Nouvelles de l'environnement

Des titres fonciers peuvent-ils sauver la biodiversité et la population de Madagascar ?

  • Grâce à son initiative Titre Vert, le gouvernement malgache donne l’opportunité d’accéder à la propriété foncière à ses citoyens les plus vulnérables dans l’espoir de contribuer à la lutte contre la faim, les migrations internes et la disparition des forêts.
  • Avec cette initiative, l’État veut inciter les migrants potentiels à rester dans le Grand Sud, où 2 millions de personnes souffrent de la famine après cinq années de pluies insuffisantes, plutôt que de migrer vers le nord, où ils sont souvent accusés d’aggraver les tensions sociales et la destruction des forêts.
  • En mars dernier, le gouvernement malgache a entamé la création d’une enclave du Titre Vert dans le Menabe, une région prisée par les migrants venant du sud touché par la sécheresse. L’objectif est de les dissuader de défricher les forêts sèches uniques pour l’agriculture.
  • Les critiques affirment que le gouvernement retient les citoyens dans des régions arides sans toutefois offrir assez de soutien. Dans le Menabe, les partisans du projet espèrent apporter une aide suffisante à ce que les migrants puissent subvenir à leurs besoins sans se tourner vers la forêt.

AGNARAFALY et le MENABE, Madagascar — Pour Soja et sa famille, qui ont échappé à la famine causée par la sécheresse, la pluie de décembre battant leur toit en taule devrait être bienvenue. Mais les pluies sont une bénédiction à double tranchant, même dans cette région asséchée. À cause des averses, le camp d’Agnarafaly pour les familles touchées par la sécheresse s’est transformé en marécage, inondant les abris.

A flooded shelter at the Agnarafaly camp.
Un abri inondé au camp d’Agnarafaly. Image de Malavika Vyawahare / Mongabay.

Agnarafaly, dans la commune rurale d’Ifotaka, se trouve à la limite entre l’Anôsy et Androy, les deux régions les plus durement affectées par la sécheresse qui frappe le Grand Sud de Madagascar. Pour les décideurs politiques et les spécialistes, les migrations internes depuis le sud aride sont à blâmer pour toutes sortes de problèmes : insécurité grandissante, tensions sociales et perte dévastatrice de forêt dans l’un des endroits les plus riches en biodiversité du monde.

Le gouvernement malgache a créé le peuplement d’Agnarafaly dans le cadre de son initiative Titre Vert, une tentative de concevoir une solution durable à un problème complexe.

En fournissant l’essentiel (un toit et un terrain à cultiver) à quelques infortunés, le gouvernement espère inciter les migrants potentiels à rester dans le sud. Dans les régions où ils sont déjà présents en grand nombre, les peuplements du Titre Vert visent à apaiser les conflits avec les locaux et à freiner la disparition rapide des forêts.

« Il y a des moutons, des chèvres et des volailles. Toutes les parcelles sont équipées de systèmes [d’irrigation par] goutte-à-goutte », a annoncé le président malgache Andry Rajoelina lors de l’inauguration de la colonie d’Agnarafaly en mai 2021. « L’objectif est d’assurer votre subsistance pour que vous développiez vos propres capacités socio-économiques plutôt que de dépendre des aides. »

Mais le bétail n’est pas la caractéristique la plus attractive du projet. Si les occupants peuvent cultiver leur bout de terre avec succès pendant cinq ans, ils ont droit à des titres fonciers. Une aubaine sans pareille dans un pays où la plupart des gens ont des liens profonds avec la terre, mais ne jouissent pas de droits légaux sur celle-ci.

Le président Rajoelina a tout d’abord promu les titres verts dans le cadre du Programme Émergence Madagascar (PEM) comme une manière de s’attaquer à plusieurs problèmes qui frappent la nation insulaire, dont le chômage et l’insécurité. Titre Vert est à présent déployé dans cinq régions et le gouvernement prévoit de l’étendre davantage en l’adaptant aux besoins locaux. Le premier projet du Titre Vert a été lancé en 2021 à Antsirabé, le chef-lieu de la région du Vakinankaratra, où les jeunes ont reçu un accès provisoire à des terres pour l’élevage de bétail ou de volaille.

En mars dernier, le gouvernement malgache, en collaboration avec USAID, s’est penchésur une autre enclave du Titre Vert dans le Menabe. Cette région est une destination prisée par les migrants, car elle se trouve juste en dehors de la zone aride. Cette itération de l’initiative Titre Vert vise à accueillir les migrants plutôt que de les contraindre à rester dans leurs terres natales.

Mais un titre vert est-il véritablement un moyen de sauver la population et la biodiversité incomparable de Madagascar ?

Titre vert, village orange

A photo of the Agnarafaly camp model tweeted by President Andry Rajoelina
Une photo du modèle du camp d’Agnarafaly publiée sur Twitter par le président Andry Rajoelina.

 

Le camp d’Agnarafaly après les pluies de décembre. Image de Malavika Vyawahare / Mongabay.

Le sud de Madagascar est naturellement aride, mais le manque de pluie de ces dernières années, apparemment déclenché à la fois par des changements naturels et par le changement climatique induit par l’homme, provoque des sécheresses plus persistantes.

Pour les habitants d’Androy, de l’Anôsy et de l’Atsimo-Andrefana, la saison sèche dure 10 mois de l’année, et la brève saison des pluies apporte moins de 600 millimètres de précipitations.

Chaque saison des pluies insuffisante est un coup dur pour les communautés de ces régions. À la fin de 2022, après cinq années de ce régime, plus de 2 millions de personnes souffraient de famine et près de 500 000 enfants étaient atteints de malnutrition aiguë.

La famille élargie de Soja, composée de 13 personnes dont son frère et les enfants et petits-enfants de celui-ci sont arrivés dans la commune d’Ifotaka en 2021. Ils ont marché pendant quatre heures depuis leur village natal, à Androy, et traversé le fleuve Mandrare, à la frontière avec l’Anôsy. C’est là, au sein d’un groupe de plus de 100 autres familles, qu’il a reçu un abri d’une seule pièce à Agnarafaly.

Au camp, rangée après rangée d’abris s’étalent sur 200 hectares. Environ 160 ménages y vivaient en 2022, l’objectif étant d’en accueillir 2 000. Chaque foyer se voit octroyer une parcelle de 0,1 ha, soit deux terrains de basketball, au sein de la colonie. La couleur orange caractéristique des logements a valu à l’enclave son nom de Village Orange.

Soja, un quadragénaire qui, comme la plupart des Malgaches, n’utilise qu’un nom, a confié à Mongabay qu’il n’envisageait pas de quitter le sud en raison du coût trop élevé. D’autres, en revanche, font le trajet vers le nord à la recherche de nourriture et de travail, répartis sur des jours, des semaines, parfois des mois. Tôlagnaro, ville minière de la côte orientale et chef-lieu de l’Anôsy, et Morondava, chef-lieu du Menabe, sont des destinations populaires.

L’Organisation internationale pour les migrants prévoit que l’exode depuis le sud de Madagascar continuera avec la hausse des températures et l’évolution du régime des pluies.

Soja, extreme right, and some members of his family living at Agnarafaly camp.
Soja, tout à droite, et certains membres de sa famille vivent au camp d’Agnarafaly. Image de Malavika Vyawahare / Mongabay.

Migrations « incontrôlées », disparition des forêts galopante

Certaines estimations suggèrent que les migrants représentent déjà plus de la moitié de la population du Menabe, mais il n’y a toutefois pas de recensement officiel à jour. La stratégie régionale sur la migration élaborée par le gouvernement a mis en garde contre le fait que depuis 2015, lorsque le phénomène El Niño a commencé à exacerber le stress hydrique et la crise alimentaire dans le sud, la migration en provenance d’Androy est « devenue incontrôlable ».

Le Menabe abrite l’aire protégée du Menabe-Antimena (APMA), l’un des derniers bastions des forêts sèches côtières uniques du pays. L’aire protégée telle qu’elle est aujourd’hui a été créée par le gouvernement en 2015. S’étendant sur 210 312 hectares, elle englobe des parcelles forestières toujours plus fragmentées à mesure que le couvert végétal s’amenuise.

 

Forest cover change in Menabe-Antimena Protected Area.
Évolution du couvert forestier dans l’aire protégée du Menabe-Antimena. Carte originale reproduite avec l’autorisation du Durrell Wildlife Conservation Trust.

Des villages entiers se trouvent au sein de l’APMA. Afin de concilier leurs besoins, l’APMA a été désignée comme zone protégée de catégorie V selon le système de classification de l’UICN. Ainsi, les communautés peuvent vivre et exploiter durablement la forêt dans la zone tampon, mais pas dans le noyau de conservation de l’aire protégée.

Le flot incessant de migrants a toutefois rendu la situation intenable. N’ayant pas de droits traditionnels sur les terres et dépendant fortement de l’agriculture sur brûlis, les migrants, qu’ils soient de longue date ou nouveaux venus, s’appuient plus sur la forêt que les populations locales et sont plus vulnérables à l’exploitation.

Maharombaka, 75 ans, a quitté Androy lorsqu’il était un jeune homme et a passé la majorité de sa vie dans et autour de l’APMA. Il a expliqué s’être déplacé pour trouver un terrain approprié.

« Je suis parti à cause de la sécheresse dans le sud, mais les conditions sont difficiles dans le Menabe aussi », a-t-il confié à Mongabay. « Il n’y a pas toujours assez à manger. Parfois, je me prive pour que mes petits-enfants puissent manger. »

Le village d’Andranomena Sud, où le septuagénaire vit et travaille comme métayer, se trouve juste à l’extérieur de la réserve spéciale d’Andranomena. La réserve fait partie du noyau de conservation de l’APMA, où aucune perturbation humaine n’est autorisée.

Maharombaka with his grandchildren in Andranomena Sud village.
Maharombaka et ses petits-enfants au village d’Andranomena Sud. Image de Malavika Vyawahare / Mongabay.

Des espèces, petites et grandes, défaites par les besoins et l’avidité de l’homme

Les forêts sèches uniques du Menabe sont parmi les plus menacées du monde. Près de la moitié du couvert de l’APMA a disparu ces 15 dernières années. La perte de forêt a drastiquement augmenté en 2017, à la fois dans la zone tampon et dans le noyau de conservation. Rien qu’en 2020, 13 000 hectares de forêt, soit 18 000 terrains de football, ont disparu dans l’aire protégée.

La région du Menabe se trouve à l’ouest, à l’abri des déficits pluviométriques qui affectent le Grand Sud. Le sol est sablonneux et les précipitations sont rares, mais suffisantes à alimenter la végétation décidue sèche.

Depuis des millions d’années, l’écologie unique et l’isolation de Madagascar (qui est la plus vieille île de la planète) ont donné naissance à des espèces aux adaptations singulières. L’APMA abrite six des huit espèces de baobabs du monde. Ces arbres, qui sont parmi les plus grands sur Terre, peuvent atteindre 30 mètres de haut et de circonférence. Leurs troncs en forme de bouteille sont fibreux et spongieux, conçus pour retenir l’eau, ce qui permet aux arbres de survivre à des sécheresses prolongées.

Charred land inside the Menabe Antimena Protected Area.
Sol calciné à l’intérieur de l’aire protégée du Menabe-Antimena. Image de Malavika Vyawahare / Mongabay.

Beaucoup de ces arbres majestueux et pluricentenaires ont résisté à l’épreuve du temps. Malgré cela, les feux de forêt (dont la plupart sont déclenchés par des personnes cherchant à défricher des terres) qui ravagent l’aire protégée durant les mois secs peuvent emporter même les baobabs les plus robustes.

Ces forêts abritent également la plus petite espèce de primate au monde, le microcèbe de Mme Berthe (Microcebus berthae), qui est en danger critique d’extinction. Durant les mois secs, ces animaux de la taille d’un poing entrent dans un état de torpeur, réduisant leurs activités quotidiennes pour économiser leur énergie. M. berthae est une espèce endémique et fait partie des milliers d’espèces qu’on ne trouve qu’à Madagascar. Son habitat est limité à deux forêts décidues sèches au sein de l’APMA : Kirindy et Ambadira.

Madame Berthe’s mouse lemur
Ces forêts abritent également la plus petite espèce de primate au monde, le microcèbe de Mme Berthe (Microcebus berthae), qui est en danger critique d’extinction. Image reproduite avec l’autorisation de Matthias Markolf/Université de Göttingen.

Des études récentes suggérant que l’habitat du microcèbe s’est rétréci ont tiré de nouvelles sonnettes d’alarme parmi les scientifiques et les défenseurs de l’environnement. Les primatologues étudient encore les raisons du recul du lémurien. Ces mammifères nocturnes timides tendent à éviter les abords de la forêt. La dégradation de celles-ci, la diminution des réserves alimentaires et l’évolution de la pression des prédateurs pourraient expliquer leur absence de leurs anciens lieux de prédilection.

Les raisons du recul de la couverture végétale, en revanche, sont plus claires : le tavy (agriculture sur brûlis). Cette méthode implique de brûler les forêts pour défricher des terres qui seront cultivées pour deux ou trois saisons, jusqu’à ce que le sol perde en fertilité. Les fermiers passent ensuite à une nouvelle parcelle, laissant derrière eux des hectares de paysages dégradés.

Ces dix dernières années, deux cultures commerciales sont notamment venues remplacer les forêts sèches menacées : le maïs et l’arachide.

Maharombaka, lui, cultive le riz, le manioc, la patate douce et le maïs dans ses champs. Il a mentionné un contrat de métayage, mais a refusé de nous révéler le nom de la personne avec laquelle il l’a conclu. Cet accord lui donne l’autorisation de cultiver la terre en échange de la moitié de sa production. Il a avoué que s’il ne cultivait pas dans le noyau de conservation de l’APMA, il fabriquait du charbon de bois à partir des arbres qu’il y avait abattus pour survivre pendant les périodes de vaches maigres. Le charbon de bois est utilisé par 90 % de la population malgache, aussi bien rurale qu’urbaine, pour la cuisine. C’est un pilier des économies rurales, au détriment des forêts.

A bag of charcoal ready to be sold at Andranomena Sud village in Menabe.
Un sac de charbon de bois prêt à être vendu dans le village d’Andranomena Sud, dans le Menabe. Image de Malavika Vyawahare / Mongabay.

Un rapport du gouvernement publié en 2021 a décrit un réseau (incluant des élus dont les noms n’ont pas été dévoilés) soutenant l’expansion agricole au sein de l’APMA et promouvant l’afflux de migrants. Le rapport a révélé que les opérateurs qui amènent les personnes perçoivent également une portion de leurs récoltes à des prix injustes.

Le rapport de 2021 note également que la demande en maïs de l’île de La Réunion, un département français d’outre-mer voisin de Madagascar, alimente l’expansion. Les arachides, quant à elles, sont principalement acquises par des acheteurs chinois, mais leur destination demeure floue.

Women shelling peanuts at Lambokely village inside Menabe Antimena Protected Area.
Des femmes décortiquant des arachides au village de Lambokely, au sein de l’aire protégée du Menabe-Antimena. Image de Malavika Vyawahare / Mongabay.

Des enquêtes antérieures suggèrent qu’il existe de nombreux autres bénéficiaires de ce commerce, tant au niveau national qu’international. Les efforts visant à remonter les filières d’approvisionnement jusqu’aux distributeurs finaux et aux détaillants n’ont cependant donné que peu de résultats. En effet, les acteurs politiques et sociaux manifestent peu d’intérêt pour la poursuite des bailleurs de fonds influents, des intermédiaires de l’ombre ou même des cultivateurs malheureux.

Pour cette industrie en plein essor, les communautés déracinées du sud sont un terreau fertile pour le recrutement de main-d’œuvre. Madagascar compte 18 ethnies dominantes dans différentes régions du pays. Maharombaka, tout comme Soja, est un Antandroy ou Ntandroy, le groupe ethnique dominant en Androy.

Tsimanova Nazaire Paubert, a political anthropologist and entrepreneur who runs a radio station in Ambovombe, Androy’s capital, said Tandroy are singled out in discussions about migration.
Tsimanova Nazaire Paubert, un anthropologue politique et entrepreneur à la tête d’une station de radio à Ambovombe, le chef-lieu d’Androy, a affirmé que les Antandroy sont particulièrement ciblés dans les discussions autour de la migration. Image de Malavika Vyawahare / Mongabay.

Tsimanova Nazaire Paubert, un anthropologue politique et entrepreneur à la tête d’une station de radio à Ambovombe, le chef-lieu d’Androy, a affirmé que les Antandroy sont montrés du doigt dans les discussions autour de la migration. Ils ont souffert de nombreuses décennies de marginalisation politique et économique, en raison de leur longue lutte pour maintenir leur autonomie par rapport aux dirigeants merinas des hauts plateaux centraux et aux colonisateurs français qui leur ont succédé.

Après la déclaration d’indépendance de Madagascar en 1960, les Antandroy ont commencé à migrer en masse vers le nord à cause des sécheresses répétées. Dans les zones urbaines, les migrants font face au manque d’opportunités professionnelles et finissent par occuper des emplois mal payés comme domestiques, journaliers ou ouvriers d’usine.

Dans les zones rurales, c’est l’accès aux terres qui pose problème. Pour éviter les conflits, les migrants sans-terre s’installent souvent dans des zones non revendiquées par la population locale. Les aires forestières sont principalement la propriété de l’État et peuvent être co-gérées par les communautés sous supervision directe du gouvernement, ou gérées par des organisations à but non lucratif. « Ils disent “ce terrain n’est à personne. C’est notre terrain. Nous allons cultiver ici” », a dit Paubert.

Cependant, n’ayant aucune revendication légale sur les terres et se trouvant en infraction avec la loi à l’intérieur des aires protégées, ils mènent une vie précaire.

Carte des principales routes migratoires depuis le sud de Madagascar. Carte conçue par Rémy Canavesio et reproduite depuis Stratégie régionale de gestion des migrations région Androy 2022-2026.

Un modèle avec du potentiel… Et des problèmes

À travers le pays, la présence de l’État malgache sur le terrain est infime. Madagascar est l’un des pays les plus pauvres au monde en termes de revenu national et de revenu par habitant. Plus des trois quarts de la population vivent sous le seuil de pauvreté défini par la Banque mondiale, soit 2,15 $ par jour. La majeure partie du réseau routier dans les zones rurales est inutilisable lors de la saison des pluies. La plupart des villageois n’ont pas accès à des services de santé publique, à l’éducation ou au réseau électrique. La pauvreté financière est l’une des principales raisons pour lesquelles la gestion des parcs nationaux et d’autres zones de conservation dans la nation insulaire est souvent financée et déléguée à des acteurs non étatiques.

Au sein de l’aire protégée du Menabe-Antimena, les parcelles de forêt distinctes sont gérées par différentes organisations, dont l’ONG locale Fanamby, l’organisme paragouvernemental Madagascar National Parks (MNP), le ministère de l’Environnement et l’organisation à but non lucratif Durrell Wildlife Conservation Trust.

Les directeurs de l’APMA s’inquiètent depuis longtemps des migrants qui arrivent par milliers chaque année dans les villages dans et autour de l’aire protégée. Depuis 2020, il y a eu un effort concerté visant à s’attaquer aux défis de la migration interne, dont le Titre Vert fait partie.

Dans le Menabe, le gouvernement met de côté 6 140 hectares à Bezeky, une localité située en dehors des limites de l’aire protégée, pour en faire une enclave du Titre Vert. Il est prévu d’y loger 500 familles qui vivent présentement dans le noyau de conservation de l’APMA. Chacune se verra accorder un abri, du bétail et 2 hectares de terre à cultiver. Le peuplement devrait être prêt à accueillir les familles en septembre prochain.

Considérant la perte de forêt alarmante, USAID a offert son soutien fervent à cette itération du Titre Vert dans le Menabe. « Il offre des moyens de subsistance aux réfugiés climatiques qui se sont installés illégalement dans la zone protégée du Menabe », a déclaré Anne Williams, directrice de mission de l’USAID Madagascar, à Mongabay lors d’un appel téléphonique. Il s’agit d’une relocalisation volontaire, a-t-elle précisé, ajoutant que des actions de sensibilisation sont en cours pour encourager les migrants au cœur de l’aire protégée à en sortir.

À Bezeky, il est prévu de fournir un centre de santé, une école, de l’eau pour l’usage quotidien et de l’électricité aux migrants et aux quelque 300 ménages qui y sont déjà installés. Mais une grande partie des efforts sera consacrée à aider les migrants et les communautés locales à pratiquer une agriculture plus durable et plus sédentaire.

« Si quelqu’un veut produire du maïs ou d’autres cultures parce que les marchés l’exigent, nous ne pouvons rien y faire », a déclaré Williams. « Nous voulons juste nous assurer que ce maïs n’est pas cultivé au sein de l’aire protégée. »

A baobab tree felled by fire.
Un baobab calciné. Les feux de forêt qui ravagent l’aire protégée durant les mois secs peuvent emporter même les baobabs les plus robustes. Image de Malavika Vyawahare / Mongabay.

Dans le même temps, USAID promeut des cultures telles que le sorgho comme alternative au maïs, qui nécessite de grandes quantités d’eau et appauvrit les sols, au travers de projets dans le Menabe. L’agence prévoit de faire de même à Bezeky une fois le peuplement établi.

Ce projet du Titre Vert pourrait être considéré comme un succès si « les migrants et les résidents s’entendent bien et si les moyens de subsistance s’améliorent », a déclaré Williams. « À terme, la diminution du nombre de terres déboisées sera le signe de réussite par excellence. Ce projet du Titre Vert a le potentiel d’être un modèle pour le reste du pays et pour le monde », a-t-elle ajouté.

Toutefois, un rapport de l’USAID publié en 2022 a également fait état de critiques quant au « manque de leadership du gouvernement » dans la réponse aux migrations internes. Le document a rapporté des problèmes tels que le manque de volonté, l’insuffisance des ressources nécessaires à faire appliquer la loi ou encore la corruption, en notant que les fonctionnaires locaux et régionaux encouragent l’immigration à leurs propres fins.

Le rapport a ainsi conclu que l’initiative Titre Vert ne « suffit pas pour répondre à l’ampleur des problèmes de migration dans la région ».

S’attaquer au sujet de la migration présente également un dilemme cornélien à l’État malgache : des citoyens peuvent-ils vraiment être considérés comme des migrants dans leur propre pays ? Les questions concernant le statut et le traitement des personnes déplacées à cause de catastrophes climatiques se font toujours plus urgentes alors que les perturbations climatiques engendrent de plus en plus de « réfugiés climatiques ».

La Constitution de Madagascar garantit à tous « le droit de circuler et de s’établir librement » dans le pays. « La liberté est un principe fondamental. Nous n’avons pas le droit de les empêcher de circuler », a déclaré un haut fonctionnaire du gouvernement local de Morondava, qui a requis l’anonymat parce qu’il n’était pas autorisé à parler aux médias. « Mais beaucoup de nouveaux venus choisissent de rester et s’installent dans les forêts. »

« La logique veut que si on leur donne des terres, le nombre de ceux qui vont dans les forêts diminuera. »

Des promesses à tenir

The ruins of a building bearing a banner for the World Food Programme in the drought-hit south of Madagascar.
Les ruines d’un bâtiment dans le sud aride de Madagascar, sur lequel est peint un panneau pour le Programme alimentaire mondial. Image de Malavika Vyawahare / Mongabay.

La capacité du Titre Vert à tenir ses promesses dépend du suivi, comme le montre l’expérience d’Agnarafaly.

Selon Soja, les chèvres et les poules, données il y a deux ans aux familles dans le cadre du programme, sont toutes mortes. « Certains animaux sont morts de maladie. D’autres ont été volés. Nous avons dû vendre nos ustensiles pour acheter les graines de cette saison », a-t-il expliqué, accroupi dans son abri rudimentaire. Des casseroles et des poêles étaient empilées dans un coin tandis que des vêtements séchaient sur des poteaux dans un autre. Derrière Soja, des membres de sa famille se reposaient à même le sol.

Dehors, la pluie avait inondé les champs. La plupart des familles du camp dépendent des aides alimentaires.

« Nous allons fabriquer du charbon de bois et le vendre pour pouvoir manger », a-t-il confié.

Les bénéficiaires du Titre Vert n’ont droit à des titres de propriété sur leurs terres que s’ils peuvent en montrer la productivité pendant cinq ans et ne coupent pas d’arbres dans les forêts. Il est cependant difficile de savoir si et comment le gouvernement malgache contrôle ce point. Le ministère de l’Agriculture et de l’Élevage, qui mène l’initiative Titre Vert, n’a pas donné suite aux sollicitations de Mongabay.

Selon Paubert, le gouvernement contraint les personnes à rester dans cette région privée de pluie en proposant le programme Titre Vert sans toutefois leur apporter suffisamment de soutien. Les Antandroy, comme toutes les communautés de Madagascar, sont très attachés à leurs terres ancestrales. De nombreux migrants avec qui Mongabay s’est entretenu ont exprimé le désir de revenir, avec malgré tout une réserve commune : revenir à quoi ?

Carte reproduite depuis le Madagascar Humanitarian Snapshot du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (décembre 2022).

Si l’État peut séduire ceux qui cherchent des horizons plus verdoyants en leur promettant des terres, il ne peut pas faire grand-chose contre les bouleversements climatiques. L’agriculture dans la région d’Androy étant entièrement dépendante des précipitations, les années de sécheresse ont fait des ravages dans l’économie locale. Le bétail, pilier de la vie sociale et économique des populations, meurt par milliers chaque année. Même lorsque la pluie tombe, elle ne s’aligne pas sur les cycles de culture traditionnels, ajoutant à la précarité de la vie dans la région.

« Ma famille dans le sud, elle ne peut rien faire pousser », a affirmé Kapaky, un jeune homme antandroy de 25 ans résidant à Andranomena Sud. « On cherche une vie meilleure, de la bonne terre à cultiver pour nourrir nos familles. » Marahombaka et Kapaky prévoient tous deux de rester dans le Menabe.

Kapaky, extreme right, with other migrants to Menabe from the Androy region.
Kapaky, tout à droite, avec d’autres migrants de la région d’Androy installés dans le Menabe. Image de Malavika Vyawahare / Mongabay.

En 2022, Kapaky est retourné en Androy pour rendre visite à sa famille, ce qui n’a fait que renforcer sa détermination à rester : « Pour nous, c’est difficile, mais pour eux, c’est bien pire. »

À Agnarafaly, Soja affirme qu’il est également reconnaissant pour le refuge. « Nous n’y retournerons pas. Là-bas, c’est pire », a-t-il dit de ses terres ancestrales affectées par la sécheresse de l’autre côté de la rivière. « Nous voulons remercier Andry Rajoelina », a-t-il affirmé. « Le problème c’est que lorsqu’il y a une inondation, nous n’avons pas d’endroit où dormir. »

 
Image de bannière : Des villageois traversant l’Allée des baobabs sur leur trajet vers les champs dans lesquels ils travaillent. Image de Malavika Vyawahare / Mongabay.

 
Article original: https://news.mongabay.com/2023/08/can-land-titles-save-madagascars-embattled-biodiversity-and-people/

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