Nouvelles de l'environnement

Le sommet sur la souveraineté alimentaire en RDC favorise le soutien à l’agroécologie et aux droits fonciers locaux

  • L’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA) s’est récemment réunie à Kinshasa pour plaider en faveur d’une réorientation de la production alimentaire autour de l’agroécologie dans le bassin du Congo.
  • Des groupes de la société civile, des donateurs, des représentants des gouvernements et des petits exploitants agricoles se sont retrouvés pour échanger leurs points de vue, leurs défis et des solutions sur le thème de la sécurité alimentaire.
  • Dans toute l’Afrique, la politique agricole est axée sur une plus grande dépendance à l’égard des grandes exploitations et de la mécanisation, des semences commerciales, des pesticides et des engrais synthétiques.
  • Une déclaration publiée à l’issue du sommet a toutefois appelé à un investissement dans les méthodes agroécologiques, ainsi qu’à une reconnaissance et à une protection des droits fonciers des populations locales.

« Les 20 dernières années ont coûté cher à nos forêts, une déforestation accrue et la vente de nos terres par les décideurs gouvernementaux nous ont coupés de notre moyen principal de subsistance », a déclaré Polydor Musafiri, un autochtone Murega de l’est de la République démocratique du Congo. Les difficultés de sa communauté à assurer sa subsistance illustrent les défis auxquels les partisans de l’agriculture agroécologique, dont il fait partie, font face en Afrique centrale. Avec plus de 200 autres personnes de toute l’Afrique, il s’est rendu à Kinshasa du 29 au 31 août pour appeler les gouvernements et les partenaires de développement à soutenir davantage l’agroécologie.

Musafiri vit près de Bukavu, où lui et d’autres villageois cultivent entre autres l’amarante, le maïs et la tomate, en plus de se reposer sur la nourriture récoltée dans les forêts avoisinantes. « Dans notre culture, on consomme des chenilles, c’est riche en protéines, ça combat la malnutrition », a-t-il expliqué à Mongabay. « Ces chenilles [Bunaeopsis aurantiaca] on les trouve dans des grands arbres comme le milanga et le musela [Uapaca guineensis]. Mais ces arbres ont quasiment disparu. »

Musafiri s’est entretenu avec Mongabay lors du forum organisé par l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA) dans la capitale de la RDC afin de plaider en faveur d’une réorientation des systèmes de production alimentaire et de la politique agricole dans le bassin du Congo. Cette rencontre a réuni des petits exploitants agricoles, pêcheurs et bergers, des donateurs et d’autres groupes de la société civile venus de toute l’Afrique.

L’alliance plaide en faveur d’un soutien accru aux petits exploitants agricoles et aux populations autochtones, de l’utilisation de semences diverses, conservées et sélectionnées par les agriculteurs, et de l’association des connaissances autochtones et de la recherche scientifique pour mettre en place des systèmes alimentaires qui s’appuient sur la nature pour créer des communautés en bonne santé.

Turning marshes to farmland in South Kivu. Image by Kaukab Jhumra Smith/USAID via Flickr (CC BY-NC 2.0).
Les déplacements massifs de population causés par le conflit armé qui sévit dans l’est du Congo ont exercé une pression sur les marchés locaux, rendant les denrées alimentaires plus chères. Image de Kaukab Jhumra Smith/USAID depuis Flickr (CC BY-NC 2.0).

En mai, le Programme alimentaire mondial a estimé que dans les provinces de l’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, en RDC, 6,7 millions de personnes étaient confrontées à une situation d’urgence alimentaire cette année. Cette crise est en grande partie due au conflit armé qui sévit dans la région et qui a contraint de nombreuses personnes à fuir leurs champs. Musafiri n’est pas une victime directe de ces conflits, mais les déplacements massifs de population ont exercé une pression sur les marchés locaux, rendant les denrées alimentaires plus chères.

Musafiri fait ce qu’il peut pour compléter le régime de sa famille en se tournant vers des aliments traditionnels : « Avec quelques volontaires nous avons décidé de replanter des musela. On va dans la grande forêt profonde, on y récupère les graines et on essaie de les replanter dans les petites forêts environnantes du village pour qu’il y ait à nouveau des chenilles. Et on le fait de façon naturelle, sans produit chimique, avec de la bouse de vache et des graines de la forêt. »

Musafiri fait partie de Young Indigenous Leaders for Nature and Climate (YILNAC, Jeunes leaders autochtones pour la nature et le climat), une organisation panafricaine dont l’objectif est de populariser les pratiques autochtones en matière d’agriculture et de biodiversité. « Nous nous impliquons dans la restauration, la protection et la gestion rationnelle de la biodiversité parce que pour nous peuples autochtones, les arbres, les plantes, donnent le vrai sens de notre identité », a-t-il expliqué à Mongabay.

Ce travail est en accord avec les principes de l’agroécologie telle que prônée par l’AFSA. Musafiri aimerait en faire plus encore, nous a-t-il dit. « Mais le plus grand souci, c’est l’insuffisance des moyens. Nous manquons de moyens nécessaires pour rendre plus meilleures nos actions ! Nous avons besoin d’appui financier, d’encadrement et renforcement technique, des moyens techniques, etc. »

Une déclaration publiée à l’issue de la conférence de Kinshasa a appelé les gouvernements à renforcer les politiques en matière de conservation, de changement climatique et de développement durable ainsi qu’à une meilleure mise en œuvre de ces politiques. La déclaration appelle également à la reconnaissance et à la protection des droits fonciers des populations autochtones et locales, au soutien de la participation active des femmes à la gestion et à la conservation des ressources, ainsi qu’à l’investissement dans la formation en agroécologie et dans les infrastructures favorisant l’accès au marché et le commerce des produits issus de l’agriculture durable.

Les participants ont également demandé aux donateurs et aux partenaires de développement de mettre en place des mécanismes de financement facilement accessibles auxquels les communautés locales peuvent faire appel et de fournir une assistance technique et des technologies pour soutenir les pratiques agroécologiques. Ils souhaitent également que des ressources plus importantes soient allouées à la recherche sur l’agroécologie, la biodiversité et l’adaptation au climat dans le bassin du Congo.

A pilot farm in Yangambi, DRC. Image by Axel Fassio/CIFOR-ICRAF via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Une ferme pilote à Yangambi, en RDC. La politique agricole du gouvernement congolais favorise l’utilisation plus généralisée de semences commerciales, de pesticides et d’engrais synthétiques : en somme, une approche de type « révolution verte ». Image d’Axel Fassio/CIFOR-ICRAF depuis Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Yodit Kebede a participé au forum de Kinshasa pour le compte de l’Agroecology Fund, qui accorde des subventions soutenant les pratiques agricoles qui restaurent les sols et l’eau, freinent le changement climatique et promeuvent les droits et le bien-être des petits exploitants. L’organisation a également pour objectif d’encourager de plus gros donateurs à financer ce type de projet.

Elle s’est déclarée encouragée par la taille et l’orientation du forum. Elle a également souligné l’importance des questions sur les droits fonciers pour beaucoup des participants. « J’ai été surprise de voir que la problématique de l’accaparement des terres revenait souvent dans les diverses interventions. La différence de pratique entre les lois coutumières et celles de l’État, la question de l’accès à la terre pour les peuples autochtones et des populations locales. […] Il y a vraiment un flou sur cette thématique. J’étais consciente de ce problème parce que ça existe un peu partout en Afrique, mais je n’avais pas réalisé son ampleur. Du coup je pense qu’on va essayer de financer aussi des projets locaux dans ce sens », a-t-elle affirmé à Mongabay.

Les représentants des gouvernements étaient moins réceptifs au message du forum. Lors de l’ouverture de la conférence, Benjamin Toirambe Bamoninga, secrétaire général du ministère de l’Environnement de la RDC, a contesté les limites de l’agroécologie définies par l’AFSA, signe que son gouvernement ne la considère pas comme une base suffisante pour assurer la sécurité alimentaire.

Toirambe a reconnu le potentiel de l’agroforesterie et du remplacement des engrais synthétiques par des alternatives naturelles, mais a remis en question le soutien de l’AFSA aux petits exploitants. « Est-ce qu’il faut faire cette agriculture de manière traditionnelle ? La science nous montre qu’avec l’agriculture mécanisée et en utilisant ces engrais biologiques ça va nous emmener à une agriculture durable, à une production durable. Il y a eu un débat tout de suite là avec l’honorable sénateur, avec Son Excellence [Jose Mpanda Kabangu, ministre de l’Agriculture], avec surtout la société civile, qui me regarde. […] Pour eux, il faut des petits espaces. […] Non ! À moins qu’on redéfinisse d’autres politiques sur la population or, nous avons trop d’espace de notre côté en RDC. »

Sur le sujet d’un soutien accru à l’agroécologie de la part du gouvernement, l’homologue de Toirambe au ministère de l’Agriculture s’est excusé. « L’état donne le peu qu’il peut donner. Mais ce n’est pas assez », a déclaré José Ilanga Lofonga lors d’un entretien avec Mongabay. « Cette année les petits producteurs ont reçu quelque chose comme 27 millions de francs congolais [environ 10 000 €]. Ce n’est pas beaucoup. »

Selon Lofonga, cette somme a été versée aux ONG. Une source du ministère de l’Agriculture a montré à Mongabay des documents suggérant que seulement 16 ONG ont reçu des subventions. Leurs noms n’ont toutefois pas été dévoilés, ne permettant donc pas de vérifier si les fonds sont parvenus aux petits exploitants pratiquant une agriculture durable.

Comme de nombreux autres pays africains, la politique agricole de la RDC est axée sur l’augmentation de la production alimentaire grâce à des exploitations agricoles à grande échelle qui dépendent de la mécanisation, des semences commerciales, des pesticides et des engrais synthétiques. Il s’agit là d’une approche de type « révolution verte », qui a permis de stimuler la production de cultures de base dans des pays tels que l’Inde. L’AFSA et d’autres critiques affirment que cette approche est erronée.

« L’un des défis auxquels nous sommes confrontés est que les gouvernements continuent de penser en termes de révolution verte, c’est-à-dire qu’il est impossible de produire de la nourriture sans agro-industrie, et qu’il faut donc des produits chimiques pour produire de la nourriture », a déclaré Million Belay, coordinateur général de l’AFSA. « Si nous ne résolvons pas les problèmes des systèmes alimentaires, nous ne pourrons pas résoudre le problème de la conservation, car les personnes continueront de détruire les forêts à la recherche de nourriture. »


Image de bannière :
Un membre de l’association des femmes d’Akilimali dans sa parcelle agricole à Yanonge, en RDC. Image d’Axel Fassio/CIFOR-ICRAF depuis Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Article original: https://news.mongabay.com/2023/09/drc-food-sovereignty-summit-yields-support-for-agroecology-local-land-rights/

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