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Les communautés d’Afrique de l’Ouest accusent Socfin et Earthworm Foundation d’écoblanchiment

  • Une mission d’évaluation des plaintes commanditée par Socfin, une société belge produisant de l’huile de palme et du caoutchouc, a été rejetée par les communautés affectées par les activités de l’entreprise dans plusieurs pays d’Afrique et d’Asie.
  • Parmi les raisons invoquées figurent la relation entre Earthworn Fondation et Socfin, qui en est un membre cotisant, l’absence de coordination adéquate avec les parties prenantes concernées et le fait que l’entreprise a toujours refusé de contribuer à la résolution des conflits proposée par des organismes tiers.
  • La première phase, qui consiste en des missions au Liberia et au Cameroun, vient de se conclure sans la participation des groupes locaux, qui affirment ne pas avoir été inclus dans la planification de la procédure.

Ces dix dernières années, les communautés impactées par les activités des plantations de palmiers à huile et de caoutchoucs de Socfin ont fait part de leurs réclamations aux autorités locales et aux médias internationaux. Socfin a récemment ouvert une enquête sur des allégations sélectionnées par une société de conseil en chaîne d’approvisionnement, Earthworm Foundation (EF, anciennement Forest Trust). Toutefois, des organisation communautaires et internationales ont rejeté l’enquête avant même qu’elle ne débute.

En mai, plusieurs associations locales de communautés affectées par les plantations de Socfin, dont Synaparcam au Cameroun et Green Advocates au Liberia, soutenues par des ONG internationales telles que GRAIN et ReAct, ont adressé un courrier à Hubert Fabri, président de Socfin, refusant l’invitation à participer à l’audit adressée par EF aux défenseurs des droits locaux. « Le processus rendu public par SOCFIN et son partenaire Earthworm Foundation n’apporte aucune garantie quant aux critères que devrait respecter toute enquête visant à la résolution des conflits », écrivent-ils.

Socfin est une holding multinationale basée au Luxembourg qui opère dans le secteur de l’huile de palme et du caoutchouc dans huit pays d’Afrique centrale et de l’Ouest, ainsi qu’au Cambodge et en Indonésie.

Mongabay avait déjà fait état des allégations des communautés à l’encontre des filiales de Socfin qui exploitent des plantations au Cameroun, en Sierra Leone, au Nigeria et au Liberia, concernant des violations des droits fonciers, la pollution des cours d’eau, la destruction de tombes et de forêts sacrées, des cas de harcèlement sexuel, la corruption et l’absence de consentement libre, préalable et en connaissance de cause (CLPCC) de la part des communautés d’accueil.

Selon Socfin, les enquêtes en cours sont un signe des progrès réalisés dans la réponse aux réclamations des communautés, en accord avec ce qu’elle appelle sa « politique de gestion responsable » adoptée en 2017. « Nous avons décidé de répondre de manière crédible aux préoccupations avec l’aide d’une organisation externe », a déclaré la société dans un communiqué publié en avril, qui promettait également que les conclusions seraient « traitées de manière responsable ».

A thin elderly man, the open neck of hard-worn brown t-shirt exposing bones in his chest, looks at the camera, the trunk of a palm tree, dried fronds, and simple houses with rusting corrugated iron roofs in the background. Image by Ashoka Mukpo for Mongabay.
« Ils ont pris nos terres pour planter des caoutchoucs », explique James David, un aîné du village de Kollendarpolo, au Liberia. Image de Ashoka Mukpo pour Mongabay.
Aerial view of rust-red roofs of the town of Jorkporlorsue in the bottom left, surrounded dark green crowns of rubber trees owned by Socfin's Salala plantation in the rest of the frame. Image by Ashoka Mukpo for Mongabay.
Le village de Jorkorlorsue, au Liberia, encerclé par les caoutchoucs de la plantation de Salala, détenue par Socfin. Image de Ashoka Mukpo pour Mongabay.

L’indépendance d’Earthworn Foundation remise en cause

Dans les 15 dernières années, les communautés vivant autour des plantations de Socfin ont déposé de nombreuses plaintes à l’encontre de filiales de l’entreprise. Elles se sont adressées aux autorités gouvernementales locales et aux managers de la société, puis se sont tournées vers les mécanismes de réclamation d’organisations internationales telles que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Les cadres de Socfin ont généralement écarté les rapports les impliquant dans des cas d’abus, accusant parfois les ONG internationales travaillant avec les communautés concernées de fabriquer ces problèmes de toute pièce. Lorsque le point de contact national belge de l’OCDE a publié ses conclusions, affirmant que la société avait violé les principes directeurs de l’OCDE au Cameroun, Socfin a réagi par un communiqué de presse démentant les accusations.

Contactés par Mongabay, les représentants de l’entreprise ont également rejeté toutes les allégations. En 2017, par exemple, l’ancien PDG de Socfin, Luc Boedt, a adressé une réponse par courriel concernant le manque apparent d’engagement des communautés en Sierra Leone : « [Notre rapport de développement durable] donne une vision claire et précise de ce que nous faisons. Si tous les bien-pensants d’Europe pouvaient faire de même, l’Afrique se porterait certainement mieux. »

Socfin est devenue membre d’Earthworm Foundation à l’adoption de sa nouvelle politique de gestion responsable en 2017. EF se décrit elle-même comme étant une organisation aidant les entreprises multinationales à gérer durablement leurs chaînes d’approvisionnement dans le Sud global. Les membres d’EF, dont Nestlé, Golden Agri-Resources et The Hershey Company, paient une cotisation annuelle ainsi qu’une participation à un « budget de plan de travail » annuel qui couvre les dépenses telles que les missions de terrain, les salaires du personnel et les frais généraux.

Dans le cadre de son rôle de consultant en meilleures pratiques de Socfin, EF a visité Salala Rubber Corporation Liberia en 2019 et la plantation de Socapalme au Cameroun en 2020. La fondation a également contribué aux demandes de certification par la Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO) déposées par Socfin.

En termes d’impact, les organisations locales et internationales affirment que les visites d’EF et les rapports qui ont suivi ne se sont pas traduits en actions visant à résoudre les problèmes avec la gestion et le mécanisme de réclamation de Socfin. « Ils [EF] travaillent depuis des années avec Socfin pour mettre en place des engagements de terrain, mais les personnes affirment qu’elles n’ont pas vu de changement », a déclaré Léa Papinutti, de l’organisation française ReAct Transnational, lors d’un entretien avec Mongabay.

« Rien n’a changé », affirme Emmanuel Elong, fondateur et président de Synaparcam. Pour lui et d’autres critiques d’EF, cette mission n’est qu’une tentative d’écoblanchiment, la fondation n’ayant pas, par le passé, résolu les problèmes identifiés.

A woman standing knee-deep in a rectangular pit dug into dark brown earth, skimming bright orange palm oil off into a blue and yellow plastic basin. Image by Maja Hitij for Mongabay.
Certaines personnes vivant près de la plantation de Socfin dans la chefferie de Sahn Malen, en Sierra Leone, continuent de récolter des fruits dans leurs petits peuplements de palmiers à huile. Elles les écrasent ensuite dans des bassins et écument l’huile qui flotte à la surface. Image de Maja Hitij pour Mongabay.

Obtenir justice par d’autres moyens

Les signataires de la lettre conjointe expliquent leur rejet de l’inspection par le fait que Socfin a déjà écarté de nombreuses recommandations et conclusions formulées au fil des ans par divers organismes internationaux. Selon eux, les audits précédents menés par EF ont échoué à entraîner des changements pour les communautés concernées.

Ils considèrent également que la prise de contact de dernière minute d’EF avant de visiter leurs communautés comme un signe que l’inspection est alignée sur les intérêts de Socfin plutôt que sur ceux des personnes affectées par les plantations de l’entreprise.

En avril, EF avait individuellement contacté des membres d’organisations locales représentant les résidents, leur demandant d’assister l’enquête en fournissant des preuves de leurs réclamations et de faciliter l’accès aux communautés. Au Cameroun, EF a proposé à Synaparcam, une association de défense des droits fonciers locale qui s’oppose à Socfin depuis 2013, de signer un accord les engageant à aider les auditeurs.

« Ils ont planifié leur projet sans nous contacter et nous demandent de participer sans aucune préparation. S’ils souhaitent réellement travailler main dans la main, ils devront repousser », déclare Elong.

Les termes d’EF présentés à Synaparcam imposaient des conditions précises à l’engagement des organisations de défense des droits : proposer un itinéraire, accompagner l’équipe d’audit d’EF au cours des visites des communautés et mettre toute documentation à disposition des enquêteurs. Le courriel donnait également des dates précises pour la visite de ces derniers. Du point de vue de Synaparcam, les clauses imposaient aux locaux un calendrier irréaliste.

« Nous avons l’impression qu’Earthworm n’est pas capable de mener ce genre d’enquête de manière transparente étant donné que nous les avons déjà rencontrés lors de leur visite en 2012-2013 », explique Francis Colee de l’organisation locale libérienne Green Advocates. Colee faisait ici référence à un précédent audit de Golden Veroleum Liberia mené par EF il y a une dizaine d’années. Les conclusions avaient révélé un processus de consultation publique défaillant et d’autres violations des droits, sans pour autant donner lieu à des conséquences tangibles pour l’entreprise ou à des compensations pour les communautés.

Young men reading documents in front of a blue wooden shack that hosts a barber shop. Image by Maja Hitij for Mongabay.
Des jeunes hommes dans la chefferie de Sahn Malen, en Sierra Leone, qui fait partie des zones qui seront visitées par les auditeurs de la Earthworn Foundation. En 2011, Socfin a loué 18 000 hectares de terres à Malen. De nombreux locaux affirment avoir été dépossédés sans leur consentement et ne pas avoir reçu de compensation appropriée. Un rapport publié en 2019 révèle que les terres occupées par la plantation de Socfin n’étaient pas couvertes par le contrat de location. Image de Maja Hitij pour Mongabay.

Les visites de terrain se déroulent sans les militants

L’équipe d’EF s’est rendue au Liberia début mai. Les organisations de la société civile qui représentent les membres des communautés et qui se sont opposées à Socfin ont décliné la requête d’EF de faciliter l’accès aux communautés et de soumettre à nouveau des preuves aux auditeurs. En plus de leur demande d’aide auprès du CAO de la Banque mondiale, que Socfin a écartée, les résidents de 22 communautés affectées et Green Advocates se sont tournés vers les tribunaux locaux.

« La communauté a longtemps plaidé en faveur d’un engagement avec les entreprises par le biais d’un dialogue. Nous avons tenu des réunions avec des fonctionnaires en 2015 et 2016, mais ils n’ont pas accepté », explique Paul Larry George, président de l’Alliance for Rural Democracy, une organisation basée à Monrovia, au Liberia. « Maintenant que le problème a été porté aux tribunaux locaux, ils souhaitent mener une enquête dans les communautés. C’est inacceptable. Nous ne pouvons pas partager nos preuves sans la présence d’avocats. »

Les communautés concernées considèrent également cette nouvelle recherche de preuves par EF pour chaque allégation comme étant insultante. Alfred Brownell, un avocat libérien expert des droits de l’homme en exil aux États-Unis, a affirmé à Mongabay que des montagnes de preuves avaient été accumulées et soumises au fil des ans. « Ce n’est pas la première fois que les communautés du Liberia disent qu’elles ne pensent pas qu’EF soit l’organisation appropriée pour cela. Les gens s’inquiètent de leur indépendance, alors comment peuvent-ils venir s’imposer ainsi aux communautés ? »

Au moment de la publication de cet article, les auditeurs d’EF avaient terminé leur visite de terrain au Liberia et étaient au Cameroun, mais n’ont pas donné suite aux questions de Mongabay. Également sollicitée concernant le rejet du processus par les militants, Socfin a, quant à elle, simplement envoyé une copie de son communiqué annonçant la mission.

La première phase de l’enquête s’est conclue la semaine dernière avec la visite d’EF au Cameroun. La seconde phase, qui comprend des visites de plantations au Nigeria, en Sierra Leone et au Cambodge, débutera plus tard cette année. Selon le site Web d’Earthworm Foundation, la conclusion du processus est prévue d’ici décembre 2023, après quoi un résumé des résultats sera publié conjointement à un « plan d’action au nom de Socfin afin d’adresser toutes les allégations jugées crédibles ».

Medium shot of Synaparcam leader Emmanuel Elong standing in a clearing. Image by Dylan Collins
Emmanuel Elong, le président de Synaparcam, en 2020. Socfin a fait l’acquisition d’une plantation près de son foyer à Mbonjo, au Cameroun, en 2000. « La première chose qu’ils ont faite, c’est se débarrasser des anciens contrats qui assuraient l’emploi de la jeunesse locale. La deuxième chose qu’ils ont faite a été de mettre fin aux contrats de petits exploitants, que les familles avaient conclus avec la plantation d’État. Ils avaient leur propre usine, et les locaux ont été exclus. » Image de Dylan Collins pour Mongabay.

 
Image de bannière : Des travailleurs dans la plantation de SAC, dans la chefferie de Sahn Malen, en Sierra Leone. Image de Maja Hitij pour Mongabay.

CORRECTION (22 juin 2023) : L’article affirmait à tort que BNP Paribas et Shell étaient membres d’Earthworn Foundation. Cette information est incorrecte et aucune des deux sociétés n’a jamais été membre de la EF.

 
Article original: https://news.mongabay.com/2023/06/communities-accuse-socfin-and-earthworm-foundation-of-greenwash-in-west-africa/

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