Nouvelles de l'environnement

Enviva se targue d’« être éco-responsable… c’est une aberration ! », rapporte un dénonciateur

  • Enviva est le plus grand fabricant mondial de granulés de bois brûlés pour produire de l’énergie. Depuis ses débuts, l’entreprise s’est vantée de sa conscience environnementale.
  • Elle affirme ne pas utiliser de grands arbres entiers, mais seulement des résidus, et/ou des arbres de plus petite taille et à moindre valeur pour la combustion de la biomasse ligneuse dans les anciennes usines à charbon reconverties en centrales à biomasse au Royaume-Uni, au sein de l’Union européenne (UE) et en Asie. Elle soutient ne s’approvisionner que dans des zones où les arbres seront replantés, et ne pas contribuer à la déforestation.
  • Toutefois, lors d’une interview, la toute première du genre, un dénonciateur qui travaillait pour la gestion d’une usine d’Enviva a révélé à Justin Catanoso, contributeur régulier de Mongabay, que toutes les affirmations revendiquées par Enviva étaient fausses. Par ailleurs, une étude importante publiée récemment a également indiqué qu’Enviva contribuait à la déforestation dans le sud-est des États-Unis.
  • Les déclarations du dénonciateur ont été confirmées par les propres observations de Mongabay lors d’une éclaircie (ou coupe rase) en Caroline du Nord en novembre 2022 et par des photographies fournies par une organisation non gouvernementale. Ces découvertes revêtent de toute leur importance à l’heure où l’UE s’interroge sur le statut d’énergie renouvelable de la combustion de la biomasse ligneuse.

EDENTON, Caroline du Nord — L’opération d’éclaircie menée sur une surface de 21 hectares (52 acres) sur la côte sud-est des États-Unis s’achève et un tracteur forestier Tigercat récolte à l’aide de ses pinces ce qui, quelques jours plus tôt, était encore un gros chêne ancien sur pied.

L’opérateur du Tigercat dépose le gros chêne aux côtés d’autres arbres plus maigres dans un broyeur de bois à tambours de 4 tonnes. Dans un vrombissement, la machine engloutit, broie et réduit les arbres entiers en un torrent de copeaux qui viennent se déverser dans une semi-remorque. À peine l’opération achevée, un autre engin effectue déjà une marche arrière pour prendre sa place. Les processus de broyage et de chargement se poursuivent – une nouvelle parcelle de forêt vient d’être défrichée.

Ce que j’ai observé ici en réalisant mon reportage pour Mongabay le 3 novembre 2022 a corroboré les déclarations d’un dénonciateur de l’industrie de la biomasse :

« On achète des arbres géants et entiers. On se moque de leur origine. La notion de forêts gérées de manière durable, c’est une aberration. Le bois n’est jamais livré dans les usines assez rapidement. »

Le dénonciateur m’avait contacté début 2022, alors qu’il travaillait encore pour Enviva en tant que responsable maintenance de l’une de ses usines de granulés de bois. Depuis, il a quitté l’entreprise reconnue comme le plus grand fabricant de granulés de bois du monde. Dans chacune des interviews, il a livré des révélations inédites sur les pratiques de la société : un rapport, le tout premier du genre, réalisé en plein cœur de l’industrie de la bioénergie.

Whistleblower exclusive

L’image verte d’Enviva : La marque de fabrique de l’entreprise

Un conducteur de la société Mudd Trucking a confirmé à Mongabay qu’il s’apprêtait à acheminer le bois abattu sur le site forestier d’Edenton vers l’usine de granulés de bois d’Enviva située à environ 60 km (37 miles), à Ahoskie (Caroline du Nord). Il a précisé qu’il ferait trois ou quatre trajets de plus en cette journée du mois de novembre. Les chargements se succèdent sur le site d’Ahoskie depuis deux semaines, et ce défilé de camions devrait se poursuivre jusqu’à disparition totale de la forêt dense et riche en biodiversité – éponge contre les inondations côtières et havre pour les espèces sauvages.

La Caroline du Nord est un état producteur de bois et les éclaircies sont courantes dans la plaine côtière. Mais depuis 2011, la construction et l’expansion de cinq des usines de granulés de bois d’Enviva – quatre en Caroline du Nord et une en Virginie du Sud – ont fait grimper la demande de bois en provenance de forêts naturelles et intactes à l’heure où ces forêts représentent peut-être le meilleur et l’unique moyen d’atténuer les impacts du changement climatique dans la région.

Ray Bateman, le bûcheron en charge de l’abattage, a estimé que près de la moitié des arbres avaient été livrés à Enviva ; le bois rond plus épais quant à lui a été acheté par les scieries environnantes, car il se vend à un meilleur prix que les copeaux. Une fois l’opération terminée, des branches et des maigres cimes d’arbres jonchent sur le sol tout autour du site laissé à l’abandon.

« L’entreprise dit que nous utilisons essentiellement des déchets comme des branches, des résidus de coupes d’éclaircies pour produire les granulés de bois », m’a rapporté le dénonciateur. « Quelle plaisanterie ! Nous utilisons 100 % d’arbres entiers pour nos granulés. Nous n’utilisons pratiquement pas de déchets. La densité des granulés est cruciale. Et vous l’obtenez à partir d’arbres entiers, pas de déchets. »

A view of the Edenton clear-cut.
Une vue de l’opération d’éclaircie menée à Edenton.

Un fonctionnaire municipal d’Edenton a expliqué à Mongabay qu’en raison du prix du bois élevé, la ville avait décidé de tirer profit des arbres entiers cet automne et que les 21 hectares (52 acres) avaient été défrichés pour un projet industriel à venir. Il n’est pas envisagé de replanter de nouveaux arbres sur le site, même si Enviva se vante sur son site Web de n’utiliser que du bois provenant de forêts replantées.

Enviva possède 10 usines de granulés de bois dans six États du sud-est des États-Unis. L’entreprise produit environ 6,2 millions de tonnes de granulés de bois chaque année. Elle a triplé sa production par rapport à 2015 lorsqu’elle est entrée en bourse (avec 1,7 million de tonnes). En 2021, les revenus d’Enviva ont atteint 1 milliard de dollars, soit plus du double de ceux enregistrés cinq ans plus tôt.

La majorité des granulés d’Enviva sont expédiés au Royaume-Uni, en Europe ou en Asie pour remplacer le charbon dans la production d’énergie. Il est à noter qu’aucun de ces pays n’est tenu de rapporter les émissions de carbone provenant des cheminées industrielles, car les granulés de bois – ou la biomasse ligneuse, comme on l’appelle – sont définis comme source d’énergie renouvelable, d’après la législation. Toutefois, cette combustion ne contribue pas à résoudre le premier objectif d’atténuation climatique, à savoir la réduction immédiate des émissions de carbone mondiales effectives.

Sur la page d’atterrissage du site Web d’Enviva, au-dessus d’une magnifique photo d’une chaîne de montagnes verte et luxuriante, l’on peut lire : « Nous avons trouvé un substitut au charbon. Nous plantons plus d’arbres. Nous luttons contre le changement climatique. »

« Nous disons que nous sommes verts. Nous disons que nous nous soucions de l’environnement », m’a confié le dénonciateur lorsqu’il travaillait encore pour Enviva. « J’en ai tellement assez d’entendre une chose et de voir son contraire. »

A tractor operator feeds trees large and small into a massive wood chipper.
Un opérateur alimente son broyeur forestier avec des arbres de toutes tailles sur un site en pleine activité de défrichage à Edenton (Caroline du Nord). Les semi-remorques sont chargées de 40 tonnes de copeaux de bois en une trentaine de minutes. Les camions ont œuvré sur le site pendant deux semaines jusqu’à l’éclaircie totale des 21 hectares (52 acres). Près de la moitié des arbres ont été réduits en copeaux et acheminés vers l’usine de production de granulés d’Enviva à Ahoskie. Image de Justin Catanoso.

Révélations publiques du dénonciateur

C’est à l’occasion de la Journée de la Terre, le 22 avril 2022, que l’émission télévisée CBS Mornings a diffusé son reportage sur la production de granulés de bois dans l’est de la Caroline du Nord axé sur les activités d’Enviva. À chaque image, le dénonciateur de la biomasse fulmine. « Mensonges, rien que des mensonges ! », s’exclame-t-il.

À l’antenne, un porte-parole d’Enviva, Don Calloway, corrige le reporter de la CBS lorsque ce dernier évoque les amas de troncs d’arbres empilés les uns sur les autres devant l’usine de granulés d’Enviva. « C’est important de ne pas les désigner par le terme “troncs d’arbres” », a déclaré Don Calloway. « On accepte les branches ; on accepte les cimes. »

Le porte-parole a également rapporté à la CBS qu’Enviva ne réalisait jamais d’activités d’éclaircies – tout en s’abstenant d’indiquer que si l’abattage des arbres n’était pas effectué par l’entreprise elle-même, elle sous-traitait cette activité auprès d’exploitants forestiers.

Le reportage diffusé au niveau national a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour le dénonciateur, responsable maintenance des équipements de fabrication des granulés au sein de deux usines d’Enviva pendant plus de deux ans. Il m’a contacté par le biais du site Web de Mongabay en me disant qu’il souhaitait s’exprimer – devenant ainsi le premier employé de l’industrie mondiale multimilliardaire des granulés de bois à faire part publiquement de ses observations et de ses critiques virulentes.

Wood chips piled in mounds more than 6 meters (20 feet) high.
Des monticules de copeaux de bois atteignant plus de 6 mètres de haut (20 pieds) recouvrent le site de l’usine de granulés d’Enviva d’Ahoskie (Caroline du Nord). Image de Justin Catanoso pour Mongabay.

Au cours des six derniers mois, j’ai régulièrement communiqué avec ma source que j’ai interviewée à quatre occasions différentes. Le cadre d’Enviva a demandé à rester anonyme. Il a quitté la société au printemps dernier après un premier entretien pour un nouvel emploi. Si le dénonciateur m’a confié qu’Enviva devinerait probablement son identité, il a aussi souligné qu’il avait une famille et un nouveau plan de carrière à protéger et qu’il ne voulait courir aucun risque professionnel, présent ou futur, en révélant son nom.

« Enviva sait que ma réputation est irréprochable ; je me suis fait une place dans le monde de la maintenance centrée sur la fiabilité », a-t-il expliqué. « Ces gens pour lesquels je travaillais savent que je dis la vérité. Ils ne peuvent pas me discréditer. »

Après avoir été informé par Mongabay sur les révélations et les critiques formulées par l’ancien employé, le porte-parole de l’entreprise a répondu par une déclaration écrite :

« Nous sommes attristés par ces allégations faites par un ancien employé et nous les contestons vivement. Les points de vue exprimés par cet employé ne sont ni représentatifs des valeurs d’Enviva ni corrects. Si le nom de la source n’a pas été révélé, au regard de ce qui a été partagé, nous ne croyons pas que ces allégations soient fondées sur des connaissances crédibles ou approfondies. »

Plusieurs autres anciens employés d’Enviva ont décliné les demandes d’interview de Mongabay. Hormis un, un ancien directeur du parc à bois qui a récemment quitté l’entreprise. Il s’est toutefois montré moins critique au sujet de son ex-employeur, tout en soulignant qu’il faisait confiance au responsable maintenance qui a été choqué par les déclarations et les actions contradictoires d’Enviva. C’est ce qui l’aurait poussé à démissionner, selon lui.

Le directeur du parc à bois, qui a également demandé à rester anonyme, a déclaré qu’il existait une pression grandissante dans les usines de granulés d’Enviva ces dernières années pour augmenter la production de manière drastique afin de faire face à la demande en provenance de l’étranger. Il a pourtant insisté sur la conscience écologique d’Enviva :

« On nous a dit qu’on n’achèterait pas de bois provenant de forêts qui ne seraient pas replantées une fois défrichées. »

À Edenton, Mongabay a précisément observé le cas inverse. Enviva a accepté de nombreuses tonnes de copeaux de bois originaires de sites qui ont été officiellement identifiés et retenus pour des projets de développement industriel.

A sign posted on the 52-acre clear-cut lot in Edenton, North Carolina, shows that the land is intended for industrial development and will not be reforested.
Un panneau placé sur les 21 hectares (52 acres) défrichés à Edenton (Caroline du Nord) indique que le site est destiné à accueillir un projet de développement industriel et qu’il ne sera pas reboisé. Or, Enviva affirme publiquement qu’elle n’achète que du bois provenant de forêts qui seront replantées. Image de Dogwood Alliance pour Mongabay.

Respecter la forêt et les arbres

Juste avant la COP 27, la dernière conférence des Nations Unies sur le climat, le World Resources Institute ou WRI (institut des ressources mondiales) a publié une étude historique qui met l’accent sur le rôle crucial des forêts intactes pour lutter efficacement contre la crise climatique – un rôle qui va au-delà de la manière dont elles absorbent le carbone au fur et à mesure qu’elles se développent, ou libèrent du carbone une fois défrichées ou brûlées.

« Les décideurs politiques doivent tenir compte des éléments probants qui démontrent clairement que les forêts sont encore plus importantes pour le climat que ce que nous pensions précédemment », ont écrit les chercheurs du WRI. « De plus en plus d’études révèlent que les forêts interagissent avec l’atmosphère de nombreuses autres manières que par le biais du cycle global du carbone, affectant les précipitations et les températures aussi bien au niveau mondial qu’au niveau local. »

Ils ont ajouté : « En réalité, les effets non carboniques des forêts ne sont pas uniquement essentiels pour lutter contre le changement climatique, mais aussi pour la sécurité alimentaire et hydrique, la santé humaine et la capacité du monde à s’adapter au réchauffement de la planète. »

Les forêts disparaissent depuis des générations pour de nombreuses raisons évidentes : le développement économique, l’agriculture, plus un éventail de produits issus du bois dont nous dépendons, tels que les matériaux de construction, les meubles, le papier, et même les instruments de musique acoustiques de qualité. Mais la biomasse ligneuse utilisée pour brûler dans des centrales électriques en vue de produire de l’énergie est quelque chose de relativement nouveau – et de controversé.

Map for where Enviva sources wood from.
Enviva s’approvisionne en bois dans un rayon de 80 kilomètres (50 miles) minimum de ses usines de Caroline du Nord et de Virginie du Sud. Image de Southern Environmental Law Center pour Mongabay.

Dans les 12 années qui ont suivi la construction de la première usine d’Enviva en Caroline du Nord, l’entreprise et le reste de l’industrie des granulés de bois ont connu une croissance explosive – dopée par les milliards de dollars de subventions « écologiques » et appuyée par les politiques énergétiques nationales et internationales.

Aujourd’hui, un nombre incalculable d’arbres continuent d’être brûlés pour produire de l’énergie dans d’anciennes usines à charbon, avec la biomasse ligneuse techniquement désignée comme source d’énergie renouvelable au même titre que les énergies éolienne et solaire, et de fait, en théorie, meilleure que la combustion du charbon. Mais les études scientifiques indiquent qu’elles sont aussi néfastes l’une que l’autre pour la planète.

L’augmentation de la demande en bois a des effets dévastateurs au moment où le maintien des forêts intactes, sur pieds, est plus crucial que jamais pour protéger l’avenir de l’humanité et de la planète.

La production de granulés de bois a considérablement augmenté les effets de la déforestation des forêts anciennes en Colombie britannique ainsi que dans les pays d’Europe de l’Est, en Roumanie, en Lettonie et en Estonie. Elle a également accéléré le développement d’Enviva, ses parts de marché mondiales, ses bénéfices et ses besoins en bois. Enviva achète la plupart de son bois dans le sud-est des États-Unis, l’une des plus grandes réserves de carbone du pays et aussi l’une des régions les plus riches en biodiversité.

« Les forêts ont encore plus à offrir que leur rôle dans le bilan carbone », indiquent les chercheurs du WRI. « Il est grand temps de les considérer pour leur valeur climatique globale – pour bénéficier aux populations qui vivent et travaillent à proximité de ces dernières, à des centaines de kilomètres, et dans le monde entier. »

Aerial view of Enviva's wood pellet plant.
Vue aérienne de l’usine de granulés de bois d’Enviva à Ahoskie (Caroline du Nord). Vue partielle de l’ensemble du site. Image de Dogwood Alliance pour Mongabay.

Reconversion professionnelle du pétrole vers les granulés

Après un diplôme d’ingénierie mécanique obtenu auprès de l’une des meilleures universités technologiques, l’ancien responsable maintenance d’Enviva a passé plusieurs années à assumer différents rôles au sein d’une entreprise chimique et de deux entreprises pétrolières de renommée internationale, au sein desquelles il est devenu expert en maintenance des équipements et dans l’atténuation des risques environnementaux.

Il a expliqué à Mongabay comment, au fil du temps, en observant des négligences environnementales lors de l’utilisation de produits chimiques sur sites ainsi que des fuites de méthane non signalées en provenance de réservoirs de stockage, ses préoccupations ont grandi autour des dommages causés à l’environnement par ses employeurs.

C’est mi-2020 que sa vie a pris un nouveau tournant ; il a été contacté par un recruteur d’Enviva à Raleigh, en Caroline du Nord.

« J’ai aimé ce que j’ai entendu et j’y ai tout de suite cru, comme leurs déclarations publiques sur leurs actions pour le développement durable et la manière dont ils veulent éliminer le charbon et planter plus de forêts. J’avais quelques connaissances dans le domaine de la biomasse, et je les ai approfondies. Et vous savez, leur site Web est vraiment impressionnant ».

« Par ailleurs, ma fille est dans le secondaire, elle est passionnée par les sujets sur l’environnement. Je lui ai parlé de la possibilité de travailler pour Enviva. Je lui ai dit que j’y ferais de bonnes choses en faveur de l’environnement et que ce serait un changement de cap. J’y croyais dur comme fer. Elle était si heureuse lorsque j’ai obtenu le poste en Caroline du Nord. J’y suis allé en pensant que nous étions à l’avant-garde d’un courant vraiment bon pour la planète, vous comprenez ? Mais ensuite, au fil du temps, vous vous rendez compte de toutes ces aberrations ; qu’ils ne font rien de ce qu’ils disent. Et cela m’a ouvert les yeux. »

La première usine d’Enviva dans laquelle le responsable maintenance a travaillé recevait des tonnes de bois, mais déjà réduites en copeaux sur une multitude de sites d’abattage. Le dénonciateur a abordé les questions liées à la protection incendie à l’usine, à la pollution des nappes phréatiques et de l’air, ainsi que les difficultés rencontrées pour maintenir les machines en activité continue. Malgré tous ces enjeux, il pensait pouvoir participer activement à la protection de l’environnement en travaillant pour Enviva.

Un an après, il a été transféré dans une autre usine de l’entreprise, d’une taille plus importante, où son parc à bois était rempli de milliers d’arbres entiers abattus dans un rayon de 80 km (50 miles), en attendant d’être broyés en copeaux et comprimés en granulés.

« C’est à ce moment que j’ai reçu comme une gifle et que je me suis réveillé. J’étais habitué à voir des monticules de copeaux de bois. Mais ces arbres sur le parc étaient énormes. Et il y en avait partout sur le site. Et les camions [transportant toujours plus d’arbres] arrivaient tout au long de la journée, et chaque jour de la semaine. Je n’avais aucune idée de l’endroit où ils s’approvisionnaient, et cela m’a fait réfléchir. Je me suis demandé : Comment tout cela peut-il être “durable”, comme ils s’en vantent ? »

Trucks carrying 40 tons of wood chips.
Les camions transportant 40 tonnes de copeaux de bois sont chargés en une trentaine de minutes de ce qui un temps faisait partie de la forêt dense d’Edenton. Les arbres sur pieds n’offrent pas uniquement une solution au stockage de carbone, ils fournissent également un habitat à la faune et à la flore et permettent de lutter contre les inondations. Image de Bobby Amoroso pour Mongabay.

Bonne biomasse et mauvaise biomasse

Enviva, en tant que société publique, a une obligation de transparence envers ses actionnaires et le public au niveau de ses politiques et pratiques. Dans le respect de cette obligation, Jennifer Jenkins, ancienne responsable du développement durable chez Enviva, a écrit dans une déclaration publiée sur le site Web de l’entreprise : « Toute la biomasse n’est pas bonne, et toute la biomasse n’est pas mauvaise. »

« La bonne biomasse est issue de bois à faible valeur, de résidus de scieries ou de coupes de bois planifiées et réglementées », a-t-elle ajouté. Elle a continué à décrire la bonne biomasse comme étant par exemple constituée « de cimes d’arbres, de branches, de résidus et/ou d’arbres de petites tailles et à faible valeur ».

Elle a indiqué que la bonne biomasse ne provenait pas « d’arbres de plus grande taille et à forte valeur qui, à la place, pourraient être utilisés pour les produits à longue durée de vie. » À noter, Jennifer Jenkins a écrit que la bonne biomasse « provient d’une région où les stocks forestiers de carbone sont stables ou en augmentation…suivant des pratiques de récolte qui protègent la biodiversité…[et] d’une forêt redevenue forêt après les activités d’abattage, et non d’une terre qui sera convertie en projets d’exploitation agricole ou industrielle ».

Enviva a réitéré de tels principes dans une déclaration à Mongabay, indiquant qu’ « Enviva veille au respect des directives d’approvisionnement les plus strictes en matière de développement durable, d’intégrité et de gestion forestière ».

Felled hardwood and pine from a dense forest piled high.
Enviva a réitéré de tels principes dans une déclaration à Mongabay, indiquant qu’ « Enviva veille au respect des directives d’approvisionnement les plus strictes en matière de développement durable, d’intégrité et de gestion forestière ».

Sur les 21 hectares (52 acres) d’éclaircie à Edenton, j’ai pu voir des arbres entiers, droits et épais destinés aux usines de scierie. Mais j’ai aussi remarqué la présence de feuillus et de résineux, de différentes tailles, broyés en copeaux de bois pour l’usine d’Enviva à Ahoskie. Ce grand terrain dépourvu d’arbres n’est plus un havre pour la biodiversité et deviendra un site de développement industriel, sans aucun projet de restauration des forêts.

En entendant les définitions de bonne et mauvaise biomasse formulées par Jennifer Jenkins, le responsable maintenance a déclaré avec indignation : « ça a l’air parfait sur le papier. Si seulement tout cela pouvait être vrai. »

Il m’a dit qu’en se rendant au travail il suivait parfois des camions chargés d’arbres entiers, « certains plus longs que ma maison », en route vers l’usine d’Enviva. Sur les sites de récolte, il a également noté que des branches et des résidus – qu’Enviva revendique comme étant ses principales ressources pour la fabrication de ses granulés – « sont restés au sol ; les déchets ne les intéressent pas ».

D’une colère ardente, il a répété le slogan d’Enviva, puis a ajouté : « “Nous avons trouvé un substitut au charbon et nous replantons les forêts. Vraiment ? Nous ne sommes propriétaires d’aucun terrain. Et nous ne replantons rien, à aucun endroit, vous entendez ? Ok, nous avons trouvé un substitut au charbon, mais la manière dont nous l’utilisons est probablement pire que le charbon. »

Mongabay contributor Justin Catanoso talks with an onsite truck driver.
Le contributeur de Mongabay Justin Catanoso se fait confirmer auprès d’un conducteur de camion que le chargement contient 40 tonnes de copeaux de bois destinées à l’usine de granulés de bois d’Enviva à Ahoskie, située à 60 kilomètres (37 miles) du site d’abattage. Il a déclaré qu’il allait faire trois ou quatre trajets de plus ce jour-là. D’autres conducteurs en feront de même. Image de Dogwood Alliance pour Mongabay.

Modifier la demande ou l’accélérer ?

Les observations livrées par le dénonciateur, en complément des éléments probants collectés à l’aide de drones et de photographies par les ONG environnementales telles que Dogwood Alliance et Natural Resources Defense Council, le Conseil de défense des ressources naturelles, semblent indiquer que la production de granulés de bois contribue à la déforestation dans le sud-est des États-Unis. Par ailleurs, un grand nombre d’études scientifiques ont conclu que les granulés étant moins denses en énergie que le charbon, ils libèrent plus de carbone par unité d’énergie produite que le charbon lors de la combustion.

Joe Davison voit cependant les choses d’un autre œil. Il est exploitant forestier et travaille pour une société de conseil sur l’utilisation des terres basée à Ahoskie. Il a été impliqué dans l’éclaircie des 21 hectares (52 acres) d’Edenton, après laquelle des tonnes de copeaux de bois ont été livrées à Enviva, mais il ne travaille pas pour l’entreprise. Il a dit qu’il était plus préoccupé par l’impact environnemental de l’expansion urbaine dans les principales villes de Caroline du Nord que par l’abattage sur la côte et les besoins en bois d’Enviva.

« Enviva a modifié la demande en bois ; elle ne l’a pas augmentée », a déclaré Joe Davison. « La demande en bois utilisé pour la production de la pâte à papier a chuté, car la demande en papier a elle-même chuté. Enviva achète le bois dont les scieries n’ont pas besoin et qui, autrement, finirait par pourrir sur site. L’entreprise fournit des débouchés commerciaux aux propriétaires de terrains pour ce bois à faible valeur. »

Joe Davison a souligné qu’il ne pensait pas que la couverture forestière de la région avait diminué à la suite de ces nouvelles opérations d’abattage. Selon lui, la croissance de nouveaux arbres est encore supérieure à la récolte annuelle d’arbres – un argument qu’Enviva a également défendu sur son site Web.

Cependant, cette idée a été réfutée par une étude méticuleuse publiée cette année par le Southern Environmental Law Center (SELC), une organisation qui, depuis des années, veille à sensibiliser l’opinion à ce qu’elle appelle la croissance non durable de l’industrie des granulés aux États-Unis et à l’étranger.

Tractor-trailers each carrying 40 tons of wood pellets.
Les camions transportant chacun 40 tonnes de granulés arrivent à cinq minutes d’intervalle les uns des autres à l’usine de granulés d’Enviva à Ahoskie (Caroline du Nord) qui a ouvert en 2011. Une fois déchargés, les véhicules reprennent ensuite la route vers les sites d’abattage situés dans un rayon de 80 km (50 miles) de l’usine. Cinquante cargaisons ou plus sont acheminées chaque jour. L’usine d’Ahoskie est la plus petite installation d’Enviva, opérant sept jours par semaine. Enviva a déclaré que son usine produisait plus de 1 100 tonnes de granulés de bois par jour. Image de Bobby Amoroso.

Christopher Williams, géographe à l’Université de Clark à Worcester (Massachusetts) est spécialisé en cartographie territoriale. Il utilise un éventail de jeux de données provenant de différentes sources dont des images satellitaires, Global Forest Watch, U.S. Forest Service (service forestier des États-Unis), National Forest Carbon Monitoring System (système national de surveillance des forêts concernant le carbone forestier), et d’autres encore.

Le SELC a signé un contrat avec Christopher Williams afin de déterminer l’impact d’Enviva sur les forêts dans les zones de chevauchement de récolte de trois usines proches les unes des autres, à savoir Ahoskie, Northampton en Caroline du Nord, et Southampton en Virginie. Le géographe a analysé et comparé les données relatives à la couverture forestière avant et après l’ouverture de la première usine d’Enviva en 2011. Il a observé un déclin de la demande en bois utilisé pour la production de la pâte à papier et en papier dans la région. Mais il a découvert que l’entrée d’Enviva sur le marché n’avait pas uniquement modifié cette demande, comme suggéré par Joe Davison, mais qu’elle l’avait accélérée.

En comparant le défrichage de la forêt en feuillus et en résineux dans la région de récolte des trois usines avant et après leur ouverture, Christopher Williams, au cours de ses recherches, a pu déterminer que « le taux de déforestation avait considérablement augmenté depuis le début des activités des usines de fabrication de granulés ».

L’étude a découvert que, par exemple, l’abattage de feuillus dans la zone des trois sites de production avait augmenté de près de 6 % entre la période 2004-2008 (16 425 hectares ou 40 587 acres défrichés) quand aucune usine n’était encore en opération et la période 2013-2018 (17 399 hectares ou 42 994 acres défrichés) quand les trois usines étaient en activité. En complément, les études ont indiqué une nette disparition de forêts de feuillus – calculée sur la différence entre la croissance naturelle des forêts existantes et les plantations d’arbres, et les abattages d’arbres – de 1 877 hectares (4 638 acres) par an, ou près de 11 330 hectares (28 000 acres) entre 2011 et 2016.

L’exploitation forestière n’a fait que s’intensifier depuis 2018, avec le développement et l’augmentation des usines de granulés de bois d’Enviva.

Les études indiquent également que tout le phénomène de déforestation enregistré dans la zone des trois usines n’est pas uniquement lié à Enviva. Des arbres entiers sont également utilisés par les usines de scierie. Mais d’après les estimations basées sur les chiffres de l’entreprise au niveau du nombre de tonnes de bois et de copeaux livrées dans les trois usines, l’étude a révélé qu’Enviva avait consommé jusqu’à 47 % de l’éclaircie des forêts de feuillus entre 2016 et 2018 dans le rayon défriché.

Par opposition aux déclarations publiques d’Enviva, l’étude a conclu que « les opérations des usines de granulés ne semblent pas avoir entraîné une augmentation de la superficie boisée au sein de la région [des trois usines], et au contraire les forêts de feuillus ont connu un déclin important et régulier ».

Les forêts de Caroline du Nord et du sud-est du pays vont être confrontées à des menaces encore plus pressantes dans les années à venir. En janvier 2022, Enviva a fait part de projets qui visaient à plus que doubler sa production annuelle de granulés, pour passer de 6,2 millions de tonnes à 13 millions d’ici cinq ans.

La carte montre les usines qui exportent leur production de granulés de bois en Europe. L’industrie de la biomasse ligneuse explose en taille dans le sud-est des États-Unis, mais le Gouvernement Biden reste discret sur ses politiques envers le secteur non réglementé. L’UE s’interroge actuellement sur le fait de poursuivre ou de suspendre les subventions en faveur de la filière de la biomasse. Pour une version imprimable de la carte à grande échelle, cliquez ici. Image du SELC pour Mongabay.

« C’est une question d’intégrité »

Après des heures d’entretien téléphonique sur une durée de six mois, l’ancien responsable maintenance d’Enviva a abordé son temps passé à travailler pour l’entreprise avec plus de philosophie, son besoin de quitter un poste dans lequel il excellait et son désir ardent de ne pas décevoir sa fille qui craint un avenir périlleux pour le climat.

« C’est une question d’intégrité, vous comprenez ? Je restais assis à mon bureau et recrutais des personnes en les attirant avec des idées fausses. J’ai permis à ces usines de mieux fonctionner. J’ai permis à Enviva de gagner de l’argent. C’est ce fardeau que je dois maintenant traîner avec moi, et je n’en suis pas fier.

« Quand j’ai accepté le poste chez Enviva, ma fille a pensé que j’allais sauver l’environnement, un domaine qui la passionne depuis ses six ans. Je prenais plaisir à lui raconter à quel point c’était formidable de travailler pour Enviva. Et elle me croyait. Puis, je me suis rendu compte que ce n’était pas vrai, et là je me suis demandé comment j’allais le lui annoncer. Il fallait qu’elle sache que j’étais intègre, que son père soutenait une cause réelle.

« Sur les sites de production, la seule question qui importait était : “Combien de tonnes [de granulés] as-tu produites aujourd’hui ?” Avec toutes ces forêts abattues, toutes ces émissions de carbone, c’était la seule question qui revenait sans cesse. J’ai été aspiré par le système. Je m’y suis conformé. Et voilà le bilan : 50 000 tonnes de granulés par mois, sept mois d’affilée. J’ai formé une équipe solide et j’en étais fier.

« Quand j’y pense aujourd’hui, ça me rend malade. Je vais être honnête avec vous. Cela me rend tout simplement malade. »

A tractor operator feeds trees large and small into a massive wood chipper.
Un opérateur alimente son broyeur forestier avec des arbres de toutes tailles sur un site en pleine activité de défrichage à Edenton (Caroline du Nord). Image de Justin Catanoso.

Image de bannière : Ce site de 21 hectares (52 acres) à Edenton en Caroline du Nord a été coupé à blanc sur une période de deux semaines fin octobre et début novembre 2022 avec près de la moitié des arbres broyés en copeaux et livrés à une usine de production de granulés d’Enviva située à proximité, à Ahoskie. Les résidus ont été expédiés vers des scieries de la région. Image de Dogwood Alliance pour Mongabay.

Justin Catanoso est un contributeur régulier de Mongabay et professeur de journalisme à l’université Wake Forest en Caroline du Nord. Il écrit sur la biomasse pour la production d’énergie depuis 2018. Suivez-le sur Twitter @jcatanoso.

 
Article original: https://news.mongabay.com/2022/12/envivas-biomass-lies-whistleblower-account/

Quitter la version mobile