Nouvelles de l'environnement

Au Malawi, l’initiative africaine de restauration des terres et des forêts gagne du terrain

  • En 2015, les pays d’Afrique ont lancé l’initiative pour la restauration des paysages forestiers africains (AFR100), s’engageant à restaurer 100 millions d’hectares de paysages forestiers dégradés d’ici 2030.
  • En juin 2022, le rapport d’étape de l’initiative a montré qu’entre 2016 et 2021, les nations avaient entrepris la restauration de 917 014 hectares, dont 63 % à travers l’agroforesterie.
  • Le Malawi, qui s’est engagé à restaurer 4,5 millions d’hectares d’ici 2030, semble progresser grâce à une série de cadres formulés pour soutenir l’initiative, à l’adhésion d’un plus grand nombre de partenaires et en s’appuyant sur des interventions antérieures.
  • Les experts insistent sur le besoin d’une action décisive dans le combat contre la déforestation qui, selon eux, est une menace considérable pour les efforts de restauration au Malawi.

Douglas Tana cultive du maïs sur un dixième d’hectare devant sa maison, située dans la campagne du district de Thyolo, dans le Sud du Malawi. Avant 2010, avec des précipitations annuelles suffisantes et après l’application d’un total de 25 kg d’engrais azoté et phosphoré, sa récolte maximale de cette culture de base du Malawi atteignait 250 kg.

« Pour faire simple, c’était un travail ingrat […] et je n’imaginais pas du tout qu’il y avait un moyen de produire davantage avec ce petit bout de terre. Je m’étais donc résigné à l’idée de ne pas récolter plus de 250 kg », a-t-il raconté à Mongabay.

Cependant, en 2010, cette frustration causée par les rendements faibles a pris un tournant décisif. Le Centre international pour la recherche en agroforesterie (ICRAF) a introduit les petits exploitants, dont Tana, à de nouvelles méthodes agricoles axées sur la conservation des sols et la culture intercalaire du maïs avec des arbres bénéfiques pour la fertilité du sol.

Tana était l’un des 75 agriculteurs à mettre cette méthode en pratique. Aujourd’hui, les résultats sont clairs.

A farmer's natural regeneration field intercropped with Gliricidia
Champ de régénération naturelle d’un agriculteur pratiquant la culture intercalaire de gliricidia dans un village à la lisière d’une forêt. Image de Charles Mpaka pour Mongabay.

Un changement dans les rendements

Aujourd’hui, le champ de Tana s’est transformé en un bosquet verdoyant et florissant de jeunes Gliricidia sepium, un arbre appartenant à la famille des haricots. Ces arbres grandissent à partir de souches âgées de dix ans et prospèrent parmi les tiges asséchées du maïs ainsi que d’autres végétaux. À leurs pieds se trouvent les résidus décomposés du paillis des années précédentes.


A Faidherbia albida tree in Tana's field.
Un Faidherbia albida dans le champ de Tana. Image de Charles Mpaka pour Mongabay.

D’un côté de ce petit champ se dresse un Faidherbia albida, appelé msangu au Malawi, âgé de 12 ans. Originaire d’Afrique, cet arbre fixe l’azote et enrichit les sols dégradés.

Désormais, Tana n’a plus besoin d’ajouter d’engrais inorganique. Il ne laboure pas non plus son champ comme il le faisait auparavant. Et lorsqu’il plante son maïs, il ne subit plus le casse-tête du désherbage, car le paillis composé de tiges de maïs et de brindilles résultant du taillis des gliricidias étouffe les mauvaises herbes. Le taillis est une pratique qui consiste à couper un arbre puis à utiliser les rejets de souche. Selon Tana, cette technique lui a permis de réduire les coûts et les besoins en main d’œuvre.

Enfin, les résultats. Ces méthodes ont amélioré la productivité de son petit lopin de terre : de 250 kg en 2010, il récolte désormais entre 700 et 900 kg de maïs chaque année.

« C’est incroyable comme les choses ont changé, comme j’ai réussi à assurer ma sécurité alimentaire avec un si petit bout de terre », a-t-il dit.

Durabilité à grande échelle

Les nouvelles méthodes agricoles de Tana comptent parmi les pratiques promues par le Malawi dans le cadre de l’initiative pour la restauration des paysages forestiers africains (AFR100). En 2015, les pays d’Afrique se sont engagés à restaurer 100 millions d’hectares de forêts et de terres dégradées d’ici 2030.

Herbert Mwalukomo, directeur général du Center for Environmental Policy and Advocacy (CEPA), une ONG malawite, explique à Mongabay qu’il existait déjà des exemples de meilleures pratiques en termes de restauration des terres et des forêts avant le lancement de l’initiative.

Au Malawi, par exemple, il y avait déjà des applications d’agroforesterie, de régénération naturelle assistée et de gestion communautaire des terres forestières naturelles entre autres pratiques.

« Mais elles n’étaient pas à l’échelle. L’initiative AFR100 vise à mieux organiser et promouvoir les pratiques qui existaient déjà. Plus de partenaires, dont certains appartiennent au secteur privé, se sont désormais engagés », a expliqué Mwalukomo.

Il a également ajouté que le gouvernement a formulé divers cadres pour structurer l’initiative.

Dans le cadre de l’AFR100, le Malawi s’est engagé à restaurer 4,5 millions d’hectares de paysages déboisés et dégradés d’ici 2030. Dans ce but, le pays compte investir dans les technologies agricoles, les forêts et lots boisés communautaires, la conservation des sols et de l’eau, la restauration des berges des rivières et des cours d’eau et la gestion des forêts.

En ce qui concerne les technologies agricoles, le Malawi envisage d’accroître le couvert forestier sur les terres cultivées et les pâturages dégradés des paysages ruraux. Pour cela, des méthodes telles que la régénération naturelle assistée, le semis direct et la plantation d’arbres et d’arbustes agroforestiers seront mises à profit.

Tana is his field.
Le champ de Tana est un bosquet verdoyant et florissant de jeunes Gliricidia sepium, qui poussent à partir de souches âgées de dix ans et prospèrent parmi les tiges asséchées du maïs et d’autres plantes. Image de Charles Mpaka pour Mongabay.

Former des coalitions

Un rapport d’étape de 2022 sur l’initiative a révélé qu’entre 2016 et 2021, 15 pays ont initié la restauration d’une surface totale de 917 014 hectares de terres et de forêts, dont 63 % à travers l’agroforesterie. Le rapport a été publié par l’Agence de développement de l’Union africaine et le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (AUDA-NEPAD), qui forment le secrétariat de l’AFR100.

Pour ce qui est de la progression du Malawi, le gouvernement n’a pas encore publié de chiffres. En mars dernier, il a mis en place un système national de surveillance des forêts au siège du département des forêts. Ce centre a pour vocation d’être une base de données pour toutes les initiatives de restauration du pays.

« [Le Malawi] espère valider ces informations cette année avec le rapport d’état de l’AFR100 de 2023 », a déclaré Tangu Tumeo, responsable du programme sur les forêts, les paysages et les moyens de subsistance à l’UICN, l’autorité mondiale en matière de conservation de la biodiversité.

Selon elle, le baromètre de restauration de 2022 indique qu’à ce jour, le Malawi a entamé la restauration d’environ 1,7 million d’hectares de terres et de forêts, soit près de 40 % de son objectif.

« L’objectif [de restauration de 4,5 millions d’hectares d’ici 2030] est atteignable », a-t-elle affirmé.

Stella Gama, directrice des forêts au ministère des Ressources naturelles et du Changement climatique, l’un des ministères clés de l’initiative AFR100, a déclaré que le Malawi intensifiera ses efforts visant à promouvoir une gestion durable des forêts et des terres.

« Nous avons mis en place les bonnes politiques dans le cadre des objectifs de développement durable et de l’agenda mondial et continental », a-t-elle expliqué. « Nous réhabilitons les forêts déboisées et dégradées à travers l’implémentation de différents programmes dont la stratégie nationale de restauration des paysages forestiers, la stratégie nationale sur le charbon de bois, la stratégie REDD+ et la Vision Malawi 2063. »

Le secteur privé, lui aussi, s’engage. Clifford Mkanthama, spécialiste de la gestion carbone, du changement climatique et de la biodiversité, souligne que certaines grandes banques et entreprises privées malawites ont récemment réagi en adoptant des paysages forestiers dégradés à des fins de gestion et de réhabilitation.

Par exemple, en septembre dernier, la Banque Nationale du Malawi, l’une des institutions financières majeures du pays, a signé un accord avec le ministère des Ressources naturelles et du Changement climatique visant à restaurer les réserves forestières dégradées dans les trois régions du pays. Pour ce faire, elle travaillera avec les communautés environnantes.

Gliricidia plants in Tana's farm.
Des plants de gliricidia dans la ferme de Tana. Image de Charles Mpaka pour Mongabay.

Selon Mkanthama, coordonnateur pour le Malawi de l’Initiative de renforcement des capacités en matière de transparence (CBIT) de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la régénération naturelle assistée prend également racine :

« Beaucoup de régions qui pratiquent cette méthode ne font pas encore l’objet de projets. Dans de nombreux endroits, notamment dans la Centre du Malawi, il s’agit d’initiatives personnelles. »

Selon lui, avec les forêts en déclin, les agriculteurs ont décidé de planter des arbustes sur leurs terres afin de récolter du bois pour la cuisine ou le séchage du tabac.

Les experts, toutefois, s’accordent sur le fait que la déforestation, majoritairement entraînée par la production de charbon de bois et le défrichement des terres pour l’agriculture, demeure élevée au Malawi. Elle est donc une menace importante pour les efforts de restauration des terres et des forêts du pays.

Des données du ministère des Ressources naturelles et du Changement climatique montrent que 96 % des 20 millions de Malawites ont recours au charbon et au bois pour cuisiner et se chauffer. Pour le ministère, c’est un facteur majeur de la perte d’environ 15 000 hectares de forêt par an au Malawi.

Commentant le rapport d’étape de 2022 de l’AFR100, Nardos Bekele-Thomas, directrice générale de l’AUDA-NEPAD, a déclaré que l’Afrique dépensait plus de 35 milliards de dollars en importations alimentaires chaque année en raison de la baisse de productivité et de la désertification découlant de la dégradation des forêts et des terres cultivées.

« Les paysages forestiers dégradés ne se contentent pas d’intensifier les effets du changement climatique, ils menacent également les fonctions écologiques vitales à la construction d’économies prospères et résilientes pour les communautés », a-t-elle affirmé. Selon elle, les petits exploitants agricoles et les ménages ruraux souffrent le plus de la dégradation des terres, car « leurs activités dépendent directement de la bonne santé des sols, du couvert forestier et de la propreté de l’eau. »

Pour Mkanthama aussi, l’objectif du Malawi dans le cadre de l’AFR100 et du Défi de Bonn est atteignable. Cependant, il met en garde contre une menace majeure pour cette initiative : le fait que plus de 17 millions de personnes au Malawi recourent à la combustion de biomasse pour la production d’énergie.

Il a expliqué qu’il y a donc un besoin pressant de rechercher des sources d’énergie alternatives, telles que le gaz de pétrole liquéfié (GPL), les briquettes et les dispositifs à faible consommation d’énergie.

Il pense également que tous ces efforts doivent être consolidés en sensibilisant, en renforçant les capacités locales et en créant des communautés de bonnes pratiques.

Malabvi Forest Reserve
Réserve forestière de Malabvi, une aire protégée gérée par les locaux. Image de Charles Mpaka pour Mongabay.

Des communautés de « bonnes pratiques »

Une de ces « communautés de bonnes pratiques » se trouve à seulement trois kilomètres de Blantyre, la capitale économique du Malawi, dans le district rural de Chiradzulu. Là s’étend la Réserve forestière de Malabvi, une aire protégée gérée par les locaux.

En bordure de la réserve se trouve la maison abandonnée d’un agent forestier gouvernemental. Le dernier agent a été muté il y a un an et n’a pas été remplacé depuis. Malgré cette absence, la réserve forestière n’a connu aucune intrusion, grâce à l’engagement des cinq villages voisins qui assurent sa surveillance depuis des décennies.


A creek in Malabvi forest.
Une crique dans la forêt de Malabvi. Jusqu’en 2018, les habitants comptaient sur les cours d’eau de la forêt pour remplir un puits adjacent à celle-ci. Image de Charles Mpaka pour Mongabay.

Là où les forêts protégées de Blantyre ont été dépouillées jusqu’au dernier arbuste, les pentes de la réserve forestière de Malabvi, déclarée aire protégée en 1927, demeurent couvertes de forêt naturelle.

« Nous avons mis en place des règles que nous avons nous-mêmes créées pour punir toute personne qui coupe des arbres dans la réserve », a expliqué Likumba, le chef de l’un des villages de la région. « Nous avons aussi des groupes de 10 volontaires chacun qui se relaient pour patrouiller la réserve jour et nuit et faire respecter ces règles. Jusqu’à maintenant, nos mesures ont fonctionné. »

Cependant, d’après Likumba, ce qui motive véritablement les habitants à protéger la forêt n’est pas qu’ils craignent les sanctions, mais plutôt qu’ils comprennent qu’ils ont davantage à gagner en la préservant qu’en la dégradant.

En 2018, par exemple, il n’y avait pas de puits de captage au sein de la communauté. Les habitants comptaient donc sur les cours d’eau de la forêt pour approvisionner un puits voisin, utilisé tant pour leur consommation personnelle que pour leurs besoins domestiques et l’irrigation.

« Ce puits donnait de l’eau à nos parents et à nos grands-parents. Aujourd’hui, c’est à nous qu’il donne de l’eau claire et fraîche. Nous savons que ce puits et ce cours d’eau existent aujourd’hui grâce à la forêt. C’est une richesse qui nous a été transmise par nos parents et par la nature », a expliqué Likumba.

« Sans la forêt, les cours d’eau que vous voyez dévaler la colline et abreuver nos vies se seraient asséchés », a-t-il poursuivi. « Nous ne respirerions pas l’air pur que vous pouvez sentir ici. Nous ne pourrions pas faire pousser les cannes à sucre, les légumes et les bananes que vous avez vus. Nos champs de maïs seraient desséchés. Nous ne tolérons donc pas que qui que ce soit dégrade la forêt. »

A sugarcane field.
Un champ de canne à sucre au bord d’un cours d’eau venant de la forêt de Malabvi. Image de Charles Mpaka pour Mongabay.

La magie des arbres

De retour à Thyolo, dans le Sud du Malawi, Douglas Tana touche les feuilles de ses gliricidias.

« Cet arbre est magique. C’est de la magie pure. Il a régénéré les sols très rapidement et j’aime la façon dont il coexiste avec d’autres cultures tout en fertilisant les sols pour leur croissance », a-t-il déclaré. « Il est polyvalent. Il pousse vite donc je peux en faire du bois de chauffage et des poteaux. J’utilise les feuilles comme complément à l’alimentation de mes vaches laitières, ce qui a fait doubler la production de lait. »

Grâce à ces mesures plus durables, Tana et sa famille de cinq personnes sont non seulement parvenus à la sécurité alimentaire, mais ils ont également créé une ferme plus résistante aux bouleversements climatiques et écologiques.

 
Image de bannière : Tana et son champ. Image de Charles Mpaka pour Mongabay.

Article original: https://news.mongabay.com/2023/06/africas-land-and-forest-restoration-initiative-gathers-pace-in-malawi/

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