Nouvelles de l'environnement

Une application peut-elle aider les pêcheurs artisanaux du Liberia à lutter contre la pêche illégale ?

  • Les pêcheurs artisanaux du Liberia utilisent une plateforme de collecte de données pour recenser les cas d'activités illégales en mer.
  • Les pêcheurs artisanaux souffrent depuis longtemps de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), dont une partie est pratiquée dans une zone d'exclusion côtière qui s'étend à 6 milles nautiques du rivage.
  • Grâce à une application mobile appelée DASE, lancée par l'ONG Environmental Justice Foundation, les pêcheurs locaux peuvent géolocaliser des images et des vidéos d'incidents en mer et les soumettre à la National Fisheries and Aquaculture Authority pour vérification et enquête éventuelle.
  • Bien que l'application n'ait pas encore engendré de poursuites, les pêcheurs affirment qu'elle a un effet dissuasif sur les activités illégales.

ROBERTSPORT et MARSHALL, Liberia – Par un doux vendredi après-midi, Emmanuel Appleton, tout sourire, défiait les vagues de l’océan Atlantique et posait son canoë sur la plage de Robertsport, une ville de pêcheurs située à environ 90 kilomètres (56 milles) au nord-ouest de Monrovia. Bien que la pêche n’ait pas été très bonne pour Emmanuel, il semblait satisfait.

Dans sa main gauche, il tenait un smartphone protégé de l’eau par un étui en plastique. « Je suis pêcheur ici, à Robertsport, depuis le début des années 90 et nous avons toujours eu des problèmes avec les gros navires qui détruisent nos filets en les draguant en même temps que les leurs », explique-t-il. Appleton faisait référence aux chalutiers, souvent étrangers, dont les dragues traînent sur le fond pendant qu’ils pêchent, retournant l’habitat des fonds marins et tout ce qui se trouve sur leur passage.

Il a expliqué qu’il avait pris une photo géolocalisée d’un chalutier qu’il avait aperçu en train de pêcher dans la zone d’exclusion côtière (ZEC) réservée aux pêcheurs artisanaux, et qu’il l’avait téléchargée sur une plateforme de collecte de données où les pêcheurs peuvent recenser et signaler les cas d’activités illégales en mer. « Je tenais le téléphone près de ma poitrine pour que personne ne me soupçonne et pour obtenir une photo du numéro d’identification du navire », a déclaré Appleton.

La ZEC du Liberia s’étend à 6 milles nautiques de la côte, sauf pour les crevettiers, qui peuvent pêcher au-delà de 4 milles nautiques de la côte. Mais selon Cephas Asare, responsable régional pour l’Afrique de l’Ouest de l’Environmental Justice Foundation (EJF), l’ONG britannique qui gère la plateforme au Liberia, au Ghana et au Sénégal, il s’est avéré que le chalutier repéré par Appleton opérait dans une zone légale. « Nous avons réalisé que le navire se trouvait juste à l’extérieur de la zone des 6 milles nautiques », a indiqué Asare. « Nous n’avons pas pu donner suite à cette déclaration, car il s’agit d’un cas de pêche inscrit dans le cadre de la juridiction ».

Emmanuel Appleton
Emmanuel Appleton, pêcheur à Robertsport, au Liberia, qui a utilisé l’application DASE. Image d’Edward Blamo pour Mongabay.

La consommation de poisson au Liberia est importante, elle représente environ 15 % de l’approvisionnement en protéines animales et environ 80 % de la population du pays en dépend pour ses protéines essentielles. Selon le site web du EJF, quelque 33 000 personnes travaillent dans la pêche artisanale, qui représente jusqu’à 10 % du produit intérieur brut du pays.

Pourtant, depuis des décennies, les pêcheurs locaux tels qu’Appleton subissent les conséquences des activités de pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), en grande partie en raison du manque d’application adéquate des règlements de pêche et d’une patrouille maritime insuffisante pour surveiller les 580 kilomètres de côtes du Liberia. Une opération de patrouille menée par l’ONG Sea Shepherd et les garde-côtes nationaux du Liberia a permis d’arrêter pour activités illégales une vingtaine de navires depuis 2017, dont un certain nombre pour avoir opéré à l’intérieur de la ZEC, selon le site internet de l’ONG.

Créée en 2010 pour protéger les moyens de subsistance des petits pêcheurs ainsi que l’écosystème marin, la ZEC de 6 milles marins a été menacée en 2017 par une proposition du gouvernement qui visait à la réduire de moitié. La proposition a été contestée par les pêcheurs, qui craignaient qu’une ZEC réduite ne les mette eux, ainsi que les stocks de poissons du pays, à la merci des chalutiers, et depuis, le gouvernement l’a abandonnée, a déclaré à Mongabay Jerry Blamo (aucun lien de parenté avec l’auteur), président de l’Association des pêcheurs artisans du Liberia.

EJF soutient que lorsque les chalutiers sont autorisés à pêcher dans la zone d’exclusion côtière, les pêcheurs artisanaux sont désavantagés. « Les chalutiers qui pêchent illégalement dans les eaux du Liberia peuvent attraper de grandes quantités de produits de la mer, ce qui appauvrit les communautés locales et détruit les écosystèmes marins », peut-on lire dans un communiqué de presse publié sur le site web de l’organisation.

« Depuis quelques mois, le poisson se fait rare », a déclaré à Mongabay Victoria Wesseh, poissonnière à Marshall, une communauté de pêcheurs située à environ 30 kilomètres de Robertsport, en direction de Monrovia. « Nous ne trouvons plus la même quantité de poissons que par le passé. Tout est en train de changer ».

Fishmonger Victoria Wesseh.
La poissonnière Victoria Wesseh à Marshall, au Liberia, affirme que les stocks de poissons diminuent. Image d’Edward Blamo pour Mongabay.

Le terme « DASE » signifie « preuve »

EJF a premièrement testé l’application mobile, appelée DASE, au Ghana en 2019, puis l’a développée au Liberia l’année suivante et au Sénégal en 2022. Le nom est tiré du terme « preuve » en fanti, dialecte parlé dans certaines parties du Ghana.

Au Liberia, l’application permet aux pêcheurs des quatre principaux ports de pêche, à savoir Robertsport, Marshall, Buchanan et Grand Cess, de prendre des images et des vidéos géolocalisées d’incidents en mer et de les soumettre à un système géré par l’Autorité nationale de la pêche et de l’aquaculture (NAFAA), l’organisme responsable de la gestion des activités de pêche. La NAFAA vérifie les rapports et détermine s’il y a lieu d’ouvrir une enquête. La plateforme est surveillée par l’Autorité maritime du Liberia, la Garde côtière du Liberia et l’EJF à des fins de suivi.

Ahmed Sherif, directeur des pêches maritimes de la NAFAA, n’a pas donné suite aux appels et aux emails de Mongabay lui demandant plus d’informations à ce sujet, et Lewis Konoe, directeur de la communication de la NAFAA, a refusé de répondre, renvoyant Mongabay à EJF.

Fishermen in Marshall, Liberia, prepare nets
Des pêcheurs de Marshall, au Liberia, préparent des filets de pêche. Image d’Edward Blamo pour Mongabay.

Une application pour résoudre les conflits en mer

Jack Nyenneh dirige l’organisme de gestion communautaire de Marshall, un groupe qui surveille les activités des pêcheurs locaux. Il a déclaré que lui et ses collègues pêcheurs utilisaient l’application DASE pour résoudre les conflits et les infractions entre eux.

« Nous utilisons l’application pour recueillir des preuves contre certains de nos pêcheurs qui sont impliqués dans des activités malicieuses en mer », a déclaré Nyenneh. « Les incidents tels que le fait de remonter illégalement des filets ou de couper le filet d’un collègue en cas d’enchevêtrement ne sont plus aussi fréquents qu’avant ».

Les pêcheurs utilisent DASE pour recenser d’autres activités illégales, y compris sur la terre ferme. Par exemple, l’application est utilisée pour signaler les cas où des personnes coupent les mangroves et tentent de construire des maisons dans les marécages, a expliqué à Mongabay Matthias G. Weah, un pêcheur de Marshall. Ce type de preuves recueillies sur l’application ne sont pas signalées à la NAFAA, mais elles sont utilisées par les chefs de communauté pour enquêter sur les incidents.

Les pêcheurs du Liberia ont soumis des rapports via l’application DASE depuis son lancement, mais jusqu’à présent, aucun cas évident de chalutiers pêchant dans des zones réservées aux petits pêcheurs n’a été signalé, d’après Asare.

« Les rapports que nous recevons disent autre chose », a déclaré Asare, précisant que la plupart des rapports proviennent de l’extérieur de la ZEC, probablement car les pêcheurs ne sont pas suffisamment informés sur les limites de la ZEC.

« Soit les pêcheurs pêchent au-delà de la ZEC car ils parviennent à s’y rendre en pagayant, soit parce que la pêche leur fait défaut dans la ZEC et ils doivent donc aller plus loin », a déclaré Asare.

La poissonnière Victoria Wesseh triant les prises du jour. Image d’Edward Blamo pour Mongabay.

Jusqu’à présent, aucune poursuite n’a été engagée au Ghana, au Sénégal ou au Liberia. Malgré cela, Asare a déclaré que l’application continuait à soutenir les efforts de lutte contre la pêche INN au Liberia. Elle permet non seulement de résoudre les problèmes de logistique qui ont entravé les capacités de patrouille des garde-côtes libériens, mais aussi de permettre aux communautés, par l’intermédiaire des pêcheurs locaux, de participer à la lutte contre la pêche INN.

Pour le pêcheur Eddie Cole, l’application représente déjà un succès. Il a dénoncé un chalutier qui avait détruit ses filets il y a quelques mois et, bien qu’il n’y ait pas eu de poursuites, cela ne s’est pas reproduit, ce qu’il attribue à l’effet dissuasif de l’application.

« Les chalutiers sont coriaces », a déclaré Cole à Mongabay. « Nous devons rejoindre la lutte pour protéger nos eaux territoriales, car ces chalutiers sont là pour nous anéantir ».

« Mes équipements de pêche ont été endommagés, et chaque fois qu’ils draguent à un endroit particulier, il nous est impossible d’espérer pêcher quelque chose à cet endroit », a-t-il ajouté. « De ce fait, le poisson se fait rare pour nous ».

Image de bannière : Les pêcheurs de Marshall, au Liberia, échangent leurs prises. Image d’Edward Blamo pour Mongabay. 

 
Article original: https://news.mongabay.com/2023/06/can-an-app-help-liberian-artisanal-fishers-fight-illegal-fishing/

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