- Eve Bazaiba, ministre de l’Environnement a mandaté une équipe pour qu’elle « arrache » le consentement des communautés de Basoko pour transformer la forêt qui les fait vivre, en concession de conservation pour Wildlife Work. Le but étant de vendre des crédits carbone.
- Pour beaucoup, les crédits carbones relèvent du Greenwashing.
- Epinglée en 2020 pour ne pas avoir rempli ses engagements envers les populations locales, l’entreprise Wildlife Works bénéficie du soutien de la ministre.
Au cœur de la forêt primaire, au bord d’un affluent du fleuve Congo, se trouve le territoire de Basoko. Quelque 50 000 âmes peuplent cette zone reculée et paisible de la République Démocratique du Congo (RDC). Mais en juillet 2022, Eve Bazaiba, ministre de l’Environnement, mandatait une équipe pour qu’elle aille “arracher” le consentement des communautés de Basoko pour transformer la forêt qui les fait vivre en concession de conservation. Le but étant de vendre des crédits carbone.
La RDC, une manne pour obtenir des crédits carbone
Un crédit carbone correspond à une tonne d’émission de CO2. “Pour des questions de communication, de plus en plus d’entreprises du Nord veulent afficher une ‘neutralité carbone’. Mais, dès lors que le coût de réduction de leurs émissions devient trop élevé, elles achètent des crédits carbone, souvent issus de projets forestiers dans les pays en développement”, rappelle l’économiste et chercheur à la CIRAD Alain Karsenty.
En faisant des projets de conservation, certaines entreprises produisent des crédits carbone. Elles les vendent ensuite à d’autres sociétés polluantes pour que ces dernières puissent continuer à polluer sans être pointées du doigts. Un procédé qualifié de Greenwashing par beaucoup d’activistes.
Une des manières les plus simples pour produire ces crédits carbone est de faire des projets disant vouloir réduire la déforestation. Puisque la deuxième forêt primaire au monde s’y trouve, la RDC devient une zone de prédilection pour ces opérations.
Un consentement “arraché ” ?
Or, le code forestier est clair. Tout nouveau contrat doit faire l’objet d’une négociation avec les populations. Il ne peut leur être imposé.
GreenPeace s’insurge : “On ne peut pas arracher un consentement, sinon cela équivaut à faire usage de la force. La loi parle de négociation. Les communauté locales sont censées avoir le droit de dire oui ou non à un projet qui leur aura été clairement expliqué. Ici, on a obligé les communautés à dire oui à un projet dont elles ignorent les contours”, explique Irene Wabiwa Betoko, International Project Leader, Congo Basin Forest pour GreenPeace.
Wildlife Works se désolidarise du terme employé par la ministre Eve Bazaiba. “Wildlife Works ne voit pas et n’est pas impliqué dans la rédaction des ordres de mission rédigés par le gouvernement. Dans ce cas, cet ordre de mission était destiné au personnel du gouvernement de la RDC – M. Eric Moene de la COMIFAC – pour accompagner l’équipe de Wildlife Works à la Tshopo afin de commencer le processus de Consentement Libre, Préalable et Informé (CLIP). Wildlife Works produit ses propres ordres de mission internes pour son personnel allant sur le terrain”, explique Joyce Hu, la directrice de communication. Elle renchérit : “L’utilisation de ce mot dans l’ordre de mission du gouvernement n’a aucune incidence sur le processus de partage d’informations, de discussion et de prise de décision démocratique à double sens que nous suivons avec les communautés pour ‘négocier’ un accord. Notre processus de CLIP et de gouvernance communautaire garantit que les membres de la communauté ont la possibilité de donner ou de refuser leur consentement à tout moment du processus de consultation ainsi que pendant toute la durée de vie des projets.”
De courtes négociations
En juillet dernier, une équipe composée de cartographes, du directeur technique de la Commission des forêts d’Afrique centrale (Comifac) et d’un membre de l’ONG ERA (filiale de Wildlife Works) s’est donc rendue dans la Tshopo où se trouve le territoire de Basoko. Ils ont tenu des ateliers avec les différentes populations du territoire de Basoko mais selon Greenpeace, la population n’aurait pas été correctement informée. “Pour les communauté que nous avons interrogé, c’était Tradelink qui continuait sa mission. Elles nous ont dit : ‘Les gens sont venus avec le même discours que Tradelink. On ne comprenait pas. Ils nous ont promis des écoles, etc. ‘Les communautés ne savaient même pas à qui elles avaient affaire.” déplore Irène Wabiwa.
Tradelink SARL est une entreprise qui, en 2021, voulait mettre en place des projets de compensation carbone dans la Tshopo mais dont les concessions ont été suspendues.
Wildlife Works est revenu en septembre pour négocier avec les communautés les termes d’un cahier des charges et obtenir leurs signatures. Selon ce cahier des charges, Wildlife Work devra construire des infrastructures (telle que des écoles et des centres de santé.) mais aussi employer “à compétence égale” la main-d’œuvre de Basoko en échange de “l’abstention d’activités susceptibles de compromettre la vente de certificats de carbone et l’intégrité des zones de conservation intégrale”. L’accord fait référence notamment à l’agriculture de subsistance sur brûlis.
“J’ai déjà participé à ces négociations. Cela prend généralement plusieurs jours. Ici, d’après nos équipes sur le terrain, il ne leur a fallu qu’une journée pour recevoir toutes les signatures. Ce n’est pas normal”, déclare Irène Wabiwa.
D’après Joyce Hu, directrice de communication chez Wildlife Works, “le cahier des charges final a été réalisé en un jour parce que la communauté avait déjà donné son consentement initial lors des réunions précédentes en juillet et décrit en détail ce qu’ils souhaitaient lors des ateliers de village en septembre”.
De son côté, le Groupe de Travail Climat REDD Rénové, un groupe de membre de la société civile congolaise réplique en accusant Greenpeace de vouloir “détourner l’attention” des actions de la ministre à la Cop 27 et de vouloir “voir les communautés rester dans un état de pauvreté accrue en leur interdisant de bénéficier des fruits de leurs efforts de conservation.” Mais la population bénéficie-t-elle vraiment des fruits de la conservation ?
Une entreprise déjà épinglée pour ne pas avoir respecté le contrat
Wildlife Work possède déjà un projet de conservation en RDC. Ouvert en 2011 dans le Maï Ndombé, en partie financé par la banque mondiale, il est lui aussi destiné à vendre du crédit carbone. En contrepartie, la compagnie devait, entre autres, implanter des jardins potagers pour encourager les agriculteurs à réduire le défrichement des forêts et la production de charbon de bois.Un rapport de l’ONG Rainforest Foundation UK expliquait en 2020 que “Les projets n’ont pas obtenu le consentement libre, informé et préalable des communautés locales pour les activités REDD+, ce qui a entraîné une confusion et des conflits dans les zones des projets. Le niveau d’inclusion et de participation des communautés censées mettre en œuvre les activités REDD+ est scandaleusement bas, en particulier chez les femmes. De plus, la plupart des bénéfices promis n’ont pas encore été reçus ou les communautés ne sont pas satisfaites de leur distribution.”
La population a donc très peu profité des retombées du projet et Wildlife Work n’a pas rempli ses promesses.
Pourtant cela n’a pas empêché la ministre de l’Environnement, Eve Bazaiba, de mandater cette société pour un autre projet du même type. Nous l’avons contactée à plusieurs reprises mais elle n’a pas donné suite à nos demandes d’interviews. “Il y a une augmentation spectaculaire du prix des crédits carbone issus des projets forestiers. Ils ont presque doublé en un an. Aujourd’hui on est à 7-8USD le crédit carbone. Vendre des crédits carbone devient de plus en plus intéressant financièrement”, explique Alain Karsenty.
Sans doute un élément de réponse. Selon Rainforest foundation UK, Wildlife Works a réalisé plus de 13 millions de crédit carbone grâce à ses activités en RDC. Des crédits qui ont été vendus à des grands pollueurs.