Nouvelles de l'environnement

Malgré le conflit et le chaos, un projet de reforestation va de l’avant en Haïti

  • Un important projet de reforestation avance en Haïti, malgré les bouleversements économiques et politiques du pays.
  • En replantant 50 hectares avec des espèces autochtones cette année dans le parc national du Grand Bois, l’ONG Haiti National Trust (HNT) travaille en étroite collaboration avec les communautés locales pour assurer la survie à long terme du projet de restauration.
  • Sur une île frappée par les déboires de gouvernance, une forte déforestation et le changement climatique, la reforestation peut sauver des vies en atténuant les impacts des évènements extrêmes de pluie, de sécheresse et d’ouragan, et même réduire le risque de glissements de terrain causés par les tremblements de terre.
  • Si un financement permanent peut être obtenu, le groupe espère poursuivre les efforts de replantation à l’avenir avec de plus grands objectifs de restauration.

Haïti connaît à nouveau une crise profonde. La nation des Caraïbes occupant le tiers ouest de l’île d’Hispaniola subit une période d’instabilité politique à la suite de l’assassinat du Premier ministre Jovenel Moïse en 2021 ; et pas plus tard que le mois dernier, un autre homme politique important, Eric Jean Baptiste, a été tué par balle.

Ajoutez à cela une épidémie de choléra en expansion et le blocage par des gangs violents de si nombreuses rues que le gouvernement actuel d’Ariel Henry, le Président et Premier ministre par intérim, plaide pour une intervention internationale afin de rouvrir des itinéraires d’approvisionnement vitaux vers la population appauvrie. Tout cela dans un pays affrontant des crises environnementales redoutables, notamment une déforestation, une érosion et des problèmes d’eau douce extrêmes.

Mais au milieu de ces difficultés, les Haïtiens restent résilients, des ONG et des personnes s’unissant pour faire bouger les choses.

Un projet de reforestation tropicale lancé en 2019 offre un parfait exemple : il est non seulement en voie d’atteindre son objectif de plantations de 50 000, mais il devrait arriver à 60 000 plantations d’ici à la fin de l’année, selon l’Haiti National Trust (HNT) et son partenaire international Re:wild, financé en partie par le célèbre acteur, Leonardo DiCaprio.

A local community member tends to native seedlings
Un membre de la communauté locale s’occupe de jeunes plants à la pépinière de l’Haiti National Trust. Image fournie par Eladio M. Fernandez.

Plant par plant, le groupe d’ONG en partenariat avec les communautés locales restaure 50 hectares d’un des derniers foyers de biodiversité survivants en Haïti : le massif de la Hotte, un massif montagneux d’une altitude allant de 900 mètres à 1 250 mètres dans le parc national récemment protégé du Grand Bois près de la pointe ouest de la péninsule de Tiburon.

« Le parc national du Grand Bois est unique en ce qu’il contient des forêts tropicales primaires parmi les dernières à moyenne altitude en Haïti… avec un nombre important d’espèces menacées ou en danger », a dit le directeur de la conservation de l’HNT Joel Timyan, faisant remarquer que le site est une zone clé pour la biodiversité et qu’il abrite un certain nombre de populations, peut-être le dernier refuge de leurs espèces.

Une nation insulaire assiégée

Les malheurs sociopolitiques et environnementaux d’Haïti remontent à 1492, l’année où Christophe Colomb l’a « découverte », et décrivait favorablement l’environnement de l’île déjà très peuplée d’Hispaniola comme « des plus fertiles » avec ses « très hautes et belles montagnes, ses grandes fermes, plantations et champs », et des forêts « remplies d’arbres de 1 000 sortes si grands qu’ils semblent toucher le ciel ». Les Espagnols ont rapidement exterminé intégralement les populations autochtones de l’île, tuant par esclavage, massacre ou maladie des centaines de milliers à un million d’autochtones taïnos, jusqu’à ce qu’il n’en survive que 32 000 en 1514. Au cours des siècles qui ont suivi, les colonisateurs ont pillé l’environnement de l’île par une économie d’exportation de plantations.

Actuellement, le pays le plus pauvre du continent américain, Haïti a perdu presque l’intégralité de ses écosystèmes.

Il resterait moins de 1 % de la forêt primaire du pays, avec moins d’un tiers du pays recouvert actuellement de forêt secondaire, selon Global Forest Watch. La perte d’arbres d’Haïti est aujourd’hui liée à sa pauvreté : la majorité de sa forêt tropicale a été coupée pour faire du charbon de bois, de l’agriculture sur brûlis, et des matériaux de construction. Ajoutez à cela, l’aggravation du changement climatique et un gouvernement aux abois incapable de répondre à une multitude de situations d’urgence.

Mais, malgré les défis redoutables qu’affronte le pays, les défenseurs de l’environnement d’Haïti s’efforcent à trouver des moyens innovants d’assurer que les arbres du projet du massif de la Hotte atteignent leur maturité.

A map of Haiti biodiversity hotspots.
Une carte des hauts lieux de la biodiversité d’Haïti. Le parc national du Grand Bois est le numéro 1 sur la carte. Image fournie par l’Haiti National Trust.
Map of Grand Bois National Park.
Carte du parc national du Grand Bois. Image fournie par l’Haiti National Trust.

Les débuts d’un projet ambitieux

Le parc national du Grand Bois est une création très récente, établi en 2015 par le président d’alors Michel Martelly. Le projet de reboiser une partie de ce paysage d’importance écologique a commencé en 2019, lorsque l’HNT a commencé à collecter de jeunes plants d’espèces indigènes, notamment du magnolia d’Ekman (Magnolia ekmanii) en danger critique. Les jeunes plants ont été cultivés dans des pépinières, et les plantations ont commencé cette année sur 50 hectares du Grand Bois.

Dès le début, le projet a utilisé une approche innovante de gérance des terres partagée entre le domaine public et privé. En 2019, l’HNT, Re:wild (anciennement Global Wildlife Conservation) and le Rainforest Trust ont acheté environ 500 hectares de forêt attenants au parc national du Grand Bois et en recouvrant des parties, afin de créer la première réserve privée du pays. L’achat de terres à l’intérieur du parc, ce qui est légalement autorisé en Haïti, a permis au groupe d’ONG d’y travailler avec moins de tracasseries administratives.

Les progrès ont été rapides, malgré les récents troubles généralisés et fermetures de routes, qui rendent la reforestation « bien plus difficile », a dit la directrice générale de l’HNT Anne-Isabelle Bonifassi. « Notre rythme de plantation a baissé, mais nous avons continué à travailler et nous sommes toujours en bonne voie. »

Bonifassi ajoute qu’ils prévoient de reboiser encore plus l’année prochaine, et de continuer aussi longtemps que le financement se poursuit.

Des rangées de plantes autochtones s’épanouissent sous le soleil tropical. Image fournie par Wilson Jean.
Native plant seeds.
Des graines de plantes autochtones, prêtes à être plantées à la pépinière de l’HNT. Image fournie par Wilson Jean.

Le parc national du Grand Bois est l’un des écosystèmes les plus riches en biodiversité qui reste en Haïti. Cette année, des chercheurs ont redécouvert dans le parc une espèce de magnolia qui n’avait pas été vue par des scientifiques depuis 97 ans : le magnolia du nord d’Haïti (Magnolia emarginata). Ce magnolia perdu puis retrouvé est l’un des cinq magnolias, dont celui d’Ekman, qu’on ne trouve que sur Hispaniola.

Le petit parc est également un paradis pour les grenouilles : à ce jour, les scientifiques y ont observé 24 espèces de grenouilles. Trois espèces sont inconnues de la science et n’ont pas encore été décrites. L’une d’elles est la grenouille des ruisseaux de Tiburon (Eleutherodactylus semipalmatus) en danger critique, que l’on pensait disparue depuis des décennies.

Il s’agit « d’une rare espèce aquatique dans un groupe de grenouilles autrement terrestres », selon S. Blair Hedges, un cofondateur de l’HNT et directeur du Centre pour la biodiversité à l’université Temple de Philadelphie. Blair Hedges a passé des années à étudier les dernières zones sauvages d’Haïti.

Le scientifique fait remarquer que plus de 90 % des amphibiens d’Haïti sont menacés d’extinction, ce qui représente le pourcentage le plus élevé de tous les pays du monde. À Grand Bois, 22 des 24 espèces de grenouilles sont menacées, 16 étant en danger critique sur la liste rouge de l’UICN.

The Grand Bois Mountains
Les montagnes du Grand Bois, le site de la forêt primaire la plus précieuse écologiquement d’Haïti. Image fournie par Eladio M. Fernandez.
An Ekman's magnolia.
Un magnolia d’Ekman (Magnolia ekmanii) qui a été cultivé dans une pépinière du Grand Bois et qui a été transporté et protégé en tant que spécimen d’herbier au Jardin botanique national de Saint-Domingue. Image fournie par Eladio M. Fernandez.

Jenny Daltry, la directrice du bloc des Caraïbes de Re:wild dit que le parc n’a été que « partiellement étudié ». Ce qui veut dire que de nombreuses autres découvertes restent peut-être à faire.

Le Grand Bois, avec l’une des dernières forêts primaires restantes d’Haïti, offre également de nombreux services écosystémiques qui améliorent la vie des Haïtiens. Les arbres protègent les communautés locales des ouragans, de l’érosion et des glissements de terrain causés par les tempêtes intensifiées par le changement climatique et par les tremblements de terre fréquents sur l’île.

« En bref, avoir des arbres aux bons endroits sauve des vies », a dit Daltry.

Les arbres du parc préservent également les sources d’eau douce, y compris les sources, les rivières et les aquifères, selon Timyan. Cet aspect est de plus en plus important en raison des sécheresses plus fréquentes. « Si ces zones sont déboisées, la fréquence et la gravité des inondations augmenteront, et les mécanismes de désertification entraîneront un moindre débit de base et une moins bonne qualité de l’eau », a-t-il expliqué.

Le fait de planter plus de végétation autochtone améliorera également la capacité de la forêt à « absorber les perturbations catastrophiques », a dit Timyan, des crues torrentielles aux feux de forêt.

An unidentified frog species endemic to Haiti.
Une espèce de grenouille non identifiée, indigène à Haïti. Quatre-vingt-dix pour cent des amphibiens d’Haïti sont menacés d’extinction, ce qui représente le pourcentage le plus élevé de tous les pays du monde. Image fournie par Eladio M. Fernandez.
A work party restores native plants on a hill.
Une équipe remet en place des plantes indigènes dans le parc national du Grand Bois. Image fournie par Wilson Jean.

Un accent mis sur l’implication des communautés locales

Les projets de reforestation font face à des difficultés variées dans le monde entier, notamment des financements insuffisants, l’accès à l’eau, et la capacité à entretenir les arbres de nombreuses années après leur plantation. Étant donné les extrêmes épreuves subies par Haïti, une difficulté majeure est d’assurer que les plantes ne sont pas coupées illégalement pour du bois de chauffe destiné à la cuisine ou pour des matériaux de construction.

L’HNT s’est tourné vers ses partenariats avec les communautés pour protéger à la fois le parc et le projet de reforestation.

« À cause de la situation [économique] actuelle, il est très difficile de trouver des soutiens locaux, car la plupart des gens, à juste titre, ont d’autres priorités », a dit Bonifassi. Mais, elle a insisté que l’HNT trouve des moyens de travailler avec les villages locaux pour faire en sorte que les jeunes plants prennent racine et grandissent.

Une stratégie gagnante : l’HNT a engagé des dizaines d’habitants locaux pour faire la majorité du travail, y compris planter, entretenir les jeunes plants et retirer les espèces invasives. Dans un pays où l’année dernière, le taux de chômage dépassait les 15 %, et continuait à grimper, les emplois sont importants. Bonifassi fait remarquer que l’HNT s’associe également avec des villages pour trouver des alternatives génératrices de revenus pour remplacer la production de charbon de bois et l’agriculture à l’intérieur du parc.

« Pour l’Haiti National Trust, il est important de continuer à travailler avec [les populations locales], et à discuter de pratiques agricoles durables et d’autres façons de produire de la nourriture et des revenus pour assurer qu’ils ne sont pas trop touchés… par une crise comme celle-ci [la crise actuelle] », a-t-elle dit.

Un de ces moyens de subsistance alternatifs est l’apiculture. Un certain nombre des agriculteurs locaux avaient déjà des ruches, mais les avaient perdues après le passage de l’ouragan Matthew en 2016. Alors l’année dernière, l’HNT s’est associé à 25 petits agriculteurs pour reconstruire des ruches. L’ONG organise également des rencontres avec les villages locaux pour apprendre les activités économiques qui leur seraient les plus utiles.

« Ce qui est important, c’est que ces idées viennent [des habitants], en fonction de ce qu’ils peuvent faire, et de ce qu’ils veulent faire… Nous ne voulons en aucun cas imposer quoi que ce soit », a dit Bonifassi.

Les bonnes idées provenant de ces séances avec les communautés incluent la culture de café, de noix de cajou, d’avocats et d’agrumes à l’aide de pratiques agroforestières. Une autre idée consiste à récolter des espèces invasives et à faire des meubles avec. Malheureusement, ces idées attendent actuellement des financements pour être mises en œuvre.

« L’avenir de la plupart des sites de biodiversité hautement prioritaires en Haïti dépend du développement de véritables partenariats avec les communautés locales, afin de leur permettre de devenir à la fois les intendants et les bénéficiaires de la conservation », a expliqué Daltry.

Les grands obstacles à venir

Alors même que l’HNT tisse des liens avec les communautés, la protection de la forêt reste vulnérable, le parc national du Grand Bois n’employant qu’un seul garde forestier à plein temps, a dit Bonifassi. « Nous cherchons des financements pour engager une équipe de six à neuf gardes forestiers pour patrouiller dans le parc. Cette équipe est essentielle au succès [à long terme] de nos efforts de reforestation. »

L’aggravation du changement climatique constitue une autre menace, comme dans le reste du monde. « Toutes les îles des Caraïbes ressentent déjà les effets du changement climatique, notamment des ouragans qui dépassent les records et d’autres phénomènes météorologiques extrêmes », a dit Daltry. « Ces événements mettent la population d’Haïti en danger, et ils sont amplifiés par le grave problème de déforestation de l’île. »

Le changement climatique pourrait entraîner des extinctions dans le Grand Bois. À mesure que les forêts de montagne ressentent la chaleur, les espèces sont bloquées par les océans et ne peuvent migrer vers le pôle. Elles doivent donc migrer en altitude pour conserver une température optimale. Mais, les scientifiques craignent que certaines espèces ne disparaissent une fois qu’elles n’auront plus la possibilité de monter.

Pourtant, il y a des moyens d’atténuer les pertes à venir. « En plantant un mélange bien pensé d’espèces indigènes qui sont parfaitement adaptées à cet environnement, la nouvelle forêt aura un niveau élevé de résilience, indubitablement plus grand que des plantations de monocultures ou d’espèces importées qui ne sont pas indigènes à Haïti », a dit Daltry. « Le changement climatique ne manquera pas de mettre à l’épreuve la nouvelle forêt, bien sûr, et toutes les espèces ne survivront peut-être pas jusqu’au siècle prochain. Toutefois, tant que la plupart des autres menaces sont réduites, un plus grand nombre d’arbres recouvriront et stabiliseront les pentes et la forêt continuera à se régénérer. »

A solitary gumbo limbo tree surrounded by eroded pathways.
Un gommier rouge solitaire entouré de chemins érodés sur une terre dénudée par le broutage excessif du bétail. Image fournie par Eladio M. Fernandez.

Bien sûr, l’avenir d’Haïti et du monde dépend de la rapidité avec laquelle l’humanité peut se débarrasser de ses habitudes en matière de combustibles fossiles. Dans ce domaine, « L’HNT cherche activement des investissements pour financer sa transition d’une économie basée sur l’exploitation minière et l’extraction de ressources vers une économie basée sur une utilisation plus sage de ressources renouvelables », a dit Bonifassi.

Pourtant, il est facile de se sentir dépassé par les nombreuses crises qu’affronte Haïti, et par ce qui nous attend. Mais, cela n’arrête tout de même pas les groupes de protection de l’environnement et les populations locales de se battre encore pour protéger les écosystèmes restants du pays.

« Les derniers mois ont été très difficiles pour Haïti et sa population, et on a l’impression de n’entendre parler d’Haïti que lorsque les choses se passent mal ou que des malheurs arrivent, mais Haïti ne se résume pas à ça », a dit Bonifassi.

« Haïti est une terre riche et belle avec une biodiversité extraordinaire que nous devons protéger, la biodiversité ignore les conflits politiques », a-t-elle déclaré. « Il s’agit de notre héritage et malgré les nombreuses difficultés qu’apporte l’instabilité civile, nos équipes sont sur le terrain et travaillent avec les communautés locales à la remise à l’état sauvage de notre pays pour les générations futures.

 
Image de bannière : Inspection du parc national du Grand Bois à partir d’un point de vue montagneux. Image par Eladio M. Fernandez.

 
Article original: https://news.mongabay.com/2022/11/amid-conflict-and-chaos-a-reforestation-project-surges-ahead-in-haiti/

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