Nouvelles de l'environnement

RDC : Les motivations économiques et de survie compliquent la lutte contre le trafic de viande de brousse et d’espèces sauvages

  • La chasse pour la viande de brousse peut représenter une sérieuse menace pour les populations protégées des forêts du monde entier.
  • En République démocratique du Congo (RDC), la chasse de subsistance est souvent intrinsèquement liée au commerce de la viande de brousse et dans certains cas au trafic d’animaux vivants, capturés pour satisfaire la demande de marchés florissants. Ceci peut accentuer les menaces qui pèsent sur les populations d’espèces sauvages.
  • Le commerce de la viande de brousse représente l’une des rares sources de revenus pour les chasseurs, les porteurs, les négociants et les marchands, ainsi qu’une source de protéines pour les communautés de la ville de Lodja, située à proximité des forêts abritant des espèces uniques.
  • À Lodja et dans d’autres parties de la RDC, des militants travaillent sans relâche pour sauver les animaux vivants du commerce illégal des espèces protégées et encouragent des sources de revenus alternatives au commerce de la viande de brousse et d’animaux sauvages.

AVIS AUX LECTEURS : Cet article contient des images d’animaux morts qui pourraient choquer certains lecteurs.

LODJA, République démocratique du Congo – Le 8 août 2022, la petite organisation non gouvernementale (ONG) d’Héritier Mpo, située dans le centre de la République démocratique du Congo (RDC), a été ravagée par un incendie. En une nuit, l’incendie a détruit les documents d’archives juridiques et les ordinateurs qui contenaient des enregistrements numériques qu’Héritier espérait pouvoir utiliser un jour pour traduire les braconniers en justice.

Dès l’instant où quelqu’un a allumé le feu dans les bureaux d’APPACOL-PRN, dans la ville de Lodja, les menaces rencontrées par Héritier et sa famille dans le cadre de son travail de sauvetage de primates vivants se sont multipliées, passant de l’hypothétique à la réalité. Selon Héritier, il s’agit pour sûr d’un incendie criminel. Si les autorités n’ont pas encore mené d’enquête officielle, il reste convaincu que le feu n’aurait pas pu commencer autrement.

Le commerce illicite de viande de brousse et d’organes d’espèces protégées est intrinsèquement lié à la chasse légale à Lodja, et c’est là tout le cœur du problème. Les rangées d’étals de viande du marché central proposent des protéines prêtes à la consommation, alors que les autres sources de protéines se font rares dans la ville.

Dans les débats sur la réglementation en matière de chasse et de trafic d’espèces sauvages et sur la lutte contre le braconnage au sein des agences gouvernementales, dans les articles universitaires et les conférences scientifiques, il est généralement difficile de rendre pleinement compte des motivations des populations, et de l’impact des législations sur ces dernières.

Mais dans des endroits tels que Lodja, la manière dont les habitants subviennent aux besoins de leur famille et protègent la faune et la flore riches, variées, uniques, et menacées de leur pays créé parfois des contradictions et conduit à de violents conflits. Les personnes impliquées dans la chasse et le trafic d’espèces sauvages affirment qu’il s’agit pour elles d’une rare source de revenus en devises fortes, étant isolées d’une grande partie du pays. L’évolution de l’économie mondiale et son impact sur les dépenses journalières signifient que même dans les régions reculées de la RDC l’argent est de plus en plus au centre du quotidien. Si l’agriculture de subsistance et les systèmes d’échange et de troc répondaient autrefois à l’essentiel des besoins des ménages, l’achat d’un smartphone et d’un crédit pour se connecter à un réseau, ou d’un panneau solaire et d’une batterie pour fournir de l’électricité à la maison, nécessite aujourd’hui de l’argent.

The bustling central market in the town of Lodja, the largest population center in Sankuru province.
Le marché central très animé de Lodja, la ville la plus peuplée de la province de Sankuru. Image de John Cannon/Mongabay.

En arrière-plan, la population croissante de la RDC et l’influence des marchés d’animaux sauvages façonnent le contexte économique du pays, et ce, de manière cachée.

Si l’incendie du bureau de l’ONG était un message adressé à Héritier Mpo et à son équipe pour leur dire de cesser d’interférer dans le trafic d’espèces sauvages dans la région, ils ont décidé de ne pas se laisser intimider.

Héritier a déclaré que son équipe et lui-même ne se laisseraient pas décourager par ce qu’il appelle « un acte de barbarie ». N’ayant toujours pas de bureau, Héritier travaille désormais « sous un arbre », en plein air, lorsqu’il est chez lui à Lodja et qu’il n’est pas sur le terrain pour suivre les derniers signalements de bébés singes ou bonobos séparés de leur famille. Il n’est pas rare qu’il parte pendant plusieurs jours et qu’il revienne à Lodja avec plusieurs d’entre eux sur sa moto pour les expédier ensuite dans l’un des sanctuaires de la RDC spécialisés dans le recueil et le soin de ces « orphelins ».

Mpo se souvient d’avoir vu sur le marché local des étals proposant des organes de singes et de bonobos, qui appartiennent au groupe des primates comme l’être humain – ces images lui ont serré le cœur, nous a-t-il confié.

« Je ne peux pas supporter cela », a-t-il dit à Mongabay par messagerie vocale.

Primate carcasses for sale at Lodja’s central market.
Des carcasses de primates en vente au marché central de Lodja. Image de Didier Makal pour Mongabay.
A monkey head.
La majorité de la viande de brousse du marché de Lodja provient des forêts situées aux abords de la ville, où la viande est fumée avant d’être transportée vers les marchés locaux. Les chasseurs tuent les animaux de façon opportuniste avant de les livrer aux marchands de Lodja. Image de John Cannon/Mongabay.

Un épicentre isolé du reste du pays

Perchée au milieu de vastes prairies, juste derrière la forêt tropicale du bassin du Congo située dans le centre de la RDC, Lodja est en grande partie isolée des grandes villes du pays.

L’étroite rivière Lukenie, qui longe la limite sud de la ville et court au milieu des forêts à l’ouest, n’est navigable depuis Lodja que pendant la saison des pluies. Quelques routes non goudronnées convergent vers la ville, mais se détériorent rapidement à mesure qu’elles s’éloignent du centre. Elles ne sont généralement praticables qu’en combinant moto et pirogue et en y ajoutant une bonne dose de détermination, en particulier pendant la saison des pluies. Une piste d’atterrissage en terre se trouve à environ 7 kilomètres (km) du centre-ville. Elle est suffisamment longue pour permettre l’atterrissage d’un petit avion de ligne, mais trop dangereuse en cas de forte pluie.

La ville se situe près de la deuxième plus grande forêt tropicale du monde, qui abrite encore des espèces sauvages très prisées. Malgré son isolement – ou peut-être à cause de celui-ci – Lodja est devenue l’épicentre d’un réseau de négociants, de porteurs et de marchands, mais aussi de trafiquants qui cherchent à acheminer du gibier fumé et des animaux de compagnie instagrammables vers des marchés plus lucratifs au sein de la capitale Kinshasa et vers des collectionneurs au portefeuille bien garni à l’étranger.

Un bonobo (Pan paniscus) orphelin, un grand singe menacé d’extinction qui n’a été identifié qu’en RDC, peut par exemple s’avérer particulièrement lucratif pour les négociants qui cherchent à répondre à des marchés florissants comme la Chine, la Lybie et les Émirats arabes unis et à combler leurs habitants, avides de voir ces animaux de plus près, voire de prendre un selfie avec eux. Selon un rapport datant du mois d’avril 2023 de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (GI-TOC), chacun de ces pays serait devenu un point de transit important, une destination, voire les deux, pour le commerce illégal des grands singes.

Map of DRC, Lodja.
Lodja est située à proximité du parc national de la Salonga, l’un des parcs les plus reculés de la RDC qui sert de refuge aux espèces menacées d’extinction comme le bonobo et l’éléphant de forêt d’Afrique. Image d’Andrès Alegría.

À Lodja, une ville d’environ 70 000 habitants selon le recensement de 2016, une partie du marché grouillante de monde abonde en viande de brousse. Sur trois longues rangées comptant au moins 30 étals différents, l’âcreté des animaux tués, dépecés et fumés dans la forêt avant d’être transportés à pied ou à vélo pendant des jours ou des semaines pique les yeux.

« Ici, ce sont des tonnes et des tonnes d’animaux qui arrivent sur le marché chaque semaine, et d’espèces très variées », a souligné Héritier Mpo.

Louise Mpala nous a dit qu’elle proposait de la viande de sanglier, de buffle, d’antilope et de gazelle sur son étal. Un peu plus loin, d’autres marchands vendent des primates – des singes essentiellement. Des piles de viande brûlée et entortillée autour de bâtons utilisés pour étendre les carcasses avant les opérations de fumage et de séchage attendent d’être vendues. La plupart d’entre elles se sont tellement décomposées qu’elles se ressemblent toutes étrangement, même si certaines parties de leur anatomie sont restées intactes, comme le nez pincé du céphalophe, une carcasse de porc-épic brûlée suspendue à une maigre branche, le visage vaguement humanoïde d’un grand singe à la mine renfrognée – tout cela met en lumière le côté macabre de ces marchés.

Louise a indiqué qu’elle n’avait pas d’autres options que de vendre la viande que les chasseurs lui apportent à Lodja. C’est ce qui lui permet de payer l’éducation de ses enfants, ainsi que leur nourriture et leurs vêtements.

Une étude publiée par le Programme alimentaire mondial en 2014 a découvert que près de 70 % des personnes vivant sur le territoire de Lodja, c’est-à-dire la ville et ses environs, étaient en situation d’insécurité alimentaire sévère ou modérée. De nombreux jeunes enfants de la ville ont le ventre gonflé, généralement un symptôme de carence en protéines alimentaires.

A porter brings smoked wild meat into the town of Lodja.
Un porteur vient livrer de la viande de brousse fumée à Lodja. Image de John Cannon/Mongabay.

La plupart des habitants de la ville vivent dans des maisons en chaume ou en terre ; rares sont ceux qui peuvent s’offrir des maisons en brique avec des toits en tôle. Ils cultivent du manioc, du maïs et du riz. Les excédents de riz et de maïs peuvent rapporter quelques centaines de francs sur le marché, mais l’essentiel des cultures sert à nourrir la famille qui les a cultivées.

Quelques ménages élèvent des chèvres, des moutons et des cochons. Héritier Mpo a indiqué que les savanes environnantes pourraient servir de pâturage au bétail et ainsi représenter une source alternative de protéines. Mais les troupeaux représentent souvent une réserve de richesse, une sorte d’épargne. Il est donc difficile de justifier l’abattage des animaux pour la viande, sauf pour des raisons économiques. Par ailleurs, l’accès à l’électricité étant limité, la réfrigération des excédents de viande n’est généralement pas une option.

Et, comme l’a ajouté Héritier Mpo, la création d’une exploitation bovine nécessite un capital initial – que la majorité des gens n’ont pas. Tous ces éléments concordent donc pour faire du braconnage une réponse rapide aux besoins en matière de protéines et de revenus.

« Il est très difficile de satisfaire la demande créée par les consommateurs à Lodja, qui est la plus grande [agglomération] de la province de Sankuru », a déclaré à Mongabay Gaspard Shekomba, chef de division provinciale pour l’environnement.

La possibilité de gagner de l’argent, ne serait-ce qu’un maigre montant, incite certains à partir en « trek » pour la journée ou des semaines vers des régions plus éloignées abritant une plus grande concentration de faune sauvage. Les chasseurs et les porteurs se rendent à l’est de Lodja, sur le territoire de Kole, ou au nord, sur le territoire de Lomela, adjacente au parc national de la Salonga.

Le parc de la Salonga est l’un des plus grands et plus reculés parcs forestiers tropicaux du monde. Il abrite des éléphants de forêt (Loxodonta cyclotis), des bonobos et une myriade d’autres espèces. Sa partie située au sud-est se trouve à environ 200 km (124 miles) de Lodja.

Road travel throughout Sankuru province is challenging, especially in the rainy season.
Les déplacements sur les routes de la province de Sankuru sont ardus, en particulier pendant la saison des pluies. Image de John Cannon/Mongabay.

Yolo Ombonga Emmanuel, porteur de viande de brousse, avait initialement confié à Mongabay que la viande qu’il livrait en ville provenait parfois du parc national de la Salonga. Le voyage des porteurs dure environ 11 jours. Yolo Ombonga Emmanuel et les autres porteurs remplissent de viande des paniers qu’ils transportent sur leur dos, ou des cagettes de fortune qu’ils attachent à leur vélo avant de rejoindre la ville sur des pistes en piteux état.

Plus tard, le porteur a changé son discours et déclaré que la viande ne provenait pas de la Salonga, car les gardiens en contrôlaient strictement l’accès : « Les chasseurs n’entrent pas dans le parc, mais chassent dans les forêts avoisinantes. »

Il a ajouté qu’ils devaient toutefois se méfier des gardiens du parc. Les chasseurs utilisent des armes silencieuses, comme des flèches et des fils de fer avec lesquels ils fabriquent des collets pour attraper le gibier, ce qui suggère qu’il est possible qu’ils opèrent à l’intérieur du parc.

D’après le porteur, au fil du temps, les chasseurs ont dû s’enfoncer de plus en plus profondément dans la forêt et se rapprocher du parc, car les zones situées à proximité de Lodja ont été vidées de leur faune. Des habitants comme Héritier Mpo et Gaspard Shekomba qui connaissent bien la communauté ont indiqué qu’aujourd’hui le volume de viande de brousse vendu à Lodja et ses environs était plus important que nécessaire pour satisfaire la demande locale.

Loin de chez eux, les chasseurs établissent des campements dans la forêt, où ils procèdent au fumage de gros volumes de viande pour assurer sa conservation au moins jusqu’à Lodja. Gaspard Shekomba a fait observer que ces campements constituaient bien la preuve que les chasseurs ne se rendaient pas dans la forêt uniquement dans le but de satisfaire les besoins de leur propre famille, ni même de celles de Lodja.

« Ils ne vont pas se procurer du gibier pour leurs moyens de subsistance. »

Maize (corn) growing in a field near the forest outside Lodja.
Du Maïs poussant dans un champ près de la forêt située aux abords de Lodja. Image de John Cannon/Mongabay.
A farmer sits in her family’s rice field outside Lodja.
Une agricultrice assise au milieu du champ de riz de sa famille, aux environs de Lodja. Image de John Cannon/Mongabay.

L’influence des marchés commerciaux

Kinshasa est une mégapole grouillante de quelque 17 millions d’habitants, située en bordure du fleuve Congo, juste au-dessous d’une zone où le fleuve s’agrandit jusqu’à former un lac. Si la pauvreté abonde à Kinshasa, la ville abrite aussi une richesse croissante qui, bien qu’inégalement répartie, façonne l’économie de la capitale. Franck Chantereau, qui dirige le sanctuaire J.A.C.K pour primates dans le sud de la RDC, a souligné que cette richesse contribuait à stimuler la demande de viande de brousse en provenance des forêts du pays.

Citoyen français vivant en RDC depuis le début des années 1990, Franck Chantereau a indiqué qu’il était sensible aux difficultés rencontrées par les habitants des communautés comme celle de Lodja.

« Ils n’ont rien à manger, et ils ont besoin de se nourrir. Alors, ils doivent chasser, bien sûr », a-t-il expliqué.

Le problème repose maintenant sur ce dilemme complexe entre d’une part la chasse qui permet d’assurer la survie de la communauté au quotidien et l’appât du gain que représentent les douzaines de marchés à Kinshasa et qui constituent une menace massive pour les populations de faune sauvage près de Lodja et dans d’autres endroits reculés du pays.

« Aujourd’hui, c’est devenu un véritable commerce », a souligné Franck Chantereau. « Ce qui se passe est complètement irréel, la forêt se vide à une vitesse phénoménale. »

Many vendors sell wild meat in Lodja.
De nombreux vendeurs proposent de la viande de brousse à Lodja. Certains analystes ont indiqué que l’offre dépassait la demande dans la seule ville de Lodja. Image de Didier Makal pour Mongabay.

Selon les chercheurs, il est pratiquement impossible de déterminer le nombre exact de singes qui disparaissent des forêts congolaises chaque année. Tuer ou kidnapper un singe en RDC est illégal, ce qui pousse certaines personnes vers le commerce clandestin de singes vivants et de viande de singe. Les auteurs du rapport GI-TOC du mois d’avril 2023 n’ont recensé que neuf bonobos signalés comme victimes d’un commerce illégal en RDC et à l’étranger entre 2016 et 2022. Mais ces chiffres ne tiennent pas compte des opérations de sauvetage réalisées par des personnes comme Héritier Mpo ou par des sanctuaires comme J.A.C.K. Iris Ho, responsable des activités de plaidoyer et des politiques pour la Pan African Sanctuary Alliance (PASA), l’Alliance des sanctuaires panafricains basée aux États-Unis, a déclaré que des saisies de plus de 100 grands singes avaient été menées entre 2020 et début 2022, selon le rapport GI-TOC.

L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) ont estimé en 2012 qu’il restait entre 15 000 et 20 000 bonobos à l’état sauvage. Bien que les données soient fragmentaires, il est à noter que le Pan paniscus est classé en danger d’extinction selon la liste rouge des espèces menacées de l’UICN, et sa population est en déclin. Les chiffres du Fonds mondial pour la nature (WWF) pour la RDC indiquent que près de 12 600 d’entre eux vivent dans le parc national de la Salonga, ce qui en fait un refuge essentiel pour l’espèce.

Franck Chantereau a fait remarquer que les chasseurs représentaient une partie souvent invisible de la machinerie qui alimente la demande quasi insatiable de viande de brousse à Kinshasa – ainsi que les marchés ravitaillant la diaspora centrafricaine à Paris, Bruxelles et au-delà. Il a ajouté qu’ils étaient prêts à s’attaquer à tout ce qui bougeait dans la forêt. Leurs efforts rapportent parfois plus que de la viande. Mais l’enlèvement d’un bébé chimpanzé ou bonobo représente beaucoup plus pour les populations d’espèces sauvages que la perte d’un seul animal. Les mères et les autres membres de la famille défendent souvent leur bébé jusqu’à la mort. Maintenir en vie un bébé primate orphelin fait appel à une combinaison rare alliant compétences, expérience et ressources.

A fresh monkey carcass for sale at Lodja’s market.
Une carcasse de singe fraîche en vente au marché de Lodja. Image de John Cannon/Mongabay.

Un rapport de 2013 sur le commerce de singes illégal a conclu que cinq à dix animaux mouraient chaque fois qu’un animal était enlevé dans la nature.

Selon le rapport GI-TOC, les statistiques suggèrent aussi que le commerce pourrait être en pleine expansion, entraînant une certaine pression chez ceux qui essaient de protéger la faune sauvage en RDC. Franck Chantereau et sa famille ont eux aussi été la cible de menaces, et la demande de grands singes vivants pourrait avoir été la motivation de l’enlèvement de trois chimpanzés au sanctuaire J.A.C.K en septembre 2022.

La chasse et le transport de gibier représentent un travail ardu et peuvent s’avérer dangereux. Mais ils peuvent aussi rapporter gros dans un pays où la Banque mondiale estime que près des deux tiers de la population vivent avec moins de 2,15 dollars US par jour. Une étude publiée en 2022 dans The African Journal of Ecology a cherché à évaluer les tendances récentes du trafic de viande de brousse dans la province voisine de Maniema, abritant le parc national de la Lomami. Refuge pour les bonobos et autres espèces sauvages, la Lomami s’étend au nord de la capitale provinciale Kindu, une grande ville située à environ 270 km (168 miles) à l’est de Lodja.

Les auteurs de l’étude ont découvert qu’en général un porteur payait un chasseur l’équivalent de 4,70 dollars US pour la carcasse d’un petit singe et 4 dollars US pour celle d’un céphalophe des forêts dans les environs du parc national de la Lomami en 2020. En retour, ce même porteur peut gagner 25 dollars US pour transporter une charge de 25 à 35 kilogrammes (55 à 77 livres) jusqu’à Kindu.

Mais le risque et la récompense augmentent de manière considérable si le chasseur ou le transporteur se montre désireux ou capable de capturer un bébé bonobo. Selon le rapport GI-TOC, ce montant pourrait alors grimper jusqu’à 200 dollars US pour un seul animal capturé vivant. « Un intermédiaire rural » dans un endroit comme Lodja pourrait toucher jusqu’à 450 dollars US pour ce travail. (La rémunération en aval de la chaîne d’approvisionnement est considérablement plus élevée : un exportateur, dont le travail consiste à faciliter la sortie des singes des aéroports de la RDC avec des permis du Commerce international des espèces sauvages (CITES) falsifiés, pourrait empocher 40 000 dollars US pour un bonobo, qui, à son tour, pourrait être vendu 300 000 dollars US à Dubaï.)

A monkey is butchered at the Lodja market.
Un singe dépecé au marché de Lodja. Image de John Cannon/Mongabay.

La hausse de la demande en provenance des pays lointains accentue considérablement les menaces pesant sur la faune sauvage dans des lieux comme Lodja. Gaspard Shekomba a souligné qu’il était difficile de suivre le rythme auquel son bureau doit répondre aux incidents impliquant des espèces intégralement ou partiellement protégées. Son équipe est en sous-effectif ; les agents sont mal payés, et les déplacements dans la province de Sankuru sont ardus, voire impossibles à certaines périodes de l’année.

Au cours de la semaine qui a précédé la visite de Mongabay à Lodja, il a indiqué que son équipe avait travaillé sur au moins quatre cas de tortues, singes et perroquets protégés. Gaspard Shekomba a aussi découvert de la viande d’éléphants de forêt et d’hippopotames en voie de disparition, qui sont protégés en RDC et qu’il est donc illicite de tuer, ainsi que de la viande de singes (des guenons du genre Cercopithecus), dont certains sont aussi protégés. Il a déclaré que les chasseurs essayaient de capturer les perroquets (Psittacus erithacus) vivants pour le prix plus alléchant qu’ils peuvent en tirer auprès de collectionneurs obnubilés par leur capacité à « parler ».

Comme il l’a indiqué, les chasseurs pris la main dans le sac avec de la viande d’espèces protégées affirment généralement qu’ils ne savent pas quelles espèces sont protégées par la RDC. C’est pourquoi, selon lui, il est essentiel de sensibiliser la population et de lui apprendre à les identifier.

Un aspect important du travail d’Héritier Mpo, lorsqu’il ne transporte pas les animaux vers des sanctuaires tels que Lola Ya Bonobo, aux abords de Kinshasa, est donc de diffuser ces informations auprès des habitants qui vivent à Lodja et dans ses environs.

« Héritier concentre véritablement ses efforts sur les communautés, car elles jouent un rôle clé », a indiqué Franck Chantereau.

« Je dois sensibiliser les gens, afin que les communautés comprennent que les animaux ont eux aussi le droit de vivre », a déclaré Héritier Mpo.

Il a précisé qu’avec l’aide de ses collègues, il recueillait des informations et enquêtait sur la chasse illégale et l’enlèvement de primates vivants. Mais il a ajouté que les juges et les procureurs qu’il avait approchés semblaient peu enclins à demander des comptes aux contrevenants potentiels.

Pas plus tard qu’en mars, Héritier Mpo et son équipe ont aidé à sauver un bébé bonobo du nom d’Ikoto, qu’ils ont transporté en moto de Kole jusqu’à Lodja. Ensuite, ils ont mis Ikoto dans un avion à destination de Kinshasa, où il a été recueilli par le sanctuaire de Lola Ya Bonobo.

Trouver un substitut à la chasse

Héritier Mpo et Gaspard Shekomba ont tous deux reconnu qu’il était devenu crucial d’identifier d’autres sources de revenus et de protéines pour les communautés de Lodja. Selon Gaspard Shekomba, le développement des plantations de café dans la région se présente comme un potentiel. « C’est une véritable source de revenus », a-t-il indiqué.

Tout comme l’élevage de poissons, selon lui, car le poisson représente à la fois une source de protéines et de revenus. Plusieurs familles élèvent d’ailleurs déjà des tilapias dans des étangs des vallées, juste au-delà du centre de Lodja.

En effet, l’étude parue en 2022 dans l’African Journal of Ecology indique que la viande d’élevage pourrait supplanter la viande de gibier et réduire ainsi les menaces qui pèsent sur la faune sauvage. Comme Lodja, Kindu est devenue un centre névralgique du commerce d’animaux sauvages.

« Lorsque nous avons commencé, le marché de la viande de brousse était très important », a déclaré à Mongabay Terese Hart, coauteure de l’étude et biologiste à la Société zoologique de Francfort.

Au début de l’année 2017, les gérants du parc ont mis en place un système de coupons pour suivre les flux de viande sauvage des environs, là où la chasse d’espèces non protégées est autorisée. Grâce aux coupons, les gardes forestiers pouvaient compter et vérifier la composition des espèces dans les chargements des porteurs. Entre 2017 et 2021, l’analyse a révélé un certain déclin du nombre total d’animaux transportés, mais la proportion des grands animaux est restée à peu près la même. Les auteurs ont en conclu que les forêts n’étaient pas vides, mais qu’il y avait très vraisemblablement un autre facteur en jeu.

A fish farm.
Les piscicultures sont considérées comme une alternative à la chasse pour la viande de brousse qui pourrait réduire les menaces sur les populations d’espèces sauvages. Image de John Cannon/Mongabay.

Selon les auteurs, le risque et le coût de l’acheminement de la viande à Kindu ont réduit le commerce illégal des espèces sauvages, d’autant plus que la viande d’élevage est devenue plus courante et plus abordable sur les marchés de la ville. Terese Hart a indiqué que les élevages de bovins et de poissons, en particulier, s’étaient multipliés. Elle a souligné que, bien entendu, l’assèchement des terres de savane et leur transformation en pâturages pour le bétail sont « une arme à double tranchant » en raison de leurs impacts sur l’environnement. Le surpâturage par le bétail peut mener à la désertification, altérer le développement naturel de la flore et déplacer les espèces sauvages de ces écosystèmes.

Lodja ne bénéficie pas du soutien économique que Kindu a pu récemment recevoir de l’exploitation des mines d’or et de cobalt situées sur les rives du fleuve Lualaba. Ce coup de pouce a permis à certains résidents d’investir dans du bétail.

Toutefois, l’influence des marchés extérieurs pour le trafic de viande de brousse et d’animaux vivants pose un problème plus épineux. Une source plus stable de protéines pourrait satisfaire les besoins des communautés locales, mais la demande extérieure pourrait continuer à alimenter ce commerce et entraîner un déclin continu des populations d’espèces sauvages en RDC.

Malgré ces enjeux mondiaux, Héritier Mpo affirme qu’il reste engagé dans son travail pour permettre aux bonobos et aux autres animaux de continuer à « vivre dans leur environnement naturel ».

Cattle
Le bétail est considéré comme une source alternative de revenus et de protéines à Lodja, bien que les chercheurs avertissent que le surpâturage pourrait avoir des effets négatifs sur l’environnement. Image de John Cannon/Mongabay.

« La principale raison qui me pousse à faire ce travail, c’est l’amour que j’ai pour les animaux. Je ne veux pas voir les animaux souffrir », a-t-il déclaré. Héritier Mpo continuera donc à porter secours aux singes et aux bonobos orphelins et à sensibiliser les communautés à l’importance de maintenir les animaux dans leur environnement naturel pour veiller à l’équilibre écologique. Il continuera également à lutter contre les menaces qui pèsent sur sa propre sécurité tout en s’efforçant de trouver d’autres moyens de subsistance pour les personnes impliquées dans ce commerce.

« Il est plus qu’un héros », a déclaré Franck Chantereau, même si pour Héritier Mpo, il ne s’agit que d’une vocation à laquelle il ne peut se soustraire.

« Si nous cédons, nous ouvrons grand la porte à n’importe qui pour faire n’importe quoi à ces animaux. »

 
Image de bannière : Marché de Lodja, plus de deux douzaines d’étals répartis sur trois rangées proposent de la viande de brousse. Image de Didier Makal pour Mongabay.

John Cannon est journaliste pour Mongabay. Retrouvez-le sur Twitter : @johnccannon

 

Citations:

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Article original: https://news.mongabay.com/2023/05/survival-and-economics-complicate-the-drcs-bushmeat-and-wild-animal-trade/

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