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Des pêcheurs ouest-africains en grève pour des salaires décents et « être respectés » sur des navires européens

  • Des pêcheurs africains, principalement originaires du Sénégal et de la Côte d’Ivoire qui travaillent sur des dizaines de navires européens qui naviguent en Afrique de l’Ouest et dans l’océan Indien, ont participé à une grève qui a duré du 5 au 8 juin, alléguant des violations en matière de salaire.
  • Des navires appartenant à des sociétés européennes sont autorisés à pêcher dans les eaux de pays étrangers par le biais d’accords entre l’Union européenne et les pays hôtes. Toutefois, un tiers de ces navires actifs en Afrique de l’Ouest battent pavillon d’autres pays et contournent les dispositions relatives aux droits du travail convenues dans ces accords.
  • Des pêcheurs qui ont participé à la grève ont dit à Mongabay qu’ils se battaient pour plus que des salaires décents, expliquant que les marins africains n’étaient pas traités avec respect sur les bateaux européens malgré le fait qu’ils effectuent les travaux les plus difficiles.
  • Les organisations syndicales représentatives de gens de mer ont mis fin à la grève après que le gouvernement sénégalais a entamé des négociations avec les propriétaires des navires et les organisations syndicales. Les discussions devraient se terminer dans cinq mois.

Une grève de quatre jours de près de 2 000 pêcheurs sénégalais et ivoiriens qui travaillent sur des navires appartenant à des sociétés européennes opérant dans les eaux ouest-africaines a levé le voile sur des pratiques de travail injustes et abusives qui affecte le secteur de la pêche industrielle.

« Les conditions sont très dures, et nous ne recevons pas le salaire que nous méritons », Aliou Ngom, 44, qui travaille comme mécanicien sur le Via Alize, un thonier senneur qui opère en Afrique de l’Ouest et dans l’océan Indien, a dit à Mongabay. « Nous ne travaillons pas pour acheter une voiture ou faire construire une maison. Nous travaillons juste pour manger. »

Les marins affirment qu’ils ne sont pas payés le salaire minimum de l’Organisation internationale du travail de 658 dollars par mois fixé par les accords de partenariat dans le domaine de la pêche durable (APPD) conclus entre l’UE et le Sénégal et l’UE et la Côte d’Ivoire.

Certains des navires européens qui emploient des travailleurs grévistes naviguent sous pavillons de pays européens et sont sujets aux dispositions de l’APPD. En revanche, d’autres bateaux qui appartiennent à des sociétés basées dans l’UE battent le pavillon d’un pays différent et évite de cette façon les réglementations ainsi que les dispositions relatives à la durabilité des APPD. Plus d’un tiers des navires appartenant à des sociétés européennes opérant dans la région utilisent des « pavillons de complaisance ».

La grève, qui a duré du 5 au 8 juin, a été soutenue par la Fédération internationale des ouvriers du transport qui a son siège à Londres ainsi que des organisations syndicales au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Les pêcheurs qui étaient déjà à bord de navires pour la saison de la pêche ont arrêté de travailler, stoppant la pêche sur ces bateaux. Les organisations syndicales ont mis fin à la grève après que le gouvernement sénégalais est intervenu et a entamé des négociations avec les propriétaires des bateaux.

« Nous exigeons que les dispositions des accords de partenariat signés entre l’Union européenne et nos pays respectifs soient appliquées. … Rien n’est respecté », Yoro Kane, secrétaire général adjoint de l’Association des marins du Sénégal, a dit à Mongabay. Kane a expliqué que bien que les marins africains réalisent une grande partie du travail difficile à bord des navires, les engager coûtait moins cher aux propriétaires que d’engager des Européens pour les mêmes postes.

A photo of West African sailors striking onboard an EU vessel on June 5.
Une photo de marins ouest-africains en grève à bord d’un navire européen le 5 juin. Image fournie par Ibra Diop.

Les APPD sont des accords signés entre l’UE et des États non européens. Ils permettent à des bateaux battant pavillon de pays européen de pêcher dans les eaux nationales d’autres Pays. La plupart de ces contrats sont signés avec des pays africains moins industrialisés. L’UE dit que les contrats bénéficient aux deux parties. Toutefois, des critiques les décrivent comme étant injustes et abusifs.

Bien que le salaire minimum de l’OIT ne s’applique pas toujours aux pêcheurs, son inclusion dans l’accord entre le gouvernement sénégalais et l’Union européenne le rend « obligatoire », El Hadji Aboubacar Faye, un haut fonctionnaire de l’Agence nationale des affaires maritimes (ANAM) du Sénégal, a dit à Mongabay.

« Toutefois, les conditions de rémunération des marins ne peuvent être inférieures à celles applicables aux équipages de leurs pays respectifs [des navires] et en tous les cas pas inférieures aux normes de l’OIT », stipule l’APPD entre l’UE et le Sénégal. Une disposition comparable est incluse dans l’accord entre l’UE et la Côte d’Ivoire.

« La Commission déplore la situation et suit de près le dossier », a déclaré un porte-parole de la Commission européenne (CE), la branche exécutive de l’UE responsable de la négociation et du respect des APPD à Mongabay dans un communiqué envoyé par courriel. « Nous sommes en liaison avec les administrations européennes concernées et nous utilisons les réunions du comité mixte mis en place dans le cadre des APPD pour suivre la mise en œuvre des dispositions des APPD. » Le porte-parole de la CE a souhaité rester anonyme, citant une politique de la Commission.

Mais pour Ngom, le problème va au-delà de la question des bas salaires et des mauvaises prestations sociales. « On ne nous respecte pas. C’est la considération qui nous est donnée par rapport à nos collègues européens. Nous avons remarqué que les Africains sont moins bien considérés que les autres », dit-il. Il décrit que lors de disputes entre marins africains et européens, « c’est toujours le collègue africain qui est en tort », et qui finit par être réprimandé ou licencié.

La flotte européenne autorisée à opérer dans les eaux sénégalaises en vertu de l’APPD est constituée de 45 navires, dont 29 battent pavillon espagnol et 16 battent pavillon français. La plupart sont des senneurs qui attrapent du thon, les autres sont des canneurs (10), des palangriers (5) et des chalutiers (2).

Toutefois, il y a au moins 23 navires opérant dans les eaux ouest-africaines qui appartiennent à des sociétés européennes, mais qui battent le pavillon de pays comme les Seychelles, l’île Maurice et le Panama, et qui ne sont donc pas tenus de se conformer aux APPD.

Demonstrators on Labor Day, May 1, 2023, demanding Senegalese sailors be paid the ILO minimum wage.
Manifestants le jour de la fête du Travail, le 1er mai 2023, demandant que les marins sénégalais soient payés le salaire minimum de l’OIT. Image fournie par Ibra Diop.

Le représentant de la CE a indiqué que la commission était « au courant » du problème, mais que l’UE « n’est pas compétente pour réglementer les questions de pavillon et n’est donc pas en position de prendre des mesures contre ces navires ».

Les thonidés de l’Atlantique migrent à travers l’Atlantique et traversent la haute mer et les eaux territoriales de pays qui bordent l’océan, notamment celles de pays africains comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire. La majorité de la flotte de thoniers européens navigant dans les eaux ouest-africaines opère également dans l’océan Indien occidental, où l’UE a des accords avec des pays comme les Seychelles, l’île Maurice et Madagascar pour pêcher des thonidés de l’océan Indien.

Au Sénégal, les bateaux européens sont autorisés à pêcher 10 000 tonnes de thon chaque année en vertu de l’APPD. En échange, le Sénégal reçoit une indemnité s’élevant à 1,7 million d’euros ou 1,9 million de dollars par an, ainsi que des tarifs variables payés par les propriétaires de navire pour les autorisations de pêche et la promesse d’emplois. Bien que le recrutement de travailleurs sénégalais soit encouragé, l’accord entre l’UE et le Sénégal exige seulement qu’un cinquième de l’équipage soit originaire d’États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP).

Il y a des exigences comparables dans les autres APPD, et les Africains forment donc le plus grand contingent de travailleurs sur les navires-thoniers européens opérant dans les eaux africaines et dans l’océan Indien.

Les emplois sur les bateaux de pêche qui restent en mer pendant des mois sont parmi les plus durs et les plus dangereux au monde. Les citoyens des pays ACP occupent généralement les postes les moins bien payés sur ces bateaux.

Ibra Diop, 50, un pêcheur sénégalais qui a passé 18 ans à travailler sur des navires européens, décrit l’activité comme des « heures de travail interminables ». Il a démissionné l’année dernière après avoir reçu un diagnostic d’arthrose des deux pieds. Sa dernière mission était à bord du Txori Argi, l’un des plus grands thoniers senneurs du monde, appartenant à la société espagnole INPESCA et battant pavillon espagnol.

Diop a également été blessé par le manque de respect montré à ses compatriotes africains. Il a expliqué que l’équipage venait de plusieurs pays. « Il y a des Africains d’origine sénégalaise, ivoirienne, ghanéenne et parfois malgache. Il y a les Espagnols de souches, mais les Africains font le travail physique ». « Nous faisons un travail difficile, je ne veux pas dire le sale boulot, mais c’est le genre de travail que les Blancs ne peuvent pas faire. Alors ils doivent nous respecter pour ce que nous faisons. »

Diop a affirmé que les travailleurs africains sont « rabaissés pendant qu’ils travaillent » et sont confrontés à la violence verbale sur les bateaux européens.

Des travailleurs d’au moins sept navires d’INPESCA ont participé à la grève de juin. La société est membre de l’Association espagnole de thoniers congélateurs (OPAGAC), une organisation professionnelle. L’OPAGAC représente également Albacora, un autre grand groupe de pêche espagnol dont des membres d’équipage ont participé à la grève de juin.

« Les navires OPAGAC opèrent en vertu de l’APPD de l’UE et du Sénégal et respectent toutes les exigences légales de l’accord, y compris les conditions de travail », Julio Morón Ayala, le directeur général de l’OPAGAC, a écrit à Mongabay dans une réponse par courriel. « Tous les marins africains à bord de la flotte de l’OPAGAC reçoivent un salaire minimum qui dépasse le salaire minimum de l’OIT de 658 dollars par mois. »

Le salaire minimum fixé par l’OIT va augmenter à 666 dollars en 2024 et à 673 dollars en 2025.

De nombreux navires sous pavillons européens s’appuient toujours sur un vieux montant du salaire minimum inférieur à 658 dollars par mois et incluent une multitude de bonus, cotisations et autres avantages pour arriver au salaire minimum, selon les contrats vus par Mongabay. Les pêcheurs qui ont parlé à Mongabay ont dit que les avantages financiers supplémentaires devraient être ajoutés en plus du salaire minimum.

« Les pêcheurs travaillant à bord des navires européens [navires battant le pavillon de pays européens] ont effectivement le droit d’être payés au moins le salaire minimum des marins de l’OIT. Tout pêcheur qui ne recevrait pas ce salaire minimum a le droit de saisir la juridiction compétente », a dit le porte-parole de la CE.

Les pêcheurs que Mongabay a interviewés ont donné plusieurs explications pour les écarts de salaire, parmi lesquelles le fait que les agents d’équipage mandatés par les propriétaires de navires pour engager les membres d’équipage pourraient prendre une commission pour les aider à décrocher un emploi. Presque tous les pêcheurs du Sénégal sont engagés par l’intermédiaire d’agents et pas directement par les propriétaires de navire.

Toutefois, de telles commissions sur salaire vont à l’encontre des règles de l’OIT. « Les pêcheurs ne devraient pas avoir à payer pour un emploi. Si le pêcheur ne paie pas, cela veut dire que le propriétaire du bateau doit payer », Brandt Wagner, un spécialiste du secteur de la pêche à l’OIT, a expliqué à Mongabay.

L’utilisation de pavillons de complaisance jette également une ombre sur le principe de durabilité inscrit dans les APPD. Les sociétés européennes qui possèdent des navires naviguant sous pavillon d’autres pays peuvent pêcher plus des 10 000 tonnes par an prévues par l’APPD entre l’UE et le Sénégal, une cible qui a été établie dans le but de maintenir des stocks de thons suffisants. Cela se produit également dans l’océan Indien, comme l’a montré un reportage précédent de Mongabay, où les stocks des trois espèces de thon importantes sur le plan commercial sont menacés.

Certains des pêcheurs grévistes étaient, en fait, sur des thoniers dans l’océan Indien occidental quand la grève a eu lieu.

Les organisations syndicales ont mis fin à la grève après que le gouvernement sénégalais a entamé des négociations avec les propriétaires des navires et les organisations syndicales. Les organisations syndicales font pression pour que les marins soient payés un salaire minimum de 300 000 francs CFA (513 dollars) pour les six mois (à partir de juin) que les négociations devraient durer. Les propriétaires de navire ont accepté de payer 250 000 francs CFA (427 dollars). On comprend mal pourquoi les propriétaires de navire négocient les salaires alors que l’OPAGAC affirme que ses sociétés paient déjà le salaire minimum de l’OIT.

« L’objectif est d’atteindre les 405 000 francs CFA stipulés par l’OIT », a dit Kane, ajoutant que les autorités sénégalaises soutiennent cette demande.

L’appui de l’État sénégalais est important, car les pêcheurs eux-mêmes semblent avoir peu de pouvoir de négociation. Diop a expliqué que poursuivre une grève alors que les pêcheurs sont déjà à bord des navires est difficile, et il demande donc de meilleures conditions de travail. « Nous sommes déjà en haute mer et il y a des choses que nous ne pouvons pas refuser. Si vous résistez, vous serez remplacé par ceux qui sont sur liste d’attente. Alors, nous sommes obligés d’accepter. »

Kane de l’organisation syndicale sénégalaise affirme que les propriétaires de navire ont coupé l’Internet sur les bateaux pendant la grève pour empêcher les pêcheurs d’entendre parler de la grève. Certains marins qui ont participé à la grève ont découvert plus tard qu’ils avaient fait l’objet d’une amende de 75 € (84 $) par jour, a-t-il dit, et quelques-uns ont été expulsés de bateaux dont au moins deux naviguaient sous pavillon espagnol (les autres appartenant à des sociétés espagnoles) aux Seychelles et se sont vus remettre des billets de retour vers leurs pays. Si ces accusations sont vraies, il s’agirait d’une violation de l’APPD, qui comprend un libellé reconnaissant expressément le droit des pêcheurs à participer à des négociations collectives.

L’APPD existant entre l’UE et le Sénégal arrive à échéance en 2024. Faye de l’ANAM a dit que le conflit social ne mettrait pas en péril un accord futur. Mais ignorer les droits et la protection sociale des pêcheurs pourrait causer d’autres problèmes.

« Si rien n’a changé dans six mois, malgré l’intervention du directeur de la marine marchande, nous entreprendrons certainement de nouvelles actions », a dit Diop qui travaille désormais étroitement avec l’organisation syndicale.

 
Image de bannière : Le Txori Argi, l’un des plus grands thoniers senneurs du monde, appartenant à la société espagnole INPESCA et battant pavillon espagnol. Image © Greenpeace.

Lawon Olalekan a participé à ce reportage depuis Dakar au Sénégal.

Article original: https://news.mongabay.com/2023/07/west-african-fishers-strike-for-fair-wages-and-respect-on-eu-owned-vessels/

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