Nouvelles de l'environnement

Au Kenya, un projet de biogaz aide la communauté, la forêt et les espèces rares

  • Pendant des décennies, les réserves forestières des hautes terres au centre du Kenya ont subi la pression des communautés avoisinantes. Celles-ci cherchaient du bois de chauffage et de construction, mais aussi de l’espace pour leurs terres agricoles.
  • Cette pression a fait de la forêt d’Eburu un sanctuaire isolé pour les espèces sauvages, dont le bongo de montagne, qui est en danger critique d’extinction.
  • Les efforts constants de l’ONG de défense de l’environnement Rhino Ark ont permis de sensibiliser les communautés locales au rôle important de la forêt. Mais l’empiètement sur la réserve continue, notamment à cause du manque de combustibles alternatifs.
  • L’ONG espère que l’installation de systèmes de biogaz domestiques réduira la pression exercée sur la forêt dans la quête de bois de chauffage, tout en ayant un impact moindre sur la santé et en produisant des engrais organiques pour les foyers concernés.

EBURRU, Kenya — Les sommets jumeaux du mont Eburu sont recouverts de 87 kilomètres carrés de forêt d’altitude. Ils abritent plus de 40 espèces de mammifères, dont le bongo de montagne (Tragelaphus eurycerus isaaci) en danger critique d’extinction. Tout comme les autres réserves forestières du Kenya central, Eburu a subi une dégradation, car elle est une source de nourriture et de combustible pour les communautés environnantes.

Cela pourrait cependant changer grâce à un projet de biogaz qui vise à fournir une source d’énergie alternative et ainsi réduire la demande en bois pour le chauffage, la construction ou la production de charbon.

Lydia Nyota est à la tête d’un des 150 foyers du village d’Eburru qui ont commencé à utiliser du biogaz pour cuisiner et s’éclairer. Comme la plupart de ses voisins, cette femme de 60 ans dépendait auparavant du bois de chauffage et du charbon provenant de la forêt d’Eburu.

« Nous attachons de l’importance à cette forêt, car elle nous apporte la pluie et abrite des espèces en danger critique », dit-elle à Mongabay.

View looking out of central Kenya's Eburu Forest onto the valley below. Image courtesy Tsavo National Park (Fair use.)
La forêt d’Eburu abrite plus de 40 espèces de mammifères, dont le bongo de montagne en danger critique d’extinction. Image reproduite avec l’autorisation du parc national Tsavo (domaine public).

Réserves de biodiversité

Eburu est le plus oriental des 22 blocs forestiers protégés dans le centre du Kenya. S’il faisait auparavant partie de l’écosystème de la forêt Mau, une large étendue de forêt d’altitude qui est une source vitale d’eau alimentant des lacs et des rivières partout dans la vallée du Rift, Eburu n’est désormais plus qu’un ilot entouré de terres agricoles et de hameaux.

Malgré des décennies d’empiètement, les différentes zones de végétation d’Eburu, qui vont de l’acacia et du leleshwa sur les pentes inférieures, aux peuplements de bambous et aux prairies ouvertes sur les sommets les plus élevés, en passant par les grands arbres d’ombrage Dombeya torrida, les conifères Podocoarpus et les plantes feuillues Crotalaria à des altitudes intermédiaires, sont demeurées un point chaud pour les espèces d’oiseaux et de mammifères. Ces dernières comprennent le guib harnaché (Tragelaphus scriptus), le céphalophe de Harvey (Cephalophus harveyi), le léopard (Panthera pardus) et le bongo de montagne, une antilope rayée rare dont on pensait qu’il ne restait que 70 à 80 individus en liberté.

Le bongo était autrefois plus répandu dans les forêts d’altitude du Kenya et de l’Ouganda. Victime de la chasse et de la destruction de son habitat, on ne le trouve plus désormais qu’à Eburu et répartit en quatre autres populations à divers endroits de l’écosystème forestier de Mau et dans les Aberdares. Le Bongo Surveillance Project estime qu’une dizaine de ces grandes antilopes au pelage brun-rouge rayé de blanc et aux cornes en spirale vivent dans la forêt d’Eburu.

Pendant des décennies, des personnes se sont rendues illégalement dans la réserve, que ce soient des bûcherons illégaux, des braconniers ou bien des locaux recherchant du bois de construction et de chauffage ou du charbon. D’autres encore y sont allés pour faire paître leur bétail, récolter du miel sauvage et des plantes médicinales ou pratiquer des rites initiatiques. Certains fermiers ont également planté des cultures comme le manioc, le millet ou la marijuana au sein de la partie protégée de la forêt.

Map recording illicit activity noted by a research team in the Eburu Forest in 2019. Image courtesy Sheppard et al.
Carte des activités illégales documentées par une équipe de chercheurs dans la forêt d’Eburu en 2019. Les triangles rouges (Catégorie 1) présentent une menace directe pour les bongos comme les pièges à mâchoires ou les collets. Les triangles jaunes (Catégorie 2) indiquent des menaces pour l’habitat telles que l’exploitation forestière, la production de charbon de bois, la récolte de bois de chauffage ou l’établissement de camps illégaux Cliquez ici pour voir les données de 2018-2020. Carte reproduite avec l’autorisation de Sheppard et al. (CC BY 4.0)

Protéger requiert des alternatives

En 2014, Rhino Ark, une organisation caritative qui travaille avec le Service des forêts du Kenya pour protéger les forêts d’altitude du pays, a clôturé la forêt d’Eburu dans l’espoir d’empêcher les bûcherons et les chasseurs d’y entrer. L’association a également mis en place des programmes de plantation d’espèces d’arbres indigènes pour restaurer les forêts endommagées et d’arbres fruitiers pour répondre aux besoins alimentaires et financiers de la population locale. En parallèle, elle a développé des clubs de sensibilisation à la conservation dans les écoles et a introduit des fours portables pour transformer les déchets agricoles en charbon.

Les personnes ont toutefois continué d’entrer dans la forêt, parfois en détruisant des sections de clôture afin de faciliter un accès régulier.

Une équipe de chercheurs, qui étudiait la faisabilité écologique et sociale d’un projet de relâche de bongos de montagne élevés en captivité, a ainsi constaté une activité intense au sein de la forêt. Cinquante pièges photographiques installés dans toute la forêt de mars 2018 à novembre 2019 ont capturé cinq images des très discrets bongos d’Eburu et plusieurs clichés d’autres animaux sauvages. Les appareils ont également capturé de nombreuses preuves de la poursuite de l’exploitation forestière, de la production de charbon de bois et de la chasse.

C’est ainsi que Rhino Ark a compris qu’en l’absence d’une source d’énergie alternative, les résidents continueront d’entrer dans la forêt d’Eburu à la recherche de bois de chauffage, explique Joseph Motongu, superviseur de la forêt d’Eburu pour l’organisation. Bien qu’Eburru soit connectée au réseau électrique national, beaucoup de ses habitants n’ont pas les moyens de se raccorder ou de payer les factures chaque mois.

« Le but du projet de biogaz à Eburru est de réduire la pression sur la forêt. Même si elle a été clôturée, nous faisons toujours face à des défis qui ne peuvent être surmontés que par des sources d’énergie alternatives telles que le biogaz. Si les locaux y ont accès, alors ils n’auront plus besoin d’aller couper des arbres pour obtenir du bois », explique Joseph Motongu à Mongabay.

Rhino Ark a donc introduit des systèmes de biogaz à ballons en 2020. Les ménages alimentent un digesteur avec du fumier ou des déchets humains qui y seront décomposés par des micro-organismes, produisant ainsi du méthane. Le gaz est ensuite stocké dans un réservoir similaire à un ballon. L’installation inclut des tuyaux reliant le ballon à un four et à des lampes au gaz dans la maison des utilisateurs.

Le système à ballon installé à Eburru a été conçu il y a 20 ans par Dedan Ndung’u. Selon lui, les biodigesteurs à réservoir souple sont moins coûteux que leurs cousins plus larges en béton. De plus, ils peuvent fonctionner même avec une quantité réduite de matière organique. « Un agriculteur ayant seulement une ou deux vaches peut profiter de ce type de biogaz, puisqu’il ne nécessite pas autant de déchets que celui en béton », explique-t-il.

Lydia Nyota, wearing a teal bib and smiling over her shoulder as she stoops to put organic waste into her biodigester. Image by Shadrack Omuka.
Lydia Nyota alimentant son biodigesteur : des micro-organismes décomposent les déchets organiques et produisent du gaz qui est utilisé pour cuisiner, se chauffer et s’éclairer, et fournissent de l’engrais naturel qu’elle peut ensuite employer dans sa ferme. Image de Shadrack Omuka.

L’obstacle du coût persiste

Le système coûte normalement 550 $. Rhino Ark a négocié une réduction avec la société de Dedan Ndung’u, Densam Limited, amenant le prix à 300 $. Mais les fermiers d’Eburru ne peuvent tout de même pas se l’offrir.

Lydia Nyota, qui cultive entre autres l’avocat, le chou et le kale sur un peu moins d’un hectare de terrain, ne fait pas exception. Elle a toutefois réussi à obtenir un prêt de l’association de femmes à laquelle elle appartient, qu’elle remboursera grâce à l’argent gagné avec la vente de ses produits.

Lydia Nyota, qui se glissait elle aussi dans la forêt pour ramasser du bois de chauffage pour son propre usage et pour le vendre, a pris à cœur les messages de conservation délivrés par les organisations, dont Rhino Ark, et a saisi les opportunités qui s’offraient à elle. Elle fait désormais partie du comité de l’association locale de protection de l’environnement, Eburru Rafiki (« Amis d’Eburru » en swahili).

Grâce à son système de biogaz, elle n’a plus besoin de bois pour se chauffer et cuisiner. Son biodigesteur fournit à la fois du gaz qui alimente un four sans fumée, et comme sous-produit, de l’engrais organique pour sa ferme.

Alexander Kisioi, un autochtone ogiek et militant écologiste de Mariashoni, dans le comté de Nakuru, affirme que la meilleure façon d’empêcher les membres de la communauté d’entrer dans la forêt d’Eburu est de leur proposer des sources d’énergie alternatives.

« Dire à la communauté de ne pas abattre d’arbres pour récupérer du bois de chauffage et du charbon sans leur offrir de solution de remplacement est une perte de temps. En fin de compte, les gens doivent manger des aliments cuits, en utilisant une source d’énergie disponible et abordable, à savoir le bois », a-t-il déclaré. « L’introduction de biogaz à Eburru est un projet gagnant-gagnant. »

Mais le prix demeure un obstacle. Jusqu’à maintenant, seuls 150 foyers à Eburru sont équipés. Lydia Nyota affirme que beaucoup d’autres sont intéressés, mais n’en ont pas les moyens.

« Bien qu’il ait été baissé à 300 $, beaucoup ne peuvent toujours pas se l’offrir, c’est très triste », dit-elle. « J’aimerais exhorter les organisations financières et de protection de l’environnement à accorder des subventions à la communauté pour nous permettre d’installer ce système dans chaque foyer. »


Référence :

Sheppard, D. J., Brichieri-Colombi, T. A., Stark, D. J., Lambrechts, C., Moehrenschlager, A., & McPherson, J. M. (2022). When ecological analysis reveals hidden human dimensions: Building on long-term community participation to enable a conservation translocation of mountain bongo in Kenya. Frontiers in Conservation Science, 2. doi:10.3389/fcosc.2021.788267

Image de bannière : Bongo de montagne. Image reproduite depuis Pixabay (CC 0).

 
Article original: https://news.mongabay.com/2023/04/biogas-project-offers-lifelines-to-kenyan-community-forest-and-rare-species/

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