RDC, elles sont urbanisées et utilisées pour l’agriculture de subsistance tandis que le lac fait l’objet d’une pêche intensive. On estime que 20.000 personnes y pêchent.

Cette biodiversité se trouve aujourd’hui menacée par l’exploitation pétrolière. En Ouganda l’extraction a déjà commencé. La RDC veut faire de même mais selon Jacques Mukena, chercheur principal en gouvernance à Ebuteli et le Groupe d’étude sur le Congo, un problème d’ordre géographique se pose.

« La région est très enclavée. La RDC a beaucoup de pétrole mais très peu de routes pour l’exporter. Pendant un temps, le ministre de l’hydrocarbure parlait de faire un pipeline qui irait jusqu’au Sud Soudan mais on ne sait pas ce qu’est devenu cette idée. Maintenant il négocie avec l’Ouganda » .

Poisson pêché dans le lac Albert en cours de séchage.
La population sur les bords du Lac Albert, qui vit en grande partie de la pêche, craint que des multinationales viennent exploiter les gisements pétroliers du lac. Image de Ndalilo koli via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).

En mai, le ministre congolais des hydrocarbures, Didier Budimbu Ntubuanga, a rencontré la ministre ougandaise de l’Énergie, Ruth Nankabirwa Ssentamu, afin de parler du développement des hydrocarbures et d’un potentiel accès à l’East African Crude Oil Pipeline Project (EACOP) pour le transport du pétrole brut qui sera extrait du Graben Albertine en RDC.

D’après la fiche d’enchères de ces blocs, il est possible d’y exploiter « sans risques » d’environ 5.463 millions de barils de pétrole. Malgré ce fort potentiel, ces blocs ne trouvent pour le moment pas preneur. En mai dernier Budimbu a décidé de reporter la clôture des candidatures pour acquérir les droits d’exploitation à fin octobre, novembre et décembre. Si entretemps, il parvenait à négocier un accès à l’EACOP, cela pourrait rendre ces blocs beaucoup plus attractifs pour les multinationales.

L’EACOP prévoit d’être un oléoduc d’environ 1,400 km allant du Parc national Murchison Falls en Ouganda jusqu’au port de Tanga en Tanzanie. Un projet porté par les gouvernements de l’Ouganda et de la Tanzanie ainsi que les géants pétroliers Total Energies et la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC). L’EACOP génère une forte opposition de la part de militants pour la défense de l’environnement mais aussi de la part de députés européens qui redoutent d’importants dégâts environnementaux et humains.

En RDC, l’éventualité de rejoindre ce projet n’enchante guère malgré la volonté affichée du président Tshisekedi de “concilier l’exploitation de ressources pétrolières de la RDC mais aussi la protection de cette nature”.

Le 15 septembre dernier, une vingtaine d’activistes ont manifesté dans les rues de Goma, dans la province du Nord-Kivu. « Nous avons l’expérience de l’exploitation des ressources minières, on a vu ce que l’exploitation du pétrole a donné à Muanda », dit Pascal Mirindi, étudiant et militant au sein d’Extinction Rébellion, un mouvement social écologiste international. « Ça n’a rien apporté sur le plan économique, juste de la pollution et plus d’insécurité. Nous ne voulons pas faire partie de ce projet ».

Une girafe du côté ougandais du lac Albert.
Une girafe du côté ougandais du lac Albert. Les terres environnantes du lac sont riches en biodiversité à tel point que l’Ouganda a décidé d’en faire une aire protégée, le parc national de Murchison Falls. On y trouve des lions, des éléphants, une importante population de crocodiles du Nile et plus de 400 espèces d’oiseaux. Image de Bernard DUPONT via Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.0).

Même chose du côté des riverains du lac Albert. Julienne Mbabazi, comme la plupart des habitants de Kasenyi, vit de la pêche. Il y a une dizaine d’années, le lac a fait l’objet d’explorations sismiques réalisées par la société Oil of DR Congo. Elle tremble encore en y repensant.

« Je me souviens qu’ils ont mis des engins qui ressemblaient à des batteries dans l’eau, on a entendu beaucoup de bruit, ça faisait ‘tout-tout-tout’. Résultat: les poissons sont tous partis. Là où avant on pouvait pêcher 100 kg de poisson, on ne trouvait plus que 20 kg. Moi je transforme le poisson mais il n’y avait quasiment plus rien à transformer. Ca a été un gros manque à gagner, pour nous surtout qu’on n’a même pas été informé et indemnisé » dit Mbabazi.

Si ce dommage n’est pas permanent, il a cependant soulevé des inquiétudes. «S’ils exploitent le pétrole, ça va polluer, détruire le lac et on n’aura plus de poissons pour vivre. La première fois qu’ils sont venus, ils ne nous ont ni prévenu ni indemnisé, qu’est-ce qui nous dit que cette fois ce sera le cas? Nous le pétrole on n’en veut pas, on n’en a pas besoin, ici notre richesse c’est le poisson » dit Mbabazi.

Son inquiétude vis à vis d’une potentielle pollution liée à l’exploitation pétrolière est partagée par Maarten Van Steenberge, ichtyologiste spécialiste des Grands lacs d’Afrique de l’Est.

« S’il y a une fuite, la couche d’hydrocarbure qui va flotter à la surface risque d’impacter l’échange de gaz oxygène /dioxyde de carbone entre l’air et l’eau. Ce déséquilibre peut gêner le développement des poissons. Il s’agit d’un lac, ce qui veut dire que son eau se renouvelle par la pluie et les rivières qui s’y versent. Ici ça prendrait 20 à 30 ans pour que l’eau du lac se renouvelle en supposant qu’il n’y ait pas d’autres pollutions entre temps », dit-il a Mongabay par téléphone.

« De plus, le pétrole sera ingéré par toute la chaîne alimentaire. Des poissons risquent de mourir et s’ils survivent, leur consommation sera dangereuse pour l’homme. Le pétrole est carcinogène. Polluer ce lac aurait des conséquences dévastatrices pour les populations riveraines qui en dépendent pour vivre, ça leur enlèverait leur moyen de subsistance ».

Le lac Albert est déjà considéré comme « vulnérable » par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en raison de la pollution liée à la présence humaine autour du lac (déchets domestiques et intrants agricoles et de la surexploitation des réserves halieutiques).

« La RDC a ratifié des traités pour la protection de l’environnement. La RDC devrait se concentrer sur les énergies renouvelables, pas se lancer dans plus d’exploitation pétrolière », dit Mirindi. « Nous ne voulons pas brader notre biodiversité et notre avenir pour des ressources dont les Congolais ne profiteront même pas ».

Pour le moment, aucune information officielle n’a été partagée quant aux négociations en cours. Du côté des activistes comme des chercheurs, personne ne sait ce que le gouvernement congolais est prêt à échanger contre ce précieux sésame. « La RDC négocie en position de faiblesse. En soit, l’Ouganda n’a pas besoin de ce pétrole là, ce qu’elle exploite de son côté du lac Albert est largement suffisant pour que le pipeline soit exploité à sa capacité maximum pendant plusieurs années », dit Mukena. « Au vu des enjeux, nous gardons l’œil ouvert ».

Contacté à plusieurs reprises par Mongabay, le ministre des Hydrocarbure n’a pas donné une suite favorable à nos demandes d’interviews.

Les efforts de développement menacent la protection de l’environnement en RD Congo

Image de bannière : Pêcheurs au lac Albert. Image de Nicola Swann via Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).

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