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Les ONG demandent le maintien des sanctions contre le géant minier de la RDC Dan Gertler

  • Dan Gertler, milliardaire israélien, a acquis des licences minières et pétrolières à des prix dérisoires auprès du gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) ou des sociétés minières publiques, qu’il revendait ensuite à des entreprises multinationales, voire parfois au gouvernement congolais lui-même, réalisant ainsi d’énormes bénéfices.
  • Les opérations de Gertler ont généré en seulement deux ans plus de 1,36 milliard de dollars (environ 1,26 milliard d’euros) de pertes pour la RDC, selon le département du Trésor américain.
  • En 2017, les États-Unis ont sanctionné Gertler pour corruption, le bannissant du système bancaire en dollars américains.
  • À la suite d’un mémorandum d’entente entre Gertler et le gouvernement de la RDC, le président Félix Tshisekedi demande officiellement la levée des sanctions américaines.

Plus tôt cette année, 25 organisations de la société civile congolaises et internationales ont adressé une lettre au secrétaire d’État américain, réclamant le maintien des sanctions visant le négociant diamantaire Dan Gertler. Depuis qu’il a conclu un accord exigeant que Gertler remette plusieurs mines et concessions pétrolières de grande valeur, le gouvernement de la République démocratique du Congo, soutenu par certains groupes de la société civile locale, affirme que les sanctions ont eu l’effet escompté et qu’elles devraient être levées. Les organisations de lutte contre la corruption du pays, en revanche, s’y opposent.

Et les inquiétudes sont fondées : le 15 janvier 2021, alors que le mandat du président Donald Trump arrivait à son terme, le secrétaire du Trésor, Steven Mnuchin, a octroyé une licence d’un an à l’homme d’affaires israélien l’autorisant à faire des affaires avec des entités américaines et à accéder aux actifs gelés sur des comptes en banque américains. Ce délai d’un an était supposé permettre à l’administration des États-Unis d’examiner les preuves fournies par Gertler avant d’approuver une levée définitive des restrictions. Cette décision a suscité de vives critiques de la part des groupes de défense des droits humains et des parlementaires démocrates.

Quelques mois plus tard, l’administration de Joe Biden a révoqué la licence. Le porte-parole du département d’État des États-Unis, Ned Price, a ainsi déclaré dans un communiqué que la mesure « est incompatible avec les orientations claires de politique étrangère des États-Unis en faveur de la lutte contre la corruption dans le monde, notamment les actions des États-Unis pour lutter contre la corruption et promouvoir la stabilité en république démocratique du Congo (RDC). »

Mais rien ne dit que cela n’arrivera pas de nouveau. Le département d’État et le département du Trésor des États-Unis n’ont pas répondu à notre demande d’interview.

À l’origine des sanctions

Depuis 1997, Dan Gertler a acquis des licences minières et pétrolières à des prix dérisoires auprès du gouvernement et de sociétés minières publiques de République démocratique du Congo (RDC), qu’il revendait ensuite à des entreprises multinationales, voire parfois au gouvernement congolais lui-même, réalisant ainsi d’immenses profits.

En 2021, Le Congo n’est pas à vendre, une coalition de 16 organisations de lutte contre la corruption, a calculé que le Groupe Ventora de Gertler percevrait d’énormes redevances grâce à seulement trois projets miniers dans lesquels il détient des intérêts : Kamoto Copper Company (KCC), Mutanda et Metalkol.

« Nous estimons que Gertler recevra au moins 1,76 milliard de dollars (environ 1,89 milliard d’euros) de redevances entre 2021 et 2039. C’est en moyenne plus de 254 000 $ (environ 273 000 €) par jour pour les 19 prochaines années. »

1_malachite_copper_and_cobalt_FAIRPHONE - 17 avril 2017 - Cobalt, copper and malachite from a copper mine in the DRC. These are some of the minerals that have made Dan Gertler rich in the DRC. Image by Flickr (CC BY-SA 2.0)
Du cobalt, du cuivre et de la malachite provenant d’une mine de cuivre en RDC. Ce sont certains des minéraux qui ont fait la fortune de Dan Gertler en RDC. Image de Fairphone depuis Flickr (CC BY-SA 2.0)

En décembre 2017, les États-Unis ont sanctionné Gertler pour corruption et son implication dans des violations des droits humains. Les sanctions, imposées en vertu du Global Magnitsky Act, exposent les citoyens américains à une peine pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison s’ils font affaire avec Gertler. De même, les banques américaines sont contraintes de bloquer et de signaler toute transaction impliquant l’homme d’affaires ou ses sociétés. Ces sanctions affectent également les banques non américaines, car les transferts en dollars passent généralement par le biais d’établissements correspondants aux États-Unis.

Cependant, en mai 2022, le président congolais Félix Tshisekedi a adressé une lettre à son homologue américain, Joe Biden, demandant à ce que les sanctions soient levées.

« Cette lettre se veut un plaidoyer exprimé en faveur de la radiation de monsieur Dan Gertler et de son groupe, du Global Magnitsky Act. En effet, lors que l’objectif recherché par les sanctions consacrées par le Global Magnitsky Act a été atteint, en ce qu’il a contraint Monsieur Gertler et son groupe à se conformer aux bonnes pratiques du secteur minier et des hydrocarbures de la République Démocratique du Congo, nous estimons qu’elles n’ont plus besoin d’être imposées davantage, de peur d’avoir un impact négatif sur les intérêts économiques de notre pays », écrit-il dans ce courrier, que le New York Times s’est procuré.

Depuis lors, plusieurs ONG congolaises se positionnées en soutien de l’appel du gouvernement à lever les sanctions à l’encontre de l’homme d’affaires.

« La restitution des actifs n’est possible que si les sanctions à l’encontre de Dan Gertler sont levées. Cela fait partie des conditions de l’accord signé par l’État congolais », explique Georges Kapiamba, coordonnateur de l’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice (ACAJ). Il faisait ainsi référence au mémorandum d’entente signé le 24 février 2022 entre le gouvernement de la RDC et le Groupe Ventora, dirigé par Gertler.

Le milliardaire a accepté de renoncer aux licences d’exploitation de trois mines (Moku Gold, Iron Mountain et Sanzetta) et de forage pétrolier dans deux blocs du lac Albert. Le mémorandum engageait également le gouvernement congolais à fournir une assistance pour soutenir les efforts de Gertler en vue de la levée des sanctions qui pèsent sur lui, une fois que les actifs concernés auront été restitués. Gertler ayant remis les actifs en question, le gouvernement tenait ainsi sa promesse en envoyant ce courrier au président Biden.

Qu’est-ce que la RDC a à gagner du retrait des sanctions ?

Pour Jimmy Kande, directeur Afrique de l’Ouest de la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique (PPLAAF), l’une des organisations ayant signé la lettre adressée au Trésor américain, soutient que le gouvernement devrait publier le texte de l’accord dans son intégralité. « Il s’agit d’un contrat dont nous pensons que les clauses sont en défaveur de la République démocratique du Congo. Il est important que la RDC sorte gagnante de cet arrangement à l’amiable. Le contrat n’a pas été rendu public dans son intégralité. Nous continuons à faire pression en ce sens. »

Le Congo n’est pas à vendre s’est penché sur les parties du mémorandum de 2022 qui ont été rendues publiques. L’organisation a ainsi noté que Gertler conserverait des intérêts dans d’autres actifs miniers congolais de grande valeur, malgré les circonstances douteuses de leur obtention. Le mémorandum engageait l’homme d’affaires à payer plus de 249 millions d’euros issus des redevances de KCC, mais rien provenant des sociétés qu’il garde en sa possession. En outre, la RDC doit rembourser à Ventora 240,7 millions d’euros et la société minière publique Gécamines doit au groupe Fleurette (une autre société de Gertler) 192 millions d’euros au titre d’un prêt.

Un rapport de Global Witness et PPLAAF publié en 2021 vient toutefois contredire le propos du gouvernement congolais selon lequel les sanctions ont eu le résultat escompté. En effet, le rapport, basé sur des documents fournis par deux lanceurs d’alerte, a montré comment Gertler a tenté d’échapper aux sanctions par l’intermédiaire d’un réseau centré sur Afriland First Bank en RDC.

« Ce réseau a permis l’envoi de flux financiers de plusieurs millions de dollars vers l’Europe et Israël et l’acquisition de nouveaux actifs miniers en RDC », affirme PPLAAF.

Les documents ont été fournis par deux employés d’Afriland, Gradi Koko Lobanga et Navy Malela Mawani. Après avoir alerté leurs supérieurs, les deux lanceurs d’alerte ont été menacés et ont décidé de quitter la RDC. Depuis, Afriland les a poursuivis en justice pour atteinte à la sécurité publique et association de malfaiteurs, des accusations que l’organisation de défense des lanceurs d’alerte juge exagérées. Pourtant, ils ont été condamnés à la peine capitale. Ils vivent désormais sous protection, en exil, sans possibilité de retour immédiat dans leur pays.

Contacté pour s’exprimer sur les désavantages présumés de cet accord, le gouvernement de la RDC n’a pas répondu à nos demandes d’interview.

Les coûts de la corruption

« Pour nous, il est important que les sanctions soient maintenues. Cet argent est important pour la République démocratique du Congo. Cet argent représentait, à l’époque, 30-40 % du budget congolais, et quand on voit les défis auxquels fait face la RDC en termes d’infrastructure, le manque d’hôpitaux, le manque d’écoles, les routes qui ne sont pas construites, les fonctionnaires qui ne sont pas payés, cet argent pourrait résoudre certains de ces problèmes », explique Kande à Mongabay.

Plusieurs des contrats extractifs pour lesquels Gertler est accusé de corruption en RDC sont également liés à des dégâts environnementaux. KCC opère des mines de cuivre et de cobalt à Kolwezi, dans la province de Lualaba, au centre du pays. L’Observatoire Africain des Ressources naturelles (Afrewatch), une ONG congolaise travaillant à la protection des droits humains et de l’environnement contre l’extraction des ressources naturelles, a publié en 2021 un rapport sur les impacts d’une série de déversements d’acide dans des rivières autour des mines de la société.

Afrewatch a consulté des membres des communautés voisines, qui ont affirmé que la Lwilu était devenue noire pendant environ une semaine et dégageait une odeur suffocante. Les personnes interrogées révèlent avoir souffert d’irritation oculaire, de maux de gorge et de démangeaisons cutanées. Des agriculteurs ont rapporté des dégâts à leurs champs et des cadavres de poissons flottant dans les étangs environnants bien que KCC ait déclaré avoir contenu les déversements et contacté les communautés affectées.

Pour Kande, ce n’est pas surprenant : « Lorsque des entreprises baignent dans la corruption, il n’est pas inhabituel pour elles d’enfreindre les règles dans d’autres domaines », explique-t-il.

Gertler a peut-être rétrocédé au gouvernement congolais certaines exploitations minières et pétrolières, mais les ONG de lutte contre la corruption estiment que la levée des sanctions dont il fait l’objet pourrait envoyer un message d’impunité aux entreprises avec lesquelles il collabore, laissant la porte ouverte à davantage de corruption, d’atteintes à l’environnement et de violations des droits humains.


Image de bannière : Une mine de cuivre en RDC. Image de Fairphone depuis Flickr (CC BY-SA 2.0)

Article original: https://news.mongabay.com/2023/05/ngos-urge-continued-sanctions-against-drc-mining-giant-dan-gertler/

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