- C’est une immense ceinture forestière de 1500 km de longueur et 20 km en moyenne de largeur reliant les frontières est aux frontières ouest du plus grand pays africain. Il servira de rempart naturel contre l’avancée du désert et la désertification ; le barrage vert connaît, ces trois dernières années, une nouvelle vie.
- Pour mieux faire face aux effets du changement climatique, les autorités algériennes semblent décidées à redonner un nouveau souffle à ce mégaprojet qui date des années 70, durant le règne de l’ancien président Houari Boumediene.
- L’opération qui s’étalera sur sept années, c’est-à-dire jusqu’à 2030, est dotée d’une enveloppe financière de 75 milliards de dinars, soit l’équivalent de 552 millions de dollars.
- D’ores et déjà, une cagnotte de 10 milliards de dinars (plus de 73 millions de dollars) a été débloquée pour la seule année 2023 pour financer des actions de diverses natures (implantation, protection et traitements phytosanitaires, etc.) sans parler d’un financement de 43 millions de dollars qui est sollicité auprès du Fonds vert pour le climat des Nations unies, et un autre de 29 millions de dollars auprès de la FAO.
Avec cet investissement conséquent, on espère porter le périmètre initial du barrage vert qui est d’environ 3,7 millions d’hectares à 4,7 millions d’hectares et toucher 13 wilayas [départements, ndlr], soit trois de plus qu’au lancement de ce mégaprojet.
Le gouvernement s’implique
L’importance accordée par le gouvernement algérien à la réussite de ce projet, en faisant de sa relance une priorité nationale, est primordiale selon des officiels d’Alger.
D’ailleurs le projet de relance du barrage vert a été adoubé par deux conseils interministériels : le premier l’a validé le 21 septembre 2019 et le second l’a confirmé le 30 août 2020, en l’élevant au rang de « priorité du secteur de l’agriculture ».
Et pour assurer une meilleure synergie entre les différents secteurs, un organe national de coordination regroupant plusieurs secteurs ministériels a été mis en place et a été chargé d’élaborer l’ensemble des études et des démarches requises pour la relance du barrage vert.
Mieux encore, le président Tebboune lui-même s’est impliqué dans ce dossier. « La relance du barrage vert est une idée importante, mais rien n’empêche que sa réhabilitation se fasse avec des produits agricoles », a-t-il martelé en début février dernier à l’ouverture des travaux des assises sur l’agriculture.
« C’est vraiment sérieux. Il y a une réelle volonté politique pour réussir le projet de barrage vert et l’argent injecté dans ce projet fera l’objet d’un contrôle rigoureux », s’est réjoui un responsable forestier d’une wilaya [un département] traversée par cette longue muraille verte.
Il faut dire que l’idée de réhabilitation et d’extension du barrage vert date de 2013. Les autorités de l’époque avaient confié au Bureau national d’études pour le développement rural (BNEDER) de faire un état des lieux du barrage vert qui sera validé trois années plus tard, en 2016.
Un plan pour prévenir la désertification de la steppe
L’idée des pouvoirs publics est de restaurer les parties du barrage vert ayant subi des dégradations provoquées par plusieurs facteurs : le réchauffement climatique, la chenille processionnaire du pin (Thaumetopoea pityocampa Schiff), le pacage, et le défrichement, entre autres. Mais ils veulent aussi étendre son aire.
L’objectif selon des sources gouvernementales est de lutter contre la dégradation des steppes des régions arides et semi-arides des hauts plateaux algériens. Ces régions séparent, de la frontière est à la frontière ouest, la bande du nord du désert qui couvre tout le sud du pays.
« Ce sont des parcours naturels soumis à des sécheresses récurrentes et à une pression anthropique croissante menaçant l’économie agricole du pays étant par excellence des espaces dédiés à l’élevage ovin », explique un document vu par la rédaction de la part de la Direction générale des forêts (DGF).
« Cette dégradation des terres qui conduit fatalement à la désertification se traduit par la diminution du potentiel biologique et par des déséquilibres socio-économiques et biologiques », ajoute le même document de la DGF.
Ce programme vise donc à assurer la réhabilitation des écosystèmes naturels et la sauvegarde des espèces et des paysages.
Pour ce faire, un plan d’action pour la relance du barrage vert a été élaboré. Selon le responsable du secteur forestier cité plus haut, ce programme vise trois objectifs : conserver et réhabiliter l’existant mais aussi valoriser l’écosystème des régions arides et semi-arides et la biodiversité qu’il renferme (faune, flore, etc.), et restaurer des écosystèmes dégradés de ces régions très sensibles.
Selon un document officiel de la DGF, il faut dire qu’une nouvelle vision anime les responsables du secteur des forêts : sortir de la monoculture (pin d’Alep) qui caractérisait au départ le barrage vert en allant vers une diversification des espèces avec l’introduction entre autres du pistachier de l’atlas, du caroubier, du cyprès… mais aussi des plantations fruitières, notamment des espèces rustiques (olivier, figuier, amandier, etc.).
Et durant cette première année de la mise en route de ce plan de relance du barrage vert, il est prévu « la plantation de 20 000 ha, toutes espèces confondues, avec un besoin de 18 millions de plants », avait confié, début novembre 2022, Saliha Fortas, directrice de la lutte contre la désertification et du barrage vert auprès de la DGF, au journal Horizons.
Elle avait en même temps souligné le caractère agroécologique du projet qui, selon elle, est d’« une énorme portée socio-économique ».
« Il y aura des actions structurantes au profit des populations riveraines dans ce projet, notamment l’ouverture des pistes, la distribution et l’installation de kits d’énergie solaire et l’électrification agricole. Les plantations fruitières se feront en étroite concertation avec les agriculteurs. Nous avons lancé plusieurs chantiers dans plusieurs wilayas », avait-elle souligné.
En définitive, ce projet ambitieux vise plusieurs objectifs dont la réhabilitation des plantations sur une superficie de 216 472 ha, l’extension forestière et le traitement des dunes sur une superficie de 287 756 ha, et l’extension agro-pastorale sur une superficie de 1 924 620 ha, entre autres.
Selon les estimations des responsables du secteur, la réhabilitation du barrage vert permettra l’élimination de 2000 tonnes de carbone, la réduction significative des émissions CO2, etc.
Espoir des activistes
Il reste à savoir si ces généreux objectifs que s’est fixé le gouvernement algérien seront traduits sur le terrain.
« Seul l’avenir nous le dira », lance Karim Tedjani, militant écologiste.
« Sur le papier, beaucoup de leçons sur les échecs passés ont été relevées. Ce nouveau projet a été pensé à mon humble avis plus comme une zone de développement durable qu’un barrage vert au sens littéral du terme. Sa dimension est autant économique et sociale qu’environnementale. Reste à transformer les paroles en actes, les objectifs en résultats concrets et durables. C’est la plupart du temps à ce niveau décisif que le bât blesse de manière récurrente », explique-t-il.