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Procès EACOP en France : Total Énergies face à ses obligations en Ouganda et en Tanzanie

Protestors with signs protesting EACOP, ReconAfrica projects. Image courtesy 350.org
  • En décembre 2022 s’est tenu le tout premier procès sur le devoir de vigilance des multinationales qui oppose le groupe pétrolier français Total Energies à six ONG défenseuses des droits humains et de l’environnement.
  • La multinationale est mise en cause pour ses projets EACOP [East African Crude Oil Pipeline] et Tilenga qui en Ouganda et en Tanzanie.
  • Malgré les poursuites, les phases de construction ont commencé en février 2022

Mercredi 7 décembre 2022, s’est tenu à Paris le tout premier procès sur le devoir de vigilance des multinationales qui oppose le groupe pétrolier français Total Énergies à six ONG défenseuses des droits humains et de l’environnement. La multinationale est mise en cause pour ses projets pétroliers EACOP [East African Crude Oil Pipeline] et Tilenga qui sont en cours en Ouganda et en Tanzanie.

Le projet Tilenga consiste en le forage et l’exploitation de plus de 400 puits, dont au moins 132 dans le parc naturel protégé de Murchison Falls en Ouganda. L’EACOP comprend un projet de pipeline de 1 443 km qui devrait être construit entre les champs pétrolifères de l’ouest de l’Ouganda et le port de Tanga en Tanzanie. Durant les pics de production, l’oléoduc devrait transporter 216 000 barils de pétrole brut par jour.

EACOP Tilenga La forêt de Bugoma en Ouganda, menacée par le pipeline selon des activistes. Image publiée avec l'autorisation de Thomas Lewton
La forêt de Bugoma en Ouganda, menacée par le pipeline selon des activistes. Image publiée avec l’autorisation de Thomas Lewton

Malgré les poursuites, les phases de construction ont déjà commencé en février 2022. L’objectif étant de lancer la production dès 2025. Ces constructions et ces forages nécessitent d’importants déplacements de population et les ONG reprochent à la multinationale de ne pas “respecter ses obligations légales et de perpétrer des violations aux droits humains et des dommages à l’environnement ».

Une loi « pionnière »

Qu’est-ce que la loi de vigilance des multinationales ? Cette loi, passée en France, le 27 mars 2017, oblige toutes les multinationales françaises de plus de 5 000 salariés à prévenir les atteintes graves envers les droits humains, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement chez leurs sous-traitants et leurs fournisseurs étrangers. Ceci via un « plan de vigilance » qui doit contenir 5 mesures, à savoir : une cartographie des risques, des procédures d’évaluation régulières de la situation des filiales, des sous-traitants ou des fournisseurs, des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves, un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques établis en concertation avec les organisations syndicales et un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et l’évaluation de leur efficacité.

Selon l’article 2 de la loi, la responsabilité civile de l’entreprise peut être engagée si l’établissement et la mise en œuvre du plan sont défaillants. Les victimes doivent alors démontrer aux juges que des violations et des dommages ont eu lieu et qu’ils résultent d’un manquement aux obligations de vigilance. L’entreprise pourra être amenée à verser des dédommagements aux victimes. Et ce, uniquement dans l’absence d’un plan, d’un plan insuffisant ou de défaillances dans sa mise en œuvre. C’est ce que le procès en cours va déterminer.
Pour Juliette Renaud, responsable de campagne pour l’ONG Les amis de la Terre, ce procès représente une avancée. « [En 2018] une filiale de Chevron [une multinationale américaine] avait été condamnée en Équateur, mais la maison mère avait refusé de payer parce qu’elle avait décrété qu’il s’agissait d’entités juridiques séparées. La sanction en justice n’avait pas pu être exécutée », explique-t -elle. « Là, la loi reconnaît la responsabilité juridique de la maison mère. Cela ouvre des perspectives pour les personnes affectées par les activités des multinationales françaises. »

Un plan de vigilance insuffisant selon les ONG

Total a donc rendu public son plan de vigilance. Mais pour les ONG qui ont porté plainte, il se révèle insuffisant : « On a fait une demande en injonction au juge pour que cessent les violations aux droits humains. Cela implique la distribution de nourriture aux personnes qui sont privées de moyens de subsistance à cause de leurs projets et le versement immédiat des compensations qui leur sont dues. Concernant l’environnement, on demande à ce qu’il n’y ait plus d’activité dans les écosystèmes protégés », ajoute Juliette Renaud. « Les forages doivent commencer au mois de mars. A titre conservatoire, on demande au juge de suspendre les travaux le temps que Total prenne les mesures pour identifier les violations aux droits humains et les dommages environnementaux. »

Une femme manifestant contre le projet EACOP . Image Flickr
Une femme manifestant contre le projet EACOP . Image Flickr

Dans son rapport « EACOP, la voie du désastre », réalisé en partenariat avec l’ONG Survie, Les amis de la Terre dénonce en Ouganda comme en Tanzanie l’absence récurrente de consentement libre, préalable et informé dans le processus d’accaparement des terres. « Nombre de personnes affectées par le projet [PAP] que nous avons rencontrées ont entendu parler du projet d’oléoduc provenant de l’Ouganda pour la première fois dans les médias ou dans la rue. Mais, une grande partie d’entre elles ont appris que leurs terres et/ou leurs habitations allaient être saisies pour le projet lors de rencontres organisées par les équipes de Total et du projet EACOP en 2018, dans les locaux des autorités locales», peut-on lire dans le rapport.

Pourtant sur son site internet, la multinationale pétrolière clame avoir consulté « près de 70 000 personnes pour les études d’impact environnemental et sociétal » et avoir tenu « plus de 20 000 réunions avec les populations concernées et les organisations de la société civile.»
Interrogée par Mongabay, Stéphanie Platat, responsable de communication pour l’Ouganda & la Tanzanie pour Total Énergies renchérit : « En Ouganda, le projet entretient depuis de nombreuses années des relations avec la Civil Society Coalition on Oil and Gas, un réseau de plus de 60 ONG ougandaises qui ont pour objectif d’œuvrer pour une gouvernance durable des ressources pétrolières et gazières afin de maximiser les bénéfices pour la population ougandaise», dit-elle. « En Tanzanie, le projet rencontre les ONG sur une base trimestrielle. L’équipe travaille avec les communautés et les chefs traditionnels des groupes ethniques vulnérables qui s’identifient comme des peuples indigènes. »

Des rencontres auxquelles les personnes consultées par le consortium d’ONG ne semblent pas avoir été conviées.

Le rapport relève aussi que ces personnes « ont fait état de pressions importantes pour les obliger à apposer leurs signatures sur les formulaires. Les communautés semblent d’autant plus réfractaires que les montants des compensations annoncés sont faibles et ne suffisent pas pour acheter des terres et/ou des biens de qualité équivalente. »

L’ordonnance sera mise en délibéré le 28 février 2023. Si Stéphanie Platat affirme l’attendre avec « sérénité », les ONG parties civiles rappellent que, quelle que soit l’issue du procès, « ce mégaprojet pétrolier ne devrait pas voir le jour. En effet, pour rester en deçà des 1,5°C de réchauffement climatique, plus de 80% des réserves fossiles déjà connues doivent rester dans le sol. »

Voir aussi : https://fr.mongabay.com/2021/06/le-projet-doleoduc-de-total-en-afrique-de-lest-maintenu-malgre-une-forte-opposition/

Image de bannière : Des personnes manifestant contre les projets EACOP, ReconAfrica. Image fournie par 350.org

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