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La pisciculture durable et l’agroécologie maintiennent les communautés kenyanes à flot

  • Au Kenya, la pisciculture d’étang, combinée à des pratiques agroécologiques durables, augmente la sécurité alimentaire et les revenus des petits agriculteurs.
  • Bien que la plupart de ces fermes soient assez modestes, la quantité de protéines tirées de ces étangs alimentés à l’eau de pluie est considérable.
  • Nourris avec un mélange de déchets alimentaires, de la culture ou de l’agroforesterie, les poissons comme les tilapias peuvent être élevés de manière durable et rentable.
  • Neuf comtés ont investi dans le soutien à de tels projets de pisciculture : on estime à 300 le nombre d’éleveurs rien que dans la région de Gatunga, au centre du Kenya.

GATUNGA, Kenya — L’épisode de sécheresse dont souffre le Kenya depuis quelques années a secoué les systèmes alimentaires ruraux. Japheth Nthiga, 51 ans et père de cinq enfants, est un agriculteur du village de Karethani, au centre du pays. En cette période difficile, il est malgré tout parvenu à trouver du réconfort.

Il a en effet converti certaines de ses terres en bassins d’élevage. Le reste de son exploitation est consacré à l’élevage et aux cultures vivrières (haricots mungo, sorgho, millet et maïs), mais c’est la partie liquide de son lopin qui le fait sourire depuis 2013.

« Les poissons que j’élève ici sont pour la consommation locale. Je gagne aussi un bon salaire lorsque je vends mes prises au marché. Je ne suis pas inquiet si mes récoltes sont mauvaises », explique le producteur, qui élève des tilapias et des poissons-chats.

Japheth Nthiga raises tilapia and catfish in fish ponds on his farm in central Kenya. Image by David Njagi for Mongabay.
Japheth Nthiga élève des tilapias et des poissons-chats dans des bassins dans sa ferme au centre du Kenya. Image de David Njagi pour Mongabay.

Le sentiment d’accomplissement de Japheth Nthiga n’est pas dur à comprendre. Son village, qui se trouve à environ 150 km de la lisière de la forêt du mont Kenya, a été frappé par des sécheresses prolongées et répétées pendant la quasi-totalité de la dernière décennie.

Pour s’en sortir lors de ces épisodes, les fermiers, en particulier ceux des communautés en amont, ont intensifié leur recours aux engrais chimiques pour booster leurs récoltes. Selon Venter Mwongera, responsable de la communication et de la promotion pour l’organisation à but non lucratif African Biodiversity Network, la conséquence est une pollution des rivières et un appauvrissement des sols.

Ainsi, les systèmes alimentaires ruraux sont confrontés à la menace du déclin des récoltes, dit-elle.

« Les produits agrochimiques empoisonnent les systèmes alimentaires de l’Afrique, mais peu d’agriculteurs se rendent compte qu’ils importent ce problème de continents plus riches. Adopter l’agroécologie pour assurer la souveraineté alimentaire est la dernière ligne de défense du continent contre cette menace », affirme-t-elle.

Le terme « agroécologie » fait référence à des systèmes qui augmentent les rendements agricoles tout en réduisant la dégradation environnementale au travers de pratiques telles que l’agriculture biologique. Comme elle ne nécessite pas l’utilisation de produits agrochimiques toxiques comme les engrais artificiels, la pisciculture d’étang peut être incluse parmi ces pratiques.

Tout ce dont on a besoin, affirme Venter Mwongera à Mongabay, c’est d’un approvisionnement en eau et de passion.

Tilapia in a fish pond. Photo by Alexey Demidov via Pexels.
Des tilapias dans un bassin. Image d’Alexei Demidov depuis Pexels.


L’élevage de poissons gagne en popularité

Les deux bassins à poissons de Japheth Nthiga sont bien entretenus et continuent d’attirer les visiteurs sur ses terres. Certains, comme les étudiants de la région travaillant sur leur projet de recherche, viennent pour apprendre l’art de la pisciculture. D’autres viennent pour acheter du poisson directement à la source, tandis que d’autres encore prennent place pour un repas fraîchement préparé et servi chez lui, explique-t-il.

« Depuis que j’ai commencé mon projet de pisciculture, il ne se passe pas un moment sans que je sois occupé. Je suis heureux d’inciter d’autres agriculteurs à investir dans ce moyen de subsistance prometteur. », confie-t-il, ajoutant qu’il y a désormais six pisciculteurs dans son village qui ont suivi son exemple, tandis que la région de Gatunga en compte plus de 300.

Il n’existe pas de données officielles sur le nombre de Kenyans pratiquant l’élevage de poissons à petite échelle dans le pays. Mais d’après Micheni Ntiba, ancien secrétaire général du département national des pêches, fin 2022, neuf comtés avaient déjà investi pour soutenir cette activité.

Japheth Nthiga vient de l’un de ces comtés et fait partie des premiers à avoir investi personnellement dans la pisciculture. Il a ainsi prouvé que la majorité du pays s’y prête, comme l’avait déclaré Micheni Ntiba lors d’une rencontre publique avec les agriculteurs du centre du Kenya en 2022.

Les bassins de Japheth Nthiga sont tapissés de bâches en polyéthylène et remplis d’eau de pluie récupérée grâce à un système de collecte installé sur son toit. Il reçoit également un approvisionnement en eau via le projet d’irrigation du village.

John Macharia, coordonnateur national du Schools and Colleges Permaculture Programme (SCOPE-Kenya, Programme de permaculture pour les écoles et universités), a déclaré que la pisciculture d’étang au Kenya s’inscrit dans la notion de permaculture. Ce système s’appuie sur la nature pour pratiquer une agriculture régénératrice basée sur la diversité des cultures, la résilience, la productivité naturelle et la durabilité.

Par exemple, dit-il, le projet repose sur la récupération de l’eau et son utilisation dans les bassins d’élevage. Il y a également une dimension agroforestière puisque des arbres sont plantés autour des bassins pour leur fournir de l’ombre et nourrir les poissons lorsque leurs feuilles tombent dans l’eau.

Trees in an agroforestry system drop food into Japheth Nthiga's fish ponds in central Kenya. Image by David Njagi for Mongabay.
Les arbres du système agroforestier de Japheth Nthiga nourrissent les poissons de ses bassins au centre du Kenya. Image de David Njagi pour Mongabay.

Trouver de la nourriture pour poissons

La mise en œuvre de l’agroforesterie, qui comprend des arbres fruitiers, fourragers et à bois utiles dans les systèmes agricoles, a été un exploit facile pour la plupart des petits producteurs comme Japheth Nthiga. Mais lorsqu’il est question de nourrir les poissons, la note augmente significativement.

Ils ont en effet besoin d’un régime riche en protéines, un élément généralement apporté sous forme de granulés vendus en magasin spécialisé en alimentation animale. Les granulés, en plus de ne pas être durables, car souvent produits à partir de farine de crevettes, de poissons ou de calmars sauvages pêchés en mer, sont trop onéreux pour les petits agriculteurs. SCOPE-Kenya leur a toutefois appris quelques astuces pour surmonter cet obstacle.

« Certains fermiers recyclent les restes des repas de leur famille et utilisent des légumes de leur jardin potager pour nourrir les poissons. D’autres font pousser des algues dans les bassins, ce qui peut fournir à la fois nutrition et oxygène », explique John Macharia.

La solution de Japheth Nthiga est de collecter les sons de maïs, les cosses de niébé, les tourteaux de tournesol et de coton, ainsi que le sang du bétail drainé à l’abattoir local, pour nourrir les poissons.

Il nettoie les ingrédients végétaux et traite le sang à l’eau bouillante afin d’éliminer les bactéries et les virus et mélange le tout. Après avoir apporté cette mixture au broyeur local, il y ajoute deux verres de farine de blé ou trois de farine de manioc en guise d’épaississant, et de l’eau pour la ramollir.

Japheth Nthiga makes food pellets for tilapia and catfish he raises in ponds on his farm in central Kenya. Image by David Njagi for Mongabay.
Japheth Nthiga fabrique ses propres granulés pour les tilapias et les poissons-chats qu’il élève dans sa ferme au centre du Kenya. Image de David Njagi pour Mongabay.

Il obtient ainsi une pâte qui est ensuite pressée en fins rouleaux qu’il met à sécher à l’abri de la lumière directe du soleil. Enfin, Japheth Nthiga les hache en granulés.

« Je donne également du pain, du riz et d’autres restes alimentaires aux poissons. Ainsi, je m’assure qu’il n’y a pas de gâchis chez moi », dit-il.

Selon un document de travail de l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA), la pisciculture encourage également l’agroforesterie en irriguant les arbres, qui contribuent à leur tour à prévenir l’érosion des sols et à créer des microclimats, entre autres avantages.

Million Belay, coordonnateur général d’AFSA, explique que s’ils sont mis en place correctement, ces systèmes agroforestiers naturels créent également un environnement attrayant pour les abeilles et les oiseaux, entre autres animaux sauvages, ainsi que pour les micro-organismes.

Toutes ces créatures peuvent soutenir durablement les systèmes alimentaires d’Afrique, qui ont enregistré une baisse générale de la capacité de production de l’ordre de 10 à 20 %. Dans le même temps, 13 % des terres agricoles ont été perdues à cause des changements climatiques, dit-il.

« L’agroécologie peut fournir nutrition et santé à l’Afrique. Elle peut aider à protéger [l’environnement] et la biodiversité, en plus de stimuler la production alimentaire. C’est parce que le système est fondé sur les connaissances et la culture des peuples », affirme Million Belay.

Toutefois, pour que des systèmes de permaculture comme celui-ci réussissent, il faut travailler avec la nature et non contre elle, et se concentrer sur les solutions plutôt que sur les problèmes, a déclaré John Macharia.

Japheth Nthiga works in his agroecology-based vegetable patch. Image by David Njagi for Mongabay.
Japheth Nthiga travaille dans son jardin potager agroécologique. Image de David Njagi pour Mongabay.

Japheth Nthiga a appliqué ces astuces et s’est trouvé impressionné par les résultats. Il a récemment observé de nouvelles espèces d’oiseaux nicher dans ses arbres, tandis que d’autres animaux comme les porcs-épics ont fait leur retour dans son village. De même, les techniques de foresterie appliquées dans sa ferme lui fournissent du bois de chauffage, des fruits et des herbes et le nombre accru d’abeilles a boosté la production de miel des ruches qu’il a installé dans les arbres.

Tout n’est cependant pas rose : le succès de son élevage de poissons a également attiré des prédateurs. Les pythons de Seba qui viennent s’abreuver à l’eau des bassins attaquent parfois son bétail. Les tortues, oiseaux nocturnes et martins-pêcheurs s’en prennent également aux poissons et sont capables de vider entièrement un bassin. Les pires de tous sont encore les punaises d’eau géantes, qui pullulent parfois au début de la saison des pluies. Ces insectes se nourrissent des entrailles des alevins, de jeunes poissons dont la taille varie de 10 à 15 cm, laissant derrière eux un amas flottant de dépouilles.

Le tissu agricole kenyan étant majoritairement composé de petits fermiers détenant en moyenne 0,2 ou 0,3 ha de terres dont la plupart dédiés à l’exploitation vivrière, il devient nécessaire de booster l’approvisionnement en nourriture pour satisfaire la demande. En effet, les petits agriculteurs représentent environ 70 % de la production agricole totale, satisfaisant seulement 75 % de la demande nationale.

La pisciculture d’étang peut-elle combler en partie ce fossé ?

« Les agriculteurs comme moi peuvent faire beaucoup plus pour renforcer la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Kenya. Mais nous avons besoin de soutien sous forme d’alevins de bonne qualité et de sites d’élevage proches de nos fermes », explique Japheth Nthiga, qui prévoit de construire son propre site d’alevinage dans les cinq prochaines années.

 

Référence :

HLPE (2019). Agroecology and other innovative approaches for sustainable agriculture and food systems that enhance food security and nutrition. High Level Panel of Experts on Food Security and Nutrition of the Committee on World Food Security, Rome. Retrieved from https://www.fao.org/3/ca5602en/ca5602en.pdf

 
Article original: https://news.mongabay.com/2023/02/sustainable-fish-farming-agroecology-buoy-kenyan-communities/

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