Nouvelles de l'environnement

Des fourmis détectrices de virus pour prévenir les zoonoses

Fourmis du site d'étude lors de la collecte des fourmis, près du village de Mendemba, Province de l'Ogooué Ivindo, Nord-Est du Gabon. Image de Pierre Becquart, IRD.

  • L’étude des fourmis légionnaires pourrait aider à comprendre l’émergence des zoonoses qui sont des maladies transmises à l’homme par des animaux. Ebola, le virus Marburg et la Covid 19 sont des zoonoses.
  • Un groupe de chercheurs aurait trouvé près de 50,000 séquences virales différentes en analysant 200 fourmis. La moitié de ces séquences sont pour le moment inconnues.
  • Selon l’OMS, l’Afrique a connu une hausse de 63 % de ces épidémies entre 2012 et 2022, par rapport à la décennie précédente.

Une équipe de chercheurs internationaux ont analysé un groupe de fourmis légionnaires collecté dans la forêt au nord-est du Gabon pour mieux comprendre des zoonoses.

Ebola, virus Marburg, Covid 19 ou encore la fièvre du singe…Selon l’OMS, l’Afrique a connu une hausse de 63 % de ces épidémies entre 2012 et 2022, par rapport à la décennie précédente. Cela serait dû à un accroissement des contacts de l’homme avec la faune sauvage, notamment à cause de la déforestation, selon Sophie Muset, coordonnatrice technique du projet Ebo-Sursy.

Pour mieux comprendre, prévoir et prévenir les épidémies futures, l’Organisation mondiale de la Santé animale (OMSA) en partenariat avec l’Institut de Recherche pour le développement (IRD), l’Institut Pasteur et le Centre de Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) a mis en place, en 2017, le projet Ebo-Sursy.

Une forêt tropicale au Gabon.
Une forêt tropicale au Gabon. Image de Gregoire Dubois via Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).

Eric Leroy est un virologue spécialiste des zoonoses virales à l’IRD et il est l’un des scientifiques d’Ebo-Sursy. Il recherche de nouveaux virus susceptibles de passer du monde animal à l’homme, aussi bien en laboratoire que sur le terrain, au Gabon et en République du Congo. Ces deux pays rassemblent 47 millions d’hectares de forêts et la recherche scientifique dans la zone constitue un défi logistique. « Travailler dans le bassin du Congo est compliqué parce que dans cet écosystème, la végétation est très importante. Les forêts sont difficilement pénétrables, surtout pendant la saison des pluies. La majeure partie de ces territoires sont totalement inexplorés, et seul un nombre limité d’animaux peuvent y être capturés, prélevés, et donc analysés ».

Un des autres obstacles auxquels il se heurte est le mode de prélèvement des séquences génétiques du virus. Celui-ci serait incompatible avec les politiques de conservation de la nature. La plupart des virus se répliquent dans des cellules immunitaires dans les organes internes des animaux. Pour y accéder, il faut sacrifier les animaux porteurs — c’est contraire aux règles éthiques.

« Les seuls échantillons pouvant être facilement récupérés sont les matières fécales. Malheureusement, seule une fraction minime de la communauté virale peut y être détectée »,  dit Leroy. « Avec les fourmis, plus besoin de tuer ces animaux pour faire de la recherche.»

Selon Leroy, les fourmis légionnaires (magnan du genre Dorylus) des forêts d’Afrique centrale et orientale, sont connues pour les raids qu’elles mènent en colonnes de millions d’individus s’étendant sur plusieurs dizaines de mètres. Elles ne vivent pas en fourmilière, mais alternent leurs déplacements de quelques heures à plusieurs jours avec des « campements » de quelques semaines.

Colonne de fourmis magnan, près du village de Mendemba, Province de l’Ogooué Ivindo, Nord-Est du Gabon. C’est ici qu’ont été fait les prélèvements pour l’étude. Image de Pierre Becquart, IRD.
Les fourmis légionnaires (magnan du genre Dorylus) des forêts d’Afrique centrale et orientale, sont connues pour les raids qu’elles mènent en colonnes de millions d’individus s’étendant sur plusieurs dizaines de mètres. Image de Pierre Becquart, IRD.

« La particularité de ces fourmis c’est qu’elles sont omnivores, elles mangent de tout. Elles mangent des arthropodes, des invertébrés et aussi des reptiles et des carcasses de gros animaux. Mais surtout, elles gardent en mémoire une partie du patrimoine génétique de ce qu’elles ont ingéré et donc celui des virus qui infectent les animaux qu’elles ont consommés », explique Leroy.

Lui et son équipe internationale en ont prélevé 209 dans la forêt au Gabon, en juillet 2019, et les ont étudiées en analysant l’ADN des virus présents dans leurs systèmes digestifs. Ils viennent de publier les résultats de leurs recherches.

« En analysant un groupe de 200 fourmis légionnaires provenant de 29 colonies différentes, on s’est rendu compte qu’elles possédaient près de 50,000 séquences virales différentes », explique Eric Leroy. Ces séquences génomiques virales sont des fragments génétiques de virus digérés par les fourmis. Elles correspondent à 157 genres de virus différents appartenant à 56 familles de virus. De ces 50,000 séquences virales, « un peu moins de la moitié présentaient une similarité avec des genres viraux reconnus ou en cours de reconnaissance par le comité international de taxinomie des virus (ICTV) », dit-il.

Cela voudrait donc dire que les fourmis analysées par ces chercheurs auraient été en contact avec plus de 25,000 séquences virales jusqu’ici inconnues des scientifiques et dont la communauté scientifique ne connaît pas les effets. « Étudier ces séquences virales va nous permettre d’améliorer la connaissance du virome, c’est-à-dire l’ensemble des virus qui sont dans un écosystème. Dans cet écosystème, on ne connaît approximativement que 1%. Ce n’est vraiment pas grand-chose. L’objectif c’est d’élever un peu notre niveau de connaissance et d’avoir une meilleure cartographie des virus. »

Des représentants de la communauté viennent rendre visite à une famille en République démocratique du Congo pour sensibiliser le public à Ebola.
Des représentants communautaires sensibilisants une famille aux dangers du virus Ebola en République démocratique du Congo. Image de World Bank / Vincent Tremeau via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Une cartographie qui peut être utile à d’autres scientifiques. « Ce qui est important, c’est qu’en cas d’émergence d’un nouveau virus, on peut retourner vers ces bases de données pour caractériser plus rapidement le virus », explique Marion Bordier, épidémiologiste au Cirad et au projet AfriCam au Sénégal. Cette initiative lancée le 23 mai vise à déployer des systèmes de détection précoce d’émergence de zoonoses à l’aide d’une collaboration scientifique entre des virologistes, épidémiologistes, sociologues et autres dans l’approche One Health.

« Dans le cadre du projet AfriCam, on va essayer d’utiliser ces bases de données pour les combiner avec des données réelles de présence des maladies chez les animaux domestiques et chez l’homme. Si on observe des contaminations, cela va nous permettre de réagir rapidement afin d’éviter que le phénomène ne prenne plus d’ampleur, qu’il ait des impacts sanitaires et sociaux économiques très importants et qu’on n’arrive plus à le maîtriser.”

Connaître l’origine d’un virus, son mode de fonctionnement et la famille à laquelle il appartient permet de prévenir la propagation de la maladie, de mieux prendre en charge les cas, mais aussi d’informer le grand public. Une fois les populations conscientes qu’une maladie potentiellement dangereuse circule, elles peuvent adapter leurs habitudes (distanciation sociale, arrêt de consommation de viande de brousse) afin d’en limiter la propagation. Mais pour cela, la préparation est la clé. En mettant en place un système de collecte régulier de fourmis légionnaires dans différents endroits, les chercheurs pourraient ainsi avoir une idée des virus qui circulent localement chez les plantes et les animaux.

Viande de brousse au marché hebdomadaire de Yangambi, RDC.
Viande de brousse au marché hebdomadaire de Yangambi, RDC. Selon une étude du Cifor, la viande de brousse peut servir de réservoir aux zoonoses Image de Axel Fassio/Cifor via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

« On peut aussi détecter chez ces fourmis les séquences génétiques des proies qu’elles ont consommées et donc la présence simultanée de tels virus héberge naturellement le virus.  En reliant l’ADN de leurs proies et des virus qu’elles ont mangés, cela pourrait nous permettre d’identifier des réservoirs », explique Leroy. Il faudrait alors  faire des recherches plus poussées sur les animaux identifiés.

Les animaux réservoirs sont des animaux porteurs du virus sans en être affectés. C’est une sorte d’intermédiaire qui permet au virus de passer à l’homme. « Le réservoir du Sars CoV 2 [Covid 19] n’est pas encore bien connu. On pense que c’est la chauve-souris, mais on n’arrive pas encore à l’identifier. Pour le monkeypox et Ebola, non plus les sources ne sont pas encore bien connues même si on a des suspicions. La connaissance du réservoir est fondamentale parce qu’avec de la prévention, ça nous permettrait d’éviter le passage du virus à l’homme. »

Eric Leroy et son équipe ont déposé un projet de recherche auprès de l’Agence nationale de la recherche, un organisme français chargé de financer les projets de recherches. Ils espèrent ainsi confirmer et développer la pratique à plus grande échelle.

Image de bannière : Fourmis légionnaires ayant servis pour l’étude des zoonores, près du village de Mendemba, Province de l’Ogooué Ivindo, Nord-Est du Gabon. Image de Pierre Becquart, IRD.

Citation:

Fritz, M., Reggiardo, B., Filloux, D., Claude, L., Fernandez, E., Mahé, F., … Roumagnac, P. (2023). African army ants at the forefront of virome surveillance in a remote tropical forest. Peer Community Journal, 3. doi:10.24072/pcjournal.249

Quitter la version mobile