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Ghana : la mécanisation de l’orpaillage illégal tue la forêt

Une pelleteuse utilisée par des orpailleurs illégaux

A Kumasi, les orpailleurs illégaux retournent la terre à l'aide d'une pelleteuse à la recherche d'or causant de grands dégâts écologiques. Image © Elodie Toto pour Mongabay

  • Une grande part de la production de l’or au Ghana est réalisée par des mineurs illégaux, une pratique appellée le galamsey.
  • Ces dernières années, ces mineurs illégaux ont accès à des outils mécaniques provenant de Chine.
  • La mécanisation du galamsey accélère la destruction des forêts et des plantations. Elle est aussi responsable de la pollution des cours d’eau dans le nord et l’est du pays.

KUMASI, Ghana – « Je viens ici pour trouver de l’or. D’abord, nous arrachons les arbres, nous les brûlons puis nous retournons la terre », explique un jeune homme au milieu d’une plantation de cacaoyer, dans la région Ashanti du Ghana. « Cela fait de grands trous, et, une fois que tout est remué, nous lavons cette terre. Pour cela, nous utilisons des pompes électriques pour faire ruisseler de l’eau à haut débit. C’est ce qui nous permet de trouver l’or ». Ce jeune homme, qui a souhaité rester anonyme, a à peine 25 ans, mais cela fait déjà 10 ans qu’il travaille dans le domaine, de manière artisanale et illégale. C’est ce qu’on appelle le galamsey dans la région.

Autour de lui, les arbres jusque-là luxuriants et chargés de cosses de cacao prêtes à être récoltées ont laissé la place à des cratères dans lesquels ruisselle une boue saumâtre. Le gazouillis des oiseaux a été remplacé par le vrombissement d’une pelleteuse qui s’active. Elle est là pour préparer la terre afin que les orpailleurs artisanaux puissent en extraire le précieux minerai.

Actuellement, le Ghana est le deuxième producteur d’or en Afrique et se classe au huitième rang mondial, avec une production déclarée de 79,89 tonnes en 2021 . La production d’or au Ghana comprend à la fois l’exploitation minière à grande échelle, largement dominée par les multinationales, et l’exploitation minière à petite échelle, réservée par la loi aux seuls Ghanéens. Environ un million de Ghanéens se livrent à cette pratique qui ferait vivre environ 4,5 millions de personnes dans ce pays de 32 millions d’habitants. Cependant, seuls 15% de ces mineurs seraient déclarés et donc légaux.

Le début de la mécanisation

Traditionnellement, l’exploitation minière à petite échelle au Ghana se fait manuellement, avec l’usage d’outils tels que les pioches et les tamis. Au début des années 2000, des mineurs en provenance de Chine ont émigré au Ghana. Dans le journal Sustainibility, James Boafo et ses collègues décrivent le phénomène. « Les mineurs chinois ont importé des machines plus sophistiquées qui ont progressivement remplacé les méthodes et les outils rudimentaires utilisés par leurs homologues ghanéens. » Ces machines impliquent des pelleteuses, des pompes à eau et aussi des bulldozers.

Orpailleur illégal utilisant une pompe à eau à Kumasi au Ghana. Image Élodie Toto pour Mongabay
Orpailleur illégal utilisant une pompe à eau. Image Élodie Toto pour Mongabay

« Les mineurs chinois sont en concurrence avec les mineurs artisanaux ghanéens indépendants. Ce qui entraîne la perte des moyens de subsistance et contraint de nombreux mineurs locaux à chercher un emploi auprès de leurs homologues chinois», apprend-on dans l’article.

D’après Daryl Bosu, directeur de la branche ghanéenne d’A Rocha, un groupement d’organisations chrétiennes qui travaillent sur des questions de conservation : « Un pound d’or se vend en moyenne 5180 GHS soit 503 USD. C’est peu, mais comme ils n’ont pas à payer pour la restauration des terres dégradées, ils pensent que, quel que soit le montant qu’ils tirent de cet or, c’est parfait. »

En effet, un pound d’or sur le marché ghanéen vaut environ 30.000 USD. Même si ces prix sont bien en dessous des prix du marché, pour les mineurs, l’opération est rentable surtout quand on sait que le revenu annuel d’un Ghanéen est en moyenne de 2.500 USD. De quoi pousser la population dans les mines, mais surtout vers la mécanisation, et ce, peu importe les conséquences.

« Je sais que ce que je fais n’est pas bon pour la forêt. Quand j’étais petit, il y avait plein d’arbres partout et des rivières. Maintenant, ce n’est plus le cas », se confie un autre mineur, âgé d’une trentaine d’années. « Mais que puis-je faire d’autre ? Il n’y a pas de travail, si je pouvais je serais chauffeur ou j’ouvrirais un magasin. Mais je n’ai pas les moyens. Il n’y a que l’or qui rapporte. »

Le Ghana connaît aujourd’hui une crise économique. On a pu observer ces derniers mois une inflation record de plus de 50% ainsi que l’effondrement du cours de la monnaie locale.

L’impact sur la forêt

Cette méthode d’extraction a un fort impact sur la nature. « Tout d’abord en arrachant les arbres, ils créent de la déforestation. Le paysage a changé, la biodiversité est impactée. Ensuite, en forant de manière mécanique, les mineurs détruisent toute la structure et les minéraux de la terre. Les différentes couches du sol se retrouvent sens dessus dessous. La vie qui l’habite disparaît. Il devient presque impossible pour un arbre de pousser dessus», explique Reginald Guuroh, chercheur au Forest Research Institute of Ghana et spécialiste de la restauration des sols dégradés par l’orpaillage illégal.

« La forêt n’est pas en bon état au Ghana, on souhaiterait qu’elle aille mieux. Mais il y a des efforts de fait pour la réhabiliter. L’orpaillage illégal mène à la destruction de la forêt. Une fois dégradées ces forêts ne peuvent plus stocker de dioxyde de carbone. Si l’exploitation minière illégale se poursuit à cette intensité, la forêt disparaîtra. Cela engendrera une crise parce que les gens ont besoin de la forêt pour vivre, pour la pharmacopée, la nourriture, le bois de chauffe… Si rien n’est fait, on va perdre la forêt. »

L’orpaillage légal est lui aussi une source de déforestation, mais Guuroh nous explique la différence. « La manière de travailler dans le galamsey est plus dangereuse, parce que les mineurs travaillent sans directives et après avoir utilisé la terre, ils ne font généralement rien pour la réhabiliter. Ils ne rebouchent pas les cratères après avoir creusé, ce qui ne permet pas à la terre de se régénérer. Cela rend ce mode d’orpaillage plus destructeur que les autres. »

Reboucher les cratères constitue, en fait, une première étape vers la récupération du sol, mais ce n’est pas suffisant. En regardant la terre qui a subi le galamsey, on observe qu’elle a changé de couleur.

« Si vous remarquez là-bas, le sol est blanchâtre », indique Eldad Ackom, coordinateur auprès de l’organisation de jeunesse Green Africa. « Ce qui se passe en réalité, c’est que les mineurs éliminent tous les nutriments du sol en y faisant ruisseler de l’eau à haute pression. »
Ackom explique qu’il faudra du temps pour que la terre se rétablisse. « À Bogoso [une ville minière à 300km d’Accra], nous avions fait des recherches et nous avions constaté que remplir les cratères n’étaient pas suffisant. Chaque strate du sol est normalement d’une couleur différente. Chaque niveau est différent, c’est ce qu’on appelle le profil du sol. Là, la couleur du sol est uniforme, et seules les plantes qui n’ont pas de racines profondes comme le maïs arrivent à pousser ».

L’industrie du cacao menacée

Mais même les terres qui n’ont pas été creusées subissent de plein fouet les conséquences de l’orpaillage illégal notamment à cause de l’eau utilisée pour nettoyer l’or.

Étendue d'eau sur une terre ayant subit l'orpaillage illégal à Kumasi au Ghana
Étendue d’eau sur une terre ayant subit l’orpaillage illégal. Image Élodie Toto pour Mongabay

« L’exploitation minière affecte beaucoup la communauté. Avant, ici il y avait plusieurs cours d’eau claire, qu’on utilisait pour nos plantations », nous explique Sefah Abdul Razak, secrétaire de la communauté des planteurs de cacao à Agroyesum, une cinquantaine de kilomètres de Kumasi. « Maintenant, à cause des mines, l’eau qu’on a est boueuse, toxique. On ne peut plus arroser nos plantations avec. L’eau a été gâchée. Nous utilisons la réserve de la communauté. On prend la voiture on va remplir puis on peut arroser nos cacaoyers. Ça implique de l’argent. Quand on fait le compte, on dépense plus qu’on ne gagne. »

Réginald Guuroh nous explique que la situation est globale : « Les mineurs utilisent des produits toxiques comme le mercure pour agréger l’or. Et après, ils ne font rien pour nettoyer l’eau et elle reste polluée. Même s’ils travaillent à un endroit précis, tous les cours d’eau se rejoignent. Donc, la pollution touche tout le monde. »

En 2022, la National Food Buffer Stock Company Limited (NAFCO), une compagnie gouvernementale chargée de gérer les réserves d’urgence du gouvernement en matière de sécurité alimentaire, a alerté que plus de 19 000 hectares de plantations de cacao ont été détruits /ou affectés par les activités de galamsey,[2% des vergers selon des sources concordantes] entraînant des pertes de revenus pour les agriculteurs et des investissements pour le conseil d’administration et le pays en général.

Selon l’article, le directeur général de COCOBOD [Conseil ghanéen du cacao], Joseph Boahen Aidoo, a déclaré que la destruction des exploitations de cacao par le galamsey était prononcée dans les régions de l’Est, de l’Ouest et d’Ashanti, d’où provient plus de 90 % de la production totale de cacao du pays. Ces résultats, selon lui, menaceraient la durabilité du secteur du cacao, qui génère en moyenne 2,5 milliards de dollars chaque année, ainsi que le sous-secteur de la transformation du cacao, qui représente plusieurs milliards de cedis, et plus de 800 000 emplois. Un véritable manque à gagner pour le Ghana.

Citations

Boafo, J., Paalo, S., & Dotsey, S. (2019). Illicit Chinese Small-Scale Mining in Ghana: Beyond Institutional Weakness? Sustainability, 11(21), 5943. doi:10.3390/su1121594341

CORRECTION : Le 15 février, la première phrase de cet article a été modifiée pour préciser que la région Ashanti ne se trouve pas dans le nord du Ghana.

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